AUDITION DE M. HERVÉ DREYFUS, GESTIONNAIRE DE FORTUNE

(mercredi 11 septembre 2013)

M. François Pillet, président. - Nous procédons à présent à l'audition de M. Hervé Dreyfus, gestionnaire de fortune.

Monsieur Dreyfus, conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment ; tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal. Veuillez donc vous levez, et prêter serment en levant la main droite, et en disant : « Je le jure ».

M. Hervé Dreyfus. - Je le jure.

M. François Pillet, président. - Vous avez la parole pour un exposé liminaire...

M. Hervé Dreyfus. - Mon exposé sera extrêmement rapide.

Monsieur le Président, Messieurs les Sénateurs, Mesdames, je suis né le 4 août 1953. J'occupe les fonctions de gestionnaire de portefeuille chez Raymond James Asset Management International (RJAMI).

Je suis honoré d'être convoqué par votre commission, et espère pouvoir contribuer à son information, même si j'ai été amené à interroger votre secrétariat sur l'objet de mon audition.

Gestionnaires de valeurs mobilières, ma contribution pouvait paraître limitée, alors que je suis, au surplus, tenu au secret professionnel.

Je ne peux pas ne pas faire le lien avec les mises en cause publiques dont je fais l'objet depuis près d'un ans, d'abord dans le cadre de l'affaire Cahuzac, puis, plus généralement, dans le cadre des attaques contre la banque Reyl, dirigée, à Genève, par mon frère, et présentée par M. Condamin-Gerbier, qui a été entendu par cotre commission et par les juges d'instruction, comme une « officine d'évasion fiscale », à laquelle j'aurais participé.

Ces faits font objet d'investigations judiciaires, comme j'ai eu l'honneur de le faire connaître au secrétariat de votre commission, puis par l'intermédiaire de mon conseil, le bâtonnier Iweins. Mon domicile et mes bureaux ont fait l'objet de perquisitions. Mon avocat s'est rapproché du magistrat instructeur, et je suis informé que je serai prochainement entendu. Je me dois donc de réserver mes déclarations sur toutes ces mises en cause au juge d'instruction saisi.

Mon avocat s'en est ouvert à vous par le courrier du 3 septembre, demandant à pouvoir m'accompagner. Votre secrétariat lui a fait savoir hier soir qu'il ne pourrait être à mes côtés.

Dans ces conditions, et pour le respect des droits de ma défense, comme de l'autorité judiciaire, je suis à votre disposition pour répondre à vos questions -un projet m'a d'ailleurs été adressé- sous cette double réserve des poursuites judiciaires en cours et, le cas échéant, du secret professionnel auquel je suis tenu.

M. François Pillet, président. - Je vous ai parfaitement entendu. Je tiens toutefois à vous rassurer : vous êtes ici devant une commission d'enquête. Vous êtes ici auditionné et non interrogé. La différence a son importance...

Ce n'est ni l'usage, ni le droit, dans le cadre d'une commission d'enquête, que la personne entendue soit assistée pour -disons-le- « cribler ses réponses ».

Vous aurez la possibilité, lorsque vous le souhaiterez, de vous réfugier derrière un secret professionnel légalement protégé, comme celui des avocats ou des banquiers, établi par un code.

En ce qui concerne la procédure judiciaire, nous n'entrons pas dans le cadre de celle-ci ; de ce fait, sauf sur des points extrêmement précis entrant dans le cadre d'une infraction pour laquelle vous seriez mis en examen ou poursuivi -ce qui ne me semble pas le cas- notre commission est apte à vous entendre.

La parole est au rapporteur...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - J'adhère pleinement à ce que le président vient de dire concernant les circonstances de cette audition. C'est du fait de votre profession qu'il nous a semblé utile de vous entendre. Notre commission s'intéresse au rôle des banques, aux acteurs financiers au sens général, dans la problématique de l'évasion fiscal, sujet aujourd'hui planétaire et incontournable. Nous y travaillons depuis un an et demi. C'est la seconde commission d'enquête portant sur ce sujet, mais celle-ci cible plus particulièrement le rôle des banques et des acteurs financiers.

Peut-être serait-il utile que l'on vous entende sur une présentation assez rapide de votre parcours professionnel, puisque c'est l'objet principal de votre invitation...

M. Hervé Dreyfus. - J'ai suivi des études de droit économique à l'université Panthéon-Assas, où j'ai obtenu une maîtrise. Lors de la préparation de mon diplôme d'études supérieures spécialisées (DESS), j'ai été recruté par le Crédit commercial de France (CCF), banque dans laquelle j'ai travaillé durant onze ans à la direction internationale. J'ai été formé à la gestion de portefeuille pour de la clientèle non résidante, avec une spécialisation très pointue sur le marché des eurobonds et le marché des changes. Cette clientèle était surtout maghrébine et moyen-orientale.

Après onze ans passés au CCF, j'ai rejoins RJAMI, fin 1993, début 1994, où je suis depuis toujours. J'y fais de la gestion de portefeuille de clientèle résidante.

En quoi consiste mon métier ? Un client nous confie une certaine somme d'argent à gérer. Tous les trois mois, un comité d'investissement se réunit, composé d'intervenants extérieurs -professeurs d'université, économistes. Nous établissons les grandes stratégies de notre gestion de portefeuille, c'est-à-dire les zones dans lesquelles nous allons investir. Nous décidons ensuite du genre de support que nous allons utiliser -obligations, actions ou monnaies.

De plus en plus d'acteurs financiers font de l'architecture ouverte. Dans la gestion de portefeuille, il s'agit d'utiliser les compétences d'établissements autres que le sien. Nous ne sommes pas bons dans tous les domaines, et travaillons donc avec d'autres banques françaises, anglaises, allemandes, suisses, où existent des compétences meilleures que les nôtres.

Nous décidons donc de choisir tel ou tel fonds ou SICAV. Une fois établie, nous appliquons la politique de gestion aux clients en fonction des mandats qu'ils nous ont confiés. Aujourd'hui, il existe quatre grandes catégories de mandats : un mandat prudent, un mandat équilibré, dynamique ou discrétionnaire. Nous appliquons notre politique de gestion en fonction du mandat que nous ont donné nos clients.

J'exerce ce métier depuis une trentaine d'années. Certains clients me font confiance depuis vingt-cinq ans.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Quelle est la place de l'optimisation fiscale dans les relations d'affaires ?

M. Hervé Dreyfus. - C'est le client qui décide du genre de produits qu'il accepte d'avoir dans son portefeuille. Nous réalisons une gestion globale, mais le client peut nous demander d'utiliser les produits d'optimisation fiscale qui existent en France -PEA ou assurance-vie, en plus du compte traditionnel.

En règle générale, c'est le client qui connaît son patrimoine de manière très précise qui nous aide, pour des raisons de succession ou d'économie d'impôts. Je suis, avec mon équipe, un simple technicien de gestion.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Que signifie l'architecture ouverte ?

M. Hervé Dreyfus. - Les grandes banques françaises n'utilisent que leurs produits, SICAV et fonds maison, mais la BNP, par exemple, doit avoir une centaine de fonds investis dans différents pays et sur différents marchés. Elle peut se permettre, pour gérer les portefeuilles de ses clients, de répartir leurs comptes sur ses différents fonds. Pour notre part, nous n'en avons pas la capacité. Je me réserve donc la possibilité de rechercher le bon gérant au Japon, ou sur les marchés obligataires, au Brésil ou en Inde. Nous n'avons pas de fonds limités. Nous ne gérons qu'un certain nombre de fonds. Nous n'avons de compétences que sur les Etats-Unis et sur l'Europe.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Disposez-vous de collaborations privilégiées avec certaines banques étrangères ?

M. Hervé Dreyfus. - Nous cherchons les bons interlocuteurs. Je peux utiliser une banque anglaise ou suisse. Nous l'avons déjà fait, ce n'est pas un secret : nous avons utilisé les compétences sur les pays émergents de la banque de mon frère, mais pour les Etats-Unis, nous utilisons nos propres compétences. Pour la zone du secteur pétrolier, nous utilisons une banque anglaise ou les banques françaises...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Utilisez-vous des banques de territoires offshore ?

M. Hervé Dreyfus. - Jamais ! L'opacité est trop grande. J'ai des comptes à rendre à ma clientèle...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Ne vous le demande-t-on jamais ?

M. Hervé Dreyfus. - Lorsque j'étais au CCF, un client mexicain m'avait posé la question, mais il y a vingt ans de cela...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Beaucoup de banques françaises disposent d'entités dans de nombreux paradis fiscaux...

M. Hervé Dreyfus. - Je fais ce métier depuis trente ans. Le seul reproche que l'on peut m'adresser est que je suis très prudent dans ma gestion. Je n'ai jamais investi sur des produits structurés ou domiciliés dans les banques offshore, ni chez Bernard Madoff. Nous avons reçu ses représentants, comme toute la place parisienne, mais leur opacité était trop importante. Nous ne touchons jamais à ce genre de produits.

Aucun client depuis que j'exerce ce métier n'a pu une seule fois se plaindre qu'on lui a fait prendre des risques inconsidérés en utilisant des produits toxiques, ou opaques. Peut-être me l'a-t-on reproché dans certains cas...

Les gens de chez Madoff étaient très forts. Ils promettaient des taux rendements extrêmement élevés, qu'aucun gérant obligataire ne pouvait tenir et qui ne correspondaient pas aux taux que l'on pouvait obtenir sur les marchés. Leur astuce était de proposer aux personnes qui acceptaient de travailler avec eux des rémunérations conséquentes.

Certains intervenants du marché ont accepté, uniquement pour des raisons financières. Quand j'ai discuté technique avec les représentants de Madoff, je n'ai pas compris leur technique de gestion.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Qui a accepté ?

M. Hervé Dreyfus. - Ce sont ceux dont on a vu le nom dans les journaux, parmi lesquels quelques grandes banques françaises. Je n'en sais pas plus. J'ai entendu parler de clients qui ont tout perdu, des banques ayant investi la totalité de leur portefeuille sur des fonds Madoff. Je crois que les taux étaient garantis à plus de 10 %, ce qui est impossible à tenir.

C'est pourquoi notre société n'utilise jamais de produits offshore, structurés, exotiques...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Comment expliquer que des professionnels aguerris acceptent ce genre de proposition ?

M. Hervé Dreyfus. - Je ne peux répondre à leur place, mais la seule explication réside dans la rémunération.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - C'est donc de la cupidité !

M. Hervé Dreyfus. - Oui...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Quel est le type de clientèle de RJAMI ?

M. Hervé Dreyfus. - Notre clientèle est à 100 % française et compte également des institutionnels. Je ne m'occupe personnellement que de clients privés. Quelques grands groupes Français sont aussi clients de nos fonds. Nous avons de très bonnes performances. Notre fonds europe fait depuis de l'année 15 %, notre fonds Etats-Unis 24 %. Par rapport à ce qu'ont fait les marchés cette année, je pense que ces résultats sont très honorables.

Nous sommes une petite structure, qui compte quatorze personnes. Il est difficile de se développer, malgré nos bonnes performances.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Quel est l'objet, la taille et la performance de votre établissement ?

M. Hervé Dreyfus. - Nous sommes quatorze personnes et parvenons à l'équilibre tous les ans. Nous ne faisons pas de bénéfices, ne distribuons pas de dividendes. Nos actifs augmentant régulièrement, nous essayons d'engager un analyste ou un gérant supplémentaire. Nous avons régulièrement de nouveaux clients. Les choses se passent correctement.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - A quel superviseur êtes-vous soumis, aussi bien en France qu'à l'étranger ?

M. Hervé Dreyfus. - En France, nous sommes soumis à l'Autorité des marchés financiers (AMF) et à des contrôleurs internes réguliers. Il n'y a pas eu une seule plainte de clients depuis que nous existons. Il n'y a pas de raisons, étant donné nos résultats et notre sérieux.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Quelle est la procédure en matière de contrôle interne ?

M. Hervé Dreyfus. - Vous me posez là une colle... Le contrôleur vérifie à l'ouverture des comptes et tous les documents administratifs qui ont pu être remplis -pièces d'identité, justificatifs de domicile, etc.

Une fois le compte ouvert, le contrôleur vérifie régulièrement l'adéquation de la gestion du portefeuille du client par rapport à son mandat. Dans le cadre d'un mandat de gestion équilibré, nous n'avons pas le droit de dépasser 60 % d'actions. Nous serions en infraction si tel n'était pas le cas.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Votre contrôleur interne est-il commissaire aux comptes ?

M. Hervé Dreyfus. - Non, c'est une personne qui occupe un poste à l'intérieur de la société. Nous avons des commissaires aux comptes qui contrôlent les comptes de la société chaque année. Nos bilans sont déposés au greffe et contrôlés par une équipe de commissaires aux comptes.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Je suis un peu surpris qu'un établissement qui dispose d'un effectif aussi modeste de quatorze personnes compte un contrôleur interne...

M. Hervé Dreyfus. - La réglementation est très complexe. Le contrôleur interne occupe un emploi à plein-temps. Toute société de gestion devrait disposer d'un contrôleur interne. La réglementation change régulièrement, qu'il s'agisse des comptes gérés, des contrats d'assurance-vie ou des plans d'épargne en actions (PEA). Un nouveau type de PEA vient d'être créé ; il sera indépendant des anciens PEA. Il existe dans ce domaine une demande de nos clients. Cela permettra aux sociétés de gestion de récupérer des fonds supplémentaires, mais les fonds devront être uniquement investis dans de petites et moyennes entreprises (PME). C'est très récent.

Nous avons une très forte demande. Nos clients sont prêts à nous faire le chèque. Or, nous ne disposons aujourd'hui d'aucun document. Nos services juridiques sont en train d'y travailler. Les choses devraient démarrer au 1er janvier, à hauteur de 75 000 euros. Cela représente une charge importante pour le contrôleur, qui travaille avec les services juridiques de nos banques dépositaires.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Combien de clients avez-vous dans votre portefeuille global, et quel est leur profil ?

M. Hervé Dreyfus. - Dans la société de gestion, nous avons environ 200 clients ; j'en gère 75.

Les profils sont variés. On trouve des petits-enfants qui ont hérité de leurs grands-parents et dont le compte avoisine 20 ou 30 000 euros, des professions libérales, des chefs d'entreprise, des femmes divorcées qui ont touché un petit capital et qui veulent le sauvegarder.... On n'a pas un type précis de client. Certains veulent une gestion très dynamiques, et sont prêts à accepter des pertes importantes ; d'autres nous confient 50 000 euros et préfèrent ne réaliser des gains que de 1 à 2 %, mais n'acceptent pas les risques.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Avez-vous observé un regain d'activité en matière de demande de réaménagement de patrimoine depuis un an ou deux ?

M. Hervé Dreyfus. - A notre niveau, pas du tout. Nous avons un flux régulier de nouveaux clients. La question du réaménagement de patrimoine devrait plutôt être posée à des experts juridiques. Les clients s'adressent à nous pour nous confier une certaine somme, qu'ils déposent sur un compte géré -contrat d'assurance-vie ou PEA. L'aménagement du patrimoine ne relève pas de notre domaine. Je ne fais que de la gestion de portefeuille.

M. François Pillet, président. - Etes-vous amené à être directement en contact avec d'autres établissements étrangers, où votre client peut avoir des comptes ?

M. Hervé Dreyfus. - Jamais !

M. François Pillet, président. - Comment un gérant de patrimoine se protège-t-il d'une éventuelle complicité de fraude fiscale, lorsqu'il estime que son client en comment une ?

M. Hervé Dreyfus. - On n'est pas censé être au courant...

M. François Pillet, président. - Que faites-vous vous lorsque vous pensez que c'est le cas ?

M. Hervé Dreyfus. - Il est délicat de conseiller des clients, que nous connaissons depuis trente ans, qui nous demandent conseil à ce sujet...

M. François Pillet, président. - Que leur recommandez-vous ?

M. Hervé Dreyfus. - Je les invite à consulter leur avocat ou leur domaine. Ce n'est pas mon domaine !

M. François Pillet, président. - Si des héritiers viennent vous voir avec un certain volant financier qui ne vous paraît pas très clair, le déclarez-vous à TracFin ?

M. Hervé Dreyfus. - Avant d'ouvrir le compte, on vérifie l'origine des fonds.

M. François Pillet, président. - Vous n'avez donc jamais eu à vous poser la question de transférer une information à TracFin ?

M. Hervé Dreyfus. - Je pense que le contrôleur interne fait correctement son travail. Nous avons eu une fois un doute vis-à-vis d'un client australien. Nous lui avons refusé d'ouvrir un compte, mais nous ne sommes pas allés plus loin. On ne s'est jamais retrouvé dans la situation de constater, ayant ouvert un compte, que nous avions fait une erreur. C'est en amont que nous exerçons les contrôles.

M. François Pillet, président. - Quel est le montant du patrimoine moyen que vous gérez ?

M. Hervé Dreyfus. - Il oscille entre 150 et 250 000 euros. Nous avons des clients qui disposent de 800 ou de 900 000 euros. Certains jeunes clients ont 20 ou 30 000 euros.

M. François Pillet, président. - Cela ne représente pas des sommes considérables, compte tenu du nombre de clients dont vous disposez !

M. Hervé Dreyfus. - C'est la fortune moyenne des gens qui, en France, disposent d'un peu d'argent. Les médias parlent des grosses fortunes, mais à 40 ou 50 ans, avoir sur son compte, en plus de sa résidence principale, 200 ou 250 000 euros représente un capital important. C'est en tout cas mon opinion...

M. François Pillet, président. - Cela pourrait être la mienne !

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Quel type d'opération êtes-vous amené à effectuer avec le Luxembourg ou la Suisse, qui ont des statuts très particuliers ?

M. Hervé Dreyfus. - La plupart des fonds commercialisés en France par des banques françaises sont enregistrés au Luxembourg. Nous achetons donc des fonds luxembourgeois, qui peuvent être des fonds du Crédit lyonnais (LCL) ou de la Société générale. Je ne suis pas spécialiste, mais je crois savoir que les SICAV sont moins chères au Luxembourg qu'en France.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Est-ce là le seul avantage ?

M. Hervé Dreyfus. - La réponse est la même pour la Suisse. Dans notre architecture ouverte, nous cherchons les meilleurs produits. Il nous arrive donc d'utiliser des fonds luxembourgeois ou suisses, parce que nous estimons qu'il s'agit du meilleur gérant européen du créneau.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Travaillez-vous avec des banques privilégiées pour les opérations particulières que vous venez de citer ?

M. Hervé Dreyfus. - Non, je répète que nous recherchons les meilleurs produits.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - A quand remonte la création de RJAMI ?

M. Hervé Dreyfus. - En France, elle remonte à 1995. C'est un très grand groupe américain qui compte 2 000 bureaux aux Etats-Unis et 17 000 employés.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Dans quel type de pays sont-ils présents ?

M. Hervé Dreyfus. - Partout - Etats-Unis, Amérique du Sud, Canada, Europe...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - On parle beaucoup de régulation renforcée des flux financiers, y compris dans les G8 et les G20. Pensez-vous que cela aille dans le bon sens ou cela vous inquiète-t-il ? Les Américains ont pris des mesures sévères : faut-il s'en inspirer ?

M. Hervé Dreyfus. - Cela ne m'inquiète pas, au contraire. Je pense que cela va dans le bon sens. Les Américains essayent d'imposer leur loi au monde entier. Il conviendrait de leur résister. Il n'y a pas que du bon de ce côté. Il faut, à un moment donné, taper sur la table. Nous avons des lois. Aujourd'hui, un Américain, qu'il dispose d'un compte à Paris ou ailleurs, est soumis à la loi américaine et non aux autres lois, ce qui est assez extraordinaire !

Le Foreign account tax compliance act (FATCA) est une bonne chose, mais il faut quand même que le législateur français fasse valoir notre droit !

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Quels inconvénients cette loi présente-t-elle selon vous ?

M. Hervé Dreyfus. - Aujourd'hui, les banques françaises refusent systématiquement d'ouvrir des comptes à des ressortissants américains. La complexité de la gestion administrative nécessite presque une personne à plein-temps par compte -rapports, notes, envois de documents fiscaux... On ne peut plus les accepter. Je parle ici en tant que gérant et administrateur.

M. François Pillet, président. - La parole est aux commissaires...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Si j'ai bien compris, votre société compte des personnes physiques et des personnes morales...

M. Hervé Dreyfus. - En effet. Trois personnes s'occupent chez nous d'épargne salariale pour le compte d'entreprises françaises.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Vous ne comptez toutefois pas de sociétés du CAC 40 parmi votre clientèle...

M. Hervé Dreyfus. - Non.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Une PME peut toutefois être votre cliente...

M. Hervé Dreyfus. - Tout à fait. Nous avions ouvert le compte d'une PME, il y a quelques années, devenue aujourd'hui une très grosse entreprise française. Son dirigeant continue à nous faire confiance, au vu de nos résultats. C'est agréable pour nous. Il s'agit de quelqu'un qui avait déposé chez nous 100 000 euros au titre de l'épargne salariale : il a maintenant plusieurs millions d'euros sur son compte.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Si je décide de vous confier mon portefeuille, je transfère une somme d'argent sur votre compte...

M. Hervé Dreyfus. - Sur votre compte.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Elle demeure donc sur mon compte. Il n'y a pas de transfert physique dans vos livres ?

M. Hervé Dreyfus. - Non. Nous sommes une société de gestion. Seule la banque dépositaire est garante des avoirs du client. Nous ne sommes pas une banque dépositaire. Le compte est ouvert au nom du client chez le dépositaire.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Vous n'empruntez donc pas vous-mêmes sur les marchés financiers...

M. Hervé Dreyfus. - C'est interdit.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Vous ne donnez pas non plus de garantie particulière...

M. Hervé Dreyfus. - Uniquement bancaire.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Actuellement, beaucoup de banques demandent à leurs clients de rapatrier les fonds qui se trouveraient dans des paradis fiscaux, au titre de la circulaire Cazeneuve. Avez-vous relevé une volonté de régularisation d'une grande partie de votre clientèle ?

M. Hervé Dreyfus. - J'en ai entendu parler, comme tout le monde. Je n'ai pas eu une seule demande de ma clientèle. Les gens qui peuvent avoir des comptes à l'extérieur s'adressent à leur avocat ou à leur notaire, pas à leur gérant de portefeuille. Ce n'est pas mon métier, je ne puis les aider.

M. Jacques Chiron. - Lorsqu'un client vient vous voir pour un placement, vous lui conseillez par exemple les produits les plus intéressants au Luxembourg. Il ouvre donc un compte chez vous...

M. Hervé Dreyfus. - Cela ne se passe pas du tout ainsi ! Un client qui a 100 000 euros à placer et qui vient chez nous sait a priori déjà quel type de structure il souhaite -compte traditionnel, contrat d'assurance-vie en vue d'une succession, ou un PEA.

On lui demande le type de risques qu'il souhaite prendre et nous lui faisons signer un mandat prudent, équilibré, ou discrétionnaire. Il n'a pas le droit d'intervenir ensuite dans le choix des produits, ni de nous donner des instructions dans ce domaine. C'est totalement illégal. Nous commettrions alors en infraction. C'est un problème juridique : si les choses tournent mal, nous sommes responsables. Nous décidons donc seuls du choix des instruments que nous allons mettre dans son portefeuille.

M. Jacques Chiron. - Vous décidez donc de choisir une banque, par exemple, au Luxembourg dont le produit est intéressant...

M. Hervé Dreyfus. - Nos correspondants sont à Paris. Ce sont des Français qui ont listé leur fonds au Luxembourg.

M. Jacques Chiron. - Vous placez donc les fonds qui sont qui sont sur le compte ouvert chez vous...

M. Hervé Dreyfus. - Nous achetons une part de fonds à 1 000 euros pour le client, qui la détient donc sur son compte. Ces fonds sont généralement cotés tous les jours. La valeur du portefeuille augmente ou diminue chaque jour. Chaque trimestre, nous adressons un relevé de portefeuille à nos clients, ainsi que nous y sommes tenus.

En pratique, les clients n'ouvrent jamais les courriers que nous leur adressons. Ils n'ouvrent que celle du 31 décembre pour leur déclaration d'impôt sur la fortune (ISF).

Mme Corinne Bouchoux. - A combien estimez-vous le nombre de vos clients soumis à l'ISF ?

Comment formuleriez-vous, de façon simple, la nature du service que vous apportez à vos clients, par rapport à la Banque postale, qui propose des comptes, des assurances-vie, des PEA, et qui permet d'avoir accès à un livret de caisse d'épargne ?

M. Hervé Dreyfus. - Je n'ai aucune idée du nombre de mes clients qui sont soumis à l'ISF, ne m'occupant jamais de leurs déclarations fiscales.

Par ailleurs, quand un nouveau client vient me voir, généralement recommandé par un autre client, je lui propose toujours mon numéro de portable, afin qu'il puisse m'appeler à l'heure qui lui convient. Vous connaissez les horaires de la banque postale. Un chirurgien, qui commence à opérer le matin à 7 heures et finit le soir à 22 heures, est content de pouvoir me joindre à 6 heures 30 ou le soir, à 23 heures, pour me poser une ou deux questions...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Je ne sais s'il est très prudent de livrer son numéro de portable de cette façon. Il y a des précédents fâcheux !

M. Hervé Dreyfus. - Je vois ce que vous voulez dire mais, dans le métier que je fais, la disponibilité est un point important ainsi que nos performances.

Les clients n'ont pas envie de téléphoner à la Société générale, dont les horaires vont de 9 heures 15 à 17 heures 15. Ils travaillent, comme nous tous, et souhaitent contacter leur gérant le matin ou le soir, lorsqu'ils en ont le temps. Mon portable est ouvert pendant les vacances. J'ai une clientèle très fidèle depuis de nombreuses années, qui apprécie beaucoup de pouvoir me joindre quand elle en a envie. Je reconnais que ce n'est pas toujours agréable de recevoir un appel lorsque vous êtes en train de dîner avec vos enfants, mais c'est primordial.

Mme Corinne Bouchoux. - Sans entrer dans des détails, qu'est-ce qui justifie qu'on vous appelle avant 8 heures et après 20 heures, dans la mesure où vous envoyez des correspondances régulières, et où tout est clair et transparent ?

M. Hervé Dreyfus. - Sans citer de nom, j'ai reçu hier un appel d'un professionnel de la santé qui a des horreurs épouvantables. Il envisage de vendre une partie de son cabinet à l'un de ses associés et va donc avoir une rentrée d'argent. Il voulait que nous en discutions calmement, lorsqu'il était seul, chez lui.

Il m'a appelé à une heure tardive. Je ne dis pas que c'est quotidien, mais cela arrive de temps en temps. Cette personne apprécie beaucoup de pouvoir me joindre lorsqu'il en a envie. Nous avons prévu un petit-déjeuner dans un mois, à 7 heures 15...

Mme Corinne Bouchoux. - Dans la sociologie de votre clientèle, les professions de santé occupent-elles une place importante ?

M. Hervé Dreyfus. - Non. Ma clientèle compte des avocats, des chefs d'entreprises, des héritiers, plusieurs femmes divorcées qui ont eu la chance d'avoir un capital confortable...

Je le répète, nous avons récemment ouvert des comptes à de jeunes enfants, à qui les deux grands-parents avaient donné à chacun 10 000 euros. Ils ont ouvert tous trois un compte de 20 000 euros. Je ne travaille pas avec un secteur privilégié, ou sociologiquement spécialisé dans un domaine.

Dans mon métier, au contraire des grandes banques qui disposent de réseaux de commerciaux extrêmement importants, nous ne travaillons que par bouche-à-oreille. Nous n'avons pas les moyens de donner des réceptions ou d'organiser des fêtes. Seuls les grands groupes le peuvent.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Quel est le montant total des actifs que vous détenez en gestion directe ou déléguée ?

M. Hervé Dreyfus. - Nous gérons 300 millions d'euros environ.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - J'ai fait un rapide calcul : vous avez parlé de 180 clients...

M. Hervé Dreyfus. - 200 clients privés pouvant détenir plusieurs comptes, des  personnes physiques, en plus de l'épargne salariale -mais ce n'est pas mon domaine. Il s'agit de comptes importants. Nous comptons deux groupes, l'épargne salariale et des institutionnels. Certaines banques et compagnies d'assurance investissent dans nos fonds.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Vous avez évoqué un patrimoine moyen de 150 000 euros...

M. Hervé Dreyfus. - Entre 150 et 250 000 euros. La fourchette peut être très large. L'une de nos clientes possède un compte de 2 millions d'euros.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - En volume, les particuliers ne sont donc pas la part principale de vos activités...

M. Hervé Dreyfus. - Non, mais c'est mon métier.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Au plan national, comment vous situez-vous ?

M. Hervé Dreyfus. - Nous évoluons parmi les petits. Certaines grosses sociétés de gestion gèrent plusieurs milliards d'euros, comme Tocqueville, ou la financière de l'échiquier, qui font de la publicité dans les journaux.

Certaines sociétés de gestion ne gèrent que 20 ou 30 millions d'euros. En province, il en existe beaucoup de très petites.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Vous dites arriver à tenir l'équilibre...

M. Hervé Dreyfus. - Tout à fait. Les bilans sont accessibles.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Serait-il possible de connaître les noms des personnes qui siègent dans le comité de sélection des investissements ?

M. Hervé Dreyfus. - Je ne les ai pas ici. Ce n'est pas un comité de sélection des investissements mais un comité macroéconomique qui bâtit des scénarios et nous aide à définir notre stratégie.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Il s'agit d'universitaires...

M. Hervé Dreyfus. - En effet. Des Américains assistaient au dernier comité. L'un d'eux est professeur à Dauphine...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Pourriez-vous nous transmettre cette liste ?

M. Hervé Dreyfus. - Bien entendu. Vous aurez les noms dès demain matin.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Sont-ils rémunérés ?

M. Hervé Dreyfus. - Oui.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - S'agit-il de jetons de présence ?

M. Hervé Dreyfus. - Je crois qu'ils facturent des honoraires, mais je n'en connais pas les montants.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Quels sont les critères de sélection pris en compte pour suggérer tel ou tel choix à tel ou tel client ?

M. Hervé Dreyfus. - Si l'on décide, après notre comité, qu'il est opportun d'acheter un fonds obligataire, une obligation étant aussi volatile qu'une action, nous allons chercher le meilleur gérant obligataire de la place. Nous étudions les performances sur les cinq dernières années, les montants gérés, les coûts de commission de gestion. Une fois ces critères définis, on demande à notre contrôleur interne de vérifier la solidité de l'établissement.

Il existe sur la place de très bons gérants qui n'ont qu'un fonds en gestion. Ils décident de se mettre à leur compte et font d'excellents professionnels. De temps en temps, il peut apparaître des problèmes de solidité financière. Cela peut donc prendre un mois pour trouver le produit adéquat.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Il n'est pas question d'aborder ici l'affaire de justice dans laquelle vous êtes impliqué, mais une issue défavorable pourrait-elle avoir des conséquences sur votre activité professionnelle au sein de ce cabinet ? Craignez-vous que l'AMF intervienne ?

M. Hervé Dreyfus. - L'AMF pourra prendre une décision positive ou négative. Les clients sont au courant : ils lisent les journaux. Je n'ai eu que des messages de soutien. Les gens me connaissent depuis très longtemps. Ils savent que c'est difficile. Je ne préjuge pas des décisions de l'AMF, mais aucun client n'a exprimé son désir de nous quitter.

Au contraire, on a aujourd'hui la chance d'avoir de nouveaux clients qui nous font confiance. Les gens ne nous jugent pas uniquement d'après ce que disent les médias -heureusement !

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Vous n'êtes pas mis en cause dans votre activité...

M. Hervé Dreyfus. - Absolument pas -et cela me fait plaisir, ainsi qu'à l'équipe avec laquelle je travaille.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Lors de son audition, M. Condamin-Gerbier a cité une autre banque. On est là sur un autre sujet...

M. Hervé Dreyfus. - Je n'aborderai pas ce sujet. Je dirais des choses peu agréables !

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