N° 590

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juin 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur la proposition de loi n° 207 (2013-2014), adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant la lutte contre le système prostitutionnel , dont la délégation a été saisie par la commission spéciale,,

Par Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN,

Sénatrice.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente , M. Roland Courteau, Mmes Christiane Demontès, Joëlle Garriaud-Maylam, M. Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Chantal Jouanno, Françoise Laborde, Gisèle Printz, vice-présidents ; Mmes Caroline Cayeux, Danielle Michel, secrétaires ; Mmes Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, Corinne Bouchoux, M. Christian Bourquin, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, Laurence Cohen, MM. Gérard Cornu, Daniel Dubois, Mmes Marie-Annick Duchêne, Jacqueline Farreyrol, M. Alain Fouché, Mmes Catherine Genisson, Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Jean-François Husson, Mmes Christiane Kammermann, Claudine Lepage, Valérie Létard, Michelle Meunier, Sophie Primas, Esther Sittler et Catherine Troendle.

AVANT-PROPOS

« Une bouleversante aventure humaine » : la délégation aux droits des femmes du Sénat partage avec Danielle Bousquet, présidente du Haut conseil à l'égalité 1 ( * ) , cette approche du travail qu'elle a accompli sur la question de la prostitution :

- non seulement parce que ce fléau se situe au coeur des violences faites aux femmes , dont il constitue probablement la quintessence. Comme l'ont relevé à de multiples reprises plusieurs membre de la délégation, la prostitution, plutôt que « le plus vieux métier du monde », serait « la plus vieille violence du monde contre les femmes »,

- mais aussi parce que la prostitution 2 ( * ) suscite aujourd'hui un engagement passionné de ceux qui, dans la société civile ou au Parlement, militent pour sa disparition.

De fait, les caractéristiques actuelles de la prostitution justifient plus que jamais par le passé la mise en place d'une politique franchement abolitionniste .

La proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel adoptée par l'Assemble nationale en décembre 2013 s'inscrit dans cette logique et prend en compte toutes les dimensions de cette question : renforcement des moyens destinés à la lutte contre la prostitution et la traite, accompagnement social des personnes prostituées pour les aider à sortir de la prostitution, éducation et prévention, et responsabilisation de l'acheteur.

Ce texte - et plus particulièrement sa disposition la plus commentée, voire caricaturée, qui consiste à pénaliser l'achat d'acte sexuel parallèlement à l'abrogation du délit de racolage - fait depuis plusieurs mois l'objet d'un débat opposant deux approches de la prostitution.

L'une défend celle-ci au nom de l'expression d'une liberté : celle de gagner sa vie par des relations sexuelles tarifées. Dans cette logique, contre laquelle la délégation s'élève avec détermination, la prostitution relèverait d'une activité professionnelle comme une autre. En s'y opposant, la délégation conteste le « droit » qu'auraient les femmes de se vendre et celui - éminemment contestable - qu'auraient les hommes de les acheter.

Selon un autre point de vue, partagé par la délégation aux droits des femmes, la prostitution est avant tout une violence faite aux femmes ; elle relève d'une forme d'esclavage . Elle est la manifestation la plus inacceptable de l'inégalité entre les hommes et les femmes .

Comme l'a rappelé à la délégation la représentante du Centre national d'information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF) 3 ( * ) , il faut en finir avec cette complaisance sociale qui autorise certains hommes à exploiter sexuellement des êtres humains au nom de la licéité de pulsions sexuelles qui seraient pour les hommes irrépressibles.

Ainsi que le faisait observer devant la délégation Ernestine Ronai 4 ( * ) , coordinatrice nationale « Violences faites aux femmes » de la MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences), le fait que la prostitution semble avoir toujours existé n'autorise pas à considérer le « plus vieux métier du monde », qui n'est qu'un cliché trop facile, comme une « fatalité contre laquelle on serait démuni ». Des moyens d'action existent pour faire reculer ce phénomène dont les femmes, il est important de le souligner, sont avant tout des victimes .

Parmi toutes les questions posées par la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, la délégation a souhaité centrer son analyse du système prostitutionnel sur les acheteurs , sans lesquels la prostitution n'existerait pas. Comme l'a très justement relevé l'historienne Florence Montreynaud, auteure de Amours à vendre. Les dessous de la prostitution 5 ( * ) , la prostitution est avant tout un problème d'hommes .

« S'il n'y avait pas tant d'acheteurs, on ne trafiquerait pas sur cette marchandise » : Louise Michel rappelle cette évidence avec force dans ses Mémoires.

Les interrogations de la délégation se sont donc centrées sur :

- les motivations des acheteurs de services sexuels ;

- et les moyens de prévenir le développement de ce phénomène 6 ( * ) lié à la traite, porteur de violences contre les femmes , au moyen de l'éducation à l'égalité entre hommes et femmes et à la lutte contre les stéréotypes sexistes , dès le plus jeune âge.

Dans cette logique de prévention de la prostitution et de sensibilisation de la jeunesse aux réalités de ce fléau , la délégation s'est également intéressée aux liens entre prostitution et pornographie et s'est interrogée sur l'apparente banalisation de cette dernière auprès des jeunes. Les images pornographiques véhiculant un modèle de sexualité inégalitaire caractérisée par la domination de l'homme et la soumission de la femme , la délégation a souhaité recueillir des informations sur l'influence de la pornographie sur la construction de la personnalité des jeunes et, à terme, sur les conséquences de cette influence sur les relations entre hommes et femmes.

Parallèlement à l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel par l'Assemblée nationale, la délégation a engagé ses travaux et les a poursuivis après la mise en place de la commission spéciale au Sénat, en janvier 2014. Douze auditions et deux déplacements ont ainsi été réalisés.

Les témoignages entendus par la délégation se sont ajoutés aux informations recueillies lors des trois auditions qu'elle a organisées entre janvier et mars 2013 et lors des trois déplacements 7 ( * ) auxquels la délégation du Sénat avait été associée, entre 2012 et 2013, dans le cadre de la préparation de la proposition de loi élaborée par la délégation de l'Assemblée nationale. Les auditions des commissions spéciales de l'Assemblée nationale et du Sénat 8 ( * ) ont constitué d'autres sources d'informations précieuses en vue de l'élaboration de ce rapport d'information.

La délégation constate que la prostitution se développe parallèlement à l'influence croissante qu'y exercent les responsables de la traite des êtres humains et Internet , qu'il s'agit d'une violence sexuée car elle vise essentiellement les femmes et qu'elle est un obstacle à l'égalité entre hommes et femmes . Elle constate par ailleurs que la prostitution s'appuie, de la part des acheteurs de sexe tarifé, sur une demande qui paraît en voie de banalisation . La délégation estime que les solutions prévues par la proposition de loi doivent être encouragées :

- offrir aux victimes du système prostitutionnel la possibilité de choisir une nouvelle vie grâce au « parcours de sortie de prostitution » ;

- responsabiliser les acheteurs, ce qui est indispensable pour lutter contre le fléau de la prostitution ;

- renforcer la prévention par l'éducation à l'égalité, dès le plus jeune âge : lutter contre la prostitution implique de changer le regard des hommes sur les femmes.

La délégation aux droits des femmes fait sienne cette réflexion de Wassyla Tamzali, chargée des programmes sur les droits des femmes à l'UNESCO 9 ( * ) :

« Ce n'est pas au nom d'une morale, qui change dans le temps et dans l'espace, mais au nom de l'éthique qui s'adresse au patrimoine humain, unique et commun à toutes les cultures, que s'impose la lutte pour la disparition de la prostitution.

« Il ne s'agit pas d'un combat sans issue, mais d'une utopie positive. Il faut la formuer, trouver des mots nouveaux. Dire « Nous sommes pour une société sans prostitution ». Expliquer aux enfants que l'on n'a pas le droit de louer son sexe. Et se souvenir que ce combat est la cause de tous les êtres humains ».

Pour conduire ce combat, la délégation formule onze recommandations , parmi lesquelles l'adoption du principe de responsabilisation des acheteurs, sans lesquels la prostitution n'existerait pas, est déterminante.

I. LA PROSTITUTION : UNE VIOLENCE SEXUÉE QUI SE DÉVELOPPE SOUS L'INFLUENCE DE LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS ET D'INTERNET ET QUI CONSTITUE UN OBSTACLE À L'ÉGALITÉ ENTRE HOMMES ET FEMMES

A. LES NOUVELLES CARACTÉRISTIQUES DE LA PROSTITUTION : TRAITE DES ÊTRES HUMAINS ET INTERNET

1. Un esclavage moderne lié à la traite des êtres humains dont les conséquences pénales doivent être systématiquement tirées
a) Un marché dominé par le crime organisé

Le premier point à souligner est que la prostitution est liée au phénomène de la traite des êtres humains, aux mains de réseaux puissants, en relation avec la criminalité organisée.

Les observateurs sont unanimes à le constater 10 ( * ) : depuis une vingtaine d'années, la prostitution a changé d'apparence. La prostitution dite « traditionnelle » ou « de rue », aux mains de groupes d'origine française ou européenne, de taille réduite, semble certes toujours exister, notamment dans des salons de massage ou des bars à hôtesses, mais le phénomène s'est amplifié et internationalisé sous l'influence de réseaux organisés qui ont pris une place croissante par rapport au proxénétisme classique.

Ce tournant s'est produit pendant les années 1990 , sous l'influence notamment de l'ouverture des frontières et de la démocratisation des moyens de transport, qui a rendu possible le déplacement de personnes en situation de grande précarité.

Selon le responsable de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), auditionné par la délégation le 14 mars 2013, les réseaux de prostitution recouvrent des réalités diverses.

Dans les années 1990, il s'agissait d'organisations « de type familial ou clanique », originaires de populations d'Europe centrale minoritaires, comme les Tziganes en Roumanie, dont les revenus reposaient sur les activités d'un petit nombre de prostituées (quatre à sept), le proxénète étant souvent un membre de la famille, ce qui ne facilitait pas la coopération des victimes avec la police.

Le succès de cette prostitution, qui a « cassé les prix » (de 30 à 40 euros la passe) expliquerait le passage à des réseaux d'une autre échelle, dominés par de grands groupes criminels (roumains, bulgares, chinois, brésiliens, nigérians...) dont le ministre de l'Intérieur, lors de son audition par la commission spéciale de l'Assemblée nationale, a relevé l'organisation très sophistiquée, intégrant le recrutement des futures prostituées, leur acheminement vers les pays riches, leur conditionnement (que certains observateurs qualifient de « dressage »), leur surveillance, ainsi que la collecte et le blanchiment des fonds résultant de la prostitution : il s'agit d'un « processus quasiment industriel visant à transformer le corps et le sexe en marchandise » 11 ( * ) .

Une soixantaine de réseaux seraient mis à jour chaque année 12 ( * ) ; 45 ont été démantelés en 2011, 52 en 2012 13 ( * ) . Leurs victimes sont très majoritairement étrangères, le plus souvent en situation irrégulière : le lien entre cette forme de traite, destinées à l'exploitation sexuelle des victimes, et l'immigration clandestine est très apparent.

Le rapport entre personnes prostituées françaises et étrangères s'est donc inversé : la proportion de personnes étrangères était de 20 à 30 % il y a une vingtaine d'années, elle est aujourd'hui de 70 à 80 % et atteint 90 % pour la prostitution sur la voie publique, les pays d'origine étant principalement la Roumanie, la Bulgarie, le Nigéria, le Brésil et la Chine.

Les réseaux s'attaquent donc à des personnes extrêmement vulnérables, qui se prostituent pour rembourser les frais engagés pour les faire émigrer, souvent d'ailleurs au prix de menaces contre les proches restés au pays.

La prostitution est donc l'un des aspects du phénomène de la traite dont Elisabeth Moiron-Braud, co-présidente de la commission « Violences de genre » au Haut conseil à l'égalité 14 ( * ) , a également évoqué, entre autres dimensions, l'esclavage domestique, le travail forcé et les prélèvements d'organes.

Le deuxième aspect de la prostitution liée à la traite est qu'elle relève d'une forme d'esclavage dominé par une violence inouïe.

Le cas des réseaux nigérians 15 ( * ) souligne cet aspect de la traite. Les futures prostituées sont recrutées par un « passeur » qui les vend pour 10 000 euros environ à une proxénète locale. La victime est ensuite contrainte de se prostituer pour rembourser à sa proxénète une somme de 50 000 à 60 000 euros, à raison de 30 à 40 euros la passe... Sur ses gains, la prostituée doit acquitter de surcroît un « droit de trottoir » à une autre prostituée, la « première fille »...

Le lien entre réseaux de prostitution et trafic de drogue 16 ( * ) et d'armes est par ailleurs établi par les observateurs 17 ( * ) - c'est du reste dans certains cas par l'addiction que commence la dépendance des futures victimes vis-à-vis des proxénètes qui les recrutent.

Les spécialistes remarquent par ailleurs la constante augmentation des profits liés à la prostitution, dont les bénéfices ont été évalués à 3 milliards d'euros par an selon le responsable de l'OCRTEH 18 ( * ) (1,3 million d'euros de profit annuel pour un seul responsable de réseau cité par le rapport de l'Assemblée nationale 19 ( * ) ).

Ces chiffres traduisent l'importance du nombre de victimes - et par conséquent d'acheteurs... -, parallèlement à l'ampleur croissante des difficultés économiques dans le monde entier qui font de la prostitution l'une des conséquences de cette misère.

La part prise par les réseaux et la traite dans le développement de la prostitution n'est pas parfaitement connue du public qui ignore trop souvent que les personnes prostituées, victimes de la violence des réseaux, sont dans des situations comparables à celles d'esclaves.

La délégation juge nécessaire de lancer une grande campagne d'information sur les réalités de l'univers prostitutionnel et sur ses relations avec la traite des êtres humains, pour que chacun comprenne que défendre la prostitution et a fortiori acheter un rapport sexuel revient à alimenter et se rendre complice d'un système barbare et esclavagiste.

Le troisième aspect de ce tableau est l'extrême vulnérabilité des personnes prostituées.

Le bilan sanitaire plus que préoccupant des personnes en situation de prostitution a été mis en évidence par le rapport Situation sanitaire et sociale des personnes prostituées : inverser le regard , présenté par nos collègues Chantal Jouanno et Jean-Pierre Godefroy 20 ( * ) . Ils soulignent les nombreux risques pathologiques subis par les personnes prostituées (tuberculose, IST, contamination au VIH, problèmes gynécologiques, dermatologiques, psychiques, bucco-dentaires, troubles alimentaires) ainsi qu'un suivi médical aléatoire.

Cette fragilité est aggravée par les conduites addictives (drogue, alcool) qui, selon de multiples témoignages, sont adoptées par les personnes prostituées pour « tenir » dans un univers d'une violence inouïe, qui « les entraînent dans un processus de délabrement physique et mental », pour reprendre les mots d'Ernestine Ronai, coordinatrice nationale « Violences faites aux femmes » de la MIPROF 21 ( * ) 22 ( * ) .

Le rapport précité de nos collègues Chantal Jouanno et Jean-Pierre Godefroy relève également la fragilité particulière liée à l'obligation, pour certaines personnes, de continuer à se prostituer à un âge avancé (70-80 ans).

b) Renforcer le recours au délit de traite des êtres humains dans l'approche pénale de la prostitution
L'article 225-4-1 du code pénal définit ainsi le délit de traite des êtres humains :

« La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir à des fins d'exploitation dans l'une des circonstances suivantes :

- soit avec l'emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manoeuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ;

- soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;

- soit par abus d'une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ;

- soit en échange ou par l'octroi d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage. »

Il semble que les magistrats privilégient le chef de proxénétisme et se soient relativement peu approprié l'infraction de traite aux fins de proxénétisme , ce qui pourrait être susceptible de contribuer à freiner la coopération européenne dans le domaine de la traque des responsables des réseaux 23 ( * ) .

Les éléments fournis par le Casier judiciaire national font apparaître en effet le faible nombre de décisions prises sur la base de cette infraction (quelques condamnations définitives seulement). Cette situation contraste avec la qualification, plus répandue, de proxénétisme (475 condamnations définitives prononcées en 2010) à laquelle les juridictions ont davantage recours.

Les deux qualifications présentent des ressemblances : elles sont punies des mêmes peines et sont assorties de conditions aggravantes comparables.

Le recours à la qualification de traite semble toutefois de nature à permettre une plus grande efficacité de la répression des responsables :

- le caractère large de l'infraction offre des possibilités de poursuites beaucoup plus grandes que la seule référence au proxénétisme 24 ( * ) ;

- la traite est une infraction formelle : elle a pour objet de permettre la commission d'infractions de proxénétisme, d'agressions ou atteintes sexuelles, d'exploitation de la mendicité, que ces infractions soient effectivement commises ou non ;

- la qualification de traite présente des avantages dans des dossiers internationaux nécessitant une entraide répressive avec des pays comme l'Allemagne, qui n'incriminent pas le proxénétisme.

Enfin, compte tenu de la dimension internationale de la traite des êtres humains, il semble souhaitable d'étendre aux personnes condamnées sur la base de cette infraction l'obligation de rembourser les frais de rapatriement de leurs victimes prévue à l'égard des personnes coupables de proxénétisme par l'article 225-24 du code pénal.

La délégation recommande donc :

- qu'une circulaire du garde des Sceaux 25 ( * ) attire l'attention des magistrats sur les avantages que présente la qualification de traite des êtres humains par rapport à celle de proxénétisme, plus particulièrement dans les affaires ayant une dimension internationale ;

- qu'une formation soit dispensée aux magistrats et aux fonctionnaires de police à cet effet ;

- que le code pénal soit modifié pour prévoir que les personnes condamnées pour traite d'êtres humains doivent rembourser les frais de rapatriement de leurs victimes, comme c'est actuellement le cas pour le proxénétisme.

2. Internet et le défi de la recherche des responsables26 ( * )

L'augmentation du nombre de sites Internet proposant des services sexuels tarifés (certains comportent plus de 1 000 fiches d'« escorts ») est constatée depuis les années 2002-2003 par les autorités chargées de la lutte contre la cybercriminalité. Il reste toutefois difficile de dénombrer précisément ces sites, caractérisés par une grande volatilité : des sites peuvent disparaître en quelques secondes et réapparaître plus tard.

Selon Sylvie Bigot-Maloizel, sociologue 27 ( * ) , la migration de la prostitution vers les espaces virtuels ne remonte pas à la création d'Internet, si l'on se réfère au « minitel rose » qui s'est répandu au début des années 1980. L'interdiction du racolage passif par la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a néanmoins encouragé le recours à Internet parallèlement à la diminution de la prostitution de rue. Selon Nathalie Bajos, sociologue-démographe, le recours à Internet concernerait 15 % des clients des personnes prostituées contre 5 % des hommes à la recherche de partenaires sexuels 28 ( * ) .

Une autre difficulté de la recherche des responsables de la traite sur Internet est que, comme l'a souligné Michel Bozon, on peine à distinguer ceux qui cherchent un partenaire sur la toile pour « faire un bout de chemin ensemble » de ceux qui cherchent une relation tarifée. Selon Nathalie Bajos, la connexion à un site érotique concernerait 30 % des hommes mais 54 % des clients de personnes prostituées. La connexion à un site de rencontres concernerait 4,5 % des hommes mais 15 % des clients 29 ( * ) .

Internet paraît aussi favoriser le développement d'une prostitution en provenance le plus souvent d'Europe de l'Est, dont les réseaux organisent des « city tours », de ville en ville, d'hôtel en hôtel. Ce phénomène semble s'être considérablement amplifié depuis une dizaine d'années, l'offre ayant suscité la demande : ces prestations, à l'origine cantonnées dans des hôtels de luxe, auraient conquis un registre économiquement plus abordable.

Les personnes prostituées arrivent en Europe avec un visa de tourisme et changent de ville très fréquemment, non seulement pour éviter d'attirer l'attention de la police, mais aussi pour empêcher tout contact direct avec les clients.

Selon le responsable de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) auditionné par la délégation le 14 mars 2013, le processus est le suivant : mise en ligne d'une annonce, avec une photo et un numéro de téléphone ; un standard indique au client les tarifs et les prestations proposées ; le client est envoyé dans un hôtel et obtiendra le numéro de la chambre en appelant une fois arrivé sur place.

Les modalités de mise en relation favorisées par Internet peuvent d'ailleurs relever non pas seulement des réseaux, mais aussi de l'ancienne prostitution, dite « de rue », voire d'une prostitution qualifiée d'« autoentrepreneuriale » 30 ( * ) qui semble échapper à l'autorité d'un proxénète, du moins tant qu'elle n'est pas repérée par les professionnels.

Dans ce contexte, Sylvie Bigot-Maloizel a rappelé que l' « escorting » constituait une forme particulière de prostitution, caractérisée par des tarifs nettement supérieurs à ceux de la prostitution de rue, par un mode de contact spécifique (par Internet puis par téléphone) et par des prestations ne se limitant pas au sexe mais comprenant l'accompagnement à des soirées ou à des dîners : « l'escort doit être l'amie, voire la partenaire idéale pendant quelques heures » 31 ( * ) .

Certains sites de rencontre proposent, de manière apparemment innocente, des prestations telles que l'accompagnement à un dîner ou à une soirée, sans mentionner de relation sexuelle rémunérée : les apparences de respect de la légalité sont sauves, même si chacun sait que ce type de site peut cacher des activités prostitutionnelles.

Sylvie Bigot-Maloizel l'a souligné : Internet offre une vitrine sans équivalent à ceux et celles qui veulent « monnayer leurs charmes » : annuaires, sites personnels, forums de discussion et petites annonces foisonnent aujourd'hui sur la toile.

Le phénomène des « sugar babies » et des « sugar daddies » mérite également, dans ce contexte, un développement particulier.

41 000 « sugar babies » seraient ainsi inscrites sur le site SeekingArrangement.com en France, à la recherche de « sugar daddies » (que l'on peut traduire par « papas gâteaux ») en vue de « relations mutuellement avantageuses ». Le site whatsyourprice.com , créé aux États-Unis en 2006, propose des mises en relation comparables 32 ( * ) . La frontière entre la prostitution et la recherche de « mécènes » pour financer des études, « trouver une aide financière pour [...] la chirurgie esthétique » (vu sur le site français SeekingArrangement.com) ou la réalisation de travaux immobiliers est évidemment ténue.

Selon les témoignages recueillis par les journalistes du journal Elle , les « sugar babbies » se voient proposer 400 euros pour un verre et 1 000 euros pour une nuit. Toutes ne sont cependant pas prêtes à aller plus loin que l'accompagnement à un dîner ou une soirée. D'autres reconnaissent qu'elles sont disponibles pour du sexe tarifé.

Sugardaddy.fr se présente comme une plate-forme de rencontres classiques, ce qui semble exclure a priori toute relation sexuelle tarifé. La page d'accueil évite ainsi toute référence financière :

« Vous êtes un homme : Vous avez bien réussi dans la vie mais vous vous sentez seul. Ici vous trouverez des femmes à la recherche de réconfort et de stabilité.

« Vous êtes une femme. Vous en avez ras-le-bol des jeunes sans ambition et sans avenir. Ici vous trouverez des hommes mûrs qui savent ce qu'ils veulent. »

L'association Équipes d'action contre le proxénétisme dément cette présentation et estime qu' « Internet permet à la prostitution d'avancer masquée, en s'appuyant sur des termes comme escort girls, accompagnatrices et, maintenant, sugar babbies » . Le site serait ainsi, selon cette association, de la « prostitution déguisée » 33 ( * ) .

Selon Françoise Gil, sociologue 34 ( * ) , il est difficile de savoir si les jeunes femmes inscrites sur le site ont conscience ou non de ce qu'elles font : « Nous ne sommes plus dans le schéma habituel de la femme qui se prostitue pour vivre mais dans celui de la jeune femme qui, sous la pression de la société, vend son corps pour s'acheter des vêtements et accessoires de marques. Certaines assument même très bien ce choix et revendiquent une vie de luxe » 35 ( * ) .

Le rapport précité de Chantal Jouanno et Jean-Pierre Godefroy relève par ailleurs que le développement de la prostitution sur Internet empêche les associations de jouer leur rôle d'information et de protection de ces personnes, rendant encore plus difficile pour elles l'accès aux soins et renforçant probablement leur précarité et leur fragilité.

L'existence de sites hébergés à l'étranger complique l'identification et la poursuite des responsables, de même que la coexistence, sur un même site, d'activités légales et d'activités illégales 36 ( * ) .

L'article premier de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale prévoit d'étendre au proxénétisme et à la traite des êtres humains l'obligation de signalement qui incombe aux fournisseurs d'accès à Internet et aux hébergeurs de site du fait de l'article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Cette disposition fait également obligation aux fournisseurs d'accès Internet et aux hébergeurs de site de mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance les données illicites accessibles sur ces sites.

Dans sa rédaction initiale et dans le texte de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, l'article premier de la proposition de loi faisait obligation aux fournisseurs d'accès Internet et aux hébergeurs de site d'empêcher sans délai, à la demande de l'autorité administrative, l'accès aux sites participant à la traite ou au proxénétisme.

La faisabilité technique de ce blocage, difficulté majeure de toute tentative de répression de la cybercriminalité, a conduit les députés à supprimer en séance les dispositions de l'article premier concernant le blocage de l'accès à ces sites, par cohérence d'ailleurs avec l'abrogation de l'article 18 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique relatif au blocage administratif des sites, dans le cadre de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation.

À ce jour, seuls les sites pédopornographiques peuvent faire l'objet d'un blocage - le décret permettant l'application de cette mesure serait toutefois attendu depuis plus de trois ans.

Par ailleurs, les échanges de courriels et de coups de téléphone qui suivent l'annonce relèvent de la correspondance privée et, par conséquent, leur surveillance obéit à des conditions strictes.

Enfin, les pouvoirs d'investigation des enquêteurs sur Internet sont limités par l'interdiction juridique de « tendre des pièges » aux prostituées et aux proxénètes : la provocation n'est pas autorisée. Leurs possibilités se limitent à entrer sur le réseau, à déposer des messages anodins et à attendre une réponse. Cette technique d'entrée en relation rend très difficile, d'après les spécialistes, de remonter la chaîne d'un réseau.

La délégation déplore la faiblesse des moyens disponibles pour lutter efficacement contre la prostitution sur Internet et s'étonne que des sites Internet qui relèvent manifestement du proxénétisme ne puissent pas être supprimés. Elle s'en remet toutefois à la commission spéciale pour faire sur ce sujet complexe les propositions qui permettraient de progresser dans ce domaine.

3. Une dimension à prendre en compte quoique mal connue : la prostitution étudiante

Selon la présidente de l'Amicale du nid 37 ( * ) , une enquête effectuée à Montpellier auprès de 1 800 étudiants montre que 4 % des personnes interrogées ont déclaré avoir au moins une fois échangé un acte sexuel contre de l'argent ou un service. Cette proportion a été confirmée par Ernestine Ronai, co-présidente de la commission « Violences de genre » au Haut conseil à l'égalité et coordinatrice nationale « Violences faites aux femmes » de la MIPROF lors de son audition par la délégation 38 ( * ) .

Cette enquête révèlerait que 3 % des personnes interrogées déclarent avoir été clients. Il n'existe cependant pas de statistiques fiables sur ce sujet : les syndicats étudiants rencontrés par Chantal Jouanno et Jean-Pierre Godefroy dans le cadre de la préparation de leur rapport n'ont pas été en mesure de communiquer de données précises sur la prostitution étudiante, qui reste, selon Chantal Jouanno, une « prostitution de précarité » 39 ( * ) .

D'après Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au CEVIPOF 40 ( * ) , le phénomène de la prostitution étudiante est « beaucoup plus important qu'on le croit » et le « bouche-à-oreille » entre étudiant-e-s jouerait un rôle dans son éventuelle progression. L'auteure de La prostitution à Paris 41 ( * ) et de La vie sexuelle en France 42 ( * ) n'a pas minimisé les dangers de cette situation : les gains importants générés par la prostitution sont un « piège » car ils tentent ceux et celles qui s'y sont laissés prendre de continuer...

Certains tempèrent toutefois l'importance de ce phénomène : Michel Bozon, sociologue, directeur de recherche à l'INED, observe pour sa part que les recherches entreprises à ce jour sur la prostitution étudiante ne semblent pas avoir été concluantes : selon lui, le phénomène pourrait avoir été « monté en épingle » à partir de livres et de films, sans que la réalité permette de l'attester dans les proportions qu'on lui suppose 43 ( * ) .

Que l'on relativise la portée de la prostitution étudiante ou que l'on s'en inquiète, il est clair que les difficultés matérielles et la précarité des conditions de vie des étudiants peuvent rendre attractif - pour les jeunes des deux sexes - les revenus susceptibles d'être rapportés par la prostitution de luxe : 2 000 euros la nuit, 4 000 à 5 000 euros le week-end, 40 000 euros de gains pour les personnes prostituées au terme d'un « city tour » de trois mois 44 ( * ) ...

Éviter le développement de cette prostitution suppose donc une attention accrue aux conditions de vie et d'études des étudiants.

Le phénomène de la prostitution étudiante existe ; on ignore toutefois dans quelles proportions. La délégation recommande donc la conduite d'une enquête sur ce sujet.


* 1 Voir le compte rendu de son audition par la délégation, le 24 janvier 2013.

* 2 Bien que la prostitution recouvre des réalités très diverses, qui rend plus pertinent l'usage du pluriel, car il existe bel et bien des prostitutions, le présent rapport se réfèrera par commodité de langage à la prostitution, même si ce terme n'est pas pleinement satisfaisant en toute rigueur.

* 3 Voir le compte rendu de son audition, le 27 février 2014.

* 4 Voir le compte rendu de son audition, le 6 février 2014.

* 5 Paris, Glénat, 1993. Voir le compte rendu de l'audition de l'auteure, le 27 février 2014.

* 6 Yves Charpenel, magistrat et président de la Fondation Scelles, lors de son audition par la commission spéciale le 30 avril 2014, a évoqué de manière éclairante le titre du dernier rapport de la fondation : Une menace qui grandit, qui se réfère à ce qu'il a qualifié d'« industrialisation » des modes de prostitution.

* 7 En Suède en novembre 2012, à la mairie du XVIIIe arrondissement de Paris en janvier 2013 et à la préfecture de Strasbourg en février 2013.

* 8 Votre rapporteure remercie le président de la commission spéciale du Sénat, M. Jean-Pierre Godefroy, de l'avoir associée aux auditions de la commission spéciale.

* 9 Avant-propos de l'ouvrage de Claudine Legardinier : La prostitution , Les essentiels Milan, Paris, 2006.

* 10 Auditions des responsables de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) : Yann Sourisseau, commissaire de police, par la délégation, le 14 mars 2013 et de C. Bertoux, commissaire de police, le 30 octobre 2013 (Rapport de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, n° 1558, pp. 195-208).

* 11 Compte rendu de l'audition du 14 novembre 2013, pp. 311-312.

* 12 Selon le président de la Fondation Scelles, Yves Charpenel, auditionné par la commission spéciale de l'Assemblée nationale le 30 octobre 2013.

* 13 Selon le responsable de l'OCRTEH auditionné par la délégation le 14 mars 2013.

* 14 Voir le compte rendu du 6 février 2014.

* 15 Voir l'audition par la délégation, le 14 mars 2013, du responsable de l'OCRTEH.

* 16 Les témoignages abondent de l'utilisation de drogues par les personnes prostituées - fournies d'ailleurs par ceux qui les prostituent - pour supporter un quotidien effroyable, ainsi que l'a relevé Danielle Bousquet lors de son audition par la délégation, le 24 janvier 2013, au sujet de prostituées d'un « bordel de luxe » à Madrid.

* 17 Compte rendu des auditions de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, 30 octobre 2013, p. 204.

* 18 Voir le compte rendu de son audition par la délégation, le 14 mars 2013.

* 19 Compte rendu des auditions de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, 30 octobre 2013, p. 197.

* 20 Voir le compte rendu du 19 décembre 2013.

* 21 Voir le compte rendu du 6 février 2014.

* 22 Ce point a été confirmé par l'audition des personnes sorties de la prostitution par la commission spéciale (voir le compte rendu du 9 avril 2014).

* 23 Compte rendu des auditions de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, 30 octobre 2013, p. 200.

* 24 Ainsi, recruter une personne pour qu'un tiers commette à son égard des actes de proxénétisme relève de la complicité de proxénétisme ; relève du proxénétisme le fait de recruter quelqu'un pour le fournir à un tiers afin qu'il commette sur cette personne une agression sexuelles ; ces deux actions relèvent en revanche de la traite.

* 25 Yves Charpenel, magistrat et président de la Fondation Scelles, rappelait lors de son audition par la commission spéciale, le 30 avril 2014, que les procureurs n'avaient pas reçu de circulaire sur la question depuis plus de dix ans.

* 26 Audition de la capitaine K. Béguin, cheffe du département des investigations sur internet, de la division de lutte contre la cybercriminalité (Service technique de recherches judiciaires et de documentation - STRJD), le 30 octobre 2013, (Rapport de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, pp 185-193).

* 27 Voir le compte rendu du 27 février 2014.

* 28 Voir le compte rendu du 27 février 2014.

* 29 Voir le compte rendu du 27 février 2014.

* 30 Selon le président de la Fondation Scelles, Yves Charpenel, auditionné par la commission spéciale de l'Assemblée nationale le 30 octobre 2013.

* 31 Voir le compte rendu du 27 février 2014.

* 32 Polémique - Sites de rencontre ou prostitution ? Elle , 25 avril 2014, pp. 107-108.

* 33 Le site Suggardaddy.f incite-t-il à la prostitution ?, Thibault Raisse, leparisien.fr, 14 avril 2014.

* 34 Auteure de Prostitution : fantasmes et réalités, repères pour le travail social , Ed. ESF, 2012.

* 35 Site de rencontres « sugar daddies » : « c'est de la prostitution édulcorée ! », Planet.fr, 11 avril 2014.

* 36 Compte rendu des auditions de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, 30 octobre 2013, p. 208.

* 37 Compte rendu des auditions de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, 6 novembre 2013, p 264. Geneviève Duché se réfère également au chiffre de 40 000 étudiant(e)s prostitué(e)s avancé par un syndicat étudiant.

* 38 Voir le compte rendu du 6 février 2014.

* 39 Voir le compte rendu du 19 décembre 2013.

* 40 Voir le compte rendu du 20 février 2014.

* 41 Avec Marie-Elisabeth Handman, Ed. La Martinière, Paris, 2005.

* 42 Paris, Seuil, 2005.

* 43 Voir le compte rendu du 27 février 2014.

* 44 Selon le responsable de l'OCRTEH auditionné par la délégation le 14 mars 2013.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page