2. Des garanties à apporter en matière d'encadrement du vote par correspondance électronique
a) Un effort nécessaire en matière d'information et d'assistance des électeurs pour les opérations électorales par voie électronique

Lors de leurs auditions, les associations représentatives des Français établis hors de France ont insisté sur le nécessaire effort d'information des électeurs sur le « vote par internet ». Cette demande est d'autant plus fondée que, contrairement aux élections se déroulant en France, les élections françaises à l'étranger ne sont pas relayées par les médias locaux, ni par les autorités du pays d'accueil. Ces élections ne forment donc pas un « temps fort » de la vie nationale, ce qui impose une information accrue de la part des autorités françaises pour stimuler la participation électorale.

Vos rapporteurs souhaitent que la communication officielle des autorités françaises sur les élections permettant le recours au vote par correspondance électronique comprenne systématiquement une information dédiée à cette modalité de vote 48 ( * ) . En particulier, il est suggéré que lorsque les dates du scrutin sont mentionnées, il soit indiqué au même titre la période anticipée au cours de laquelle le « vote par internet » peut avoir lieu.

Cette information pourrait ainsi prendre place lors de la mise en ligne de la propagande dématérialisée pour les élections consulaires ou, de manière générale, par l'envoi d'un courriel aux électeurs inscrits sur la liste électorale consulaire ayant indiqué leur adresse électronique 49 ( * ) .

Recommandation n° 9 :

- Assurer l'information des électeurs sur l'existence, la période et les conditions d'usage du vote par correspondance électronique.

Cet effort de communication doit s'accompagner, lors de la période de vote, d'une assistance aux électeurs. Lors des élections législatives de 2012, un numéro d'appel avait été mis à disposition des électeurs qui rencontreraient des problèmes techniques. Cette précaution s'est révélée particulièrement utile lorsque des électeurs ont rencontré des difficultés à voter en raison d'une incompatibilité liée au logiciel Java.

Le problème technique lié au logiciel Java lors du scrutin de 2012

L'essentiel des problèmes recensés lors des élections législatives à l'étranger est lié au passage du logiciel Java 1.6 à une nouvelle version 1.7 en mai 2012, soit quelques jours seulement avant le premier tour.

Il semblerait que le comité de pilotage n'ait pas considéré ce changement de version comme un problème technique mais plutôt comme une mesure de sécurité. Seuls les ordinateurs munis d'une version du logiciel Java préalablement testée étaient autorisés à voter. Oracle, l'éditeur du logiciel, avait publié une version 1.7 en juillet 2011, qui avait ensuite été retirée en raison de dysfonctionnements.

Une nouvelle version 1.6_032 avait été proposée sur le marché et recommandée aux électeurs en lieu et place de la version 1.7. En juin 2012, c'est-à-dire au moment des élections législatives, Oracle a lui-même recommandé la désinstallation de la version 1.7 au profit de la version 1.6 pour certaines de ses suites logicielles.

Sur 244 623 votants sur l'ensemble des deux tours, seuls 12 893 électeurs ont tenté de se connecter au site de vote sans toutefois déposer de bulletin dans l'urne électronique, soit un taux d'accès réussi égal à 95 %.

Pour vos rapporteurs, l'assistance aux électeurs est primordiale et pourrait être enrichie par des présentations de l'interface de vote ou par des tutoriels avant et au cours de la période de recueil des suffrages. M. François Nicoullaud, représentant l'association démocratique des Français à l'Étranger (ADFE), insistait, lors de son audition, sur l'impossibilité pour l'électeur d'apprendre le geste électoral. Le geste électoral, par définition unique au cours d'un scrutin, se renouvelle moins d'une fois par an en moyenne. L'utilisateur découvre, lors de chaque échéance électorale, le système informatique et ne le redécouvrira que lors du prochain scrutin, ce système ayant pu d'ailleurs évoluer dans l'intervalle. L'apprentissage ne peut s'effectuer progressivement afin d'obtenir un usage optimal, comme ce peut être le cas pour des services en ligne de la vie courante tel que l'achat et le paiement en ligne.

Recommandation n° 10 :

- Assurer la formation et l'assistance des électeurs avant et au cours de la période de recueil des suffrages par voie électronique.

b) Un contrôle des opérations électorales par voie électronique à renforcer

Les expériences électorales connaissant des suffrages émis par correspondance électronique sont encore inférieures à une dizaine. Il apparaît encore délicat à vos rapporteurs d'en tirer des conclusions définitives sur les améliorations du cadre légal.

Sur le principe, dès lors que cette modalité de vote est dérogatoire au droit commun, il paraît logique que les garanties accordées aux différents acteurs du processus électoral (électeurs, délégués de liste 50 ( * ) , membres du bureau de vote électronique) pour s'assurer du bon déroulement des opérations soient plus fortes que celles prévues dans un bureau de vote classique.

Il paraît particulièrement important de tenir compte de l'éclatement géographique des électeurs et de leur absence de contact avec les membres du bureau de vote électronique. À l'inverse, en cas de vote à l'urne, un électeur peut s'adresser directement à un membre du bureau de vote.

Le bureau de vote électronique dresse un procès-verbal des opérations de vote électronique. Tout candidat et tout délégué de candidat peut faire valoir à distance des observations sur le déroulement des opérations qui y seront consignées (article R. 176-3-5- du code électoral) 51 ( * ) . Ces observations peuvent s'avérer particulièrement éclairantes pour le juge de l'élection en cas de contentieux.

Pour rendre effectif ce droit pour les électeurs qui ne sont pas physiquement présents auprès du bureau de vote électronique, vos rapporteurs estiment que les électeurs devraient pouvoir par écrit adresser leurs observations, par le biais d'une messagerie électronique sous réserve d'une authentification pour attester de leur qualité 52 ( * ) . Il conviendrait de préciser cette procédure sur le plan règlementaire pour en faciliter le recours, certains électeurs s'étant tournés à tort vers les personnes destinées à assister les électeurs en cas de difficulté technique 53 ( * ) .

Lors des opérations de vote en 2006, les trois experts ayant produit des observations ont regretté unanimement la distance qui séparait le bureau de vote électronique siégeant à Paris et « l'urne électronique » recueillant les suffrages installé dans un bâtiment appartenant à EADS à Aix-en-Provence. Le bureau de vote électronique ne pouvait l'observer que par un système de caméra. Cette médiation ajoute des incertitudes supplémentaires sur les opérations que les membres du bureau sont censés contrôler. En 2006, M. Andrew Appel, expert informatique ayant observé les opérations de vote électronique, se plaçant dans le rôle d'un assesseur, le résume ainsi : « je n'ai aucun moyen d'être sûr que les données [sur l'écran] viennent d'Aix-en-Provence, je n'ai aucune base pour soupçonner qu'elles ne viennent pas d'Aix ». L'assesseur ne peut donc attester que de ce qu'il a été censé voir.

Pour vos rapporteurs, il est déterminant que le bureau de vote électronique ou une partie de ses membres siègent auprès du serveur faisant office « d'urne électronique », pour renforcer leur contrôle direct sur le bon déroulement des opérations.

Il paraît également inconcevable, comme il est pourtant fait état dans les observations de 2006 des trois experts, que le secret industriel du prestataire puisse être opposé aux membres du bureau de vote électronique.

Recommandation n° 11 :

- Renforcer les pouvoirs des membres du bureau de vote électronique et faciliter la consignation d'observations par les électeurs.

c) Une clarification bienvenue sur la répression pénale des comportements électoraux frauduleux

Le chapitre VII du titre I er du premier livre du code électoral relatif aux infractions en matière électorale est applicable à l'élection des conseillers consulaires et des députés élus par les Français établis hors de France qui font appel au « vote par internet ». Le législateur a même permis, par exception, la poursuite de ces infractions par les autorités françaises même lorsqu'elles étaient commises hors du territoire national.

Néanmoins, certaines formulations, aujourd'hui datées, de ces infractions pénales pourraient rendre délicate leur transposition au « vote par internet ». Par exemple, l'article L. 103 du code électoral évoque « l'urne » sans qu'il soit certain, en raison du principe d'interprétation stricte de la loi pénale, que cette dénomination soit parfaitement transposable à « l'urne électronique ».

Pour lever toute ambiguïté, vos rapporteurs préconisent d'introduire une disposition générale précisant que ces dispositions pénales sont également applicables lorsque le vote a lieu par voie électronique 54 ( * ) .

En outre, la définition de certaines infractions en matière électorale pourrait être modifiée de façon à prendre en compte les spécificités du « vote par internet ». À titre d'exemple, l'article L. 99 du code électoral punit « toute irruption dans un collège électoral consommée ou tentée avec violence, en vue d'empêcher un choix ». Or, le vote par correspondance électronique étant un vote à distance, il conviendrait d'étendre la répression de cette infraction au cas où un électeur subit des violences hors d'un bureau de vote lorsqu'il vote « par internet ».

Recommandation n° 12 :

- Adapter les infractions pénales en matière électorale à la répression des comportements frauduleux lors d'un vote par correspondance électronique.


* 48 Sur le plan règlementaire, l'article R. 176-3-6 du code électoral prévoit que « le ministre des affaires étrangères, l'ambassadeur ou le chef de poste consulaire informe les électeurs sur les modalités d'accès au système de vote par voie électronique et sur son fonctionnement général ».

* 49 Les adresses électroniques, lorsqu'elles ont été communiquées aux services consulaires par les électeurs, doivent, en application de l'article 8 de la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976, figurer sur les listes électorales consulaires.

* 50 Les délégués de liste peuvent notamment participer avec voix consultative aux réunions du bureau de vote électronique.

* 51 Dans un bureau de vote, les membres du bureau, les candidats ou leurs remplaçants, les délégués des candidats, les électeurs peuvent porter au procès-verbal leurs observations ou réclamations (articles L. 67 et R. 52 du code électoral).

* 52 Dans ce cas, l'électeur pourrait être tenu, par exemple, de préciser son identité et son identifiant pour authentifier l'envoi de ses observations.

* 53 Le juge de l'élection a estimé « qu'il n'appartenait pas l'assistance technique mise en place pour aider les électeurs rencontrant des difficultés ponctuelles dans l'expression de leur vote par voie électronique de faire consigner des observations au procès-verbal » (Conseil constitutionnel, décision n° 2012-4580/4624 AN du 15 février 2013, Français établis hors de France - 6ème circonscription ).

* 54 À titre de comparaison, une disposition similaire a été introduite par la loi n° 2011-412 du 14 avril 2011 qui a prévu, au sein de l'article L. 48-1 du code électoral, que les interdictions et restrictions en matière de propagande électorale sont applicables « à tout message ayant le caractère de propagande électorale diffusé par tout moyen de communication au public par voie électronique ».

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