D. VALORISER L'INTERVENTION ÉCONOMIQUE

Le littoral est soumis à une pression foncière particulièrement forte. Les règles normatives issues de la loi Littoral limitent structurellement l'offre de terrains constructibles. L'État dispose également d'instruments de nature économique lui permettant d'intervenir sur la demande foncière ou d'exercer sa mission de régulation en orientant le signal-prix .

1. La politique foncière du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres

La politique d'aménagement du littoral repose sur deux piliers : le pilier normatif issu de la loi Littoral et le pilier économique qu'incarne le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres (CELRL). Cet opérateur a pour ambition de protéger la majeure partie du « tiers sauvage » des côtes , le reste de la protection étant assuré par les espaces naturels sensibles des départements et par les forêts domaniales de protection.

LE CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES (CELRL)

Créé en 1975, soit plus de dix ans avant l'adoption de la loi Littoral , cet établissement public de l'État est géré par un conseil d'administration composé pour moitié d'élus locaux et nationaux, assisté d'un conseil scientifique . Ses neufs conseils de rivages sont quant à eux composés exclusivement d'élus locaux.

Le Conservatoire intervient par le biais d'acquisitions foncières et exerce une mission de propriétaire : son objectif est de préserver les espaces naturels et paysages littoraux, et de les ouvrir au public. En effet, les pressions qui s'exercent sur le littoral sont telles que l'État ne peut se contenter d'un rôle de régulateur : il doit lui-même exercer un rôle actif dans sa préservation.

L'intervention foncière du Conservatoire est généralement justifiée lorsqu'un site est menacé par la dégradation, l'urbanisation ou la cabanisation, ou lorsque ce site mériterait d'être ouvert au public. Plusieurs moyens sont employés à des fins de maîtrise foncière : l'acquisition, les donations, les dations en paiement, et l'affectation du domaine public ou privé de l'État. L'acquisition résulte d'une transaction amiable dans 75 % des cas, mais l'usage d'un droit de préemption (délégué ou propre) ou le recours à l'expropriation sont parfois nécessaires.

En tant que propriétaire, le Conservatoire doit veiller au maintien ou à la restauration de l'équilibre écologique, à la mise en oeuvre des programmes de réhabilitation et d'aménagement, et au principe de libre accès du public aux rivages. En pratique, le Conservatoire est propriétaire mais pas gestionnaire. Au quotidien, 90 % des sites sont gérés par les collectivités territoriales (en priorité la commune), et parfois par des associations ou des établissements publics. Le Conservatoire met ainsi en place des conventions et plans de gestion, ainsi que des conventions d'usage avec plus de 700 agriculteurs ou aquaculteurs.

Pour assurer ses missions, le Conservatoire dispose d'un budget annuel de l'ordre de 50 M€ en moyenne sur la période récente . Sa principale ressource est une taxe perçue par les douanes sur les navires de plaisance et de sport : le droit annuel de francisation et de navigation (DAFN) lui procure 37 M€ de recettes depuis 2012. Le Conservatoire perçoit également entre 10 et 20 M€ de subventions et recettes propres. Ses moyens humains s'élèvent à 160 agents (120 ETP) auxquels s'ajoutent 900 gardes du littoral employés par les gestionnaires.

Le Conservatoire a vu ses missions progressivement élargies au domaine public maritime en 2002, aux zones humides des départements côtiers en 2005, aux estuaires, au domaine public fluvial et aux lacs à partir de 2009, et à la protection du patrimoine culturel du littoral en 2012, le transfert d'une soixantaine de phares étant prévu à terme.

Après 38 ans d'existence, l'efficacité de la politique foncière du Conservatoire n'est plus à démontrer . Au 1 er janvier 2013, 153 320 hectares sont placés sous sa protection (dont 86 261 en pleine propriété) : ils correspondent à 830 sites naturels protégés, représentant près de 1 500 km de rivages soit 13 % du linéaire côtier.

ÉVOLUTION DES SITES PROTÉGÉS PAR LE CONSERVATOIRE AU COURS DES QUINZE DERNIÈRES ANNÉES

Source : Observatoire national de la mer et du littoral

La stratégie 2005-2050 du Conservatoire lui assigne pour objectif l'acquisition de 200 000 hectares en métropole et de 70 000 hectares outre-mer . Dans un référé publié le 4 mars 2013, la Cour des comptes dénonce cependant le caractère irréaliste de cette stratégie, compte tenu des moyens actuels de l'opérateur. Pour atteindre ses objectifs, le Conservatoire doit en effet augmenter son rythme d'acquisition de terrains à hauteur de 5 200 hectares par an contre 3 000 hectares en moyenne jusqu'alors. En intégrant l'extension de ses missions et les charges de gestion du foncier acquis, la Cour des comptes calcule qu'un doublement des ressources du Conservatoire est nécessaire .

Dans un contexte budgétaire contraint, la Cour recommande une révision de la stratégie 2050, afin que les objectifs visés soient en adéquation avec les moyens de l'opérateur. Le Conservatoire a d'ores et déjà engagé une démarche de priorisation de ses interventions dans le cadre de la rédaction d'une stratégie intermédiaire à horizon 2030 . Le maintien d'une politique foncière ambitieuse sur le littoral nécessite également de nouvelles pistes de financement.

Vos rapporteurs souhaitent que soit étudiée l'introduction de servitudes environnementales comme outil alternatif à l'acquisition foncière par le Conservatoire , ce qui lui permettrait de poursuivre sa mission en mobilisant moins de fonds à surface constante. Le coût d'une servitude non ædificandi (ne pouvant recevoir un édifice) est en effet beaucoup moins élevé que celui d'une acquisition en pleine propriété. Le projet de loi-cadre pour la biodiversité, actuellement en préparation, pourrait offrir l'opportunité d'étendre la gamme des outils de maîtrise foncière à disposition du Conservatoire en créant, fût-ce à titre expérimental, un dispositif de servitude environnementale.

LA SERVITUDE ENVIRONNEMENTALE (« CONSERVATION EASEMENT »)

Ce concept juridique est apparu aux États-Unis dans les années 1960 où il s'est rapidement imposé comme un outil efficace du « système national de protection et conservation des paysages », avant d'être décliné dans d'autres pays de droit anglo-saxon puis romano-germanique (en Suisse par exemple).

Son principe repose sur une démarche volontaire : le propriétaire se prive lui-même de la possibilité de certaines plus-values futures liées à la vente de son terrain (par exemple parce qu'il est devenu constructible). En échange, la collectivité et/ou un organisme de protection de l'environnement peut lui proposer un dédommagement financier ou des avantages fiscaux . L'évaluation de la valeur de la servitude ainsi que les arrangements qui peuvent avoir lieu entre les parties (accords de renaturation, gestion de haies ou de milieux naturels, etc.) relèvent en général du droit privé.

S'agissant de droit privé, une servitude environnementale de conservation peut être attaquée et cassée devant un tribunal ou à la suite d'une déclaration d'intérêt publique, face à un autre projet qui serait considéré comme d'intérêt public supérieur . En général, elle ne pourra donc pas s'imposer à un grand projet d'infrastructure ou d'aménagement du territoire, validé après étude d'impact et enquête publique. Même dans ce cas, le dispositif conserve sa pertinence : il y a de fortes chances pour que sa valeur environnementale soit plus facilement prise en compte dans le calcul des mesures compensatoires, conservatoires ou restauratoires prises pour compenser ou limiter l'impact environnemental du projet.

En France, cette idée a été évoquée lors du Grenelle de l'environnement par le comité opérationnel (COMOP) « Trame verte et bleue ». La proposition n'a pas été retenue faute de temps et d'un consensus suffisant sur les modalités de mise en oeuvre d'un tel dispositif.

Vos rapporteurs souhaitent également que le transfert de la gestion du patrimoine des phares et balises décidé en 2012 soit assorti d'une stratégie financière plus lisible . Actuellement, le plafonnement du droit annuel de francisation et de navigation (DAFN) à 37 M€ par la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 limite les marges de manoeuvre pour le transfert de la cinquantaine de phares déjà identifiés. L'administration évalue actuellement avec plus de précision la charge financière que pourrait représenter ce transfert. Sur la base de ce diagnostic, des solutions financières complémentaires devront être rapidement proposées.

2. La régulation financière du littoral

L'instrument fiscal est mobilisé de longue date pour la préservation du patrimoine naturel du littoral. Les activités économiques traditionnelles ou propres au littoral ne sont pas en reste, puisqu'elles bénéficient d'un grand nombre de dépenses fiscales, à l'instar du crédit d'impôt pour les exploitants pratiquant l'agriculture biologique.

L'incitation financière est cependant sous-utilisée. Toute politique d'aménagement réclame un certain degré de solidarité fiscale . La loi Littoral ne fait pas exception à cette règle, la question de l'équité étant au coeur des critiques formulées à son encontre.

LES MESURES FISCALES EN FAVEUR DE LA PROTECTION DU LITTORAL

Le rapport d'étape du Comité pour la fiscalité écologique, publié le 18 juillet 2013, présente un panorama des mesures fiscales en faveur de la protection du littoral. Celles-ci ont peu évolué par rapport au recensement réalisé dans le cadre du Bilan de la loi Littoral et des mesures en faveur du littoral effectué en 2007. La plupart de ces mesures concernent les espaces remarquables, même si elles ne leur sont pas toujours spécifiques.

La loi n° 95-1346 du 30 décembre 1995 de finances pour 1996 a étendu la faculté de dation en paiement des droits de mutation à titre gratuit au profit du Conservatoire du littoral . Les contribuables pouvaient déjà acquitter leurs droits de mutation en remettant à l'État des oeuvres d'arts, des livres, des objets de collection et des documents de haute valeur artistique ou historique. Ils peuvent désormais le faire en remettant au Conservatoire des espaces naturels littoraux.

La loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement a instauré une taxe « sur les passages maritimes à destination d'espaces naturels » . Elle est ajoutée au prix payé par les passagers embarqués à destination d'un site naturel classé, d'un parc nationale, d'une réserve naturelle, d'un site protégé par le Conservatoire du littoral ou d'un port desservant l'un de ces espaces. Pour 2013, le tarif est fixé à 7  % du prix hors taxes du titre de transport aller, dans la limite de 1,60 € par passager. Cette taxe est perçue au profit de la personne publique qui assure la gestion de l'espace naturel protégé ou, à défaut, de la commune sur laquelle cet espace se trouve.

La loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a introduit une exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties des zones humides et des sites Natura 2000 , pour une durée de cinq ans renouvelable.

La loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 et la loi n° 2006-436 du 14 avril 2006 relative aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux ont introduit des dispositions ciblant spécifiquement les espaces remarquables :

- une exonération à hauteur de 75 % des droits de mutation à titre gratuit à condition que l'héritier s'engage à préserver l'espace pendant les dix-huit années suivant la succession ;

- une déduction des frais de restauration et de gros entretien de ces espaces au titre des revenus fonciers déclarés par leurs propriétaires ;

- la possibilité de déduire du revenu global les dépenses afférentes à la préservation des espaces naturels remarquables si ces derniers ont reçu le label de la Fondation du Patrimoine.

Ces deux dernières possibilités sont aujourd'hui remplacées par une réduction d'impôt de 18  % dans la limite d'un plafond annuel de 10 000 euros.

Enfin, le droit annuel de francisation et de navigation (DAFN) perçu au bénéfice du Conservatoire du littoral a fait l'objet de plusieurs aménagements. Son verdissement s'est accéléré à la suite des Grenelle de la Mer et de l'Environnement, les possibilités d'exonération étant réduites depuis 2012.

a) La compensation des effets pervers par un mécanisme de péréquation

La loi Littoral est accusée, à juste titre, de pénaliser les plus vertueux. Seul un mécanisme de péréquation pourrait permettre de compenser cet effet pervers .

Il s'agit en effet de prendre en compte la contribution environnementale de certaines communes « préservées »  mais qui supportent, avec de faibles rentrées fiscales, le poids d'une forte attractivité, par rapport à d'autres qui poursuivent leur développement générateur de richesses (urbanisation, hébergements touristiques). La compensation financière des charges liées à la protection est ainsi justifiée par le fait que les communes avoisinantes tirent bénéfice des espaces naturels en matière de tourisme ou d'agrément pour leurs habitants, sans avoir à en supporter les charges . Cette compensation s'apparente davantage à un juste retour sur investissement de la protection environnementale.

Cette réflexion dépasse le seul champ de la loi Littoral. A terme, elle s'inscrit dans le cadre de la mise en place d'une fiscalité environnementale destinée à générer des ressources pour les territoires qui font le choix de la protection « éco-environnementale » rendant ainsi des services « éco-systémiques » aux territoires voisins.

En attendant que le cadre fiscal de la transition environnementale soit clairement établi, vos rapporteurs préconisent de s'appuyer sur les instruments existants : ils suggèrent d' intégrer un indicateur de protection dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des communes littorales. A l'heure actuelle, la DGF des collectivités est essentiellement assise sur la superficie et la population : elle ne permet pas de récompenser les communes les plus vertueuses. Son mode de calcul pourrait inclure une composante proportionnelle au taux d'artificialisation des sols des communes littorales . Les communes les plus urbanisées contribueraient ainsi au financement de celles dont le front bâti est peu étendu.

Des solutions similaires ont déjà été mises en oeuvre dans d'autres contextes. Ainsi, la loi n° 2006-436 du 14 avril 2006 relative aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux a introduit un critère supplémentaire dans le calcul de la DGF au bénéfice des communes situées dans un parc national. Ce critère est fonction de la part de la superficie de la commune comprise dans le périmètre d'un parc national, cette part étant doublée pour le calcul de la dotation lorsque cette superficie dépasse 5 000 kilomètres carrés. À partir du moment où de telles dérogations existent, la mission estime indispensable que la politique d'aménagement du littoral puisse s'appuyer sur un mécanisme de péréquation via la DGF. L'argument fondé sur l'introduction d'un degré supplémentaire de complexité ne lui paraît pas fondé , dans la mesure où le calcul de la DGF est déjà dénoncé pour son opacité.

b) Le lissage des effets de bord par une mutualisation de la rente foncière

Le droit de l'urbanisme repose entièrement sur une démarche de zonage. Dans les secteurs où la pression foncière est forte, ce fonctionnement induit des disparités considérables : la valeur d'un terrain varie fortement en fonction du classement qui lui est attribué . Bien que les choix de zonage résultent en principe de critères objectifs et d'analyses approfondies, l'existence d'effets de seuil pèse sur l'acceptabilité sociale des documents d'urbanisme. Ce problème dépasse le seul cadre du littoral, mais il est exacerbé par la pression foncière particulière qu'il subit . Le classement de terrains à l'urbanisation, dans des sites fortement demandés, crée des plus-values considérables sur le foncier.

Vos rapporteurs préconisent d' introduire une mesure de lissage de l'impact des choix de zonage sur les prix du foncier en s'inspirant, par exemple, du dispositif de transfert de coefficient d'occupation des sols de l'article L. 123-4 du code de l'urbanisme. Concrètement, il s'agirait d'atténuer les effets de seuil : l'écart de prix entre deux terrains voisins, l'un étant classé constructible et l'autre non, pourrait être réduit par un partage local de la rente foncière. La charge de la préservation des espaces naturels littoraux serait ainsi mieux répartie sur l'ensemble des parcelles de la commune ou de l'intercommunalité.

LE TRANSFERT DES DROITS À CONSTRUIRE

Cette technique permet d'orienter l'aménagement sur une partie du territoire de la commune. Elle repose sur un principe d'échange de droits entre une zone réceptrice (peu étendue) sur laquelle il est convenu de développer l'urbanisation, et une zone émettrice (beaucoup plus vaste) fermée à l'urbanisation. Pour que les propriétaires de la zone réceptrice puissent construire, ils doivent acquérir des droits auprès des propriétaires de la zone émettrice. Ce transfert s'accompagne d'une servitude d'inconstructibilité de l'espace émetteur vidé de ses droits. Cette servitude ne peut être levée que par décret pris sur avis conforme du Conseil d'État.

Ce mécanisme économique vise à freiner la course à la constructibilité des terrains en répartissant la plus-value issue de la déclaration de constructibilité. Les propriétaires de la zone émettrice, dont le terrain devient inconstructible, bénéficient de la plus-value issue de la constructibilité de la zone réceptrice , par le biais du rachat des droits. Outre la lutte contre la spéculation, ce dispositif permet d'orienter l'aménagement à long terme. Ce système sécurise la protection d'espaces puisque les territoires vidés de leurs droits sont définitivement inconstructibles. Il s'agit donc d'un moyen de densification et de lutte contre la consommation de nouveaux espaces.

Cette modalité d'aménagement a été introduite par la loi n° 75-1328 du 31 décembre 1975 portant réforme de la politique foncière (« loi Galley ») sous le nom de « transferts de droits à bâtir ». Elle a été réservée à certains secteurs précis, notamment pour organiser les grandes opérations immobilières à Paris et dans les stations de ski. Ce mécanisme a été peu utilisé en pratique, en raison notamment de la complexité des réglages à opérer pour que le système puisse fonctionner et qu'un véritable marché s'organise. Pourtant, il s'est révélé efficace dans les quelques communes qui l'ont mis en oeuvre .

Dans le cadre du Grenelle de la mer, l'ordonnance n° 2010-638 du 10 juin 2010 a réintroduit un dispositif de « transfert de coefficient d'occupation des sols (COS) » pour les zones naturelles, codifié à l'article L. 123-4 du code de l'urbanisme. Ses dispositions sont entrées en vigueur au 1 er janvier 2013. Le retour d'expérience est pour le moment limité.

Cette solution conduirait également à réduire l'instabilité financière qui résulte structurellement de la loi Littoral : chaque modification de ses dispositions entraîne en effet des conséquences financières qu'il est difficile de maîtriser. L'élaboration des documents de planification qui en déclinent l'application à l'échelle locale serait également facilitée.

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