D. L'ÉVALUATION DU PARTENARIAT POUR LA DÉMOCRATIE CONCERNANT LE PARLEMENT DU MAROC

Le statut de « partenaire pour la démocratie » a été créé en 2009 afin d'intensifier la coopération institutionnelle entre l'Assemblée et les parlements des États non membres des régions voisines. L'article 60 du Règlement de l'Assemblée détaille les conditions d'octroi de ce statut et notamment les engagements politiques que le parlement intéressé doit officiellement contracter. Le Parlement marocain a été le premier à obtenir ce statut en juin 2011.

La commission des questions politiques et de la démocratie souhaitait évaluer deux ans plus tard la mise en oeuvre des engagements pris par le Maroc. Elle relève à cet égard que le partenariat a indubitablement créé une nouvelle dynamique dans la coopération entre le Conseil de l'Europe et les autorités marocaines. La nouvelle Constitution adoptée en juillet 2011 est également un pas important sur la voie des réformes démocratiques. L'attachement aux droits de l'Homme universellement reconnus, l'interdiction de toute discrimination, la primauté des conventions internationales ratifiées sur le droit interne ou la séparation des pouvoirs y sont notamment reconnus.

L'impact de cette nouvelle Loi fondamentale a été rappelé par M. Rudy Salles (Alpes-Martimes - UDI) :

« Je voudrais saluer la présence du président de la Chambre des représentants du royaume du Maroc et en profiter pour remercier aussi notre collègue Luca Volontè pour cet excellent rapport.

Mes chers collègues, deux ans après le Printemps arabe, les inquiétudes qui avaient pu naître de l'arrivée au pouvoir de gouvernements islamistes se révèlent malheureusement justifiées : atteintes aux droits des femmes et à la liberté d'expression, multiplication des violences et des condamnations arbitraires et disproportionnées. Le Printemps arabe s'est transformé en un automne de la démocratie !

Dans ce contexte, la première évaluation du partenariat pour la démocratie avec le Parlement du Maroc apparaît comme un espoir pour tous les démocrates du monde arabe.

Plusieurs orateurs ont rappelé les avancées de la Constitution de 2011. Il est clair que les constituants marocains ont créé un texte qui investit le champ du droit constitutionnel contemporain et provoque une réelle mutation politique. La comparaison avec la Constitution égyptienne et le projet de Constitution tunisienne est éloquente, ne serait-ce que sur le droit des femmes. Alors qu'en Égypte et en Tunisie, l'égalité entre les hommes et les femmes n'apparaît pas dans la loi fondamentale, la nouvelle Constitution marocaine, non seulement proclame l'égalité, mais prévoit la création d'une autorité pour la parité et la lutte contre la discrimination !

Nous devons également nous réjouir des projets de loi relatifs à l'adhésion du Maroc aux protocoles facultatifs de certains instruments internationaux, dont la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Ce protocole facultatif permet d'enregistrer les plaintes des femmes qui ont épuisé tous les recours nationaux pour faire prévaloir leurs droits. Son adoption rapide par le Parlement sera une nouvelle avancée vers l'égalité sans réserves réclamée par les femmes du monde arabe.

Dans ses Pensées pour la liberté , Tahar Ben Jelloun affirmait : « La liberté n'est rien si elle ne respire pas dans le corps et l'esprit de l'homme, de tous les hommes, sans distinction ethnique, religieuse ou géographique. » Quinze ans après, le projet de statut de la langue amazigh et l'affirmation d'une identité marocaine plurielle dans le préambule de la Constitution font écho à la voix du lauréat marocain du prix Goncourt.

Bien sûr, le Maroc n'est pas encore une démocratie ; bien sûr, des progrès doivent être faits pour que l'attachement aux droits humains affirmés dans les textes se traduise concrètement pour toutes les Marocaines et tous les Marocains, mais cette première étape montre le parcours accompli - j'en suis persuadé - grâce à ce nouvel outil de promotion de la démocratie et de l'État de droit que constitue le partenariat pour la démocratie. Réjouissons-nous donc de ce succès et faisons en sorte que notre coopération avec le Maroc serve d'exemple à ceux qui se sont écartés des valeurs et des idéaux défendus par les manifestants des révolutions arabes. »

M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC) a plus particulièrement insisté sur l'article 110 de la nouvelle Constitution :

« Le partenariat démocratique avec le Parlement du Maroc a été signé dans le contexte particulier du Printemps arabe et aujourd'hui, comme le rapporteur, je pense que nous pouvons nous féliciter de ces deux années de coopération.

Oui, mes chers collègues, alors que la situation démocratique de la région est chaque jour plus alarmante, le Maroc nous prouve que ses engagements pris en 2011 envers le Conseil de l'Europe n'étaient pas des mots. Le rapport rappelle les avancées de la Constitution de 2011. Pour ma part, j'en retiendrai trois : le rééquilibrage du pouvoir, avec un élargissement des pouvoirs du Parlement auquel nous sommes certainement tous très sensibles ; une affirmation des droits humains qui montre la volonté du Maroc à tendre vers un État de droit ; enfin - et cela me semble être un des éléments les plus importants du texte - l'article 110 qui constitutionnalise un principe essentiel de l'État de droit : l'application impartiale des lois et le respect des décisions de justice. Globalement, la Constitution a réussi à trouver un heureux équilibre entre l'affirmation d'une identité marocaine forte, la fidélité à l'Islam et la volonté de favoriser le dialogue entre les différentes composantes de la société.

Ce texte est exemplaire - le rapport rappelle qu'un article garantit les droits de l'opposition parlementaire - mais nous devons rester vigilants quant à sa mise en oeuvre. La transition démocratique au Maroc sera jugée au regard de l'application effective de tous les droits et réformes ainsi affirmés. Si nous nous impliquons vigoureusement, j'en suis convaincu, le partenariat pour la démocratie avec le Maroc et son parlement sera un instrument du succès. J'ai eu l'occasion de me rendre au Maroc à plusieurs reprises, pour des réunions de commissions ou des séminaires. J'ai pu constater combien les échanges avec nos collègues marocains sur toutes les questions relatives au partenariat étaient constructifs. Je suis persuadé, comme notre rapporteur, que ces rencontres ont permis au partenariat de prendre une autre dimension. Et en matière de transition démocratique, beaucoup de membres le savent, la volonté politique des dirigeants est fondamentale !

Chers collègues, soyons clairs : le Maroc a encore des progrès à accomplir. L'article 110 prendra toute sa force dans les réformes à venir du pouvoir judiciaire, qui doivent être une priorité.

Chers collègues marocains, monsieur le président de la Chambre des représentants, nous sommes exigeants avec votre pays parce que nous croyons en une transition démocratique réussie au Maroc ! Je suis personnellement très confiant dans la capacité de votre pays à devenir un exemple pour toute la région. »

Présent dans l'hémicycle, le président de la Chambre des représentants marocaine, M. Karim Ghellab a insisté sur l'engagement pris par son de pays de promulguer d'ici trois ans la totalité des 19 lois organiques qui permettront à son pays d'appliquer concrètement la Constitution. Il a néanmoins rappelé que des réformes étaient déjà mises en oeuvre dans son pays, notamment en ce qui concerne l'égalité entre les hommes et les femmes, l'objectif étant de faire aboutir le principe de parité. La liberté de culte y est par ailleurs garantie.

La résolution adoptée par l'Assemblée insiste désormais sur la nécessité pour le Maroc d'adhérer à différentes conventions du Conseil de l'Europe, qu'il s'agisse de celle concernant la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, de celle sur la lutte contre la traite des êtres humains ou du texte visant la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique.

L'abolition de la peine de mort doit également constituer un objectif pour les autorités marocaines comme l'a souligné Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC) :

« Le Maroc est partenaire pour la démocratie. J'ai été le premier rapporteur en 2003 sur le rapprochement avec le Maroc. J'avais pris l'initiative de solliciter ce rapprochement. Dix ans plus tard, vous êtes là, et nous en sommes heureux. De nombreux témoignages de sympathie vous sont adressés. Vous progressez assez rapidement vers la démocratie. Votre monarchie est constitutionnelle, vous l'avez rappelé, elle avance vers un parlementarisme pour lequel, certes, vous devez encore trouver un équilibre.

Nous vous faisons confiance. Le Maroc a démontré ces dernières années qu'il savait agir et qu'il était peut-être un espace de référence. Vos travaux législatifs vont se poursuivre, car effectivement, il reste encore beaucoup à faire.

Puisque les amis peuvent parler librement, j'irai plus loin en évoquant le moratoire sur la peine de mort qui date de 1993. Certains tribunaux prononcent encore des condamnations à la peine capitale. Vous avez là un acte symbolique très fort à accomplir : abolir la peine de mort.

La stabilité du Maroc est une réalité essentielle. Je ne doute pas que vous apporterez très rapidement les réponses politiques et sociales à quelques profonds problèmes comme l'illettrisme ou le chômage des jeunes diplômés.

Le Maroc est engagé sur la bonne voie, et nous en sommes heureux.

J'évoquerai aussi la question du voisinage. Nous avons parlé du Maghreb qui est essentiel de par son positionnement géostratégique. La semaine prochaine je me rends au Maroc pour la commission des affaires étrangères française pour laquelle j'ai rédigé un rapport. Le Maghreb fait partie du continent africain qui est sans doute le continent du 21 e siècle. Sa position charnière sur l'axe Nord-Sud et sur la transversale méditerranéenne occidentale lui donne un rôle pivot à jouer.

L'union du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie sera une force pour vous et pour nous. La raison devra dépasser toutes les stratégies. Je n'ai plus le temps d'évoquer le conflit oublié et gelé du Sahara occidental pour lequel il faut pourtant trouver une solution. L'intégration régionale est un voeu ; pour vous c'est une perspective d'avenir. »

Dans son intervention, M. Jean-Claude Frécon (Loire - SOC) a également rappelé que le Maroc devait également poursuivre ses efforts en matière économique et sociale :

« Associer plus étroitement le Parlement marocain aux travaux de notre Assemblée au travers du partenariat pour la démocratie vient couronner une décennie d'efforts en faveur de la liberté et de l'État de droit de la part des autorités marocaines. Aboutissement de cette logique vertueuse, la réforme constitutionnelle de 2011 a permis de clarifier l'organisation du pouvoir politique en renforçant notamment le rôle de la Chambre des représentants et de la Chambre des conseillers. Le Gouvernement est désormais responsable devant le Parlement, qui dispose d'un pouvoir d'initiative en matière législative. Cette libéralisation politique a été accompagnée d'une ouverture économique indéniable et d'une volonté notable d'améliorer la condition sociale. Les autorités marocaines ont parfaitement intégré l'idée que la démocratie ne pouvait prendre racine si les conditions socio-économiques n'étaient pas réunies pour favoriser l'émergence de formations modérées et tournées vers l'avenir. C'est ce double chantier qu'il convient de saluer aujourd'hui. Tant celui de la décentralisation politique, je pense ainsi au projet de « régionalisation avancée », que celui du développement : saluons ainsi le programme « Villes sans bidonvilles » ou le plan d'urgence en faveur de l'éducation.

Il n'est pas anodin, dans ce contexte, que le Printemps arabe n'ait pas bouleversé le pays tant il semble que les autorités avaient en large partie anticipé ce mouvement des peuples. Je constate également que les difficultés rencontrées par le mouvement démocratique dans les pays voisins semblent évitées au Maroc. Il n'y a dans ce pays, ni d'automne de la démocratie, comme l'a dit l'un de mes collègues tout à l'heure, ni d'hiver de la démocratie. Le partenariat pour la démocratie salue donc une évolution favorable. Il doit aussi être un encouragement à la poursuite des réformes. Le tableau que je viens de tracer rapidement n'est pas pour autant idyllique. Le Maroc doit encore faire face à de nombreux défis.

D'abord, plus de 28 % des Marocains vivent encore en dessous du seuil de pauvreté selon une étude du programme des Nations Unies pour le développement. Ensuite, le taux d'analphabétisme est lui l'un des plus forts du monde arabe. Le pays n'est qu'au 114 e rang mondial en matière d'alphabétisation. Puis, je relève qu'un certain nombre de valeurs restent difficilement conciliables avec les principes démocratiques. L'égalité homme-femme doit encore véritablement s'incarner au sein de la société marocaine. Enfin, je ne la développerai pas, mais je voulais citer la situation du Sahara occidental.

Notre Assemblée devra donc être vigilante sur ces questions. Je ne doute pas, en tout état de cause, que le partenariat pour la démocratie permettra une nette accélération des réformes restant à mener au Maroc.

Parce que je suis Français et parce que nous avons, peuple marocain et peuple français, au cours de siècles précédents partagés des moments d'Histoire, nous avons établi entre nous une confiance qui entraîne une amitié, qui entraîne le respect, qui entraîne l'amour ; nous nous aimons. »

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page