AUDITION DE M. FRANÇOIS D'AUBERT, PRÉSIDENT DU GROUPE DE REVUE PAR LES PAIRS AU SEIN DU FORUM MONDIAL SUR LA TRANSPARENCE ET L'ÉCHANGE D'INFORMATIONS EN MATIÈRE FISCALE, ANCIEN MINISTRE

(mercredi 22 mai)

L'audition s'est tenue à huis clos.

AUDITION DE MADAME JÉZABEL COUPEY-SOUBEYRAN, MAÎTRE DE CONFÉRENCES EN ÉCONOMIE À L'UNIVERSITÉ PARIS-I PANTHÉON-SORBONNE, CONSEILLÈRE SCIENTIFIQUE AUPRÈS DU CONSEIL D'ANALYSE ÉCONOMIQUE ET DE M. GABRIEL ZUCMAN, DOCTORANT À L'ÉCOLE D'ÉCONOMIE DE PARIS

(mercredi 29 mai)

M. François Pillet , président . - Dans le cadre de cette commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières, nous allons commencer par l'audition de Jézabel Couppey-Soubeyran, suivie de celle de Gabriel Zucman.

La commission d'enquête a ses usages ainsi que ses obligations juridiques, dont la première, et la plus importante, est de faire prêter serment à ceux qu'elle auditionne. Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites « je le jure ».

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - Je le jure.

M. François Pillet , président . - M Gabriel Zucman, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites « je le jure ».

M. Gabriel Zucman, Doctorant à l'École d'économie de Paris . - Je le jure

M. François Pillet , président . - Nous allons vous donner quelques minutes afin que vous vous présentiez, puis je donnerai la parole au rapporteur Eric Bocquet. Ensuite, le débat sera nourri par les questions de mes collègues. Le dernier mot ira au rapporteur, et je vous laisserai un temps à la fin de votre audition pour d'éventuelles précisions.

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - Lors de l'élaboration du rapport réalisé en collaboration avec mon collègue Gunther Capelle-Blancard pour le Conseil des Prélèvements Obligatoires, j'ai été amenée à étudier les implantations des banques européennes et françaises à l'étranger et plus précisément dans les centres offshores. Nous souhaitions trouver des explications à la faiblesse relative des banques françaises face au prélèvement obligatoire.

Afin d'examiner la présence des banques françaises à l'étranger, nous avons pu nous appuyer sur une base de donnée commerciale appelée Bankscope, mais pas sur celles de l'ACP ou de la Banque de France. Bankscope, nous a permis de dénombrer des filiales de grandes banques européennes à l'étranger et plus spécifiquement dans les centres offshores. Pour notre sélection de banques européennes, nous nous sommes limités aux filiales de premier rang (filiales détenues à au moins 25 %). De la sorte, nous avons considérablement restreint le champ d'étude. Les filiales de ces grands groupes se comptent par centaines ou milliers. Le pourcentage de filiales étrangères implantées dans les paradis fiscaux est de l'ordre de 20 %, voire 30 % pour certains groupes.

Nous sommes allés au-delà des filiales de premier rang pour trois groupes bancaires français. Ainsi, nous avons pu dénombrer 256 à 331 filiales pour la BNP selon la liste des paradis fiscaux que l'on retient, 104 à 150 filiales pour le Crédit Agricole et entre 75 et 91 filiales pour la Société Générale.

Les études qui abordent ces questions sont rares car les données manquent. Aux Etats-Unis, le Government Accountability Office de décembre 2008, ou encore l'ONG Action Aid en Grande-Bretagne ont notamment recensé les filiales dans les paradis fiscaux des 100 plus grandes entreprises américaines cotées. Les résultats de leurs rapports sont annexés au rapport du Conseil des Prélèvements Obligatoires.

Deux problèmes compliquent le recensement de ces données. Le premier porte sur l'exigence de reporting à laquelle les banques doivent se plier. Elles ne communiquent en effet que les données pour lesquelles elles sont contraintes. Cependant, les exigences de reporting vont croissant, y compris sur l'activité des banques dans les paradis fiscaux. Ce premier problème donc est en voie de résolution.

La deuxième source de problème, très importante et insuffisamment mentionnée, porte sur la rétention de données par les autorités bancaires et financières. Ni la Banque de France ni l'ACP en effet n'ont donné suite aux demandes que nous leur avions adressées dans le cadre du rapport pour le Conseil des Prélèvements Obligatoires. Nous souhaitions obtenir des éléments relatifs à l'implantation des banques françaises à l'étranger, ainsi que sur les comptes de bilan. Ces données sont tout à fait publiques, et nous aurions pu les collecter une par une dans les rapports annuels bancaires. Cependant, cette méthode n'est pas propice aux travaux de recherches. Nous avons donc dû nous contenter, pour la base de données à l'étranger, de Bankscope, un outil très utilisé par les universitaires mais qui ne bénéficie pas du sceau du régulateur. Par ailleurs, nous avons utilisé des comptes de bilan agrégés publiés par l'OCDE.

Le cas de la France en matière d'accès aux données bancaires est très préoccupant. Hier, j'ai participé à un jury de thèse. Le candidat avait travaillé sur le secteur bancaire de la Corée du Sud. Un de ses rapporteurs lui a fait remarquer que les données en provenance de la Banque centrale de Corée du Sud n'auraient pu être transmises par la Banque de France.

M . Eric Bocquet, rapporteur . - Comment l'expliquez-vous ?

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - La Banque de France ou de l'ACP font de la rétention. La production des données est un premier problème, qui peut toutefois se résoudre avec le temps. Leur accessibilité en est un second. Il me semble qu'un chercheur français s'intéressant au sujet d'aujourd'hui doit n'avoir aucune stratégie de publication, ou bien faire preuve d'une grande ingéniosité.

Quoi qu'il en soit, l'internationalisation des groupes bancaires et leur présence massive dans les paradis fiscaux nous apparaissent faire partie des facteurs expliquant pourquoi les banques françaises contribuent relativement peu aux recettes fiscales, ou, en tout cas, n'y contribuent pas à la hauteur du dynamisme de leur activité.

M. François Pillet, président . - Je vous remercie. Nous avons compris les difficultés.

M. Gabriel Zucman, Doctorant à l'École d'économie de Paris . - Je suis en train de finir ma thèse de doctorat consacrée aux paradis fiscaux. En effet, je m'intéresse notamment aux inégalités de patrimoine. J'estime ainsi que s'il est impossible de taxer le capital et le patrimoine, les fortunes risquent de se concentrer de manière importante. Aujourd'hui, les paradis fiscaux permettent aux entreprises et aux particuliers d'éviter ou de frauder les différents impôts qui existent sur le capital. J'ai donc voulu comprendre quelles actions permettraient de s'y opposer. Existe-t-il ainsi des politiques pour faire en sorte que la fraude à l'impôt sur le patrimoine soit plus difficile ? Au préalable, j'ai souhaité essayer de mesurer la fraude.

Nous manquons terriblement de littérature au sujet de la fraude, et ce manque devient caricatural en ce qui concerne les paradis fiscaux. Il est lié au manque de données, et, plus fondamentalement, au manque d'intérêt des économistes académiques pour les questions appliquées. Cet état d'esprit est toutefois en train de changer au sein de la profession.

J'ai voulu tout d'abord connaître le montant des fortunes détenues par les particuliers dans les paradis fiscaux, lesquelles sont méconnues. Des rapports existent toutefois, mentionnant des ordres de grandeur allant de 5 000 milliards de dollars à 35 000 milliards de dollars. Ensuite, je me suis demandé si les politiques utilisées actuellement pour lutter contre la fraude fiscale offshore fonctionnent.

Après recherche, j'estime qu'au niveau mondial, 8 % du patrimoine financier des ménages est détenu dans les paradis du monde entier, soit à peu près 6 000 milliards d'euros. Je parle ici d'argent détenu par des ménages fortunés, directement ou par le biais de sociétés-écrans. Un gros quart de cet argent serait en Suisse, soit 2 000 milliards d'euros. Ce chiffre est officiel et provient de la Banque Nationale Suisse. 4 000 milliards d'euros sont logés dans d'autres paradis fiscaux tels que Singapour, le Luxembourg, Hongkong, les îles Caïmans, et les Bermudes.

Les politiques mises en place actuellement pour lutter contre la fraude sont inefficaces. Pour l'instant, l'essentiel de la lutte contre la fraude se fait par l'intermédiaire de traités sur l'échange d'informations bancaires à la demande. Pendant de nombreuses années, l'OCDE a promu ce standard, et le G20 l'a repris à son compte en 2009 lors du Sommet de Londres. En 2009, les paradis fiscaux ont signé de nombreux traités sur l'échange d'informations à la demande avec les pays de l'OCDE. Quatre ans après, ces traités semblent n'avoir quasiment servi à rien. En effet, au total les sommes dans les comptes offshores des paradis fiscaux n'ont pas bougé. Des fortunes offshores ont quitté les paradis fiscaux ayant signé de nombreux traités d'échange d'informations et se sont dirigées vers des juridictions en ayant signé peu. Mais au niveau mondial, ce jeu est à somme nulle.

Que faudrait-il faire ? Il est important de comprendre que ce problème a une solution simple qui s'appelle l'échange automatique d'informations bancaires. Aujourd'hui, les banques françaises ont l'obligation de communiquer au fisc les listes de leurs clients, et les revenus perçus par ces derniers. Ces revenus apparaissant directement sur les feuilles d'impôts, de telle sorte qu'aucune fraude n'est possible. Cette mesure doit être étendue aux banques domiciliées dans les paradis fiscaux. Techniquement, cette mesure est très simple. L'échange automatique d'information fonctionne déjà à l'intérieur des grands pays. Etendu aux paradis fiscaux, il mettrait un terme à la fraude puisque les montants apparaîtraient directement dans les feuilles d'impôts pré-remplie.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Monsieur Zucman, j'ai lu un document que vous avez produit en février 2011 où vous faisiez état de chiffres légèrement différents de ceux que je viens d'entendre. Vous évoquiez ainsi 73 000 milliards de dollars, parmi lesquels 31 000 milliards de dollars seraient gérés en offshore. De plus, 42,5 % de cette somme seraient détenus par 0,1 % de la population. 5 800 milliards de dollars seraient également gérés offshore dont les quelque 2 000 milliards de dollars que vous venez de citer. Confirmez-vous ces chiffres ?

M. Gabriel Zucman, Doctorant à l'École d'économie de Paris . - 73 000 milliards de dollars correspondent au total du patrimoine financier des particuliers à l'échelle mondiale. 50 à 60 % de cette somme appartiennent à 1 % des ménages les plus fortunés. Une fraction des 73 000 milliards de dollars est placée offshore - environ 5 8000 milliards de dollars à l'époque de l'étude que vous citez, environ 6 000 milliards d'euros aujourd'hui. Tous ces chiffres sont parfaitement cohérents.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Je vous remercie. Madame Couppey-Soubeyran, la Commission des finances du Sénat vous avait entendue en début d'année concernant l'élaboration de la réforme bancaire, sur laquelle je vous demanderai un avis en fin d'entretien. Quelles sont selon vous les motivations de la présence des filiales de banques françaises dans les paradis fiscaux ?

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - Il ne s'agit évidemment pas de diaboliser l'internationalisation des banques, pas plus que la présence de filiales étrangères. L'implantation importante dans les paradis fiscaux facilite l'optimisation fiscale des banques. Ces dernières souhaitent ainsi bénéficier de réglementations et de dispositions fiscales avantageuses. C'est sans doute un motif parmi d'autres. De même, les banques justifient leur présence dans les paradis fiscaux par des motifs commerciaux et les pressions concurrentielles qu'elles subissent. Il ne s'agit pas de considérer que l'internationalisation des banques ne répond qu'à une recherche d'optimisation fiscale. Elle a en effet largement reposé sur une volonté politique qui consistait à promouvoir des champions nationaux capables de résister à la concurrence internationale. Même s'il est impossible de déterminer avec précision la part des filiales implantées à l'étranger pour des motifs fiscaux, nous pouvons légitimement considérer qu'elles en facilitent l'optimisation.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Quelle analyse avez-vous faite des écarts entre vos données et celles publiées par l'ACP ?

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - Il est difficile de répondre à votre question. Nous nous sommes uniquement appuyés sur les données de la base Bankscope puisque nous n'avons pu accéder à celles de l'ACP, pourtant peut-être plus précises.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Comment comprendre qu'il soit difficile d'obtenir de l'information de la part de l'ACP, un organisme censé assurer la supervision ? Quelles conclusions en tirez-vous ?

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - Je pense que nous sommes face, effectivement, à un problème d'accès aux données bancaires, et particulièrement aux données bancaires détaillées à haute fréquence. Nous ne disposons ainsi d'aucune donnée trimestrielle sur l'activité des banques, leur implantation à l'étranger, la part de l'activité réalisée dans tel ou tel pays, et les rémunérations versées. Toutes ces données sont conservées par les institutions qui les produisent.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Estimez-vous que des lacunes existent dans les postes de supervision ou qu'il s'agit d'une rétention délibérée de l'information ?

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - Exiger plus d'information de la banque et du régulateur ne suffit pas. Ces éléments devraient être transmis à la communauté citoyenne et scientifique dans un format adapté. Il ne s'agit pas uniquement de produire un rapport dans un format PDF mais de ²faire en sorte que ces fichiers de données soient exploitables par les chercheurs qui veulent réaliser des travaux sur ces questions.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Considérant les difficultés évoquées, quelle méthode avez-vous utilisée afin de rassembler les chiffres de votre étude ?

M. Gabriel Zucman, Doctorant à l'École d'économie de Paris . - Deux grandes sources de données m'ont permis d'aboutir au taux de 8 % du patrimoine des ménages détenu dans les paradis fiscaux, et tout d'abord, les statistiques de la Banque Nationale Suisse sur les fortunes offshore détenues en Suisse.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Sont-elles absolument fiables selon vous ?

M. Gabriel Zucman, Doctorant à l'École d'économie de Paris . - Elles ont des défauts mais sont exhaustives et fiables. Je ne pense pas que les banques suisses communiquent de fausses informations. Ce type de données n'avait pas été utilisé jusqu'à présent, notamment parce qu'elles sont difficiles à interpréter. En effet, la Suisse est le seul pays à publier ce genre d'informations sur les fortunes offshores. Par ailleurs, la plupart des comptes en Suisse sont détenus par des sociétés écrans, à hauteur de 60 %. Ceux-ci se reflètent dans les statistiques par des montants considérables d'actifs enregistrés au Panama, aux Iles Caïmans, ou aux Iles Vierges Britanniques.

J'ai ensuite utilisé des anomalies dans les statistiques d'investissements internationaux des pays, consécutives à la détention par des particuliers de comptes offshores. Cela crée des problèmes dans les statistiques. Prenez un particulier français qui a un compte en Suisse. Il y investit cet argent en achetant des actions. Imaginez que ce Français achète des actions américaines depuis son compte en Suisse. Les Etats-Unis enregistrent un passif, car ils savent qu'un investisseur étranger détient des actions américaines. Les statistiques suisses n'enregistrent rien car ces actions n'appartiennent pas à la Suisse. Quant aux statisticiens français, ils n'enregistrent rien, car ils n'ont pas moyen de savoir que ce ménage français détient un portefeuille d'actions américaines en Suisse. Au niveau mondial, vous allez avoir plus de passifs que d'actifs enregistrés. C'est pour cette raison que les portefeuilles d'actions, d'obligations et de parts de fonds d'investissement qui sont détenus dans des comptes offshores par des particuliers ne sont nulle part enregistrés comme actifs. La différence entre les actifs et les passifs est très importante au niveau mondial. J'utilise cette anomalie pour avoir un ordre de grandeur du total des fortunes offshore détenues par des particuliers. Toutes les sources disponibles sur les investissements internationaux sont utilisées.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Madame Couppey-Soubeyran, vous avez cité pour les trois premiers groupes français des fourchettes de nombre de filiales. Si je prends la BNP, comment vous arrêtez-vous au nombre de 256 ou 358, soit une différence de 100 ?

Madame Jézabel Couppey Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - La différence provient de la liste des paradis fiscaux que l'on utilise. Nous utilisons deux types de listes, l'une établie par le FMI et une autre plus restrictive.

Mme Marie-Hélène des Zsgaulx, Sénateur . - Vous avez dit que les banques ont un nombre de filiales extrêmement important. Je voudrais essayer de comprendre. Que ces banques s'installent dans des paradis fiscaux, à l'étranger, afin de faire de l'optimisation fiscale, on peut le comprendre. Pourquoi le font-elles ainsi, par un nombre si important de filiales ? Quel est l'avantage procuré d'être non seulement présent mais également d'avoir de nombreuses filiales, lesquelles ne sont pas seulement des sociétés-écrans ? Je pense que le mécanisme juridique nous échappe en plus du mécanisme financier.

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - Vous pointez un problème important. Les filiales créent une complexité organisationnelle au travers d'une structure capitalistique très complexe, qui rend le groupe difficile à superviser.

M. François Pillet , président . - Vous voulez dire que cette organisation crée volontairement une opacité ?

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - Je crois qu'elle rend la supervision des grands groupes bancaires plus difficile, en particulier lorsque l'organisation des dispositifs de supervision est telle que des autorités nationales doivent encore superviser des groupes présents à une très large échelle. Cela montre que l'organisation de la supervision n'a pas évolué suffisamment vite.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, sénateur . -  On peut se demander s'il ne faut pas limiter cette possibilité de création de filiales. Certains doutent de l'utilité de cette mesure et je peux comprendre, mais en matière bancaire, des règles pourraient s'imposer. Ainsi, la liberté totale pour une banque de créer 200 ou 300 filiales pour une banque est-elle normale ?

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - Je crois que les dispositions relatives aux mécanismes de résolution, qui vont être décidés dans le cadre de l'Union bancaire ou de la Loi bancaire française, sont de nature à réduire les complexités organisationnelles. Demander aux établissements bancaires de fournir un plan préventif les obligera à simplifier cette organisation. Les plans préventifs auront donc un impact.

M. Francis Delattre, Sénateur . - Vous indiquez que vos études ont commencé par le constat de la sous-fiscalisation de l'ensemble des banques françaises. Par rapport à d'autres pays comparables, peut-on avoir une idée de cette sous-fiscalisation ? Pour autant, nous avons reçu, voici quelques mois, l'OCDE, dont l'appréciation était optimiste sur l'échange d'informations fiscales entre les pays, y compris les paradis fiscaux bien connus. Je voudrais que vous m'expliquiez la différence entre le système OCDE et le vôtre.

La rétention de données nous étonne beaucoup et nous allons agir auprès de la Banque de France avec le rapporteur. La Loi de finance a par ailleurs essayé de séparer les activités de marché et de dépôt des banques. 1 à 2 % du chiffre d'affaires serait concerné, ce qui est relativement modeste. Pensez-vous que ces chiffres correspondent à la réalité ou sont-ils sous-évalués ?

Les banques, quant à elles, nous ont dit qu'il leur était vital d'être présentes dans les paradis fiscaux, qui sont des carrefours financiers. Pensez-vous que les banques sont dans ces paradis fiscaux exclusivement pour des clients ou pour elles-mêmes ? Pensez-vous qu'en dehors de la fiscalité, les banques ont un autre intérêt d'être dans les paradis fiscaux ?

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - Concernant les impôts payés par les banques, nous avons essayé de mettre en avant un décalage important entre l'évolution des impôts payés par les banques et celle de leur activité mesurée, notamment par les profits réalisés. Les impôts payés par les banques ont augmenté mais beaucoup moins vite que leurs profits. Pour les banques françaises, sur la période qui court du milieu des années 1990 à la veille de la crise, les impôts ont été multipliés par 1,5 et les profits par 10. Nous nous sommes efforcés de calculer des taux d'imposition implicites.

Ces calculs ne sont pas évidents à établir car les profits et les impôts payés varient beaucoup d'une année sur l'autre. Lorsque l'on s'applique à rapporter les impôts aux profits, on est obligé de travailler sous-période par sous-période, ainsi que de lisser les données. Les résultats obtenus sont très sensibles au choix de la sous-période ou du cumul effectué. Plutôt que le chiffre en valeur absolue, il convient donc de s'intéresser à la tendance. Ce taux d'imposition implicite fait apparaître, tant pour les banques françaises que celles de la zone OCDE, une nette tendance à la baisse, beaucoup plus marquée pour les banques commerciales que pour les mutualistes. Que l'on effectue le cumul dans le temps ou dans l'espace, cette baisse du taux d'imposition implicite ressort très fortement.

Je ne vais pas reprendre le chiffre car je ne souhaite pas attirer votre attention sur les valeurs absolues. En partant de ce constat, nous avons cherché des facteurs explicatifs. La présence dans les paradis fiscaux semble être un facteur important, mais il n'est pas le seul que nous mettons en évidence. Nous avons également fait ressortir le fait que les banques ont recours à l'emprunt et bénéficient de la déductibilité des intérêts d'emprunts. Or cette disposition est dangereuse pour la stabilité financière puisqu'elle induit une incohérence entre fiscalité et régulation. La Loi de finance 2013 est revenue sur ce point en plafonnant la déductibilité des emprunts, mais, dans le cas des banques, il faudrait aller plus loin. La variabilité des profits et les résultats des banques leur permettent en effet de tirer avantage des mécanismes de reports comptables et des bénéfices. Cette donnée est davantage à la portée des comptables que des économistes. Elle participe quoi qu'il en soit à l'optimisation fiscale que les banques sont capables de réaliser.

M. Francis Delattre, sénateur . - La non-déductibilité pose des problèmes différents pour les banques et pour les PME/PMI.

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - Il convient de distinguer les banques des entreprises non financières. Il est notamment indispensable de limiter le levier d'endettement des banques. Le régulateur exige qu'elles aient davantage de fonds propres. Or la fiscalité leur permettant d'augmenter la dette contredit cette exigence.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Avez-vous des exemples de report de déficits d'une année sur l'autre des banques ?

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique .-  Il existe des reports de bénéfices, bien entendu.

M. Jacques Chiron, Sénateur . - Je voudrais partir d'un exemple simple. Monsieur X a un patrimoine qu'il souhaite optimiser et donc sortir de son pays pour aller dans un pays L. La banque crée forcément des filiales pour optimiser ce portefeuille. L'optimisation fiscale ne sera en effet possible que si la banque suit son client.

Je reviens sur le nombre de personnes que les banques ont dans ces paradis. Il faut des gens pour gérer ces patrimoines dans le pays L. Plus les banques auront des clients dans le pays L, plus il lui faudra des gens pour y gérer ce patrimoine. Cela signifie que les banques accompagnent le client dans son optimisation, afin de le fidéliser. Comment le client qui optimise peut-il utiliser ce patrimoine optimisé en France ? Quels schémas peuvent-ils être créés ? J'essaye de comprendre comment ces capitaux reviennent.

Gabriel Zucman . - C'est une question importante et intéressante. Je pense qu'il n'y a aucune raison pour qu'un patrimoine détenu par l'intermédiaire d'une banque suisse soit moins taxé que s'il était détenu par l'intermédiaire d'une banque française. Les gens ont peut-être le droit d'avoir des comptes où ils veulent, mais ces comptes doivent être déclarés. En pratique une fraction (inconnue) des comptes offshore n'et pas déclarée. Les banques françaises présentes dans les paradis fiscaux spécialisés dans la gestion de fortune (Suisse, Singapour) ont donc en particulier des clients qui ne respectent pas la législation fiscale.

Concernant l'échange d'information, l'OCDE s'occupe de ces questions depuis 1998. Les proclamations de succès ont été permanentes mais, de mon point de vue, ce succès n'est pas du tout avéré. En effet, des dizaines de milliers de particuliers français détiennent des comptes étrangers non déclarés. Pour autant, Bercy ne reçoit que quelques dizaines d'informations sur ces comptes chaque année, et souvent par le fait du hasard. Dans ce contexte, les progrès réalisés depuis quinze ans, voire trois ans ou même au cours des derniers mois, sont loin de me paraître considérables. Les personnes qui ont des comptes en Suisse, à Singapour ou à Hongkong n'ont ainsi aucun risque d'être détectées. Cela peut changer s'il y a une forme d'échange d'informations beaucoup plus contraignante qu'actuellement.

Aujourd'hui, Bercy ne peut obtenir des informations que si elle a des soupçons préalables qu'un contribuable français fraude par le biais d'une banque précise. Dès lors, il est impératif de remplacer le système d'échange d'informations à la demande par un système d'échange automatique. Par ce procédé, les banques suisses ou singapouriennes enverraient automatiquement annuellement la liste complète de leurs clients français avec le montant des patrimoines, et les revenus perçus par ces ressortissants A l'heure actuelle, ce système n'existe pas. Aucun paradis fiscal spécialisé dans la gestion de fortune n'a clairement indiqué vouloir mettre en place ce système. Je m'inscris donc en porte-à-faux avec les déclarations de victoire de l'OCDE.

M. Michel Becot, Sénateur . - Comment peut-on contraindre ces pays à l'échange automatique d'informations ? Madame Couppey-Soubeyran, vous parliez, quant à vous, des banques dont les taux d'intérêt devraient être plafonnés afin qu'elles ne puissent les déduire indéfiniment. Pour ma part, j'estime ce processus assez dangereux. Les banques sont en effet là pour réaliser des bénéfices et le font également pour nous. C'est grâce à ces mêmes banques que l'on finance les PME. Elles sont d'ailleurs différentes des banques d'affaires anglo-saxonnes. Si nous appauvrissons trop ce secteur - je ne suis pas un défenseur des banques, je me suis battu toute ma vie contre elles -, nous ne pourrons plus financer notre économie. Je parle ici des règles normales de fonctionnement, je ne parle pas des comptes offshores. Une banque doit en effet optimiser afin d'avoir des bénéfices. Ces derniers lui permettront de disposer de capitaux propres suffisants afin de se refinancer mais également de financer nos entreprises et industries. Enfin, vous dites que la Banque de France fait de la rétention. Je ne veux surtout pas que vous en preniez ombrage, mais de quel droit pouvez-vous obtenir de la Banque de France des informations concernant des clients ?

M. Philippe Dominati, sénateur . - Une tentative a-t-elle été faite pour discerner le profil des filiales dans les paradis fiscaux ? S'agit-il de filiales de sociétés bancaires ou de sociétés pour le compte de clients ? Ces filiales bancaires ont-elles une activité bancaire ou les banques sont-elles simplement l'outil de clients qui désirent avoir des sociétés pour faire des transactions internationales ? J'ai du mal à croire qu'il y ait 350 filiales dans des activités bancaires. Je suis persuadé que certaines pratiquent l'activité bancaire, mais que d'autres ne sont là que pour telle ou telle grande société. Lorsque le Crédit Lyonnais a fait des transactions pour une marque de sport, il utilisait des sociétés comme celles-là. Dans ce cas, s'agissait-il de comptes pour la banque ou pour la marque de sport ?

En tant que parlementaire français et citoyen européen, je souhaite savoir si nos activités bancaires internationales présentent des anomalies par rapport à nos voisins. Les grands Groupes français ont-ils beaucoup plus, en proportion, ou beaucoup moins d'antennes que nos voisins allemands, espagnols, italiens, néerlandais, ou sont-ils dans la norme ? Cette information serait importante pour les parlementaires nationaux que nous sommes.

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique .-  L'utilité des banques pour le financement de l'économie va de soi, et il ne s'agit pas de porter préjudice à l'activité bancaire. L'enjeu des régulateurs est de reconnecter le secteur bancaire à l'économie réelle et à la croissance économique. Il y a de bonnes raisons de croire que la croissance du secteur bancaire et financier a été excessive ces dernières années. Il convient d'opérer un rétrécissement du secteur bancaire, afin de reconnecter ce dernier à l'économie réelle. Une réglementation plus restrictive et une taxation pouvant réduire les rentes accumulées par le secteur bancaire sont donc nécessaires.

Ces rentes transparaissent à travers la dynamique des profits des banques, dont l'évolution a été plus rapide que dans le secteur non financier. L'enjeu aujourd'hui est de disposer de banques saines, stables, connectées à l'économie réelle, qui contribuent à la croissance économique. Collectivement, l'enjeu n'est pas la profitabilité des banques. Vous vous étonniez des exigences d'information que nous pourrions faire valoir, simplement en tant que citoyens. Cette transparence participe à la régulation du secteur bancaire. La transmission doit aller dans un premier lieu des banques vers le régulateur, mais il faut également se préoccuper de la transmission de ces informations des régulateurs vers la communauté citoyenne et scientifique. Ces échanges me semblent importants pour nourrir les travaux académiques et formuler des recommandations de politique économique en la matière.

Les filiales dénombrées sont bien financières. Ont-elles été mises en place pour servir les intérêts de sociétés non financières ? Je ne peux absolument pas vous répondre tant le manque de données est important.

En revanche, je ne crois pas à l'anomalie de l'implantation des banques françaises à l'étranger. Le nombre de filiales des banques françaises est important et son pourcentage dans les paradis fiscaux est relativement fort, mais il reste très en deçà des banques britanniques. La tendance générale correspond à l'internationalisation du secteur bancaire.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Monsieur Zucman, avez-vous une idée précise de la répartition par nationalité des comptes offshores (Allemagne, France, Etats-Unis) ? Parmi ce palmarès, où se situe la France ?

M. Gabriel Zucman, Doctorant à l'École d'économie de Paris . - Il m'est difficile de répondre à cette question car nombre de comptes sont enregistrés dans la statistique internationale comme appartenant à des sociétés-écrans enregistrées au Panama, ou aux Iles Vierges Britanniques. Néanmoins, il me semble assez clair d'après mes estimations que pour la Suisse - qui gère un tiers de la fortune offshore mondiale - au moins 50 % des comptes offshores appartiennent à des européens.

Dans le cadre de la « directive- épargne », votée en 2005, les comptes offshores suisses sont soumis à un impôt européen. Cette directive est mal rédigée et ne frappe pas les comptes détenus par l'intermédiaire de sociétés-écrans. En 2005 notamment, une très grande proportion de comptes européens a basculé vers des sociétés-écrans. La statistique officielle suisse montre que la quantité d'argent des français et des allemands diminue soudain très fortement, à l'inverse de celle du Panama, des Iles Caïmans, etc. Au moment de l'adoption de la directive épargne, les banquiers suisses et leurs clients ont en effet usé de sociétés écrans pour ne pas payer l'impôt. Par le biais de ce type de changement législatif, on peut estimer ainsi qu'au moins 50 % des comptes suisses appartiennent à des européens.

Sur le cas de la France, 8  % du patrimoine des ménages mondial est détenu dans les paradis fiscaux. Si l'on part de l'hypothèse que la France est dans la moyenne mondiale, les ménages français disposeraient ainsi d'au moins 200 milliards d'euros dans les paradis fiscaux. Je pense que cette estimation est très inférieure à la réalité des choses. En effet, le chiffre de 8 % à l'échelle mondiale est très conservateur, et, lorsque l'on regarde les chiffres suisses, on s'aperçoit que les Français ont plus tendance à utiliser les paradis fiscaux que les résidents d'autres pays.

Sur l'imposition de l'échange automatique d'information, il faut dire haut et fort qu'aucun pays n'a le droit de siphonner la base fiscale de ses voisins, ce que permet pourtant le secret bancaire.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Pensez-vous que le système de transmission automatique d'informations est préférable à l'accord RUBIK proposé par la Suisse à certains pays partenaires ?

M. Gabriel Zucman, Doctorant à l'École d'économie de Paris . - J'en suis convaincu. La retenue à la source est appliquée et prévue par la directive épargne. Les banquiers suisses en ont pourtant complètement détourné l'esprit, en faisant en sorte que leurs clients n'y soient pas soumis. J'estime dès lors cocasse que les banquiers suisses proposent désormais une nouvelle retenue à la source par le biais d'accords RUBIK.

La France doit exiger de la Suisse, du Luxembourg et des autres paradis fiscaux qu'ils pratiquent l'échange automatique d'information. Elle doit pour cela menacer de sanctions diplomatiques, commerciales et douanières, de retirer les licences bancaires des banques suisses et des autres paradis fiscaux, jusqu'à ce que ces pays admettent qu'ils n'ont pas le droit de siphonner la base fiscale de leurs voisins. De la sorte, ils se plieront au standard international des échanges automatiques. Aucun paradis fiscal ne peut se mettre contre la volonté de l'Union Européenne et des Etats-Unis, pour lesquels le rapport de force est éminemment favorable. Il suffirait que les deux parlent d'une seule voix pour que le problème soit résolu.

M. François Pillet , président . - Cette volonté, si elle se concrétise un jour, permettra de répondre à une proposition de la précédente commission d'enquête qui appelait à une gouvernance mondiale dans ce domaine. Tant qu'elle n'existe pas, elle reste au stade de voeu pieux.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Qui s'oppose à ce que l'Europe parle d'une seule voix et qu'elle pèse de tout son poids ?

M. Gabriel Zucman, Doctorant à l'École d'économie de Paris . - Le Luxembourg et l'Autriche freinent des quatre fers, donc je ne pense pas que l'Union Européenne soit le bon cadre pour mener ce rapport de force diplomatique. Il suffit qu'une coalition de pays au sein de l'Union Européenne manifeste sa volonté de supprimer le secret bancaire pour qu'elle soit imposée à la Suisse, à Singapour, etc. Je pense que la France, l'Allemagne, l'Espagne et le Royaume-Uni doivent se mettre d'accord sur l'échange automatique d'informations bancaires, et déclarer qu'ils prendront des mesures importantes face à l'ampleur des pertes subies par leurs finances publiques. A ce moment-là, l'échange automatique d'information entrera en vigueur. En tout cas, j'ai du mal à voir comment il pourrait en être autrement.

M. Francis Delattre, sénateur . - Les Etats-Unis pratiquent déjà le rapport de force, avec l'UBS et le retrait de licences.

M. Gabriel Zucman, Doctorant à l'École d'économie de Paris . - Tout à fait.

M. Eric Bocquet, sénateur . - J'ai des questions complémentaires à poser à Madame Couppey-Soubeyran. Du point de vue du management, existe-t-il un avantage financier de la banque à être présente dans les paradis fiscaux ? Les données que la Banque de France refuse de nous transmettre pourraient-elles nous être adressées en tant que commission d'enquête ? Nous pourrions d'ailleurs reprendre à notre compte ces questions et les adresser à la Banque de France.

Afin d'approfondir l'étude, nous nous intéressons au rôle des opérateurs financiers. Pensez-vous utile d'investiguer ce domaine ? La question des holdings et du leasing pourrait être un prolongement. Enfin, j'ai une question sur la maîtrise de l'ingénierie financière et de ses produits ; ainsi, pensez-vous que l'évasion des capitaux passe par des systèmes virtuels, tels que les dérivés ? Quelle est votre appréciation des produits financiers proposés sur les marchés ?

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique .- Les avantages financiers de l'implantation dans les centres offshores s'appuient sur des avantages fiscaux, voire réglementaires. En revanche, je ne peux vous proposer d'évaluation chiffrée de leur montant.

M. Eric Bocquet, sénateur . -Avez-vous des informations relatives aux rémunérations des cadres et dirigeants de ces filiales ?

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - Nous buttons sur le même problème. Il est extrêmement difficile d'avoir accès aux rémunérations des cadres bancaires à l'étranger. Nous avons une idée du pourcentage de l'effectif localisé à l'étranger, mais aucune information précise n'existe sur la répartition des cadres à l'étranger et des rémunérations qui leur sont versées.

Les informations demandées à l'ACP et à la Banque de France étaient auparavant très accessibles. La Commission bancaire, en son temps, publiait les comptes de bilan et de résultats des banques de manière très détaillée. Elle donnait également des informations sur l'implantation des banques françaises à l'étranger. Le problème de l'accessibilité aux données bancaires est aujourd'hui une réelle difficulté. Le CNIS s'y intéresse de très près, en faisant passer un questionnaire aux universitaires français utilisateurs de données.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Comment expliquez-vous cette évolution entre le comportement de la Commission bancaire en son temps et aujourd'hui avec la Banque de France et l'ACP ?

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - Je ne vais pas spéculer sur ces raisons. En tant que chercheurs intéressés par les problèmes bancaires, nous faisons souvent face à des difficultés d'accès aux données bancaires.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Qu'en est-il des opérations intragroupes des opérateurs financiers ?

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique .- Il nous faudrait disposer de données assez précises. Une enquête de l'INSEE sur les liaisons financières entre les entreprises, mais à laquelle je n'ai pas participé, traite notamment de ce sujet. J'ignore comment on peut se la procurer pour examiner ensuite les liaisons financières entre les groupes financiers et non-financiers. Les travaux sur ces questions sont rares du fait d'une difficulté d'accès aux données.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Que pensez-vous de la virtualisation et de la dérivation des produits financiers ?

Madame Jézabel COUPPEY-SOUBEYRAN, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - Si votre question porte exclusivement sur le développement de la monnaie virtuelle, je n'ai pas d'avis sur la question. En revanche, plus largement, sur la complexité croissante des produits financiers, il convient d'observer plus attentivement l'innovation financière. L'AMF est chargée d'observer les nouveaux produits, mais cette observation pourrait être effectuée par une autorité à part entière. Cette dernière pourrait s'interroger sur l'utilité sociale des nouveaux produits et techniques, ce que nous n'avons pas fait jusqu'à présent, considérant que ces nouveautés allaient forcément dans le sens de l'efficacité des systèmes financiers.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Monsieur Zucman, avez-vous un avis sur ces sujets ? Quelle est votre appréciation à tous les deux sur le projet de la loi bancaire ?

M. Gabriel Zucman, Doctorant à l'École d'économie de Paris . - Je suis loin d'être spécialiste de questions sur l'économie bancaire, donc je n'ai pas d'avis sur les questions extrêmement compliquées qui ont été soulevées. Toutefois, je considère également que le manque d'accès aux données - incluant la répartition des fortunes - est problématique. Notre appareil statistique ne nous permet pas en effet de mesurer qui possède quoi. Si l'on veut taxer le patrimoine, si l'on est attaché à un minimum de progressivité de l'impôt, je pense que nous devons pointer du doigt ce problème fondamental, qui peut être résolu par la coopération des banques.

M. François Pillet , président . - Existe-t-il des époques privilégiées pour le départ des fortunes vers les paradis fiscaux ? Sont-elles figées ou évoluent-elles ? Le flux de constitution de patrimoine est-il identique ou le capital présent dans les paradis fiscaux s'est-il constitué à une époque ?

M. Francis Delattre, sénateur . - Quel est par ailleurs le poids de la drogue dans les paradis fiscaux ?

M. Gabriel Zucman, Doctorant à l'École d'économie de Paris . - Il s'agit de deux questions très importantes auxquelles je n'ai pas de réponse précise.

M. François Pillet , président . - Le contrôle des changes a été mis en place car certaines fortunes disparaissaient.

M. Gabriel Zucman, Doctorant à l'École d'économie de Paris . - L'observation de l'évolution des fortunes en Suisse indique qu'avant la Première Guerre mondiale, il y avait un peu d'argent mais pas énormément. Les premiers afflux massifs datent de l'entre-deux-guerres. Sur la dynamique actuelle, je ne peux pas vraiment vous dire. Au niveau global, sur les douze dernières années, le montant des fortunes offshores, en proportion du patrimoine mondial des ménages, a l'air assez stable, avec toutes les incertitudes qui demeurent et qui restent très importantes.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Vous avez évoqué l'imposition des banques. Selon le document que vous avez fourni, le CPO ne cautionnerait pas les chiffres indiqués. Les aurait-il finalement validés ou existe-t-il deux visions sur les chiffres que vous avez évoqués en matière d'imposition ?

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique .-  La mention à laquelle vous faites référence indique que l'étude n'est pas assumée par le CPO et en tout cas ne l'engage pas. Des débats importants ont d'ailleurs eu lieu au sein du conseil sur ce sujet. Je pense pour ma part qu'il y a tout lieu d'indiquer les précautions méthodologiques qui s'imposent par rapport à ces chiffres. Mais il me semble que le calcul du taux d'imposition implicite était ainsi nécessaire car il délivre une tendance riche d'enseignements. Il ne faut pas retenir les valeurs absolues.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Des réserves ont-elles été émises sur certains points ?

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique .-  Elles ont existé dans la mesure où nous avons été obligés de collecter plusieurs types de données. Si nous avions disposé des données de la Banque de France ou de l'ACP, nous aurions pu avoir une base d'informations plus homogène, qui nous aurait dispensé de collecter des données micro et macroéconomiques, et de travailler sur des périodes différentes. Nous avons été le plus rigoureux possible. Les débats portaient sur le fond. Ce rapport a été réalisé dans la période de gestation de la loi bancaire, et peut-être qu'il ne fallait pas trop de court-circuit entre les messages à délivrer.

Les conclusions du rapport général sont très éloignées de celles que nous défendions dans deux rapports particuliers. Nous étions ainsi assez mécontents des conclusions générales reprises et portées dans la presse. Nous avons souhaité faire valoir nos propres conclusions. Le CPO en a pris ombrage et nous a rappelés à notre devoir de confidentialité.

Je crois qu'il existe de bonnes raisons de penser que la fiscalité des banques n'a pas évolué proportionnellement à la dynamique de leurs activités.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Considérez-vous que le contrôle interne fonctionne bien ?

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - Le contrôle interne participe à la régulation d'ensemble du secteur bancaire. Le régulateur a des exigences tout à fait justifiées en la matière. Le scandale Kerviel par exemple n'était pas à mon sens l'affaire Kerviel mais l'affaire Société Générale. C'était l'affaire d'un dysfonctionnement du contrôle interne au sein de cette banque. Ce contrôle interne doit impérativement être renforcé, et les métiers de la banque réorientés vers le contrôle des risques.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Monsieur Zucman, avez-vous un avis sur le contrôle interne des banques ?

M. Gabriel Zucman, Doctorant à l'École d'économie de Paris . - Je n'ai pas d'avis mais je souhaite rappeler que les banques sont tenues de connaître les bénéficiaires ultimes des fonds qu'elles gèrent. Cette information devrait être utilisée pour générer des statistiques ayant un sens. Notamment, les banques installées dans les paradis fiscaux devraient utiliser leurs connaissances pour identifier qui se trouve derrière les sociétés-écrans. J'aimerais, par exemple, que la Banque Nationale Suisse puisse nous dire que tant de pourcentages des comptes appartiennent à des Français, des Allemands, etc., au lieu d'affirmer que 60 % des comptes appartiennent aux Iles Caïmans, au Panama, etc. Ces listes peuvent être établies car il existe un contrôle interne et un règlement anti-blanchiment appliqué au sein des banques.

M. François Pillet , président . - Je vous remercie pour toutes ces informations. Si vous souhaitez nous donner des informations complémentaires ou nous alerter sur certains points, n'hésitez pas.

M. Michel Bécot, sénateur . - Avant d'obtenir sur le plan international un accord avec toutes les banques, avez-vous envisagé de proposer aux détenteurs de comptes offshores de rapatrier leur fortune, en contrepartie de quoi ils paieraient X % à l'Etat français sans poursuite judiciaire ?

M. Gabriel Zucman, Doctorant à l'École d'économie de Paris . - Non, je pense que la loi doit s'appliquer à tous de la même façon, que l'on soit ou pas riche et puissant. Les personnes qui sont dans l'illégalité peuvent rapatrier leur fortune mais la loi doit s'appliquer. Une solution simplifiée peut toutefois être envisagée qui permettrait à l'Etat d'abandonner les poursuites pénales mais prendrait 100 % des fortunes non déclarées.

Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique . - Nous n'avons pas répondu à votre question sur la loi bancaire. Le Titre I a mobilisé beaucoup d'énergie mais le Titre II portant sur les mécanismes de résolution est le plus important, car il participera à la simplification des structures capitalistiques. Ce sont de bons éléments sur lesquels la Commission Européenne peut s'appuyer pour accélérer le mouvement sur le volet II de l'Union bancaire.

M. François Pillet , président . - Je vous remercie. Je vous informe que le Ministre du Budget a demandé, pour des raisons d'agenda, à reporter son audition, qui devrait avoir lieu avant la fin de juin. Nous avons accepté la demande.

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