II. ... POUR DÉPASSER LES POINTS DE FRICTION

A. LE CONTENTIEUX AUPRÈS DE L'OMC

La Commission européenne a invoqué la baisse de 7 % des exportations d'automobiles vers la Russie en provenance de l'Union européenne pour justifier l'action annoncée le 9 juillet 2013 auprès de l'Organisation mondiale du commerce, contre une taxe de recyclage perçue en Russie depuis septembre 2012 sur les véhicules importés. Cette imposition nouvelle était motivée par une obligation introduite en droit russe à la charge des fabricants locaux d'automobiles, imposant à ces derniers de recycler gratuitement les voitures arrivées en fin de vie. Malgré des vertus écologiques, cette disposition fiscale semble contraire au droit de l'OMC.

L'Union européenne relève en particulier une forme de discrimination en l'absence de taxation des véhicules provenant de Biélorussie ou du Kazakhstan, membres de l'Union douanière eurasienne. Si l'article 24 de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 autorise les membres d'unions douanières à s'accorder mutuellement des avantages, mais à la condition que ces membres soient membres de l'OMC, ce qui n'est pas le cas de la Biélorussie, ni du Kazakhstan.

Le gouvernement russe avait auparavant présenté le 31 mai un projet de loi modifiant le dispositif de recyclage, afin que la taxe concerne aussi les producteurs installés en Russie, en Biélorussie et au Kazakhstan. Ce texte a finalement été adopté, une inflexion qui mérite d'être soulignée.

La plainte doit en outre être analysée à l'aune de la présence de l'industrie automobile européenne en Russie. Le groupe PSA est présent en Russie et au Kazakhstan. Volkswagen a annoncé en décembre 2012 vouloir ajouter 840 millions d'euros au milliard déjà investi sur place. Il existe donc un risque non négligeable de voir l'action engagée par l'Union européenne pénaliser en premier lieu des constructeurs européens...

Il convient de noter, que par mesure de rétorsion, la Russie souhaitait déposer en novembre 2013 un recours devant l'OMC concernant les droits de douane pratiqués par Bruxelles sur les produits métallurgiques et chimiques russes, qu'elle juge excessif. L'Union européenne applique de tels droits afin de compenser la faiblesse des prix de l'énergie dans le pays, estimant que ceux-ci, bien inférieurs à ceux pratiqués sur son territoire, constituent une forme de dumping .

B. LES VISAS

L'Union européenne et la Russie ont signé, le 25 mai 2006, à l'occasion du sommet de Sotchi un accord visant à faciliter la délivrance des visas de court séjour et un accord de réadmission des personnes en séjour irrégulier. Ces deux accords sont entrés en vigueur en juillet 2007.

L'accord sur les visas réduit les frais mis à charge des ressortissants russes : au lieu de 60 €, le coût du visa Schengen est ramené à 35 €, les titulaires d'un passeport diplomatique étant exemptés de visas. Les justificatifs sont simplifiés au profit de certaines catégories de voyageurs - délégations officielles, hommes d'affaires, journalistes, écoliers, scientifiques, artistes, sportifs - dont certaines bénéficient d'une suppression des frais.

Nonobstant cet accord, le premier du genre signé par l'Union européenne avec un pays tiers, la Russie souhaite obtenir une exemption totale de visas de court séjour . Pendant le séjour en Russie de vos rapporteurs, ce souhait leur a été systématiquement répété. Cette question n'a pas suscité, dans un premier temps, l'adhésion des États membres de l'Union européenne. La France s'est positionnée dès mars 2010 en faveur d'une exemption de visas, mais ses partenaires sont parfois réticents : l'Autriche, le Danemark ou les Pays-Bas ont mentionné les risques migratoires et sécuritaires induits par une telle mesure ; réservés en partie pour des raisons historiques, les États d'Europe centrale et orientale privilégiaient l'évolution en cours avec les pays du Partenariat oriental ; les craintes liées à la criminalité organisée russe ont pesé sur la position allemande.

Le sommet Union européenne - Russie du 7 novembre 2010 a néanmoins débouché sur un processus graduel destiné à avancer vers une suppression des visas de court séjour. Il s'agit d'élaborer une liste d'« étapes conjointes » devant permettre d'énoncer les critères, garanties et mécanismes de vérification permettant cette exemption. La formulation est particulièrement prudente. L'expression « feuille de route » régulièrement n'apparait pas ici, alors qu'elle est couramment utilisée dans ce type de procédures.

Les réticences de certains États membres continuent d'ailleurs de peser sur ce dispositif, comme en témoigne l'échec du sommet de Nijni Novgorod en juin 2011, qui aurait dû déboucher sur un accord énonçant les « étapes conjointes ». Celles-ci ont néanmoins pu être adoptées en décembre 2011. Leur mise en oeuvre devrait précéder l'ouverture de négociations en vue d'une exemption des visas, selon le « rapport de progrès 2012 » adopté par la Commission européenne dans le cadre du Partenariat pour la modernisation.

L'exemption totale des visas de court séjour est un objectif à atteindre si l'on souhaite réellement renforcer le partenariat entre la Russie et l'Union européenne. Elle écarterait de surcroît le sentiment russe d'être toujours moins bien traité que certains voisins, mais cette exemption ne peut être que progressive. La démarche retenue depuis décembre 2010 semble satisfaisante en son principe.

Il sera intéressant d'évaluer l'accord polono-russe portant sur l'enclave de Kaliningrad, située entre la Pologne et la Lituanie. Signé le 14 décembre 2011, il autorise les habitants de Kaliningrad à se rendre sans visa à Gdañsk et dans d'autres villes polonaises proches de la frontière. En échange, les Polonais habitant les voïvodies de Poméranie et de Varmie-Mazurie seront dispensés de visa russe pour se rendre dans l'enclave. Deux accords avaient au préalable permis de régler de manière satisfaisante la circulation des biens et des personnes à destination ou en provenance de l'enclave de Kaliningrad : conclu le 11 novembre 2002, l'accord sur les « documents de transit simplifié » exempte de visas Schengen les citoyens russes qui se rendent dans l'enclave ; depuis le 27 avril 2004, pour les marchandises transportées de Russie en Russie sont exemptés de droits de douane ou de transit.

L'intensification de la coopération entre la Russie et l'Union européenne en matière de lutte contre la criminalité organisée permettrait également de mieux appuyer le souhait russe de bénéficier d'une exemption complète pour les visas de court séjour. L'accord du 4 juin 2013 signé entre les deux partenaires sur la lutte contre le trafic de drogue va dans le bon sens .

Il convient enfin de relever que la Russie a annoncé vouloir exempter de visa de transit les voyageurs de plusieurs États membres de l'Union européenne pour un séjour de 72 heures maximum. Destiné à encourager le tourisme, cette suppression n'est valable que si le billet provient d'une compagnie aérienne russe. L'Autriche, la Belgique, l'Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, les Pays-Bas, la Pologne et le Royaume-Uni sont concernés.

Le thème des visas de court séjour a été le seul spontanément abordé par chacun des interlocuteurs - russes, français ou allemands - rencontrés en Russie par vos rapporteurs.

Ainsi, le vice-président de la commission des affaires étrangères de la Douma, M. Romanovitch, a cité l'exemple de la Croatie, pays où les Russes pouvaient se rendre sans visa tant qu'il n'était pas membre de l'Union européenne. Depuis que la Croatie applique le droit commun des États membres, un grand opérateur touristique russe a fait faillite car sa clientèle s'est largement réorientée vers d'autres destinations, extérieures à l'Union européenne. Symétriquement, la suppression des visas entre la Russie et le Mexique s'était traduite par une augmentation spectaculaire des touristes russes partant pour cette destination.

Les représentants d'entreprises françaises présentes à Saint-Pétersbourg ont attiré notre attention sur le rôle positif joué par les touristes russes dans l'économie de plusieurs pays de l'Union, dont l'intérêt n'est donc pas de tarir, ni même de réduire sensiblement ce flux. De son côté, la Russie ne dispose que d'un secteur touristique encore sous dimensionné, puisqu'il ne représente que 1,2 % de son PIB. La suppression bilatérale des visas favoriserait donc aussi l'essor d'une activité potentiellement dispersée sur le territoire, donc propice à la multiplication des contacts et des relations. Le rédacteur en chef du journal Russia in global affairs , M. Loukianov, nous a dit voir dans cet aspect des choses l'enjeu principal d'un régime sans visa.

Dans leur écrasante majorité, les touristes russes ne soulèvent aucune difficulté d'ordre public. La seule exception concernant les personnes originaires de Russie, mentionnée à vos rapporteurs par le chargé d'affaires à l'ambassade d'Allemagne, concerne les membres d'organisations mafieuses à base ethnique, à l'égard desquelles la procédure des visas n'est de toute manière pas la panacée.

En revanche, nous partageons l'opinion formulée par M. Marguélov, qui préside la commission des affaires étrangères au Conseil de la Fédération de Russie, ainsi que le groupe d'amitié Russie-France : « La suppression des visas entre la Russie et l'Union européenne est un sujet stratégique et politique : c'est la garantie qu'il n'y aura plus jamais de nouveau mur de Berlin, c'est un coup porté aux isolationnistes, c'est le mouvement vers une Europe sans ligne de démarcation ».

L'Union européenne veut que ses valeurs de civilisation à vocation universelle soient reconnues comme telles en Russie ? Elle a raison d'avoir cette ambition ! Elle aura encore plus raison si elle prend en compte le fait que s'ériger en donneur de leçons est souvent contre-productif. Ce qui compte, c'est de convaincre par l'exemple, donc de supprimer les obstacles aux contacts.

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