C. INVITER LES JUGES À PRONONCER DES SANCTIONS EXEMPLAIRES

1. Des peines jugées peu dissuasives

En matière de fraude fiscale, le juge pénal se voit souvent reprocher de prononcer des peines insuffisamment dissuasives à l'encontre des fraudeurs, ce qui inciterait les intermédiaires indélicats à continuer d'agir sans crainte excessive d'être sanctionnés.

Ainsi Bruno Bézard, directeur général des finances publiques, soulignait-il devant votre commission d'enquête que « nos partenaires de l'autorité judiciaire doivent également poursuivre ces dossiers. Ceux-ci ne semblent toutefois pas représenter une priorité absolue, si j'en juge par le nombre de personnes incarcérées en France pour fraude fiscale - une seule pour mille poursuites par an ! ».

Qu'en est-il dans les faits ?

Les statistiques fournies par le casier judiciaire national montrent qu'environ 1 500 infractions de fraude fiscale font l'objet d'une condamnation pénale par an, 800 d'entre elles (soit un peu plus de la moitié) concernant à titre principal une fraude fiscale.

Lorsque seule une infraction de fraude fiscale est visée dans la condamnation, les peines prononcées sont très majoritairement de l'emprisonnement, surtout avec sursis . Les peines d'amende (pénale) sont rares (voir tableau).

Source : casier judiciaire national

Ces données appellent plusieurs commentaires :

- d'une part, le recours massif aux peines d'emprisonnement avec sursis est conforme au choix fait par le législateur de privilégier les peines alternatives et les aménagements de peine et ainsi, hors état de récidive légale, de faire de l'incarcération du condamné une solution de dernier recours 76 ( * ) . Au demeurant, une peine d'emprisonnement avec sursis n'en est pas moins une peine, qui fait l'objet d'une inscription au casier judiciaire, le sursis pouvant, en outre, faire l'objet d'une révocation dans le cas d'une nouvelle condamnation ;

- d'autre part, le faible recours aux peines d'amende s'explique sans doute par le fait que, dans la majeure partie des cas, le fraudeur se sera vu précédemment infliger des pénalités financières par l'administration fiscale. Or, en l'état du droit, si rien n'interdit, pour de mêmes faits, le cumul d'une procédure administrative fiscale et d'une procédure pénale, le principe de proportionnalité des peines s'oppose à ce que le montant global des sanctions prononcées dépasse le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues 77 ( * ) : pénalités fiscales et amende pénale peuvent donc se cumuler, à condition toutefois que le montant total infligé au fraudeur ne dépasse pas le maximum encouru dans le cadre de la procédure la plus « sévère » . C'est à la seconde autorité saisie qu'il appartient de veiller au respect de ce principe - en l'espèce, au juge pénal dans la grande majorité des cas.

En outre, il convient de garder à l'esprit que, jusqu'à récemment, le quantum d'amende pénale encouru en cas de condamnation pour fraude fiscale était relativement peu élevé : ce n'est en effet que depuis l'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative du 14 mars 2012 que ce quantum a été porté de 37 500 euros à 500 000 euros (la peine d'emprisonnement restant à cinq ans) - cette loi ayant en outre créé un délit de fraude fiscale aggravée passible quant à lui de sept ans d'emprisonnement et d'un million d'euros d'amende. Le droit pénal plus sévère n'étant applicable qu'aux faits commis à compter de son entrée en vigueur, les statistiques de condamnations visées plus haut se fondent sur des faits commis avant le durcissement important de la législation anti-fraude de ces récentes années.

Enfin, on ne peut exclure que ces statistiques soient également l'illustration d'un biais de sélection : en effet, en dépit des discours de fermeté de l'administration fiscale, il apparaît que les dossiers de fraude transmis à la justice sont souvent loin de représenter les affaires les plus complexes ou les plus significatives pour les finances publiques , comme l'avait souligné la Cour des comptes dans son rapport public annuel pour 2010 ( cf. infra ) et comme l'a lui-même admis à mi-mot Bruno Bézard lors de son audition devant votre commission d'enquête, lorsqu'il indiquait que la lutte contre la criminalité en col blanc « suppose que nos propres services ne se laissent pas déborder par la complexité, ni décourager, et ne se reportent pas sur les dossiers les plus faciles »...

2. La possibilité de prononcer des peines complémentaires adaptées

Si votre rapporteur est favorable à ce que, dans un souci tant d'exemplarité que d'équité, les fraudeurs patentés et leurs complices puissent être traduits devant la justice et se voir infliger des peines dissuasives, il souhaite attirer l'attention sur le fait que, dans bien des cas, les peines d'emprisonnement et d'amende pénale (cette dernière venant s'ajouter aux pénalités déjà infligées par l'administration fiscale) ne sont pas toujours et uniquement les peines les plus adaptées.

En effet, comme le soulignait Jean-François Gayraud lors de son audition par votre commission d'enquête, « les ?criminels en col blanc? ne se perçoivent pas comme des déviants ». Dès lors, c'est au moins autant la publicité donnée à la condamnation pénale qui peut, dans certains cas, revêtir un caractère particulièrement dissuasif pour des personnes qui, souvent, se perçoivent comme des personnes « respectables ». Propos confirmé par Antoine Peillon, journaliste au journal La Croix : « le fraudeur ne craint pas la rectification fiscale, qui est négociée à très bas taux et qui n'attire aucun opprobre. La condamnation au tribunal et le regard des autres citoyens sont bien plus redoutés ».

L'article 1741 du code général des impôts permet à la juridiction de jugement d'ordonner l'affichage ou la diffusion de la décision prononcée : votre commission d'enquête estime que les parquets devraient être incités à requérir systématiquement cette peine complémentaire .

En outre, votre rapporteur attire l'attention sur les améliorations importantes apportées au cours des récentes années, notamment avec la loi du 9 juillet 2010 et le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière en cours d'examen, au régime des saisies et des confiscations en matière pénale. En particulier, aux termes de l'article 131-21 du code pénal, la peine de confiscation est encourue de plein droit en matière de fraude fiscale , et peut porter sur tout bien ayant servi à commettre l'infraction ou qui serait l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction .

Sans doute la mise en oeuvre de ces dispositions suppose-t-elle que les services d'enquête soient parvenus, au cours de la procédure, à identifier les biens correspondant au produit de la fraude.

Cet exercice s'avère toutefois indispensable - la peine de confiscation étant, en outre, susceptible de se cumuler sans restriction avec l'application de sanctions financières, fiscales ou pénales.

Votre commission d'enquête ne saurait trop recommander que le recours à cette peine complémentaire (qui suppose, en amont, l'identification et la saisie des avoirs concernés) soit rendu plus systématique, en particulier à l'encontre des intermédiaires financiers dont l'activité a prospéré sur l'élaboration et la commercialisation de schémas de fraude.

Proposition n° 32 : inciter les parquets à requérir systématiquement le prononcé des peines complémentaires de confiscation du produit de l'infraction et de publication des condamnations.


* 76 En matière correctionnelle, l'article 132-19 du code pénal fait ainsi interdiction au juge, hors les cas de récidive légale, de prononcer une peine d'emprisonnement sans sursis sans avoir spécialement motivé le choix de cette peine.

* 77 Conseil constitutionnel, décision n°1997-395 DC du 30 décembre 1997 : « Considérant que, toutefois, lorsqu'une sanction administrative est susceptible de se cumuler avec une sanction pénale, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ; qu'il appartiendra donc aux autorités administratives et judiciaires compétentes de veiller au respect de cette exigence ».

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