B. LE CONTRÔLE ET LA RÉGULATION DES ÉCO-ORGANISMES

1. Un manque de contrôle pointé du doigt par les principaux acteurs de la politique des déchets

Au cours des travaux de la mission, plusieurs difficultés tenant au manque de régulation et de contrôle des éco-organismes par les pouvoirs publics ont pu être constatées. Ce manque de régulation participe probablement de relations relativement tendues avec les collectivités territoriales, et également les industriels du déchet.

Il est généralement reproché aux éco-organismes d'agir en toute indépendance, hors de tout contrôle sérieux de l'État. Or, ils sont dans la plupart des cas en situation de monopole réglementaire pour le financement ou la gestion des flux de déchets soumis à REP. Cette situation avantageuse, justifiée, entre autre, par des objectifs environnementaux, devrait avoir pour corollaire un contrôle renforcé et constant. Force est de constater que ce n'est aujourd'hui pas le cas.

Plus généralement, l'éco-organisme doit demeurer un outil au service des pouvoirs publics, et pas seulement des entreprises, puisqu'il applique des lois. Il ne doit en aucun cas être au service de lui-même.

Dans un avis du 13 juillet 2012 concernant le secteur de la gestion des déchets couvert par le principe de la responsabilité élargie du producteur, l'Autorité de la concurrence s'est prononcée sur le respect des règles de la concurrence par les éco-organismes, et en particulier sur les risques qu'ils pouvaient faire peser sur le marché du traitement des déchets et sur celui de la vente des matières qui en sont issues. Elle était en l'espèce saisie par la Fédération nationale des activités de dépollution et d'environnement (FNADE). Elle conclut dans son avis que le rôle des éco-organismes est compatible avec le droit de la concurrence, mais que le pouvoir de structuration qui leur est conféré doit imposer certaines exigences de transparence.

Le pouvoir d'influence des éco-organismes est considérable : ils se trouvent sur le marché, face aux industriels et aux collectivités, en position de financeurs, prescripteurs, contrôleurs et donneurs d'ordre. Leur situation monopolistique a conduit à une forte concentration de la demande dans le secteur du traitement des déchets.

L'Autorité de la concurrence recommandait donc qu'une étude d'impact concurrentiel précède toute future création de filières REP, et que le contrôle de l'Etat et les obligations de transparence soient renforcés pour les éco-organismes.

2. La mauvaise régulation des éco-organismes : un frein pour la collecte des gisements et le développement de l'écoconception

Le manque de contrôle sur les filières contribue, entre autres causes, à ne pas collecter l'intégralité des gisements, et à ne pas percevoir toutes les contributions dues par les entreprises au titre des REP.

a) Les amendes administratives pour les entreprises non déclarantes

Certaines entreprises ne déclarent pas leurs gisements, ou pas en intégralité, ce qui conduit à une mauvaise collecte et à un sous-financement de la gestion des déchets dans certaines filières.

L'article L. 541-10 du code de l'environnement prévoit des amendes administratives envers les entreprises redevables et non-contributrices à la REP. Le non-respect de l'obligation de contribuer à la REP par une entreprise est comprise au sens large et inclut notamment « l'absence d'adhésion et de contrat avec l'éco-organisme, le non-paiement en totalité ou partiellement de l'éco-contribution, l'absence de déclaration, la déclaration inexacte » .

L'amende administrative est censée remplir une fonction répressive, pour pénaliser l'infraction, une fonction curative, pour que le metteur sur le marché contribue à la REP, et une fonction dissuasive, pour inciter l'ensemble des metteurs sur le marché à respecter leurs obligations.

La recherche et l'identification des non-contributeurs doivent être effectuées par l'éco-organisme, qui transmet les éléments nécessaires à l'instruction au ministère chargé de l'environnement. La direction générale de la prévention des risques instruit ensuite le dossier, qui débouche, le cas échéant, sur le prononcé d'une amende administrative.

Au-delà de l'amende, l'entreprise devra payer une éco-contribution de régularisation pour l'année en cours. En fonction des éco-organismes, elle devra également payer une éco-contribution pour les années antérieures.

En pratique, à l'heure actuelle, le contrôle opéré sur les entreprises non déclarantes est minimal. Ce contrôle devra être significativement renforcé. En effet, les modulations des éco-contributions en fonction de critères environnementaux ne peuvent être incitatives que si on améliore la collecte du gisement et la participation de toutes les entreprises concernées à leurs REP respectives.

Recommandation n° 12 : faire appliquer strictement la réglementation relative aux entreprises non déclarantes au sein de chaque filière, et majorer, le cas échéant, les amendes administratives encourues.

Au-delà des entreprises non déclarantes, les éco-organismes et le ministère devraient également contrôler de manière plus stricte le respect par les entreprises des critères d'éconconception de leurs produits déclarés.

Recommandation n° 13 : renforcer le contrôle du respect par les entreprises des critères d'écoconception des produits déclarés pour bénéficier des barèmes plus avantageux accordés aux produits écoconçus.

b) Le contrôle de la gestion financière des éco-organismes

A la suite du scandale autour des placements hasardeux d'Eco-Emballages en 2008, une réflexion a été engagée sur le contrôle de la gestion financière des éco-organismes. En effet, ce scandale était emblématique, non pas de la gestion globale des éco-organismes, dans la mesure où le cas semble isolé, mais bien de l'opacité dans laquelle ces structures opèrent, alors même que leur sont déléguées des missions qui s'apparentent à des missions de service public.

En réponse à ces événements, le rôle des censeurs d'État au sein de chaque filière a été renforcé.

À l'origine, la présence d'un censeur d'État au sein du conseil d'administration d'Eco-Emballages est la contrepartie d'un avantage fiscal. Il existe un décalage comptable structurel entre l'encaissement des contributions des industriels par l'éco-organisme et le versement des soutiens aux collectivités territoriales. Des excédents d'exploitation sont constatés. Ces excédents ne sont pas fiscalisés, conformément à un accord passé avec le ministre de l'économie et des finances en 1997. Ils sont passés dans le bilan des éco-organismes en provisions pour charges futures. La contrepartie en était la nomination d'un censeur d'État, dont le rôle était cependant mal défini.

Après la crise de 2008 chez Eco-Emballages, le rôle du censeur d'État a été précisé et inscrit dans la loi. L'article 46 de la loi Grenelle I prévoit qu'un censeur d'État assiste aux réunions du conseil d'administration des éco-organismes. Il peut demander communication de tout document lié à la gestion financière de l'organisme. En outre, l'éco-organisme ne peut procéder qu'à des placements sécurisés, dans des conditions validées par le conseil d'administration après information du censeur d'État. L'article L. 541-10 du code de l'environnement, issu de la loi Grenelle II, renvoie à un décret la définition des missions et modalités de désignation du censeur d'État.

Le décret du 19 avril 2011 prévoit que les fonctions de censeur d'État sont exercées par des membres du service du contrôle général économique et financier. Il doit veiller à ce que les éco-organismes disposent, pendant toute la durée de leur agrément, des capacités financières qui leur ont permis d'obtenir cet agrément. Le censeur d'État peut faire procéder à tout audit en rapport avec sa mission s'il l'estime nécessaire. De la même manière, il rend compte aux ministres chargés de l'écologie, de l'industrie et de la santé, dans un rapport, à chaque fois qu'il le juge nécessaire.

Le contrôle financier des éco-organismes est ainsi encadré strictement, et doit, en principe, prévenir la reproduction de crises passées.

c) Le contrôle du commerce en ligne

Les obligations issues des filières s'imposent à l'ensemble des fabricants, importateurs, distributeurs, plus largement metteurs sur le marché des produits concernés sur le territoire national. En pratique toutefois, certains metteurs sur le marché, par le biais de la vente à distance par internet , ne remplissent pas leurs obligations et s'exonèrent des contributions qu'ils devraient normalement verser aux éco-organismes. Ce phénomène est particulièrement sensible dans les filières des déchets d'équipements électriques et électroniques, des déchets d'ameublement, et du textile.

Ce contournement de la législation en vigueur met en péril la viabilité financière des filières de recyclage existantes, puisque ces produits qui n'ont pas contribué seront pourtant bien pris en charge dans les structures prévues par les filières. Ce non-respect de la réglementation fait en outre subir une distorsion de concurrence aux entreprises basées sur le territoire national, au profit d'entreprises basées à l'étranger.

Pour résoudre ce problème, une proposition, soutenue notamment par l'éco-organisme Eco-Mobilier, consisterait à exiger que tout vendeur par communication à distance établi dans un Etat membre de l'Union européenne et vendant des produits en France désigne un mandataire en France, qui assurerait les obligations du vendeur à distance et verserait les contributions dues sur les produits vendus.

Vos rapporteures, conscientes de la difficulté pratique à réglementer ce commerce transfrontalier, souscrivent néanmoins à la nécessité de trouver rapidement une solution à cette problématique, et de renforcer les moyens de contrôle de l'Etat sur ces entreprises non déclarantes basées à l'étranger et faisant du commerce en France.

Recommandation n° 14 : engager une réflexion, y compris au niveau européen, sur des mesures de contrôle du commerce en ligne afin de garantir une concurrence non faussée.

3. Renforcer le contrôle de l'Etat sur les filières REP

De manière générale, vos rapporteures ont acquis la conviction, au cours de leurs travaux, qu'il fallait renforcer le droit de regard de l'Etat sur les différentes filières REP. Malgré de nombreux efforts effectués ces dernières années et détaillés précédemment, une certaine opacité persiste, confortée par le manque de moyens de l'administration pour mener à bien sa mission de régulation et de contrôle.

Dans la mesure où le budget des différents éco-organismes dépasse aujourd'hui, et de loin, les moyens alloués par le ministère chargé de l'environnement et par l'ADEME à la politique des déchets et aux REP 21 ( * ) , une solution serait de faire contribuer les filières, à hauteur d'un prélèvement qui resterait modeste pour financer le contrôle.

Recommandation n° 15 : utiliser une partie des contributions perçues par les éco-organismes dans chaque filière, à hauteur de 1 % par exemple, pour financer un meilleur contrôle des éco-organismes. Le contrôle ainsi financé pourrait notamment porter sur le commerce en ligne et sur les non déclarants.


* 21 Pour donner un ordre de grandeur, les contributions financières recueillies par les filières REP atteignaient en 2011 un total de 926 millions d'euros. Ce chiffre est à mettre en lien avec les 193 millions d'euros dont disposait l'ADEME en autorisations d'engagement dans le cadre de la loi de finances pour 2013.

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