(Jeudi 28 Mars 2013)

Audition de M. Jean-Louis Schilansky, président de l'Union française des industries pétrolières

M. Serge Larcher, président

Nous poursuivons nos travaux sur les enjeux des zones économiques exclusives ultramarines.

Notre collègue Jean-Étienne Antoinette est le seul de nos trois rapporteurs présent aujourd'hui, Joël Guerriau et Richard Tuheiava étant empêchés.

Les trois auditions de ce matin concernent l'extraction pétrolière et la question énergétique. Il s'agit d'examiner les potentiels de nos outre-mer dans ce domaine mais également de mettre en perspective ces questions avec la discussion prochaine du nouveau code minier.

Nous commençons avec M. Jean-Louis Schilansky, président de l'Union française des industries pétrolières, à qui je souhaite la bienvenue.

M. Jean-Louis Schilansky, président de l'Union française des industries pétrolières

Je vous remercie. Le potentiel de la zone économique exclusive (ZEE) ultramarine est très important pour notre pays. La révision du code minier est fondamentale, tant pour les travaux onshore en métropole que pour les travaux offshore dans les ZEE.

Nous avons été reçus par la commission du développement durable de l'Assemblée nationale sur le code minier, où nous avons insisté sur l'importance de la refonte envisagée.

L'UFIP, qui regroupe toutes les grandes entreprises françaises du secteur, est le syndicat professionnel du pétrole et couvre de nombreuses activités en France et outre-mer. En ce qui concerne l'exploration et la production, nous comptons une vingtaine de petites et moyennes entreprises adhérentes, de diverses nationalités. Il y a une soixantaine de concessions d'exploitations sur le territoire métropolitain et autant de permis d'exploration en cours.

La production nationale est de 800 000 tonnes de pétrole et, pour le gaz, notre production se monte à 800 millions de m 3 , soit respectivement 1 % et 2 % de la consommation française, c'est dire notre dépendance aux importations.

La facture d'hydrocarbures s'élève à 60 milliards d'euros par an, dont 80 % pour le pétrole et 20 % pour le gaz ; toute production nationale améliore donc notre balance des paiements.

La France est l'un des pays où existe une véritable filière du pétrole, avec de grands groupes comme Total, Schlumberger, Technip, CGG Veritas et Vallourec (qui fabrique des tubes).

Notre pays est le deuxième exportateur mondial d'équipements et de services de cette filière. L'outre-mer entre dans le champ des missions de l'UFIP, aussi bien pour l'amont pétrolier que pour l'aval, qui concerne le raffinage, la distribution et le traitement des huiles usagées.

Les opérateurs ne sont pas tous adhérents de l'UFIP, à l'instar de Rubis qui est présent aux Antilles.

Le développement de l'amont pétrolier est important : aujourd'hui, il y a quatre grands permis en cours de validité : Guyane Maritime, Caravelle (Martinique), Juan de Nova profond et Est (maritime profond, dans les Îles Éparses du Canal de Mozambique, entre le Mozambique et Madagascar) et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le permis de Caravelle n'est pas actif et celui de Juan de Nova donne lieu à des recherches sismiques, sans forage.

Nous avons, par ailleurs, sept demandes de permis : Concorde en Guadeloupe, un autre permis au large de la Martinique (Gwo Ka Caribbean), Bardoil à Saint-Pierre-et-Miquelon. En Guyane, nous avons quatre demandes de permis : Papillon, Udo/Total, Shelf/Total, Demerara Est. Cela démontre l'importance de cette collectivité en matière de recherche pétrolière et l'intérêt d'un domaine maritime étendu.

La refonte du code minier ne devra pas introduire de nouveaux freins. Nous avons l'habitude de dire que lorsqu'on modifie le code de la route, ce n'est pas pour arrêter la circulation, mais pour améliorer la sécurité. Nous attendons la même chose pour le code minier. Nous serons donc très attentifs aux évolutions à venir.

M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques de l'Union française des industries pétrolières

La réforme du code minier a été engagée via un communiqué du Conseil des ministres en septembre 2012. Mme Batho a dit son souhait d'intégrer la charte de l'environnement, de modifier la fiscalité applicable et de prendre en compte les spécificités de l'outre-mer.

Un comité informel de concertation a été confié à Thierry Tuot, conseiller d'État, où siègent les parties intéressées, dans l'esprit du Grenelle. Ce comité est chargé de présenter des propositions. Il s'est réuni onze fois, de début octobre à mi-décembre 2012, chacune de ses réunions ayant été consacrée à un grand thème. Ont été traités, notamment, les fins de travaux, les restitutions des sites miniers en fin d'exploitation, la fiscalité, l'outre-mer. L'outre-mer a fait l'objet de cette dernière réunion et il n'y a pas eu de compte rendu officiel. Le conseiller d'État a ensuite rédigé ses propositions informelles personnelles.

Lors d'un conseil des ministres de février, de nouvelles orientations ont été présentées, notamment un schéma national minier, le renforcement de la surveillance en fin d'exploitation, une refonte de la fiscalité.

Nous abordons maintenant une nouvelle phase de concertation qui tarde à s'amorcer. Une esquisse de projet de loi est en préparation : on parle d'un dépôt en juin pour une adoption à l'automne, mais ce calendrier nous semble ambitieux.

Nous souhaitons que la réforme du code minier favorise le développement des activités de recherche et de production et incite à investir. Nous avons trois préoccupations majeures : cette réforme doit favoriser la participation et l'appropriation des projets par le public, faciliter l'exercice de l'activité et stabiliser la fiscalité pour donner une visibilité aux investisseurs. Il y a quelques années, la simplification du code minier avait été envisagée pour rendre les délais d'instruction compatibles avec la nature et l'importance des investissements nécessaires. Dans le code minier actuel, il existe des dispositions relatives à la ZEE et à l'outre-mer mais elles sont dispersées.

Pour l'outre-mer, les compétences des régions sont reconnues spécifiquement, contrairement à la situation qui prévaut en métropole.

Pour la ZEE et l'outre-mer, trois points sont essentiels : la stabilité du cadre institutionnel, la clarification et l'adaptation des règles d'information et de consultation du public et la visibilité fiscale.

Tout d'abord, le cadre institutionnel. Les compétences régionales doivent être identifiées dans le code minier. Notre préférence va à un code minier général et national, pour assurer la cohérence des différentes autorités et du droit applicable, ce qui n'empêche pas les spécificités régionales. Si certaines collectivités souhaitent un code minier régional pour renforcer leurs pouvoirs dans la définition et l'octroi des titres, sur le plan global, il faut de la cohérence.

J'en arrive aux conditions de réalisation des travaux en ZEE. Depuis décembre 2011, la réglementation nationale a soumis à enquête publique les travaux offshore , ce qui pose problème. Quid du périmètre des enquêtes publiques quand le gisement se situe à 150 km des côtes ? En outre, la durée des enquêtes publiques compromet l'activité économique, compte tenu des investissements à réaliser. Ainsi, tout retard peut coûter un million de dollars par jour.

Dernier point : la fiscalité doit être stable. Fin 2011, un projet de loi de finances rectificatives a supprimé le système de suspension de TVA pour les travaux sur le plateau continental. Or, c'était une des rares incitations fiscales en la matière.

La loi de finances pour 2012 a prévu une redevance spécifique de 12 %, partagée entre la région et l'État, dans des conditions qui seront mises en oeuvre par décret, théoriquement en 2014. On comprend l'idée de partage, mais tout dépend des découvertes qui pourront être faites.

M. Jean-Louis Schilansky

Sur l'ensemble de notre territoire, nous sommes aujourd'hui dans une situation très délicate. Les demandes de permis sont bloquées par le Gouvernement : ainsi, il y a quelques 120 demandes qui ne trouvent pas d'issue. La stabilité du cadre règlementaire est fondamentale. À l'heure actuelle, on se perd dans les dédales administratifs car les interlocuteurs sont multiples. Notre industrie est, je le répète, dans une situation très difficile.

Le cas de la Guyane est exemplaire. Est-il parfait ? Non, mais il est de loin préférable à tout ce qui a été fait auparavant. Dix groupes de travail ont été créés, les parties prenantes se sont investies et l'opérateur est dynamique. Lorsqu'il avait été question de suspendre le permis de Guyane, nous avons été réconfortés de voir des élus soutenir le projet, ce qui prouve que nous avions fait un bon travail d'appropriation. Peut-être faudrait-il s'inspirer de cette expérience pour rédiger le nouveau code minier ?

Le domaine maritime national représente 11 millions de km², ce qui est considérable. Nous sommes, j'y insiste, dans un domaine concurrentiel. Aujourd'hui, des sociétés pétrolières, indépendantes et moyennes, sont extrêmement actives. Voyez ce qui se passe au Mozambique, pour ne citer que ce pays.

Le code minier devra confirmer l'attractivité de notre pays pour ces investissements, en posant des règles acceptables. Si la législation est trop contraignante, il n'y aura plus d'investissements car les opérateurs iront ailleurs. Sans être laxiste, il faudra bien mesurer l'impact réglementaire dans le différentiel de compétitivité.

Nous sommes prêts à participer à la rédaction du code minier. Si le champ de Guyane est au niveau de Jubilé en Angola - ce que nous espérons, sans bien sûr le savoir -, cela devrait représenter 120 000 barils par jour, soit 5 milliards de dollars par an. C'est dire l'importance de l'enjeu.

M. Serge Larcher, président

Merci pour votre présentation.

M. Jean-Étienne Antoinette, rapporteur

Vous avez cité des chiffres intéressants que l'exploitant n'a pu nous donner. Y a-t-il une stratégie des industriels par rapport aux outre-mer ? Y a-t-il une filière spécifique ? Avez-vous évalué les impacts sur les territoires ? Que penser de la situation au Brésil et au Vénézuela ? Avez-vous une approche régionale ? Vous avez parlé d'appropriation des projets par le public. Qu'en est-il du régime des concessions ? Le Sénat a présenté une analyse comparative des diverses législations : y a-t-il un modèle qui a votre préférence ? Avez-vous des préconisations en matière fiscale ? Je suis maire de Kourou et je sais quelles furent les erreurs commises avec le centre spatial. Il ne faut pas les renouveler.

M. Jean-Louis Schilansky

Il n'y a pas de stratégie spécifique vers les outre-mer, mais les prix sont très élevés. Le baril de pétrole est à 110 euros. Toutes les sociétés ont redéployé leurs ressources vers l'amont de façon massive afin de trouver de nouvelles ressources.

La technologie a beaucoup progressé pour les forages en eaux profonde et très profonde. Il y a donc un énorme redéploiement vers l'offshore , ce qui explique les recherches en Guyane.

Les groupes pétroliers souhaitent des retombées sur les territoires où ils opèrent, mais ils ont leur propre façon de procéder. Cette industrie est très mondialisée. Le navire au large de la Guyane a été fabriqué en Corée. Il convient de discuter avec chaque opérateur.

L'appropriation est fondamentale. Aujourd'hui, il faut consulter et obtenir l'approbation du public à tous les stades. Ce qui s'est passé en matière de gaz de schiste en France métropolitaine est une catastrophe, alors même que le code minier avait été respecté, ce qui montre qu'il est inadapté. La révolte populaire a entraîné des dispositions bloquant un développement utile à notre pays. Nous devons travailler avec les populations, non seulement pour expliquer les dossiers, mais pour qu'ils soient compris. Le film Gasland qui vient des États-Unis est faux et a eu des répercussions très négatives.

M. Bruno Ageorges

La concertation informelle avec M. Tuot n'est pas entrée dans les détails. Peut-on faire participer les populations, tout au long de la trajectoire des permis avec toutes leurs conséquences, pour parvenir à une vision globale ? Comme il est nécessaire de distinguer exploration et exploitation, il est difficile de définir des trajectoires - fiscales, financières, de retombées - d'emblée. Nous restons attachés aux permis d'exploration, suivis de permis d'exploitation : il faut dissocier les deux titres car ils n'emportent pas les mêmes conséquences juridiques.

Quant au partage de production outre-mer, tout dépend de l'ampleur des projets et des discussions entre les collectivités concernées et les opérateurs.

M. Serge Larcher, président

Merci pour vos présentations très complètes.

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