V. LE DÉVELOPPEMENT DES POLITIQUES TEMPORELLES

L'émergence des politiques temporelles est liée à une réflexion sur la qualité de vie et la lutte contre les inégalités entre les hommes et les femmes. Dans la deuxième moitié des années 1970, des réflexions ont été menées sur l'impact du temps de travail sur la société. En témoigne la création par la Communauté européenne, en 1975, de la fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail 46 ( * ) . L'article 2 du règlement concernant sa création prévoit que, parmi les questions dont elle s'occupe plus particulièrement, se trouvent « la répartition dans l'espace des activités humaines et leur distribution dans le temps ».

Plus récemment, le Conseil de l'Europe a évoqué, en octobre 2010 « le droit au temps », dans une résolution intitulée « Temps social, temps libre : quelle politique locale d'aménagement des temps ? ». Il invite le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe à prendre en considération « le droit au temps » et évoque ce qui peut en dépendre : l'égalité entre les hommes et les femmes, la cohésion sociale, « le bien-être temporel », la « qualité de la vie temporelle ».

A. APPROCHE COMPARATIVE

1. L'Italie aux avant-gardes des politiques temporelles

La volonté de mettre en place des mesures concrètes impactant le temps a été initiée en Italie dans les années 1980 par les femmes du parti communiste. Comme le rappelle la députée Livia Turco, dans son discours aux Temporelles de Rennes en 2011, le parti communiste italien a lancé en 1986 le projet « Charte des femmes ». Dans ce cadre, le constat a été fait que le problème rencontré par toutes les femmes était « celui du travail et de la possibilité de le concilier avec les autres temps de la vie ». Un forum sur « le temps des femmes » a alors a été organisé en 1988 où, pour la première fois, a été évoquée la nécessité d'une loi afin d'apporter plus de flexibilité tout au long de la vie, ainsi qu'une réorganisation des horaires des villes « pour les rendre plus humains et vivables ».

Suite à ce forum, une proposition de loi d'initiative populaire intitulée « les femmes changent le temps », a été déposée et a recueilli plus de 300 000 signatures. Elle a été l'occasion d'un débat sur les politiques temporelles dans le pays. Si cette proposition de loi en est restée au stade du dépôt, de premières actions concrètes ont néanmoins été menées. Ainsi, la loi 142/90 donne au maire le pouvoir « dans le cadre de la réglementation régionale, et sur la base de recommandations émises au conseil communal, de coordonner les horaires d'ouverture des commerces et des services publics, ainsi que les horaires d'ouverture au public des bureaux auxiliaires des administrations publiques, et ce afin d'harmoniser les prestations de services avec les exigences globales et générales des usagers ».

Suite à cette loi, plus de dix régions ont voté des textes pour la mise en place de plans de régulation des horaires. En outre, durant cette même période, plusieurs villes comme Rome, Milan, Bolzone, Venise ou Catane ont créé des bureaux des temps.

Dans le même temps, le ministère italien de la Recherche scientifique et technologique a financé un réseau d'universités et de chercheurs travaillant sur ces questions.

L'étape suivante est la loi Turco, votée en 2000, qui, d'une part, instaure un « plan d'organisation territoriale des horaires » en tant « qu'instrument unitaire, articulé en projets, même expérimentaux, ayant pour objet le fonctionnement des différents systèmes horaires des services urbains, leur harmonisation et leur coordination progressive » et, d'autre part, rend obligatoire dans chaque commune de plus de 30 000 habitants la mise en oeuvre de plans territoriaux des horaires et la nomination d'une personne responsable.

2. Un exemple inspirant d'autres pays européens

Les expériences en Italie ont intéressé d'autres pays européens ainsi que l'Union européenne qui, dans le cadre de son programme « Eurexcter » pour l'excellence territoriale en Europe, a soutenu des projets pilotes dans cinq États membres.

En Allemagne, les villes de Brême, Hambourg et Hanovre ont mis en place un bureau des temps et ont créé un réseau « Temps de la ville ». L'idée est en partie venue à la suite d'une visite d'élus locaux et d'universitaires italiens à Brême et Hambourg en 1992.

Aux Pays-Bas, la société a profondément évolué dans les années 1980, notamment en ce qui concerne la place de la femme. En effet, cette société, traditionnellement fortement marquée par un partage des tâches selon les genres et une proportion importante de femmes au foyer, a connu une forte augmentation de la féminisation du marché du travail. En 1997, le ministre chargé des Affaires sociales et de l'Emploi a instauré la commission « Aménagement des temps quotidiens » 47 ( * ) , chargée de quatre missions principales :

- formuler des propositions pour une organisation quotidienne de la société dans laquelle hommes et femmes pourraient mieux concilier travail rémunéré, tâches ménagères et familiales ;

- expérimenter des solutions innovantes pour combiner les moments consacrés au travail rémunéré, à la formation et aux enfants, et ceux passés dans les magasins et les transports publics, ainsi que pour résoudre les problèmes de distance et d'accessibilité des services ;

- encourager le débat public sur l'organisation au quotidien de la société ;

- amener les administrations nationales, provinciales et locales ainsi que les partis politiques, les organisations publiques et privées à intégrer cette problématique et ce type de démarche dans leurs actions.

À la suite de cette commission, un projet pilote a été mis en place à Utrecht.

En Finlande, les années 1990 sont marquées, d'une part, par une crise économique et, d'autre part, par une augmentation du stress dans les emplois féminins. Il a été décidé de mettre temporairement en place dans les municipalités un régime dit « 6+6 », fonctionnant sur une réduction du temps de travail individuel passant de huit heures à six heures par jour mais une augmentation de l'amplitude horaire d'ouverture des services publics, puisque deux équipes travaillant chacune six heures se succèdent. Les principales expériences ont concerné les services sociaux et les services médicaux. Toutefois, il a été mis un terme à cette expérimentation en raison de son coût, car l'État compensait la perte de revenu individuel résultant de la diminution du temps de travail.

En Espagne, Barcelone a été la première ville à se lancer dans les politiques temporelles dans les années 1990, suite aux mutations de la société et de l'évolution de la place de la femme, mais également dans la perspective des Jeux Olympiques de 1992. En effet, un vaste programme d'aménagement urbain était prévu. En 1993, la ville de Barcelone a mené une étude intitulée « les femmes et les temps de la ville à Barcelone » qui a conduit à un projet pilote dans l'un des quartiers visant à rendre plus flexibles les horaires des crèches et des écoles. En 2003, elle a mis en place un programme sur les nouvelles utilisations sociales du temps. Dans ce cadre, un pacte du temps a été signé comprenant cinq objectifs :

- ajuster les horaires et les utilisations des équipements et services aux besoins des personnes ;

- concevoir un espace public suivant les besoins des quartiers et connecter le réseau de transports publics municipal à celui de l'aire métropolitaine ;

- fournir une information accessible et promouvoir l'e-administration ;

- travailler conjointement avec les entreprises et les services de la ville pour rendre compatibles les horaires de travail avec ceux de la vie quotidienne ;

- sensibiliser sur la nécessité de concilier les temps pour améliorer la qualité de vie.

Si la ville de Barcelone est celle qui a le plus avancé sur ce sujet, d'autres régions espagnoles ont également amorcé des réflexions, notamment dans le cadre du programme Eurexcter. C'est le cas des Asturies, et notamment des villes d'Oviedo et de Gigon, qui ont ouvert des infrastructures publiques comme, par exemple, des gymnases accessibles les soirs de week-end jusqu'à 3 heures du matin afin d'offrir aux jeunes une alternative à la consommation d'alcool. Ainsi, en 2012, le programme « la Noche es tuya » de la ville d'Oviedo a proposé 125 activités sportives et culturelles les soirées des week-ends de fin février à mi-avril, puis de début octobre à fin novembre, de 22 heures à 3 heures du matin. Plus de 1 800 personnes âgées de 18 à 35 ans, en ont bénéficié 48 ( * ) .


* 46 Également appelée fondation de Dublin.

* 47 La commission « Dagindeling ».

* 48 Concejalía de juventud, memoria del año 2012, ayuntamiento de Oviedo.

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