B. LE DIRECTEUR RÉGIONAL : VERS UN RENFORCEMENT DE LA DÉCONCENTRATION

Face à la régionalisation de la politique ferroviaire, la SNCF a profondément fait évoluer son organisation, afin de faciliter les relations entre la SNCF et les collectivités territoriales, et notamment les régions, autorités organisatrices des transports. En 1993, la région Poitou-Charentes expliquait à la commission d'enquête du Sénat sur la SNCF que ses relations avec la SNCF étaient difficiles, notamment du fait que son territoire relevait de la compétence de trois directions régionales de la SNCF : Tours, Nantes et Bordeaux.

Aujourd'hui, le pouvoir des directions régionales SNCF a été renforcé , et surtout, pour l'activité TER, une région administrative n'est plus partagée entre plusieurs directions régionales SNCF. Une gestion centralisée de l'ensemble des activités du groupe SNCF, et notamment en matière de transport régional, n'est plus possible.

Le directeur régional SNCF a une double compétence :

- d'une part, il est responsable de l'activité TER. En tant que tel, il négocie en son nom propre la convention TER avec la région et il est chargé de sa mise en application. Pour cela, il procède notamment aux recrutements. Cette évolution est récente. Ainsi, au début des années 2000, il n'était encore que le simple représentant du groupe SNCF pour ces activités. Or cette organisation avait pour conséquence de multiplier le nombre d'interlocuteurs de la région. Certaines n'hésitaient pas alors à négocier directement avec le siège central à Paris ;

- d'autre part, il est le représentant du groupe SNCF en région . C'est à ce titre, qu'il intervient auprès de la presse, ou devant les instances judiciaires. Il ne dispose donc d'aucune compétence de directeur d'activités pour les activités fret par exemple. Toutefois, c'est lui qui dialoguera avec les collectivités et les entreprises, en tant que « porte-parole » du groupe, pour des questions liées à ce secteur d'activité de la SNCF. Concrètement, en matière de recrutement, ce sont les directions nationales qui lui attribuent ses ressources humaines pour ces activités. Il y a donc à ce niveau interaction entre la direction régionale et les directions nationales. Par exemple, pour la région Bretagne, les dossiers relatifs au foncier sont traités par des collaborateurs de la filière « immobilier Grand-ouest » basé à Tours. Mais une personne de cette direction est présente à Rennes en permanence pour gérer les affaires courantes.

Plusieurs intervenants ont salué cette démarche de décentralisation et de responsabilisation des directeurs régionaux SNCF, permettant de gérer au plus près du terrain l'ensemble des dossiers . Elle permet également de répondre aux besoins particuliers des chaque région. Un modèle unique de gestion ne correspondrait à aucune réalité, notamment pour les activités TER : forte variation dans les densités de population, dans l'état de l'infrastructure et dans la densité de celui-ci d'une région à l'autre. En outre, la plus grande stabilité des directeurs régionaux SNCF a conduit à faciliter les relations avec les collectivités territoriales et également à renforcer leur légitimité sur le terrain. S'il n'existe pas de chiffres officiels de la part de la SNCF, certains intervenants ont fait remarquer qu'un directeur régional reste en moyenne désormais au minimum trois ans. A contrario , entre 1995 et 2002, six directeurs se sont succédé en sept ans à la tête de la direction régionale SNCF du Limousin.

Faut-il renforcer les pouvoirs du directeur régional ?

Il est certes le « représentant de la SNCF » mais, comme nous l'avons souligné, son autonomie complète n'existe que sur le périmètre des TER, ce qui n'est pas le cas sur les autres périmètres - dont celui du fret - qui relèvent des directions nationales.

Nous plaidons pour un pouvoir déconcentré plus important des directeurs régionaux SNCF, répondant ainsi à une légitime attente des interlocuteurs de la SNCF.

Retrouvons l'opinion de certaines personnes auditionnées :


• Marie-France Beaufils, sénatrice-maire de Saint-Pierre-des-Corps :

« Un éclatement entre les différentes filiales de la SNCF persiste et le directeur régional n'a pas la capacité de coordonner ces différentes filiales. Le responsable régional fret dispose de peu de moyens pour gérer les propositions qu'il va pouvoir faire aux entreprises. Il ne peut ni fixer les coûts, ni les plans de transport. Il doit solliciter à chaque fois la direction nationale tant pour des questions relatives aux matériels que celles relatives aux sillons. »


• Pierrick Massiot, président du conseil régional de Bretagne :

« Gares & Connexions » souffre d'un défaut de transparence et d'indépendance vis-à-vis de la SNCF. Ainsi, la direction générale de la SNCF continue à avoir la main mise sur les discussions relatives aux gares malgré l'existence de cette filiale.[...] En matière de foncier, la direction régionale SNCF dispose de très peu de pouvoir. Il est nécessaire de passer systématiquement par les services parisiens. [...] Le directeur régional s'exprime en principe pour toutes les branches SNCF, mais dans les faits, il ne parle que pour les TER. Dans la nouvelle organisation mise en place à titre expérimental en Bretagne et dans le Limousin, le directeur régional sera compétent pour le TER, mais sera déchargé du reste (TGV et trains nationaux, Gares & Connexions, RFF, SNCF Infrastructure). »


• André Marcon, président de CCI France :

« Les directeurs régionaux SNCF et RFF constituent les interlocuteurs des CCI. Toutefois, du côté de RFF, les directions régionales et nationales ne tiennent pas toujours le même discours : le discours national n'est parfois pas assumé au niveau régional. » CCI France regrette le manque de coordination


• Alain Even, président de « CESER de France » :

« La perspective de donner plus d'autonomie aux directeurs régionaux SNCF dans leurs négociations avec les régions est une question qui agite l'opérateur historique. Depuis deux ou trois ans, il y a une réflexion nationale qui porte sur la possibilité d'accorder une plus grande liberté à ces directeurs ; un ensemble de décisions doit être pris au niveau local (horaires, cadencement). Une relation de proximité doit voir le jour entre le directeur régional et la région. Cette réflexion n'est pas propre à la SNCF : elle a lieu dans toutes les anciennes grandes entreprises publiques. »


• Jean-Paul Denanot, président du conseil régional du Limousin :

« Les décisions sur les TER se prennent désormais au niveau régional. Il est nécessaire que le directeur régional prenne toutes les responsabilités. Or, il n'est pas sûr qu'il le souhaite. »

Ce n'est pas la mission de ce rapport que de s'immiscer dans l'organisation interne de la SNCF mais, comme toute institution de ce genre, celle-ci doit prendre en compte un processus de décentralisation qui ne concerne pas que l'Etat et les collectivités territoriales 30 ( * ) . Les expériences menées en Bretagne et en Limousin viennent à point nommé.

Il n'est pas certain qu'en interne une plus grande déconcentration soit souhaitée - y compris par les intéressés - mais nous voyons bien que le sens de l'histoire a quelques exigences. Le Directeur régional du fait de ces nouvelles fonctions doit avoir un profil différent du passé.

Le préfet de région dans la décentralisation :
un parallèle avec le pouvoir du directeur régional SNCF

La décentralisation s'est accompagnée d'un mouvement de déconcentration visant à renforcer, d'une part, les compétences des services déconcentrés de l'État et, d'autre part, les pouvoirs du préfet de région.

L'article 1 er du décret n°82-390 du 10 mai 1982 fait du préfet le représentant de l'État dans la région.

« Il est le représentant direct du Premier ministre et de chacun des ministres pour l'exercice de leurs compétences à l'échelon de la région ». En outre, aux termes de l'article 13 du même décret, il est le seul à avoir « la qualité pour recevoir les délégations des ministres chargés des administrations civiles de l'Etat ». Il dispose également de prérogatives importantes en matière budgétaire (unique second ordonnateur) et de gestion du patrimoine et hiérarchique.

À ce sujet, le deuxième alinéa de l'article 5 précise qu'il « dirige sous l'autorité de chacun des ministres concernés, les services extérieurs des administrations civiles de l'État dans la région. Il a autorité directe sur les chefs de services, les délégués ou correspondants de ces administrations, quelles que soient la nature et la durée des fonctions qu'ils exercent ».

Enfin, afin d'assurer son information, il est « destinataire de toutes les correspondances quelle qu'en soit la forme, émanant des administrations centrales et des services extérieurs de l'Etat dans le département, et adressées à la collectivité régionale ou à ses établissements publics, ainsi qu'aux services, organismes et agent relevant de l'État » (article 17).

La loi d'orientation n°92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République renforce le rôle des services déconcentrés. En effet, l'article 2 prévoit que « sont confiées aux administrations centrales les seules missions qui présentent un caractère national ou dont l'exécution, en vertu de la loi, ne peut être déléguée à un échelon territorial ». Ainsi, l'action au niveau du service déconcentré, devient, en principe, le niveau de droit commun.

L'article 1 er du décret n°97-34 du 15 janvier 1997 relatif à la déconcentration des décisions administratives individuelles donne aux préfets un pouvoir de prise de décisions administratives individuelles : « Les décisions administratives individuelles entrant dans le champ des compétences des administrations civiles de l'État, à l'exception de celles concernant les agents publics, sont prises par le préfet ».

En matière d'organisation des services, le décret n°99-896 du 20 octobre 1999 permet désormais au préfet d'arrêter « conformément aux orientations définies conjointement par les ministres intéressés et le ministre chargé de la réforme de l'État, et après avoir recueilli les propositions des chefs de service, l'organisation des services déconcentrés de l'État dans la région » .

Enfin, le décret n°2010-146 du 16 février 2010 donne autorité aux préfets de régions sur les préfets de département (article 2).

Toutefois, la déconcentration a, dans la pratique, fait l'objet d'une certaine réticence de la part des autorités centrales. Le rapport de la Cour des comptes de 2003 31 ( * ) rappelle qu'en 1995 un document de la direction générale de l'administration et de la fonction publique soulignait que la « déconcentration était loin d'être achevée et qu'elle se heurtait encore à de nombreux obstacles, touchant, d'une part aux procédures budgétaires et aux mode de gestion financière, d'autres part aux habitudes et modes de fonctionnement d'une administration qui reste marquée par une conception centralisatrice de l'action de l'État ».

En outre, malgré le décret du 17 janvier 1997 donnant compétence aux préfets en matière de décisions administratives individuelles, la Cour des comptes constate « des résistances » de la part de certaines administrations centrales. Elle donne notamment l'exemple des DRIRE où l'instruction des dossiers les plus sensibles en matière d'environnement industriel, remonte fréquemment à l'administration centrale.

Ce constat est également fait par le Gouvernement. Dans une circulaire du 8 janvier 2001 relative aux directives nationales d'orientation, il est souligné que les administrations centrales ne tirent pas pleinement les conséquences de la décentralisation. « Dans leur mode actuel, ces relations [entre administrations centrales et services déconcentrées] restent en effet trop souvent marquées par des habitudes anciennes, conduisant à un empilement de circulaires mal hiérarchisées, et plus volontiers consacrées à la description minutieuse de prescriptions de procédure qu'à la définition d'objectifs et à l'expression d'exigences en termes de résultats. C'est afin de mieux faire la part entre ce qui relève du pilotage central et ce qui doit être laissé à la responsabilité des autorités déconcentrées que je souhaite que ces dernières disposent désormais de véritables documents de référence fixant le cadre général de leur action dans un domaine déterminé ».

Enfin, la Cour des comptes met en avant que la déconcentration de la gestion des personnels reste en 2003 limitée.


* 30 Audition de M. Even, 17 avril 2013 : « Une réflexion de proximité doit voir le jour entre le directeur régional SNCF et la région. Cette réflexion n'est pas propre à la SNCF ; elle a lieu dans toutes les anciennes grandes entreprises publiques ».

* 31 La déconcentration des administrations et la réforme de l'État, Cour des Comptes, novembre 2003.

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