Audition de M. Julien Denègre, Business development manager, Département Mines, Métaux, Défense nucléaire, TECHNIP

M. Serge Larcher, président

Je souhaite la bienvenue à M. Julien Denègre, Business Development Manager, dans le département Mines et métaux de Technip. Quels sont les enjeux des ZEE pour la France et l'Europe ?

M. Julien Denègre, Business Development Manager, Mines et métaux, Technip

Je suis responsable commercial de la branche Mines et métaux du groupe Technip, société d'origine française créée en 1958 par l'Institut français du pétrole, à l'initiative du général de Gaulle. Notre coeur de métier est l'ingénierie et la construction de grands projets dans le domaine de l'énergie pour des sociétés minières comme ERAMET et AREVA, et des groupes pétroliers, comme Total, Shell, BP. Nous ne sommes pas opérateurs nous-mêmes. Notre chiffre d'affaires atteignait 7 milliards d'euros en 2011 ; nous employons 32 000 personnes dont 4 500 en France. Notre groupe est donc très international. Nos trois segments sont les activités sous-marines, les activités de surface en mer, et les activités terrestres.

Nous n'avons pas d'activité en mer dans la ZEE française autre que le projet de Wallis-et-Futuna ; nous l'avons commencé en 2010, en partenariat avec l'IFREMER et ERAMET. Notre unique projet en outre-mer, qui a atteint le stade de l'exploitation, est à terre. il concerne l'exploitation du nickel en Nouvelle-Calédonie. Nous travaillons par ailleurs, dans cette région du monde, en Australie et en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Nous sommes très exposés à la concurrence européenne, américaine, sud-asiatique, chinoise. Nous sommes pionniers pour l'activité minière sous-marine, pour laquelle nos concurrents sont néerlandais, car les Pays-Bas ont une forte culture des métiers du dragage.

Enfin, pour répondre à une question que vous m'avez posée par écrit, n'étant pas « miniers » nous-mêmes, nous ne sommes pas impliqués dans la réforme du code minier. Nous apportons des solutions d'exploitation à nos clients : nous construisons des usines, à terre comme en mer. Une fois l'usine terminée, nous n'intervenons plus, ni dans la maintenance, ni dans l'opération. Nous ne cherchons pas à rentrer dans ces activités, car nous deviendrions concurrents de nos clients.

M. Serge Larcher, président

Avez-vous des projets en Guyane ?

M. Julien Denègre

Non. Si Total ou Shell nous demandait de construire une usine ou une plateforme, nous le ferions. Mais nous ne sommes pas concessionnaires d'un permis d'exploitation de pétrole, que ce soit en Guyane ou ailleurs.

S'agissant de l'état des lieux des campagnes, l'IFREMER a réalisé trois campagnes en mer à Wallis-et-Futuna, qui étaient essentiellement des campagnes d'exploration. Nous n'en sommes pas encore à l'exploitation, ni même aux études d'ingénierie.

Nous travaillons par ailleurs sur des projets qui en sont au stade de l'exploitation de minerais en eau profonde ou peu profonde, pour des compagnies australiennes, canadiennes, sud-africaines ou japonaises. Nous avons réalisé des études et des systèmes permettant l'exploitation de minerais en eau peu profonde ou très profonde. Jusqu'à 3 000 mètres, la profondeur est considérée comme accessible. De 4 000 à 6 000, c'est difficile, mais nous y viendrons un jour. D'autres projets sont beaucoup plus accessibles : le phosphate par exemple, est à une profondeur de 200 à 400 mètres seulement. En Nouvelle-Zélande ou aux Fidji, où l'eau est peu profonde, les solutions mises en oeuvre consistent dans le dragage.

À l'inverse, à Wallis-et-Futuna, le système déployé est très proche des systèmes pétroliers très profonds, dans des conditions extrêmes.

Nous travaillons aussi avec Nautilus en Papouasie. Nous avons également travaillé pour le compte d'un consortium japonais.

À l'instar des Français, les Japonais cherchent à valoriser les minerais qui se trouvent dans leur ZEE. Les Coréens, qui n'ont pas de ressources dans leurs eaux, vont explorer ailleurs. Ils ont des concessions aux Îles Tonga où ils cherchent à mettre en place un pilote. C'est ce que nous avons fait à Wallis-et-Futuna : nous avons mis en commun les expertises nationales de l'IFREMER et d'ERAMET. Nous avons les savoir-faire, que nous associons, à l'image de ce que feront bientôt les Brésiliens et de ce que font déjà les Russes.

M. Serge Larcher, président

Quels pourraient être les scénarios de prospective à moyen et long termes dans nos ZEE ?

M. Julien Denègre

Nous avons la chance d'avoir une immense ZEE. Technip a choisi de commencer par Futuna car nous savions qu'il était très probable que nous y trouverions des amas sulfurés. C'est aujourd'hui la ressource la plus convoitée. Nous savons aussi que la Polynésie et les Caraïbes pourraient receler des ressources. Le programme EXTRAPLAC au large de la Guyane a montré qu'il pouvait y avoir des hydrates de métal. Mais explorer notre riche ZEE suppose une stratégie de long terme, avec les moyens financiers suffisants pour mener à bien ces campagnes. Le partenariat permet de mettre en commun les compétences, mais aussi les moyens financiers. Technip n'a pas vocation à faire de l'exploration ; nous intervenons une fois l'exploration terminée, quand le forage est fini et quand le potentiel minier a déjà été prouvé. Pour autant, au vu du gros potentiel, notre président a souhaité accompagner le financement de Futuna, mais ce n'est pas la vocation de Technip. L'IFREMER reste le maître d'oeuvre du projet à Futuna, même si les industriels intéressés contribuent financièrement. L'exemple de Futuna est intéressant non seulement pour la science, mais aussi du point de vue de la structure contractuelle choisie, qui met en commun les savoirs des établissements publics, des spécialistes de l'exploration, de la technologie et de l'exploitation. Il fallait une société minière pour porter la concession, ERAMET en l'occurrence. Ce projet est un bon laboratoire scientifique, mais aussi d'idées.

Si, demain, on veut exploiter la ZEE pour son potentiel minier ou énergétique, il faudra le soutien d'une société pétrolière ou « énergéticienne ». Si on veut exploiter les hydrates en Guyane, il serait bon que GDF-Suez ou Total soit intéressé à prendre part à un consortium.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Le montage financier consiste souvent en un partenariat public-privé. Les industriels prennent des risques. Est-ce un bon schéma de fonctionnement ?

M. Julien Denègre

Nous pensons que oui. C'est le schéma à Futuna. Les engagements du Grenelle de la Mer de 2009 comportaient un important volet sur l'océanographie, l'amélioration des connaissances des fonds marins et en particulier de la ZEE française. Les objectifs sont louables, mais coûteux compte tenu justement de l'immensité de notre ZEE. Un moyen de financer l'océanographie est de coupler les campagnes en mer avec les projets industriels. Le projet de Nautilus en Papouasie-Nouvelle-Guinée qui a nécessité de nombreuses campagnes en mer, est privé, et aujourd'hui, Nautilus est probablement le seul projet d'exploration de gisement qui ait été réalisé à un niveau scientifique aussi élevé, et grâce à des moyens privés. Les campagnes de forage de cette profondeur, comme les études d'impact environnementales très approfondies, n'avaient encore jamais été réalisées. Les scientifiques qui ont contribué au projet de Nautilus se sont félicités d'avoir pu atteindre ce niveau élevé de connaissance, grâce aux moyens financiers.

Pour conclure, il sera d'autant plus facile d'explorer les fonds marins français que des industriels s'y associeront, avec des moyens de financer des campagnes comme celles de Nautilus.

De même, nous avons exploré la ZEE de Futuna avec l'IFREMER à un niveau qui n'avait jamais été réalisé, grâce à la mise en commun des moyens financiers. Je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui les ministères de tutelle aient la capacité de déployer un effort financier de cette envergure. Or, l'objectif est industriel, comme l'indique l'engagement du Grenelle de l'environnement de « préparer à moyen terme le pilotage industriel » de la zone de Futuna. Pour autant, les projets industriels sont aussi un moyen d'améliorer la connaissance scientifique de la ZEE, comme cela a été le cas à Futuna, d'une manière considérable.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Comment passe-t-on de l'exploration à l'exploitation ?

M. Julien Denègre

Pour envisager l'exploitation d'un projet minier, il faut avoir démontré sa rentabilité. Cela implique plusieurs étapes :

- établir plusieurs études : une étude géologique du gisement ; une étude d'impact environnemental en vue de démontrer que l'exploitation sera acceptable du point de vue de l'environnement ; et une étude d'ingénierie ;

- en déduire si le projet est rentable, et à quelle échéance, compte tenu également du coût du minerai sur le marché et des coûts de maintenance de l'opération.

Il faut ensuite instruire un titre minier, compte tenu des risques environnementaux et des retombées pour le territoire. À Futuna, nous avons trouvé un gisement, mais nous n'avons pas encore réalisé les études du pilote. L'acceptabilité environnementale et la rentabilité n'ont pas encore été démontrées. Nous avons commencé l'exploration en 2010 ; nous espérons que les résultats des analyses nous seront remis en juin 2013. S'ils sont concluants, nous mèneront davantage de campagnes et probablement des études d'ingénierie qui détermineront l'existence d'un intérêt économique pour éventuellement poursuivre le projet. Les éléments économiques, financiers et environnementaux, sont donc cruciaux pour décider de la réalisation du projet.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Quel est le grand rendez-vous que la France ne doit pas manquer sur le plan technologique ou industriel ?

M. Julien Denègre

Les enjeux d'aujourd'hui concernent l'exploration minière, qu'elle soit maritime ou terrestre. Il faut encourager les projets comme celui de Futuna, et avoir une vision à long terme. Les filières électronucléaire, d'Airbus ou d'Ariane, ont mis dix à quinze ans pour être créées. Pour développer une filière, il faut du temps, une stratégie de long terme, et l'encouragement continu de cette filière. Si le projet à Futuna continue, on peut aboutir à une vraie filière minière sous-marine française. Il y a eu une véritable impulsion après le Grenelle, après le Livre Bleu, après le plan métaux stratégiques de M. Jean-Louis Borloo en 2010, puis avec la création du Comité des métaux stratégiques, le COMES. Il y a donc eu une réelle continuité. Cette dynamique doit être poursuivie et entretenue, par des mécanismes financiers ou juridiques. Certes, le risque existe : dans une campagne à la mer, on peut ne rien trouver. Aussi bien l'État que les industriels, Technip et ERAMET, ont pris ce risque. Mais j'y crois. On peut aboutir à une vraie filière. Le nouveau gouvernement s'y intéresse, dans la continuité du gouvernement précédent.

M. Serge Larcher, président

C'est un véritable sujet pour nous. Le potentiel en richesses existe. Il nous reste à rendre possible à terme l'exploitation de matériaux qui seront demain rares ou enfouis à des profondeurs inaccessibles. L'enjeu est aussi notre dépendance énergétique. C'est politique. Les industries de pointe ont besoin de matériaux stratégiques.

M. Julien Denègre

Par exemple, les turbines éoliennes consomment beaucoup de cuivre et un peu de terres rares. La fabrication de ces machines, dont l'objet est de contribuer au développement durable, nécessite des minerais, donc d'exploiter une mine... L'image de la mine n'est pas très positive aujourd'hui.

M. Serge Larcher, président

Mais nous avons besoin de matériaux rares, et spécifiques aux milieux océaniques, qui sont très agressifs.

M. Julien Denègre

Une autre question importante est la sécurisation des matières premières par des sociétés françaises. On peut acheter du cuivre à la Chine, mais cela peut devenir risqué si la Chine se trouve brusquement en situation de monopole, comme c'est le cas en ce moment avec ses exportations de terres rares. La vraie question est : la France a-t-elle la volonté d'exploiter des mines avec des miniers français ? En Nouvelle-Calédonie, beaucoup de titres ont été attribués à des sociétés étrangères. Le nickel n'est pas seulement exploité par ERAMET. Une des raisons qui nous ont incités à commencer par Futuna était d'empêcher les industriels étrangers, nombreux à s'être intéressés à ce projet, de prendre des titres miniers sur ce territoire. Nous avons commencé par Futuna pour protéger les intérêts français.

La France doit donner les titres miniers aux compagnies minières françaises. Le danger de perdre notre souveraineté sur nos territoires est réel. On l'a fait dans le passé... Le contrôle de notre ZEE est un vrai sujet stratégique.

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