Audition de M. Yves Fouquet, spécialiste des ressources minérales marines profondes à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER)

M. Serge Larcher, président

Mes chers collègues, nous auditionnons M. Yves Fouquet, spécialiste des ressources minérales marines profondes à l'IFREMER. Je lui cède tout de suite la parole.

M. Yves Fouquet, spécialiste des ressources marines profondes à l'IFREMER

Je vous remercie de m'avoir invité. Géologue, je travaille sur les grands fonds marins depuis 1982. J'ai fait une thèse sur les ressources minérales terrestres et j'ai travaillé au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) : j'ai mené des explorations terrestres essentiellement au Gabon. Je suis donc initialement un « terrien » mais je travaille sur les océans depuis de nombreuses années.

Je vais commencer mon propos par une courte introduction pour bien préciser le sujet. J'évoquerai ensuite le contexte international. Je montrerai enfin les potentialités des zones économiques exclusives (ZEE) françaises.

Pourquoi s'intéresser aux océans ? Les océans recouvrent deux tiers de la planète. Près de 60 % des océans sont à plus de 2 000 mètres de profondeur. Les explorations scientifiques des grands fonds ont conduit à la découverte de certains types de minéralisation. L'intérêt des océans n'est pas de remplacer les continents en termes de ressources, mais ils peuvent permettre la diversification des sources d'approvisionnement. Depuis quelques années, dans le contexte de l'augmentation de la demande au niveau mondial, l'industrie s'intéresse à ces connaissances scientifiques sur les grands fonds.

On peut relever plusieurs contextes dans lesquels les différents types de minéralisation peuvent se former. Ma présentation n'évoquera pas le contexte du plateau continental, dans lequel on trouve des sables, des graviers ou des minéraux lourds. On a ensuite le talus continental et les grands fonds, avec les zones sédimentaires et la croûte océanique, essentiellement volcanique. Dans les plaines abyssales, on trouve les nodules, les encroûtements et, éventuellement, les sédiments métallifères qui peuvent contenir de petites concentrations de terres rares. Dans la partie volcanique, on trouve les amas sulfurés associés aux sources hydrothermales.

Les nodules sont des boules d'une dizaine de centimètres de diamètre qui peuvent tapisser les fonds océaniques, en particulier dans les zones éloignées des continents. Ils se situent à environ 4 000 mètres de profondeur.

À des profondeurs moindres, entre 1 000 et 3 000 mètres, on peut trouver les encroûtements de manganèse qui, contrairement aux nodules, se forment sur tout substrat dur, comme des anciens volcans ou des atolls immergés. Il s'agit de croûtes noires, qui peuvent faire de 10 à 20 cm d'épaisseur.

Le troisième des principaux groupes de minéralisations est celui des sulfures hydrothermaux : ces sites se situent entre 1 000 et 5 000 mètres de profondeur et se présentent sous forme de cheminées hydrothermales.

S'agissant de la composition de ces minéralisations, les nodules sont composés essentiellement de manganèse et de fer. Ils peuvent aussi contenir - il s'agit des éléments intéressants - du nickel, du cobalt et du cuivre (en moyenne à hauteur de 2 %). Les encroûtements contiennent également une dominante de fer et de manganèse, mais également 0,7 % de cobalt en moyenne. Ils sont donc plus riches que les nodules. Il ne s'agit par ailleurs que d'une moyenne et certaines zones sont beaucoup plus enrichies. Les sulfures hydrothermaux sont constitués d'une combinaison de souffre et de métaux, avec, en moyenne 11 % de zinc et 5 % de cuivre. Ce sont donc des composés plutôt riches.

À côté de ces métaux de base, on peut trouver d'autres métaux : des encroûtements enrichis en platine, tellure ou nickel ; pour ce qui concerne les sulfures, on peut trouver des concentrations en métaux précieux, en or et en argent, mais aussi du plomb ou du cobalt, ou encore des métaux plus rares comme le germanium.

Quelles sont les dimensions de ces différents objets ? La zone la plus intéressante en matière de nodules, qui fait l'objet aujourd'hui de permis miniers dans les zones internationales, se situe au milieu de l'océan Pacifique. Il s'agit d'une zone très étendue, de plusieurs milliers de kilomètres carrés. Pour ce qui concerne les amas sulfurés, l'extension ne comprend que quelques centaines de mètres. Ces objets sont donc tout à fait différents des nodules en termes de nature, de richesse et d'extension.

Depuis plusieurs années, on constate un certain engouement pour ces ressources marines profondes. À partir 1978, date de découverte des premières sources hydrothermales au large du Mexique, de nombreuses campagnes d'exploration ont eu lieu dans l'Est du Pacifique. De nombreux sites hydrothermaux ont été découverts dans les années 80. À la fin des années 1980 et au début des années 90, des actions d'exploration ont été menées dans le Sud-ouest du Pacifique et ont permis la découverte d'autres sites hydrothermaux. Plus récemment, à la fin des années 90 et dans les années 2000, des actions ont eu lieu dans l'Atlantique, notamment dans le cadre de programmes européens, essentiellement dans la ZEE des Açores. Dans le Pacifique-Est, la France coopère avec l'Allemagne, les États-Unis et le Canada. Dans le Sud-ouest du Pacifique, des coopérations ont existé avec l'Allemagne et le Japon.

Il y a donc des enjeux scientifiques, à la fois en géosciences mais aussi en biologie, des enjeux environnementaux - de connaissance de la biodiversité et des écosystèmes des grands fonds marins - ; des enjeux économiques et technologiques car, pour explorer et exploiter, il faut faire évoluer les technologies. Il y a bien sûr également des enjeux juridiques, des enjeux géopolitiques liés à la diversification des sources d'approvisionnement. Enfin, il y a des enjeux d'éducation et de formation.

Je souhaite maintenant dresser l'état des lieux au niveau mondial.

S'agissant des ZEE des États, on a des permis d'exploration par exemple dans le Sud-ouest Pacifique et dans les zones japonaises. En 2010 et 2011, des permis d'exploitation ont été délivrés en Papouasie et en mer Rouge. Ainsi, à horizon de plusieurs années, il pourrait y avoir de l'exploitation.

Le domaine international est géré par l'Agence internationale des fonds marins (AIFM), liée à l'ONU. Une législation internationale s'est mise en place progressivement : au début des années 2000 pour les nodules et en 2010 pour les sulfures hydrothermaux. La législation sur les encroûtements est en cours de discussion et pourrait être adoptée l'année prochaine.

Cette législation a conduit au dépôt de permis d'exploration, notamment pour la zone au large du Mexique. La France a un permis dans cette zone, tout comme l'Allemagne. Des groupes privés ont également obtenu des permis dans cette zone particulièrement intéressante en matière de nodules. Dans l'Océan Indien, l'Inde a obtenu un permis dans une zone nodulée.

S'agissant des sulfures, quelques heures après la validation de la législation, la Chine a déposé un dossier. Elle détient aujourd'hui un permis dans l'Océan Indien, à la pointe Sud-est de l'Afrique. La Russie a obtenu un permis dans l'Atlantique. La France envisage de déposer une demande de permis au Nord de la zone russe dans l'Océan Atlantique. Ce permis est en cours de discussion. La Corée a obtenu un permis dans l'Océan Indien. On sait par ailleurs que le Brésil se mobilise sur ce sujet et a la volonté de déposer un permis dans l'Atlantique, au Sud du permis russe. On soupçonne enfin que les Chinois souhaitent déposer un nouveau dossier pour l'Atlantique Sud.

S'agissant des encroûtements cobaltifères, le Japon et la Chine souhaiteront très certainement déposer des permis quand la législation sera déposée.

Comme vous le voyez, il y a une vraie dynamique en termes de dépôt de dossiers par les différents pays.

Mme Catherine Tasca

Quelle est la nature exacte de ces permis ? S'agit-il de permis exclusifs et quelle durée couvrent-ils ?

M. Yves Fouquet

Dans les zones internationales, ce sont des permis exclusifs délivrés pour 15 ans. Des rapports doivent être produits chaque année pour indiquer les travaux réalisés sur la base de ces permis.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Vous parlez bien de l'Autorité des fonds marins qui est basée à Kingston, en Jamaïque ?

M. Yves Fouquet

Oui, c'est bien cela !

M. Serge Larcher, président

N'est-elle pas à Montego Bay ?

M. Yves Fouquet

L'Autorité est basée à Kingston, mais la convention qui régit le droit de la mer a été signée à Montego Bay.

Pour terminer, je souhaite apporter un éclairage sur le potentiel de nos ZEE.

Ces zones font à peu près 11 millions de kilomètres carrés, une grande partie étant située en Polynésie, mais aussi autour des îles Kerguelen, Crozet et Saint-Paul et en Nouvelle-Calédonie.

Du point de vue hydrothermal, on connaît certains indices aux Antilles, un potentiel existe près de Clipperton tout comme autour des volcans actifs de Polynésie. Une amorce d'exploration a été lancée avec succès à Wallis-et-Futuna. Il pourrait également y avoir un potentiel autour des volcans actifs en Nouvelle-Calédonie. Pour avoir des minéralisations de ce type, il faut des températures de 300 ou 400 degrés pour le cuivre et 150 ou 200 degrés pour le zinc, ce qui n'est possible qu'en grande profondeur.

Pour les oxydes de manganèse, on en a découvert aux Kerguelen, un potentiel existe du côté des îles Éparses mais il reste à explorer. Quelques jalons existent en Nouvelle-Calédonie. Des actions d'exploration ont été menées en Polynésie française il y a plus d'une vingtaine d'années. On y a démontré l'existence de croûtes intéressantes : les zones les plus enrichies en cobalt sont, au niveau mondial, en Polynésie. À Wallis-et-Futuna, des opérations préliminaires ont été menées et ont conduit à la découverte de croûtes entre 500 et 1 500 mètres.

S'agissant enfin des nodules, beaucoup d'explorations ont eu lieu dans le Pacifique. Quelques nodules sont connus du côté de Clipperton ou de la Polynésie. Les nodules étant loin des îles, les zones intéressantes sont plutôt dans les zones internationales.

Enfin, je souhaite souligner que, au cours des deux dernières années, des campagnes d'exploration ont été menées dans la ZEE de Wallis-et-Futuna. On n'avait jusqu'alors pas de cartes hydrographiques : dans beaucoup de ces zones, il faut donc faire les cartes. On s'est focalisé sur les zones volcaniques actives : on a mené des explorations scientifiques pour retrouver des indices, c'est-à-dire un processus conduisant à la concentration de métaux. Ces explorations, financées par l'État français, par l'IFREMER mais aussi par les groupes privés comme ERAMET, ont été fructueuses puisque des indices ont été trouvés.

Il y a donc un réel potentiel et un contexte mondial qui montre que beaucoup de choses se passent dans ce domaine.

M. Serge Larcher, président

Merci pour votre excellente présentation ! Nous aurions peut-être dû commencer par vous auditionner.

M. Yves Fouquet

Une réflexion nationale a été menée en 2010 sur les ressources minérales marines. Cela a abouti à un document qui a été publié récemment, analysant le sujet et ayant une approche prospective. Certaines conclusions ont été reprises par le Comité interministériel de la mer de l'année dernière. Elles font aujourd'hui l'objet de discussions au niveau ministériel.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Merci pour cet exposé ! Notre compréhension est redessinée s'agissant du contexte mondial. Votre exposé démontre que les choses bougent en ce moment.

M. Yves Fouquet

Pour ce qui concerne les ressources minérales marines, je suis le seul spécialiste en France. Je travaille depuis 30 ans sur ce sujet. Si beaucoup d'efforts ont été faits par la France dans les années 70, les spécialistes de l'époque sont aujourd'hui en retraite. Le dernier spécialiste des nodules part en retraite dans six mois et ne sera pas remplacé : il n'y aura alors plus de mémoire.

Il y a un vrai engouement en matière de ressources minérales profondes. Il faut cependant faire passer la bonne information : ce n'est pas l'Eldorado, mais il y a un vrai potentiel.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Vous avez évoqué la législation internationale. Nous sommes en train de réformer notre code minier. La France n'est-elle pas en retard en matière de législation ? Par ailleurs notre législation nationale est-elle cohérente avec la législation internationale ?

M. Yves Fouquet

Je ne suis pas juriste, mais je connais les discussions actuelles sur le code minier.

Quand on regarde les critères retenus pour le programme Extraplac, il s'agit de questions de pente ou d'épaisseur de sédiments, critères qui m'ont toujours paru orientés sur la recherche de pétrole. Je pense que, pour la mise en place de législations, il est important de connaître le potentiel des ZEE. S'agissant de la France, ne faisons pas l'erreur d'instituer des critères orientés par les pétroliers n'ayant aucune connaissance des objets minéralisés. Les juristes et les scientifiques doivent discuter ensemble.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

J'ai le sentiment que les opérateurs industriels sont encore un peu timides. Quelles sont les ressources minérales profondes qui auraient un intérêt stratégique majeur pour les prochaines années ?

M. Yves Fouquet

C'est une question délicate. Cela dépend des éléments qui seront stratégiques dans 20 ou 30 ans. L'exemple très médiatisé, ce sont les terres rares : c'est un groupe chimique très particulier. C'est un élément stratégique du fait du monopole de la Chine. Mais d'autres éléments comme l'indium ou le germanium, qui ne sont pas des terres rares, sont également stratégiques.

On évoque beaucoup les terres rares, notamment suite à un article d'une université japonaise évoquant la Polynésie française. Or, en Polynésie, les sédiments concernés sont en grande profondeur et les concentrations sont limitées. Les mines chinoises ont des taux de concentration plus importants. Il faut donc rester objectif. Pour la Polynésie française, il convient de faire des explorations plus poussées, en cherchant des concentrations dépassant la moyenne.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Merci pour cette présentation très intéressante et très instructive.

La technologie des forages d'exploration est-elle au point ? D'où viennent les outils de forage ? Sont-ils le produit de nos propres industries ? Qui détient les savoir-faire ? Comment avez-vous vécu ces forages ?

De nombreuses nations s'intéressent aux ressources minérales marines et déposent des permis. Les Français ont été les pionniers : notre pays perd-il son avance scientifique en matière d'exploration ? Certaines opportunités qu'il ne faudrait pas manquer existent-elles aujourd'hui ?

Comment peut-on fédérer les intérêts industriels, techniques et scientifiques pour que la France prenne toute sa place au plan international ?

M. Yves Fouquet

La France est très bien placée en matière de connaissance scientifique, du fait de l'effort fait au cours des années 1970. Le permis de nodules français est situé dans la zone où la densité est la plus importante. La France a été considérée comme explorateur pionnier en matière de nodules et, en matière de sources hydrothermales, elle a été le découvreur en 1978 et reste bien placée.

Pour autant, la France était bien placée dans les années 1970-1980 car elle disposait de la technologie. À la fin des années 1980, les sous-marins japonais et russes sont apparus. Avec les actuels engins téléopérés, la technologie s'est démocratisée, avec les allemands, les portugais, les canadiens, les japonais... La Chine a testé cet été son sous-marin habité, qui peut plonger le plus profond au monde. Il y a également des pays très dynamiques comme l'Inde ou la Corée.

Dans ce domaine existe une vraie volonté politique en Chine et en Corée. Il faut ensuite aussi les moyens et les technologies.

L'Europe a, au contraire, délaissé le Pacifique au cours des dix dernières années. En France, on ne compte que cinq ou six personnes qui travaillent sur ce sujet.

Les industriels ont pris des risques pour la phase d'exploration à Wallis-et-Futuna et cette phase a permis la découverte d'indices intéressants. Dans mon équipe, trois personnes partent en retraite dans l'année qui vient. La France est donc certes bien positionnée de par la durée de la recherche et de par la technologie, mais on arrive à la limite de crédibilité : la France ne dispose plus des masses critiques pour mener tout de front. Notre pays a développé de bonnes coopérations avec la Russie dans l'Atlantique. Au Brésil, une vraie volonté politique existe et les moyens sont là, mais les chercheurs sont encore ignorants : une volonté de coopération avec la France existe. Si la France ne le fait pas, les Chinois y sont prêts.

Mme Catherine Tasca

S'agissant de la campagne de Wallis-et-Futuna, j'ai été étonnée de vous entendre évoquer un problème de cartographie. Cela concerne-t-il beaucoup de territoires ? Y a-t-il une planification des campagnes de cartographie ?

M. Yves Fouquet

Non, pour l'instant, le seul programme planifié est celui relatif à l'extension du plateau continental. Pour autant, il ne suffit pas de faire des cartes, il faut aussi établir un inventaire des indices minéralisés. Cette démarche n'est pas lancée et il n'existe par ailleurs pas de stratégie de financement.

Les zones clés pour notre pays sont, dans le fil d'une stratégie nationale, l'axe France-Brésil, mais aussi le permis de la France dans l'Atlantique et le permis pour les nodules. Les actions semblables à celle menée à Wallis-et-Futuna sont intéressantes et peuvent être un exemple. Il faut donc de l'argent et, surtout, des bras.

Mme Catherine Tasca

Ou des têtes !

M. Yves Fouquet

S'agissant des technologies, pour les sulfures, il y a des choses à développer du point de vue des équipements de forage. Il y a les outils géophysiques, de méthode indirecte. Il y a également des technologies à développer pour la surveillance de l'environnement.

M. Serge Larcher, président

Nous vous remercions pour votre contribution d'aujourd'hui, qui nous permet d'y voir un peu plus clair. Les opérateurs industriels nous avaient plutôt inquiétés, en minorant l'intérêt de ces richesses minérales, estimant qu'elles étaient inexploitables du fait de la profondeur ou du manque de technologies appropriées et que, d'autre part, il y avait suffisamment de minerais et de terres rares sur les continents.

M. Yves Fouquet

Certes, mais il faut diversifier les ressources d'approvisionnement !

M. Serge Larcher, président

Ils estiment par ailleurs qu'il existe peut-être des minerais riches à des profondeurs moindres. Enfin, ils soulignent que le mode d'exploitation conduirait à nuire à l'environnement.

M. Yves Fouquet

Le point important est déjà de savoir ce qui existe.

M. Serge Larcher, président

Il faut donc faire l'inventaire de toutes ces possibilités.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page