Audition de M. Patrick Roméo, président de Shell France

Mme Catherine Tasca, présidente

Notre président Serge Larcher est malheureusement retenu chez lui pour des raisons de santé. Je souhaite la bienvenue à M. Patrick Roméo, président de Shell France, qui nous avait rendu une première visite le 31 mai 2012 pour nous présenter le projet d'exploration pétrolière mené au large de la Guyane. Cette audition avait duré plus de deux heures sans parvenir à épuiser l'ordre du jour ni étancher notre curiosité ; nous étions alors convenus de nous revoir quand l'exploration offshore aurait progressé.

Nous aborderons aujourd'hui, outre les enjeux de l'opération qui nous avaient exclusivement occupés en mai, la question des retombées économiques et sociales pour la Guyane, notamment en termes d'emplois.

Au-delà des opérations en cours et des questions relatives à la zone économique exclusive dans les outre-mer, nous aborderons enfin la réforme du code minier qui sera bientôt discutée au Parlement. Selon vous, convient-il d'aménager une lisibilité spécifique au sein du code minier à l'exploration et l'exploitation des produits pétroliers ?

Mais dans un premier temps, vous voudrez bien nous dresser un bilan des deux forages que vous avez réalisés, notamment sous l'angle environnemental, puis nous livrer les perspectives retenues pour 2013 en matière d'exploration.

M. Patrick Roméo

Le projet est entré dans sa phase active en 2010 : l'exploitation des données sismiques a permis l'identification de la cible à forer. Un premier forage, dit GM-ES-1 a été réalisé en 2011, qui a permis la découverte de pétrole dans une grappe de bancs de sable enfouie à 4 000 mètres sous terre. L'existence d'hydrocarbures, d'un réservoir de bonne qualité et d'un système étanche pour le préserver, nous a été confirmée. Un deuxième forage sur la même grappe a été réalisé à 5 kilomètres à l'ouest et en amont du premier. Le succès technique a été complet : les travaux se sont déroulés conformément au programme, et aucun accident n'a été déploré. La profondeur de 6 200 mètres a été atteinte le 3 décembre 2012 mais le réservoir cible s'est révélé vide d'hydrocarbures.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Les investissements devaient être particulièrement lourds... La perte sèche s'élève à combien ?

M. Patrick Roméo

Oui, mais c'est la logique d'une telle exploration : la probabilité de succès est faible. Ce n'est que l'addition de tous les forages qui indique ou non si un gisement est commercialement exploitable. Et un forage, c'est 20 % de chances de succès... Nous avons été moins chanceux avec le deuxième, mais nous poursuivons nos recherches. Nous avons rebouché le puits, conformément au programme approuvé par la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal).

Le 27 décembre dernier, notre navire s'est approché de la zone d'un troisième forage, baptisé « Priodontes » sur une grappe de réservoirs à 11,6 kilomètres du précédent. Le navire, non amarré, est positionné dynamiquement au-dessus d'une colonne d'eau de 1 793 mètres par satellite et par sonar. La tête de puits et le bloc obturateur de puits sont installés, ce qui a permis de démarrer le forage à l'abri du milieu marin. Nous espérons atteindre les zones cibles dans les mois qui viennent. Pour que ce forage annonce l'exploitation commerciale d'un gisement, la quantité et la qualité du pétrole doivent être suffisamment élevées, et le coût de l'extraction suffisamment bas. À cet égard, un grand réservoir de pétrole unique est plus avantageux que plusieurs petits.

Nous avons mené plusieurs campagnes sismiques en 2012. Nous procédons actuellement à l'interprétation des données qu'elles ont permis de récolter, afin d'améliorer notre connaissance des sous-sols et de définir notre politique de forage à compter de mi-2013. Nous avons connu la déception après un premier succès, ce qui ne remet rien en cause, mais nous encourage au contraire à poursuivre sereinement notre travail. J'ajoute que dans le cadre de l'autorisation de procéder à des campagnes sismiques, nous avons décidé avec l'ensemble des parties prenantes de mener six campagnes de prélèvements halieutiques ces prochaines années pendant les saisons des pluies et sèche afin de mieux connaître les ressources. La dernière a eu lieu du 2 au 11 décembre 2012 avec la participation d'armements guyanais.

M. Joël Guerriau , co-rapporteur

Avez-vous des éléments de coût à nous communiquer ? Quels investissements avez-vous consenti, pour quels résultats probants ?

M. Patrick Roméo

Le coût est fonction de la durée de forage. Près de 450 personnes travaillent sur ces opérations, et le coût des matériels est très lourd. Les statistiques du commerce extérieur font état d'1 milliard d'euros de location d'équipements de longue durée. Le chiffre couramment avancé est de plus d'un million de dollars par jour. On pense souvent - les Guyanais nous le disent - que si l'on fore, c'est que l'on sait pouvoir trouver du pétrole : c'est faux ! Nos techniques nous permettent d'identifier des réservoirs cibles, mais les hydrocarbures sont situés à des profondeurs telles que nous devons forer pour savoir ce qui s'y trouve. À l'endroit du deuxième forage, il y a eu des hydrocarbures, mais je rappelle que ceux-ci ont tendance à remonter naturellement vers la surface sur une échelle d'environ 100 millions d'années. Et que l'on trouve ou non du pétrole, il faut de toute façon acquitter l'ensemble des coûts générés par les opérations. L'investissement est donc cher, mais il est consenti, d'ailleurs uniquement par le privé. C'est une façon qu'a le privé d'identifier le patrimoine de l'État - car je rappelle que les ressources appartiennent à ce dernier - en espérant simplement obtenir une concession d'exploitation du gisement. Les ressources sont ensuite réparties entre la collectivité et l'investisseur.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Vous avez rappelé les deux conditions à remplir pour qu'un gisement soit rentable. Quelle quantité d'hydrocarbures avez-vous découvert lors du premier forage ?

Nous avons eu en mai dernier un débat sur votre technique nouvelle de forage. Peut-on en tirer les enseignements, notamment en matière de rejets ? Vous savez que la réglementation précise qu'ils ne doivent pas dépasser 5 %.

M. Patrick Roméo

Nous avions estimé les réserves découvertes lors du premier forage à 300 millions de barils. Nous n'avons pas plus d'informations à l'heure actuelle. En toute hypothèse, il en faut davantage pour envisager un développement commercial.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

À quel niveau se situe la rentabilité économique ?

M. Patrick Roméo

Elle dépend de la quantité et de la qualité du pétrole, du coût d'extraction, ainsi que de l'environnement fiscal. Aujourd'hui, nous n'avons de certitudes sur aucun de ces trois éléments. Nous savons simplement qu'il y a du pétrole, la présence d'un réservoir étant en soi un événement géologique non négligeable. Nous ne sommes qu'au début du processus. Trois autres forages sont prévus à partir de 2013 : celui actuellement en cours, ainsi que deux autres à venir.

Un mot sur les fluides de forage. Le premier forage a été réalisé avec de l'eau qui, mélangé à l'argile sec environnant les couches traversées, a créé un mélange visqueux qui a failli nous contraindre, à trois reprises, à abandonner. Imaginez-vous percer du béton avec une mèche à bois... Décidés à ne poursuivre les opérations qu'avec les outils adaptés, nous avons obtenu la possibilité d'utiliser des fluides synthétiques de forage, non toxiques et plus performants dans l'argile. Ces nouveaux outils ont permis de réaliser un deuxième forage de grande qualité : interrompu pour cause de courants marins, il a pu être repris dans un second temps, chose impensable avec l'eau utilisée auparavant ! Comme nous y étions tenus, nous avons fait réaliser le bilan des opérations par un tiers. Ses conclusions, favorables, doivent à présent être expertisées par un autre tiers afin d'être validée ensuite par l'État.

J'insiste sur ce point : il n'y a pas eu de rejet de pétrole ou de fluides en mer. D'abord, les fluides coûtent une fortune, nous n'avons aucun intérêt à les rejeter. Ensuite, les seuls rejets sont des remblais nettoyés dans le navire.. Le taux de 5 % de fluides de forage contenus dans les rejets de déblais en mer a été plus que respecté, puisque la teneur réelle avoisinait 1,5 %.

Mme Aline Archimbaud

Trois questions : quelle profondeur le premier forage a-t-il atteint ? Qui est le tiers chargé d'expertiser vos opérations ? Enfin, lors de la dernière audition, vous aviez évoqué que ce niveau de 5 % était une source de toxicité : auriez-vous changé d'avis ?

M. Patrick Roméo

Les fluides de forage sont conçus et testés préalablement, et classés par la législation européenne comme non toxiques. Du reste, l'eau de forage elle-même n'est pas pure, puisqu'elle contient des additifs, des huiles de forage. La question de sa toxicité ne se pose pas moins. Le seuil de 5 % est une norme fixée par l'État, car il faut bien positionner la limite quelque part. Même si la toxicité était reconnue nulle, nous aurions besoin d'une norme pour évaluer l'efficacité des opérateurs. Dans notre cas, nous avons fait bien mieux que cette norme grâce aux excellentes capacités de traitement de notre navire de forage. Nous restons persuadés que les fluides synthétiques sont le meilleur choix possible en termes d'impact, car plus vous forez vite, moins vous restez, donc moins vous rejetez.

La profondeur du premier forage était de 6 000 mètres. C'est un peu moins profond que pour le second mais nous y sommes restés plus longtemps. Nous avons pris le temps d'extraire des échantillons de roches et de pétrole.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Le préfet pourrait donc prendre des arrêtés fixant la limite des rejets autorisés à 3 % plutôt qu'à 5 % ? À vous entendre, l'approche en la matière pourrait aisément être réévaluée.

En outre, quelle réponse faites-vous aux marins-pêcheurs qui dénoncent le manque d'études concernant les ressources halieutiques ?

M. Patrick Roméo

Les fluides ne sont pas toxiques, ce qui signifie que nous pourrions théoriquement retenir un taux de 100 % ! La norme existe toutefois pour s'assurer que l'on ne rejette pas n'importe quoi n'importe comment. Les outils utilisés lors du forage du premier puits n'auraient pas permis d'atteindre les bons résultats obtenus lors du deuxième. Le chiffre de 5 % a été retenu parce qu'il est rond, mais il n'a pas de justification scientifique. J'ajoute que la France est un des pays les plus stricts en la matière. J'ai défendu, sans succès, l'idée que cette norme était un peu excessive eu égard à ce qui est pratiqué ailleurs. En définitive, il faut savoir être raisonnable.

Un mot sur les ressources halieutiques : la connaissance du milieu marin de la Guyane, à 150 km des côtes en tout cas, n'est que peu étoffée. À ce jour, notre impact environnemental équivaut à la présence de n'importe quel navire - même si nous sommes présents plusieurs mois. La question se poserait différemment dans le cas d'une installation pour trente ans d'une plate-forme d'extraction des hydrocarbures. Nous avons créé un groupe de travail et de recherche piloté par des scientifiques de Guyane, pour étudier ces questions dans l'hypothèse d'un développement commercial.

Mme Aline Archimbaud

Le tiers chargé d'expertiser vos opérations, qui est-ce ? Est-ce une société désignée par l'État ?

M. Patrick Roméo

Son nom m'échappe. Pour le désigner, l'État doit choisir parmi les propositions que nous lui avions faites.

Mme Aline Archimbaud

Son bilan est-il public ?

M. Patrick Roméo

Il sera remis à l'État et je suppose qu'il sera consultable. Le rapport ne fera pas qu'évaluer les travaux entrepris : il formulera également des pistes pour diminuer les taux de rejets par exemple.

Mme Catherine Tasca, présidente

Vous avez annoncé que deux autres forages étaient prévus en 2013 : avez-vous des précisions à nous communiquer sur vos travaux de prospective ?

M. Patrick Roméo

Nous avons fait une déclaration d'ouverture de travaux, qui définit l'emplacement de nos trois prochains forages. La législation nous impose de communiquer le lieu de leur réalisation. Suite aux résultats du dernier forage [GM-ES-2], le prochain sera déplacé de quelques kilomètres de son point initial. Par la suite, nous pourrions modifier nos emplacements cibles et demander l'adaptation des autorisations obtenues pour tenir compte des nouvelles informations recueillies.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Comment optimiser la connaissance que vous avez des ressources pétrolières ? Y a-t-il un niveau de profondeur auquel vous vous interdisez de forer ?

M. Patrick Roméo

Les campagnes sismiques s'apparentent à des échographies et s'analysent de manière analogue. De plus, nous interprétons les échantillons que nous prélevons. Les données recueillies à l'occasion de chaque forage sont comparées à celles obtenues lors des forages précédents. Les modèles se précisent ainsi. Puis, nous calibrons les forages à venir. Forer à 6 kilomètres, c'est-à-dire atteindre, d'ici, le Grand Palais : à un mètre près, vous pouvez vous trouver à l'intérieur comme en-dehors !

S'agissant de la profondeur de forage, il n'existe pas vraiment de contraintes techniques : nous pouvons théoriquement forer à 10 km de profondeur. Il s'agit plutôt d'évaluer le rapport coût - bénéfices, sachant que le coût marginal d'un mètre de profondeur supplémentaire est très élevé.

M. Georges Patient

Un de vos partenaires, Total, a déposé des permis visant à intervenir seul. Est-ce le signe d'une mésentente ?

M. Patrick Roméo

Total n'est pas la seule société à vouloir intervenir seule...

M. Georges Patient

Oui, mais c'est votre partenaire !

M. Patrick Roméo

Nous ne nous sommes pas mis d'accord sur la nature de notre alliance. Mais le fait qu'ils déposent des permis à leur tour témoigne de l'intérêt de notre démarche.

Mme Catherine Tasca, présidente

Ce ne sont donc plus vos partenaires ?

M. Patrick Roméo

S'ils obtenaient ce nouveau permis de recherche, ils en auraient l'exclusivité. La loi prévoit toutefois une mise en concurrence. J'ignore à qui les permis seront attribués. En général, l'État demande aux entreprises de se mettre d'accord en amont du processus.

Mme Catherine Tasca, présidente

Abordons désormais un thème que nous n'avions qu'effleuré lors de notre première rencontre, car vos opérations étaient à l'état de prémices : l'impact social et économique de vos travaux en Guyane.

M. Patrick Roméo

Les vraies retombées économiques sont liées à l'exploitation commerciale...

Mme Catherine Tasca, présidente

... qui n'est pas pour demain !

M. Patrick Roméo

... qui est la seule véritable source de richesses pour la collectivité. Aujourd'hui, nous sommes en phase de prospection. Il est possible que tout s'arrête demain. Les impacts liés à la prospection ne sont pas nuls, mais ils sont ponctuels. Nous faisons actuellement ce qui est en notre pouvoir pour générer de l'activité : à ce jour, 150 entreprises fournissent Shell et ses partenaires en services, en affrètement de navires de pêche et de sécurité pour participer aux campagnes sismiques par exemple, ou en avitaillement en produits frais. Entre février et septembre 2012, 2 millions d'euros ont été dépensés en Guyane, notamment en transports, salaires, maintenance, hôtellerie, carburant, contribution aux organisations professionnelles, etc.

Quand nous sommes arrivés en Guyane, nous avons fait du port de Dégrad des Cannes, en raison de son accessibilité limitée, notre base secondaire, la base principale étant située à Trinidad. L'adaptation constante du port de Dégrad des Cannes, et notamment sa transformation en grand port maritime avec l'entrée en vigueur au 1 er janvier 2013 de la réforme portuaire, est susceptible de changer la donne.

De plus, un certain nombre de projets de renforcement de l'activité en Guyane sont en cours d'étude : la création d'un entrepôt « sous-douane », l'utilisation de lignes maritimes régulières entre Dégrad des Cannes et Port of Spain, le partage de moyens maritimes entre Dégrad des Cannes et Kourou.

L'aéroport Félix Eboué est d'ores et déjà la base principale aéroportuaire. Les équipages y transitent, grâce aux vols d'Air France et aux trois vols d'hélicoptère quotidiens, six jours sur sept, ce qui assure les rotations d'une centaine de personnels par semaine. Nous souhaitons faire plus : des investissements sont prévus dans les infrastructures nécessaires aux travaux de maintenance. Ces projets seront toujours utiles aux collectivités concernées.

Nous avons déjà créé 19 emplois depuis le début des opérations en avril 2012. Cinq stagiaires seront en outre recrutés pour travailler à Cayenne, mais aussi à La Haye et Paris.

Mme Catherine Tasca, présidente

Ce sont des stagiaires locaux ?

Mme Aline Archimbaud

Ils viennent de Cayenne ?

M. Patrick Roméo

Oui. Ils bénéficieront d'une connaissance approfondie de nos activités. À cela s'ajoute un programme de communication et d'information auprès des jeunes ; la mise en place d'une base de données de CV : 170 ont été collectés pour l'embauche d'une dizaine de personnes ; le soutien à l'apprentissage de l'anglais, indispensable dans notre secteur ; la participation à des programmes éducatifs locaux et la sensibilisation des jeunes aux métiers du pétrole ; ainsi que la création d'un poste de chargé de mission pour la Commission de suivi. Nous construisons un pool de personnels guyanais très qualifiés dans les métiers du pétrole ; le programme sera modulé en fonction des résultats. Les métiers du pétrole connaissent une crise d'offre : cette filière est porteuse dans le monde, si bien que même en cas d'échec du projet, les Guyanais volontaires pour quitter la Guyane trouveront du travail dans le pétrole. Nous travaillons avec la Région pour préparer les recrutements à venir en ajustant la carte des formations, avec à l'esprit que tous ces chantiers seront amplifiés si la perspective d'une exploitation commerciale des hydrocarbures se précise. À ce stade, nous travaillons pour l'horizon 2019-2020.

Mme Catherine Tasca, présidente

Lors de notre précédente rencontre, vous aviez indiqué qu'une formation qualifiée dans le secteur pétrolier durait au minimum cinq ans.

M. Patrick Roméo

En effet, la lourdeur de la formation explique pourquoi nous ne recrutons que dix personnes en formation longue en 2013 au sein du groupe.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Près de 2 millions d'euros dépensés sur le territoire guyanais à fin septembre 2012, 450 personnes sur place, 19 créations d'emplois... Reste que la Guyane est plus proche que Trinidad, donc en principe plus compétitive. Or aujourd'hui, ce n'est qu'une base secondaire ! Que changer pour qu'elle devienne prioritaire ?

M. Patrick Roméo

La proximité de la Guyane en ferait une base privilégiée en effet. Cela suppose l'évolution de Dégrad des Cannes pour suivre l'activité. On parle de construire un quai flottant dédié, de changer le fonctionnement du port... Mais cela supposerait de faire de l'activité pétrolière l'activité prioritaire du port, ce qui n'est pas sans poser problème.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Par qui seront financés ces investissements ?

M. Patrick Roméo

Des études ont été engagées - avec retard, certes - dans le cadre de la transformation de Dégrad en grand port maritime. J'ignore précisément quelles sont les sources de financement. Le problème réside essentiellement dans la durée de mise en oeuvre de ces travaux.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Si 2 millions d'euros ont été injectés en Guyane, combien à Trinidad ? 80 % de vos dépenses totales ?

M. Patrick Roméo

Je ne puis vous le confirmer. En gros, sans doute.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Entre 2 et 3 millions d'euros sont gérés par la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? Comment sont répartis ces fonds ? À quelle mode de gouvernance cette répartition obéit-elle ?

M. Patrick Roméo

La CDC accueille simplement ces fonds, qui sont gérés par un comité de pilotage composé de représentants de l'État, de la Région et de Shell. Pas moins de 300 000 euros sont dédiés à la commission de suivi : chargé de mission, suivi des projets, développement, maintenance. Mais ce chargé de mission est aussi chargé de missions pour les groupes de travail.

Le groupe de travail sur la pêche, par exemple, aura son propre chargé de mission lorsque ses travaux auront pris de l'ampleur. Ajoutez à cela 1 million d'euros consacré à la recherche ; en l'occurrence, à l'acquisition et à la mutualisation de matériels entre le CNRS, le BRGM ou encore l'IFREMER, sachant que, traditionnellement, les équipements sont plus compliqués à financer que les programmes. D'autres sommes seront disponibles lorsque des projets seront identifiés, , notamment pour les projets collectifs des pêcheurs.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Si vous passez à la concession, combien cela représentera-t-il d'emplois ? Quels profils rechercherez-vous ?

M. Patrick Roméo

Cela va du soudeur au géologue. Nous rechercherons des gens autonomes, comme les marins doivent l'être pour travailler au large, des gens qualifiés que nous recruterons à la sortie des écoles et que nous formerons chez nous ou chez des prestataires durant cinq ans. Il faut se représenter la concession comme une usine au large : nous aurons besoin de gens capables d'assurer la supervision du site, sa maintenance, son encadrement, la logistique, le transport par les airs ou la mer ou encore la communication. À terre, il faudra des gens responsables de l'entreposage, de la fourniture, de la logistique et des services administratifs habituels. Combien de personnes en tout ? Au Brésil où nous avons des activités similaires, 250 personnes pour une exploitation. En Guyane, 450 personnes sont mobilisées, dont des experts uniques qui viennent spécialement sur place pour interpréter des données sismiques puis repartent. Si l'on totalise les emplois directs, indirects et induits, la fourchette est comprise entre 700 et 1 000 emplois.

Mme Aline Archimbaud

Vous venez de répondre à ma première question, je n'y reviens pas. Pourriez-vous nous en dire plus sur les projets collectifs des pêcheurs ?

Une remarque sur la nécessaire vigilance. L'exploration et l'exploitation à 6 000 mètres de profondeur comportent des risques. En cas d'accident, les coûts seront environnementaux, mais aussi économiques et sociaux ; on l'a bien vu dernièrement.

M. Patrick Roméo

Les exploitants sont les premiers concernés à se soucier de la sécurité, dans la conception, la prévention... Notre objectif, c'est « zéro accident ». Nous sommes extrêmement exigeants et prudents, les élus qui sont montés sur le bateau de forage le savent. Idem pour les aspects environnementaux associés.

Nous avons identifié quatre projets pour les pêcheurs : la mise en oeuvre d'une chaîne du froid pour rentabiliser la filière, l'avitaillement en carburant des bateaux de pêche au prix de gros de Shell, la motorisation hybride pour adapter les moteurs des bateaux aux eaux boueuses de Guyane et l'analyse des ressources halieutiques sur la longue durée et en présence d'une exploitation au large.

J'espère que ces projets, qui doivent bénéficier collectivement à toute la filière, sont en cours de définition.

Mme Catherine Tasca, présidente

Abordons maintenant notre troisième séquence relative à la réforme du code minier.

M. Patrick Roméo

Les forages et la mise en production en mer présentent certaines spécificités et mobilisent des sommes colossales - potentiellement des milliards de dollars pour la Guyane, l'équivalent de presque deux centrales nucléaires - avec le même niveau d'exigence de sécurité et de respect de l'environnement. Les moyens mobilisés sont rares et importants. Pour investir, nous avons besoin de stabilité fiscale, de prédictibilité fiscale, et d'une rémunération équitable pour juste retour sur investissement : la clarté de ces paramètres est nécessaire à la mobilisation des investisseurs.

Par ailleurs, pour l'information du public, de quelle commune parle-t-on lorsqu'il s'agit d'offshore ? Ce n'est pas comme en Seine-et-Marne... La procédure d'information devra être bornée dans le temps pour éviter des ruptures de charge. Je ne peux pas mobiliser 450 personnes et des matériels onéreux sans disposer d'un échéancier prédéfini.

Mme Catherine Tasca, présidente

La fiscalité est-elle un sujet de discussion avec les pouvoirs publics ?

M. Patrick Roméo

Pas vraiment à ce stade... Le sujet à l'ordre du jour est plutôt l'information du public.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

La loi de décembre 2011 prévoit une répartition 50-50 de la taxe de 12 %. Ce système, comparé aux autres, vous semble-t-il intéressant ? Comment percevez-vous la position des pouvoirs publics au sein du comité de suivi ? Êtes-vous bien accompagnés ? Faut-il une gouvernance décentralisée, comme au Royaume-Uni ou aux États-Unis ? Vous qui avez la pratique d'autres pays, quel système vous semble le meilleur ?

M. Patrick Roméo

Celui de la concession fonctionne bien : un permis de recherche, puis un droit à concession en cas de découverte.

Attention : la taxe de 12 %, qui est flexible en fonction des autres paramètres, porte sur le chiffre d'affaires, et pas sur les bénéfices. Je vous le dis d'emblée : ceux qui pensent à 70 % sur le chiffre d'affaires n'auront plus aucune chance de trouver des financeurs. Le législateur a prévu des retombées locales. À titre personnel, je suis pour. Sans quoi, et c'est mon expérience personnelle dans d'autres pays, on crée une frustration chez les locaux. Le lien avec le territoire est indispensable. Du temps de la taxe professionnelle, les maires soutenaient nos projets.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Au Brésil, une loi de 2010 traite spécifiquement du régime applicable à l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures offshore . Qu'en pensez-vous ?

M. Georges Patient

En sus de la redevance de 12 %, il est question de prendre en compte d'autres externalités, comme la post-exploitation. Quel est votre avis sur ce dossier ?

M. Patrick Roméo

Le débat va dans le bon sens. D'une manière générale, je me méfie des lois qui cherchent à tout résoudre : le nickel n'a rien à voir avec le pétrole offshore . Il faut ménager une lisibilité des dispositifs applicables aux opérations offshore .

M. Georges Patient

Je ne parlais pas seulement de la Guyane ! Pour la post-exploitation, on peut aussi citer le nord de la France que des entreprises ont quitté en laissant des territoires en déshérence.

Mme Aline Archimbaud

À ce propos, des syndicalistes de Pétroplus nous ont alertés : vous ne voudriez pas participer à la dépollution du site de Petit-Couronne.

M. Patrick Roméo

Merci de me poser cette question. Grâce à elle, je peux rappeler que nous avons vendu le site de Petit-Couronne il y a presque cinq ans dans le respect scrupuleux de la loi. Peut-être cela vous déplaît-il, mais les faits sont les faits.

On parle toujours des coûts de dépollution en oubliant la valeur des terrains. Regardez ce qu'il s'est passé à Reichstett : le terrain a été acheté, dépollué par une entreprise spécialisée dans la reprise de friches industrielles et revendu à un meilleur prix. Il n'y a pas de dette là-dedans et, encore une fois, Shell n'a laissé d'ardoise à personne. La loi est la loi, et le responsable est le dernier exploitant.

Mme Aline Archimbaud

Nous cherchons à faire évoluer la loi ; c'était le seul objectif que je poursuivais en vous posant ma question. Pour le site de Pétroplus, s'il n'y a pas de repreneur, qui va payer : l'État ?

M. Patrick Roméo

Non, ce sera la société à qui le liquidateur aura revendu le terrain. Le site de Petit-Couronne a tous les atouts pour un développement multimodal : aux portes de Paris, il est à proximité des autoroutes, du rail et de la Seine. Certains font déjà des projets mais doivent attendre, pour se déclarer, que la faillite soit prononcée. Modifier la loi ? Le système du dernier exploitant est plus simple. Si vous deviez rechercher les exploitants précédents, imaginez le travail pour remonter dans le temps !

Mme Catherine Tasca , présidente

Merci pour votre disponibilité. Ce rapport d'étape a été très utile ; nous aurons sans doute l'occasion de nous revoir en 2013 pour faire le point. Espérons que le troisième forage sera fructueux !

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