N° 579

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juin 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) par la mission d' information sur les écoles supérieures du professorat et de l' éducation (2),

Par M. Jacques-Bernard MAGNER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : Mme Marie-Christine Blandin , présidente ; MM. Jean-Étienne Antoinette, David Assouline, Mme Françoise Cartron, M. Ambroise Dupont, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, M. Jacques Legendre, Mmes Colette Mélot, Catherine Morin-Desailly, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; Mmes Maryvonne Blondin, Marie-Annick Duchêne, M. Louis Duvernois, Mme Claudine Lepage, M. Pierre Martin , secrétaires ; MM. Serge Andreoni, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Pierre Bordier, Mme Corinne Bouchoux, MM. Jean Boyer, Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Vincent Eblé, Mmes Jacqueline Farreyrol, Françoise Férat, MM. Gaston Flosse, Bernard Fournier, André Gattolin, Jean-Claude Gaudin, Mmes Dominique Gillot, Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-François Humbert, Mmes Bariza Khiari, Françoise Laborde, M. Pierre Laurent, Mme Françoise Laurent-Perrigot, MM. Jean-Pierre Leleux, Michel Le Scouarnec, Jean-Jacques Lozach, Philippe Madrelle, Jacques-Bernard Magner, Didier Marie, Mme Danielle Michel, MM. Philippe Nachbar, Daniel Percheron, Jean-Jacques Pignard, Marcel Rainaud, Michel Savin, Abdourahamane Soilihi, Alex Türk, Hilarion Vendegou, Maurice Vincent .

(1) Cette mission d'information est composée de : Mme Colette Mélot , présidente ; Mmes Marie-Annick Duchêne, Françoise Laborde , vice-présidentes ; M. Jacques-Bernard Magner , rapporteur ; M. Dominique Bailly, Mme Maryvonne Blondin, Mmes Corinne Bouchoux, Dominique Gillot, Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Jacques Legendre, Pierre Martin.

SYNTHÈSE DES TRAVAUX DE LA MISSION D'INFORMATION

Réunie le 4 juin 2014, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, présidée par Mme Marie-Christine Blandin, a autorisé la publication du rapport de la mission d'information sur les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ).

Présidée par Mme Colette Mélot et rapportée par M. Jacques-Bernard Magner, cette mission s'est attachée à dresser un premier bilan d'étape à l'issue de la première année de mise en oeuvre d'une réforme nécessaire et ambitieuse qui ne pourra pleinement porter ses fruits qu'à long terme.

Elle recommande notamment de :

- travailler à l'émergence d'une culture commune à tous les enseignants, au-delà des différences d'identités professionnelles et de statuts, par le renforcement des troncs communs de formation ;

- prévoir une inscription pédagogique systématique dans les ÉSPÉ de tous les étudiants des masters préparant aux concours de l'éducation nationale ;

- privilégier le rattachement de l'ÉSPÉ aux communautés d'universités et d'établissements ;

- conforter les équipes pluricatégorielles de formateurs, en donnant toute leur place aux professionnels de terrain ;

- travailler à la constitution de pôles de coopérations inter-académiques pour mutualiser les formations préparant au concours de professeur de lycée professionnel ;

- prévoir une sensibilisation des futurs enseignants aux enjeux européens ;

- instituer un continuum de formation commençant dès la licence pour susciter des vocations et entamer la démarche de professionnalisation en amont du master.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 13 novembre 2013, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a constitué en son sein une mission d'information sur les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ), moins de deux mois après le lancement effectif de la réforme. Créées à la rentrée universitaire de 2013 en lieu et place des anciens instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) en application de la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République , ces nouvelles structures sont appelées à conduire la rénovation de la formation des enseignants, avec un double objectif :

- parachever son « universitarisation » dans le prolongement de l'intégration des IUFM aux universités et de la mastérisation ;

- reprofessionnaliser fortement un parcours de formation qui avait pâti de la suppression, sous le précédent gouvernement, de l'année de stage, en instituant une seconde année de master pleinement consacrée à la formation par alternance , conjuguant formation théorique et didactique et mi-temps en responsabilité en établissement scolaire, pour les lauréats du concours présenté en fin de première année.

Cette réforme, qui avait constitué un engagement fort du Président de la République pendant la campagne présidentielle a été conduite dans un calendrier législatif contraint, marqué par l' examen concomitant au printemps 2013 de deux textes majeurs : le projet de loi de refondation de l'école et le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche . La création des ÉSPÉ ayant été annoncée pour la rentrée universitaire de 2013, la réforme a été mise en oeuvre à marche accélérée , avec des discussions autour du projet d'ÉSPÉ au sein de chaque académie entamées dès décembre 2012 , malgré l' absence de cadre législatif et réglementaire définitif .

Dans ce contexte, les différentes parties prenantes ont exprimé des inquiétudes légitimes, ce qui explique les tensions observées fin 2013 dans certaines académies (notamment à Toulouse, à Poitiers, à Aix-Marseille, à Nantes ou encore à Bordeaux). Alors que les présidents des universités intégratrices et leurs conseils d'administration s'interrogeaient sur la capacité de leur établissement à mettre en oeuvre une réforme ambitieuse dans un cadre budgétaire contraint, un certain nombre d'universitaires ont fait part de leur perplexité quant à l'universitarisation effective de la formation des enseignants et à la place accordée à la recherche, compte tenu à la fois du poids de l'alternance en M2 et du positionnement du concours en fin de M1. Dans le même temps, les étudiants ont rappelé leur souci prioritaire de disposer en M1 d'une préparation solide à l'ensemble des concours de recrutement , d'où leurs craintes quant à la diminution du nombre d'heures de formation ou au rétrécissement des budgets de fonctionnement des ÉSPÉ par rapport aux anciens IUFM.

Le ministère de l'éducation nationale et le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, réunis sous l'autorité d'un seul ministre depuis avril 2014, ont dû s'engager dans une pédagogie intense de la réforme , en rappelant que les ÉSPÉ nécessiteraient plusieurs années avant de trouver leur rythme de croisière et que la professionnalisation de la formation ne pouvait être comprise que dans le cadre d'une refonte progressive du format et du contenu des épreuves des concours .

Au travers de la réforme des ÉSPÉ, c'est véritablement la capacité à changer de paradigme de notre système de formation, tant pour l'enseignement scolaire que pour l'enseignement supérieur, qui est mise à l'épreuve. L'installation de ces nouvelles structures continue, en effet, de se heurter à un certain nombre de résistances et de cultures bien installées . Celles-ci ont été entretenues, en partie, par quelques IUFM nostalgiques d'un certain « âge d'or » de la formation des enseignants et durablement affectés par la campagne de dénigrement dont ils ont fait l'objet, parfois injustement, et par des structures universitaires, en particulier des unités de formation et de recherche (UFR), inquiètes de se voir déposséder de la formation des étudiants se destinant aux concours du second degré ou à l'agrégation et d'être réduites au rang de « prestataires de service » auprès de l'ÉSPÉ.

Le succès des ÉSPÉ repose sur leur capacité à faire partager par l'ensemble de la communauté universitaire et éducative un projet solide et cohérent adapté aux besoins de leur académie respective et qui tienne compte du caractère sans cesse évolutif des pratiques pédagogiques. La mise en place d'équipes pluricatégorielles permettant d'associer une multiplicité d'acteurs nourris d'une expérience professionnelle constamment renouvelée est incontournable, afin de ne pas tomber dans l'écueil qui consiste à établir des modèles de formation figés et, par conséquent, rapidement obsolètes .

I. UNE MISE EN PLACE GLOBALEMENT RÉUSSIE QUI A GARANTI LA CONTINUITÉ DU SERVICE PUBLIC DE LA FORMATION DES ENSEIGNANTS

A. UNE CAMPAGNE D'ACCRÉDITATION ABOUTIE

1. Une préparation des dossiers à marche accélérée

La mise en place des ÉSPÉ a fait l'objet d'un pilotage et d'un suivi interministériels assurés par la direction générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle (DGESIP), la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) et la direction générale des ressources humaines (DGRH), au sein du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche 1 ( * ) . Les services ministériels indiquent avoir travaillé de concert sur ce dossier afin de garantir une articulation opérationnelle des différents services de tutelle incarnée, sur le terrain, par les recteurs investis des fonctions à la fois d' employeur (recrutement et gestion des carrières et des parcours des futurs enseignants) et de chanceliers des universités . Cette coresponsabilité interministérielle est incontournable : pour la préparation et la mise en oeuvre de cette réforme fondamentale, il n'était à l'évidence plus possible de raisonner comme si le ministère employeur (ministère de l'éducation nationale) demeurait déconnecté du suivi et du contrôle de la mise en place des ÉSPÉ et de la cohérence du contenu des formations de master assuré par le ministère formateur (ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche).

La concertation « Refondons l'école » , inaugurée par le ministre de l'éducation nationale le 5 juillet 2012, comprenait quatre grandes thématiques dont l'une s'intitulait « Des personnels formés et reconnus » 2 ( * ) et pour laquelle les pistes de réflexion suivantes avaient été tracées : « une vraie formation initiale et continue, une nouvelle évaluation des personnels et des missions redéfinies pour des personnels reconnus ». Le rapport de cette concertation 3 ( * ) a permis de faire ressortir plusieurs éléments de consensus en matière de formation des personnels de l'éducation :

- l'intégration de la formation initiale et continue des enseignants au sein de l'université constitue désormais une donnée acquise , depuis la reconnaissance aux instituts universitaires de la formation des maîtres (IUFM) du statut de composante interne des universités par la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, dite « loi Fillon » ;

- la mastérisation 4 ( * ) , qui conditionne le recrutement des enseignants à la détention d'un master, a inscrit désormais durablement la préparation du métier d'enseignement dans le cadre de formations diplômantes de grade de master ;

- la constitution d'un vivier dynamique d'étudiants se prédestinant aux métiers de l'éducation exige la mise en place de processus de prérecrutement dès le niveau de la licence 5 ( * ) afin d'encourager les jeunes à découvrir ces voies professionnelles et les potentialités offertes 6 ( * ) .

Dans ces conditions, conformément à l'une des propositions du Président du République formulées au cours de la campagne pour l'élection présidentielle de 2012, le rapport de la concertation appelle, dès octobre 2012, à la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) afin de former l'ensemble des personnels de l'enseignement et de l'éducation au sein d'une même structure, autour d'un tronc commun et d'une culture partagée.

Le contenu et l'esprit du projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République ont été présentés par le ministre de l'éducation nationale dans une lettre en date du 7 décembre 2012 adressée à l'ensemble des personnels de l'éducation nationale. Le projet de loi a été formellement déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 23 janvier 2013. L'examen parlementaire du projet de loi s'est déroulé sur l'ensemble du premier semestre de l'année 2013, avec deux lectures au sein de chaque assemblée, pour une adoption définitive de la loi par le Sénat le 25 juin 2013 et une promulgation le 8 juillet 2013.

La préparation des dossiers de création et de demande d'accréditation des ÉSPÉ a débuté dès la fin de l'année 2012 , bien avant l'examen et l'adoption par le Parlement de la « loi de refondation de l'école » 7 ( * ) .

En janvier 2013, le ministère de l'éducation nationale et le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche élaborent conjointement puis diffusent auprès des acteurs de la réforme un projet de cahier des charges de l'accréditation des ÉSPÉ précisant les attendus du dossier d'accréditation en termes de positionnement statutaire et de gouvernance de l'école, de contenu du projet pédagogique, de modalités de la coordination entre les différents partenaires et de modèle économique. Dans le même temps, un projet de cadre national des formations liées aux métiers du professorat du premier et du second degrés et de l'éducation , encore soumis à concertation, est mis à la disposition des rectorats et des établissements d'enseignement supérieur afin de définir les objectifs et l'architecture de la formation initiale des professionnels de l'éducation, en particulier s'agissant de l'organisation des stages et de l'évaluation des compétences professionnelles des étudiants.

En l'absence de dispositions législatives définitives définissant le cadre réglementaire applicable aux nouvelles ÉSPÉ, ces documents de référence constituaient des orientations et des pistes de travail susceptibles d'évoluer ou d'être précisées au fur et à mesure de l'examen du projet de loi. Toutefois, l'engagement du Gouvernement à ouvrir des ÉSPÉ dûment accréditées dans chaque académie à la rentrée universitaire de 2013 a obligé les acteurs de la réforme à anticiper le format définitivement arrêté par le Parlement. Les premières réunions de travail entre les recteurs, les présidents d'université et les responsables de la formation des maîtres sont intervenues dès la fin décembre 2012. Les dossiers de pré-projets d'accréditation devaient être renvoyés aux deux ministères avant la fin février 2013.

Les premiers dossiers d'accréditation ont donc été élaborés dans un cadre réglementaire provisoire , sur des bases juridiques encore fragiles . Les recteurs se sont vus confier la responsabilité de piloter la réforme en coordonnant l'élaboration d'un projet académique cohérent en matière de formation des enseignants. Les porteurs de chaque projet ont ainsi été désignés par les recteurs et présidents d'université concernés : certains sont issus directement des IUFM (directeurs, responsables pédagogiques...), d'autres sont issus d'autres services ou composantes de l'université destinée à intégrer l'ÉSPÉ (président de l'université, responsable d'UFR...) Chaque projet a été préparé sous la direction de deux responsables , dont un issu de l'enseignement secondaire.

Les trente porteurs de projet ont effectué plusieurs bilans de l'état d'avancée des dossiers avec les directions ministérielles concernées, avec des pré-projets présentés dès la fin du mois de février 2013, et plusieurs revues qui se sont succédé de mars à mai 2013. Le ministère de l'éducation nationale a effectué des visites au sein des structures appelées à être converties en ÉSPÉ. Le 25 mai a été fixé comme date butoir pour le rendu des projets dans leur version la plus aboutie en vue de leur examen pour l'octroi de l'accréditation par un comité d'experts composé d'universitaires et d'inspecteurs généraux de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche .

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Plusieurs types de documents ont servi de textes de référence pour la constitution des ÉSPÉ :

- la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République , et notamment le chapitre VI de son titre I er ;

- le référentiel de compétences des métiers d'enseignant : résultat d'une concertation avec les professionnels du secteur de l'éducation lancée après celle de l'automne 2012, il a fait l'objet d'une publication non définitive en mars 2013, afin que les acteurs puissent en avoir une connaissance préalable dès la préparation des dossiers d'accréditation au début de l'année 2013. Il a été définitivement fixé par un arrêté du 1 er juillet 2013 8 ( * ) ;

- le cadre national des formations : élaboré au début de l'année 2013, il complète le cahier des charges de l'accréditation. Il a été arrêté par les deux ministres le 27 août 2013 9 ( * ) ;

- le cahier des charges de l'accréditation : il s'agit du premier document de référence communiqué à l'ensemble des acteurs dès janvier 2013. Il a été finalisé par un arrêté du 27 août 2013 10 ( * ) ;

- la maquette générique des concours rénovés , en date du 3 janvier 2013, et les arrêtés et maquettes définissant les modalités des épreuves des concours enseignants et d'éducation, en date du 19 avril 2013 ;

- les propositions du comité de suivi master pour les formations du master « Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation » (MEEF) , en date du 28 février 2013.

La mise en place des ÉSPÉ s'inscrit dans un moment particulier de l'histoire du paysage universitaire qui a connu des bouleversements à répétition depuis la loi n° 2006-450 du 18 avril 2006 de programme pour la recherche 11 ( * ) et la loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU » 12 ( * ) . L'examen parlementaire du projet de loi de refondation de l'école a, en effet, coïncidé avec celui du projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche qui vise à favoriser le regroupement des établissements d'enseignement supérieur au niveau académique ou inter-académique , notamment par la constitution de communautés d'universités et établissements (COMUE), ayant le statut d'établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) en remplacement des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES), ou par l' association de plusieurs établissements à un seul EPSCP chef de file de la coordination territoriale de l'offre d'enseignement supérieur.

Dans un contexte semé d'incertitudes, au moment même où ils doivent réfléchir au positionnement de leur établissement au sein du paysage universitaire académique, les présidents d'université sont appelés à intégrer en leur sein un nouveau type de composante dérogatoire, disposant d'un statut ad hoc empruntant à plusieurs modèles de composantes universitaires autonomes sur les plans pédagogique et budgétaire : les unités de formation et de recherche (UFR) de médecine dont le directeur a la capacité de conventionner avec des organismes extérieurs, les instituts universitaires de technologie (IUT) qui sont supposés entretenir avec l'université un dialogue de gestion formalisé par un contrat d'objectifs et de moyens conclu avec le conseil d'administration de l'université ou encore les écoles doctorales qui permettent de fédérer plusieurs unités de recherche rattachées à d'autres composantes. Il va sans dire que les présidents d'université nourrissent une certaine appréhension à l'idée de créer au sein de leur établissement une structure nouvelle aussi dérogatoire, gardant à l'esprit l'épisode parfois douloureux dans certaines académies de l'intégration des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) au sein des universités.

2. Des dossiers d'accréditation de qualité inégale

Au printemps 2013, la direction générale de l'enseignement scolaire avait indiqué 13 ( * ) que, parmi la trentaine de projets de création d'ÉSPÉ qui lui était parvenue pour la rentrée de 2013, il était possible de distinguer :

- un tiers de projets aboutis qui répondaient de façon satisfaisante aux exigences posées par le cahier des charges de l'accréditation, préparés par des équipes qui ont bien compris les objectifs poursuivis par la réforme et qui ont travaillé en bonne intelligence avec les universités de l'académie ;

- un autre tiers qui s'inscrivait dans une situation intermédiaire et appelait de nécessaires ajustements , en raison de projets encore non aboutis mais qui pouvaient encore être corrigés sans difficulté majeure pour répondre aux exigences du cahier des charges ;

- un dernier tiers qui était composé de dossiers présentant de réelles difficultés dès lors qu'ils ne visaient à créer que de simples structures coordinatrices sans réelle maîtrise ni du contenu ni de la mise en oeuvre de la formation des personnels enseignants et de l'éducation.

Comme l'a rappelé notre collègue Françoise Cartron, selon un bilan à mi-parcours au printemps 2013, sept académies ont été identifiées comme nécessitant une « aide appuyée des ministères » (Bordeaux, Corse, Lille, Lyon, Nantes, Toulouse, Versailles). Neuf académies présentaient des situations intermédiaires ; des réunions de travail d'accompagnement ont été organisées afin de préciser le projet. Onze autres académies, dont les dossiers étaient considérés de qualité et avaient fait l'objet d'une réflexion bien avancée, se sont vu proposer de simples échanges avec les ministères à la demande du comité de pilotage de l'ÉSPÉ.

Le ministre de l'éducation nationale a reconnu, le 30 avril 2013, que « la principale difficulté » dans la mise en place des ÉSPÉ résidait dans la nécessité « de faire travailler ensemble les UFR, les personnels des IUFM, les professeurs de terrain » :

- une part significative des pré-projets ont démontré une grande difficulté à satisfaire l' exigence de mixité des équipes pédagogiques des ÉSPÉ qui doivent comprendre une part substantielle de professionnels de terrain , condition fondamentale de l'articulation effective des dimensions théorique et pratique dans la formation ;

- rares ont été les projets qui ont pleinement mesuré l' importance du tronc commun , qui suppose la prise en compte, dans le contenu du diplôme pour chaque métier, de compétences professionnelles communes et transversales . Pour mémoire, les conseillers principaux d'éducation pouvaient être formés au sein des IUFM sans y avoir jamais rencontré de professeurs de collège ou de lycée ;

- un certain nombre de projets de demandes d'accréditation ont peiné à démontrer un adossement effectif des masters MEEF aux moyens de la recherche de l'université intégratrice et un lien insuffisant entre les travaux de recherche et la pratique de terrain.

Trente ÉSPÉ ont été accréditées par arrêtés ministériels en date du 30 août 2013. La situation particulière de l'IUFM de Nouvelle-Calédonie (qui couvre également le territoire des îles Wallis-et-Futuna) et de celui de Polynésie française nécessite un délai plus important pour leur transformation en ÉSPÉ. En Nouvelle-Calédonie, l'État, compétent dans le domaine de l'enseignement supérieur, doit en effet négocier avec la collectivité les modalités de conversion de l'IUFM en ÉSPÉ dès lors que le gouvernement de Nouvelle-Calédonie organise un concours territorial de professeurs des écoles ouvert aux étudiants dès l'obtention d'une licence. En ce qui concerne l'IUFM de Polynésie française, le recours à une ordonnance s'impose.

L'ensemble des ÉSPÉ ainsi créées a été accrédité à compter du 1 er septembre 2013 pour une durée équivalente au contrat quinquennal en cours d'exécution liant l'université intégratrice à l'État ou, si celui-ci arrivait à échéance moins d'un an plus tard, au prochain contrat en cours de préparation 14 ( * ) . Pour mémoire, les universités ont conclu des contrats d'établissement avec l'État selon cinq vagues contractuelles , de la vague A (période 2011-2015) à la vague E (période 2015-2019). Aucune ÉSPÉ n'ayant été accréditée à titre provisoire pour un an, la durée de la première accréditation varie ainsi, selon l'ÉSPÉ, de deux (pour des établissements de la vague A) à six ans (pour des établissements de la vague E). À l'issue de la première accréditation et de leur première évaluation, toutes les ÉSPÉ devraient être accréditées pour une durée de cinq ans, équivalant à un contrat d'établissement « plein ».

Conformément à l'article 4 de l'arrêté du 27 août 2013 définissant le cahier des charges de l'accréditation, l'accréditation d'une ÉSPÉ emporte son habilitation à délivrer le diplôme national de master MEEF pour une série de mentions précisées par la décision d'accréditation. L'habilitation à délivrer le master MEEF court, sauf précision expresse contraire, jusqu'à l'expiration de l'accréditation. Quatre mentions de master sont en effet prévues par les arrêtés d'accréditation :

- le MEEF « premier degré » ;

- le MEEF « second degré » ;

- le MEEF « encadrement éducatif » ;

- le MEEF « pratiques et ingénierie de la formation ».

Parmi les trente ÉSPÉ accréditées, quatre écoles n'ont été expressément habilitées à ne délivrer les quatre mentions du master MEEF que pour une durée d'un an seulement (jusqu'au 31 août 2014) : il s'agit des ÉSPÉ des académies de Grenoble, Lyon, Toulouse et Versailles. Quant à l' ÉSPÉ de l'académie de Paris , elle a été habilitée pour toute la durée de son accréditation pour les mentions « premier degré » et « encadrement éducatif », mais n'a obtenu qu'une habilitation d'un an pour la mention « second degré » 15 ( * ) .

Les trois ÉSPÉ des académies de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique, intégrées à une seule et même université, l'université des Antilles et de la Guyane (UAG) 16 ( * ) , bien qu'elles soient habilitées pour une durée équivalant à leur accréditation, font, pour leur part, l'objet d'un accompagnement spécifique pendant la première année suivant leur création.

Au total, ce sont donc huit ÉSPÉ qui sont appelées à fournir régulièrement aux ministères de tutelle des informations complémentaires sur la mise en place des parcours de formation des futurs enseignants tout au long de leur première année d'accréditation. Le suivi particulier de ces ÉSPÉ et l'habilitation provisoire de certaines d'entre elles s'expliquent principalement par :

- une insuffisante prise en compte du concept de professionnalisation dans les maquettes de formation initiale et continue, avec dans certains cas une participation encore trop limitée des professionnels de terrain dans le cadre des équipes pluricatégorielles ;

- une part insuffisante accordée à la recherche et au numérique dans l'organisation des enseignements et des activités ;

- un positionnement fragile de l'ÉSPÉ dans le tissu universitaire de l'académie, qui pose la question des conditions de la participation active des autres établissements partenaires au projet global de l'école et ne permet pas d'assurer une gouvernance opérationnelle et un modèle économique solide, sources d'inquiétudes pour les personnels.

Sur ces différents points, les ministères ont estimé que le projet des ÉSPÉ concernées ne tirait pas pleinement profit des potentialités offertes par l'académie et ses établissements d'enseignement supérieur. Ces ÉSPÉ sont communément désignées « ÉSPÉ article 4 », leur arrêté d'accréditation comportant en effet un article 4 qui précise que « durant la première année de l'accréditation, l'école supérieure du professorat et de l'éducation, l'établissement dont elle relève et les établissements partenaires apportent tous les éléments requis par les ministres en lien avec les attendus du dossier d'accréditation tels que définis à l'article 2 de l'arrêté fixant les modalités d'accréditation des écoles supérieures du professorat et de l'éducation susvisé. »

L'ÉSPÉ de l'académie de Paris constitue un cas particulier, compte tenu de la présence, au sein de l'académie, de plusieurs pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) ayant vocation à devenir des communautés d'universités et établissements (COMUE). Une grande partie du temps de réflexion a été consacrée aux modalités de portage de cette ÉSPÉ dès lors que celle-ci était censée fédérer les forces, en matière de formation des enseignants, de plusieurs établissements appartenant à différentes COMUE et impliqués dans diverses initiatives d'excellence (idex 17 ( * ) ) concurrentes. Dans ces conditions, le recteur de l'académie de Paris indique que le travail sur le contenu du projet pédagogique, scientifique et administratif de l'ÉSPÉ n'a débuté qu'à partir du mois de février 2013. Ce retard pris dans l'élaboration du projet explique, selon lui, les marges de progression identifiées par les ministères en termes de prise en compte effective de la professionnalisation qui doit venir compléter la forte tradition d'excellence disciplinaire qui caractérise l'environnement universitaire parisien.

À la rentrée 2013, les trente ÉSPÉ ont été habilitées à délivrer le master MEEF pour les mentions « premier degré », « second degré » et « encadrement éducatif ». Seules dix-sept d'entre elles, en revanche, ont été habilitées à délivrer la mention « pratiques et ingénierie de la formation ».

Le suivi de la mise en place des ÉSPÉ repose sur deux dispositifs institués par les ministres de tutelle :

- un comité de pilotage interministériel , constitué de la DGESCO, de la DGESIP et de la DGRH et présidé par François Louveaux et Claude Fabre : cette structure interministérielle est chargée de coordonner les directives transmises aux équipes dirigeantes des universités et aux responsables des ÉSPÉ. Étant donné le calendrier extrêmement resserré dans lequel s'est inscrit la création des ÉSPÉ, les finalités et les originalités de ces nouvelles écoles n'ont pas toujours été bien comprises, d'où un certain nombre de retards et, parfois, un manque manifeste de maturation des projets. Ce comité de pilotage est dès lors appelé à répondre autant que faire se peut aux multiples incertitudes qui perdurent dans l'esprit des responsables des ÉSPÉ, s'agissant notamment de l'organisation des stages, de l'équilibre délicat à définir entre l'alternance et la montée en charge de la dimension universitaire de la formation, du rôle et du statut des personnels intervenant au sein des ÉSPÉ, ou encore de l'évaluation de la formation en coûts complets et de l'évolution des moyens correspondants... ;

- un comité de suivi , composé de représentants du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) et du Conseil supérieur de l'éducation (CSE) et présidé par Daniel Filâtre, recteur de l'académie de Grenoble : ce comité est chargé d'élaborer, dans le cadre d'une large concertation de l'ensemble des acteurs, des éléments de doctrine pour la bonne marche de la réforme, à l'image des comités de suivi licence et master. Il est composé de quatre collèges paritaires, chacun constitué de six représentants : des représentants de l'employeur, des représentants des opérateurs de formation (universités, directeurs d'ÉSPÉ, doyens d'UFR...), des représentants des partenaires sociaux (trois pour l'enseignement scolaire, trois pour l'enseignement supérieur) et des personnalités qualifiées (représentants du Collectif des acteurs partenaires de l'école, par exemple, et d'autres associations d'activités éducatives et périscolaires, d'éducation populaire, culturelle et artistique...) Le comité de suivi n'a pas vocation à évaluer la mise en place de la réforme dans chaque académie, il intervient comme référent pour la production de bonnes pratiques et de lignes directrices .


* 1 Jusqu'au remaniement ministériel, intervenu le 2 avril 2014, regroupant les secteurs de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche au sein d'un même ministère, la DGESIP dépendait du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Quant à la DGRH, elle constitue de longue date un service mutualisé de gestion des personnels de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche (hors personnels de l'administration centrale).

* 2 Les trois autres thématiques étaient les suivantes : « La réussite scolaire pour tous », « Les élèves au coeur de la refondation » et « Un système éducatif juste et efficace ».

* 3 Remis au Président de la République le 9 octobre 2012.

* 4 Réforme lancée au printemps 2008 (déclaration du Président de la République du 2 juin 2008), construite au cours de l'année 2009-2010 (circulaire du 23 décembre 2009 relative à la mise en place des diplômes nationaux de master ouverts aux étudiants se destinant aux métiers de l'enseignement) et mise en oeuvre à partir de la rentrée scolaire de 2010.

* 5 Communication de février 2013 de Jacques-Bernard Magner, sénateur du Puy-de-Dôme, dans le cadre du groupe de travail de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le prérecrutement dans l'éducation nationale.

* 6 Mise en place au début de l'année 2013 du dispositif « emplois d'avenir professeur » (EAP) visant à favoriser l'insertion professionnelle dans les métiers du professorat de jeunes boursiers de moins de 26 ans (de L2 à M1).

* 7 Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.

* 8 Arrêté du 1 er juillet 2013 relatif au référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation (NOR : MENE1315928A ; Journal officiel de la République française n° 0165 du 18 juillet 2013).

* 9 Arrêté du 27 août 2013 fixant le cadre national des formations dispensées au sein des masters « Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation » (NOR : ESRS1319419A ; Journal officiel de la République française n° 0200 du 29 août 2013).

* 10 Arrêté du 27 août 2013 fixant les modalités d'accréditation des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (NOR : ESRS1319423A ; Journal officiel de la République française n° 0200 du 29 août 2013).

* 11 Ce texte réforme le système d'évaluation des établissements d'enseignement supérieur et de recherche par la mise en place d'une seule autorité administrative indépendante (Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur - AERES -, devenue Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur - HCERES -). Il crée également l'Agence nationale de la recherche (ANR) ayant pour mission de centraliser l'examen des appels à projet en matière de recherche et d'enseignement supérieur, de même que les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES), ayant statut d'établissement public de coopération scientifique (EPCS) ou de fondation à caractère scientifique (FCS).

* 12 Ce texte tend à renforcer l'autonomie budgétaire et de gestion des ressources humaines des établissements d'enseignement supérieur par l'octroi à l'ensemble des universités, avant le 1 er janvier 2013, des responsabilités et compétences élargies (RCE).

* 13 Rapport n° 568 (2012-2013) de Mme Françoise Cartron, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.

* 14 Aux termes de l'article 53 de la loi de refondation de l'école, « l'école est accréditée pour la durée du contrat pluriannuel liant l'État à l'établissement ». L'article 83 de cette même loi précise que, lorsque la durée restant à courir du contrat « est inférieure à un an, l'école supérieure du professorat et de l'éducation est accréditée jusqu'au terme du contrat suivant ».

* 15 L'ÉSPÉ de l'académie de Paris ne délivre pas, pour l'heure, de mention « pratiques et ingénierie de la formation ».

* 16 L'UAG devrait être prochainement scindée en plusieurs universités, à la suite de la décision du Gouvernement de créer une université de la Guyane pour la rentrée 2014.

* 17 Action du programme des investissements d'avenir (PIA).

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