II. RENDRE LE DISPOSITIF DE PROTECTION DE L'ENFANCE PLUS EFFICACE

De l'avis général, la loi de 2007 a permis au dispositif de protection de l'enfance de gagner en lisibilité et en efficacité. Mais certaines améliorations permettraient de le rendre plus optimal à tous les stades : prévention, repérage, prise en charge.

1. Mieux prévenir
a) La prévention : un volet insuffisamment mis en oeuvre
(1) Un accent majeur de la loi de 2007

La loi de 2007 a entendu faire de la prévention l'un des axes forts de la protection de l'enfance. L'objectif recherché est d'éviter le développement des situations à risque, ou tout du moins, de limiter l'aggravation de ces situations.

Apport unanimement salué, cet accent mis sur la prévention se traduit dans la loi par le renforcement de quatre dispositifs de prévention primaire intervenant en direction des parents et des enfants à des moments jugés clefs de leur évolution.

Prévue à l'article L. 2112-2 du code de la santé publique (CSP), l'action préventive menée auprès des parents comprend :

- la réalisation, au cours du quatrième mois de grossesse, d'un « entretien systématique psychosocial »  pouvant déboucher si nécessaire sur un accompagnement spécifique visant à prévenir les troubles de la future relation parent-enfant ;

- une action médico-sociale post-natale réalisée à la demande des parents ou avec l'accord de ceux-ci, à la maternité ou à domicile , en liaison avec le médecin traitant ou les services hospitaliers, en particulier dans les jours qui suivent le retour à domicile ou lors de consultations. Cette action est menée par les travailleurs sociaux et médico-sociaux des départements, des communes ou des associations.

Deux séries d'actions de prévention médicale et médico-sociale sont également instituées pour les enfants et les adolescents :

- pour les enfants de moins de six ans, des consultations assurées par le service de la protection maternelle et infantile (PMI), comprenant en particulier l'établissement d'un bilan de santé pour les enfants âgés de trois à quatre ans (article L. 2112-2 du CSP) ;

- pour tous les enfants au cours de leurs sixième, neuvième, douzième et quinzième années, une visite médicale obligatoire dans le cadre de la scolarité , visant à établir un bilan de leur état de santé physique et psychologique (article L. 541-1 du code de l'éducation dans sa version en vigueur antérieure au 10 juillet 2013).

Professionnels de la PMI et de la santé scolaire sont ainsi appelés à identifier le plus tôt possible, dans une approche pluridisciplinaire, les signes de souffrance physique et/ou psychique qui peuvent apparaître chez les enfants nécessitant une mesure de protection et, dès lors, à contribuer à la mise en place d'une prise en charge adaptée.

Malgré l'importance capitale que lui a conféré la loi, l'approfondissement du volet « prévention » de la protection de l'enfance n'a pu véritablement être suivi d'effet en pratique, faute de moyens et d'une véritable vision partagée de ce que doit être l'accompagnement à la parentalité.

C'est la raison pour laquelle vos rapporteures en appellent à une réactivation des missions de la PMI, à une redéfinition de la santé scolaire et, de façon plus générale, à un renforcement de la formation de l'ensemble des acteurs de la prévention.

(2) Réactiver les missions de la protection maternelle et infantile

La réforme de 2007 a renforcé la compétence médico-sociale du service départemental de la PMI reconnu comme un acteur majeur de la protection de l'enfance.

Créée par l'ordonnance du 2 novembre 1945 pour permettre la protection généralisée de toute une population (femmes enceintes, jeunes mères venant d'accoucher, jeunes enfants) et instaurer les visites pré- et postnatales, la surveillance des enfants et l'éducation des mères, la PMI relève de la compétence de principe des conseils généraux depuis les lois de décentralisation de 1982 et 1986. Placé sous la responsabilité du président du conseil général, le service de PMI est dirigé par un médecin inspecteur départemental et comprend des médecins, des sages-femmes, des puéricultrices, des infirmières, des conseillères conjugales et familiales ainsi que des psychologues.

La PMI a été consolidée par la loi de 1989 relative à la promotion et la protection de la santé de la famille et de l'enfance 42 ( * ) qui rappelle que l'Etat, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale participent à la protection et à la promotion de la santé maternelle et infantile comprenant notamment :

- des mesures de prévention médicales, psychologiques, sociales et d'éducation pour la santé en faveur des futurs parents et des enfants ;

- des actions de prévention et de dépistage des handicaps des enfants de moins de six ans ainsi que de conseil aux familles pour la prise en charge de ces handicaps ;

- la surveillance et le contrôle des établissements et service d'accueil des enfants de moins de 6 ans ainsi que des assistants maternels.

La loi prévoit que les services et consultations de santé maternelle et infantile, les activités de protection de la santé maternelle et infantile à domicile ainsi que la formation et l'agrément des assistants maternels relèvent de la compétence du département qui en assume, dans certaines conditions, l'organisation et le financement.

Enfin, elle charge les services de la PMI, de participer aux actions de prévention des mauvais traitements et de prise en charge des mineurs maltraités.

Les missions de la PMI, qui étaient surtout centrées, dans l'immédiat après-guerre, sur la réduction de la morbidité infantile, ont ainsi été progressivement étendues pour inclure la périnatalité au sens large. Celle-ci comprend non seulement le suivi des grossesses mais aussi l'accompagnement de la parentalité, ainsi que la prévention et le signalement et l'accompagnement des enfants « en danger ». Ces missions se caractérisent donc aujourd'hui par une grande diversité.

En pratique cependant, compte tenu de la situation critique qu'ils traversent depuis maintenant plusieurs années, les services de PMI peinent à remplir le rôle que leur attribue la loi en matière de protection de l'enfance .

La PMI est en effet très affaiblie par un manque patent de ressources humaines (médecins, puéricultrices, sages-femmes) et de moyens financiers . Les conditions de travail et de rémunération des médecins de PMI en font un métier relativement peu plébiscité et de nombreux postes restent vacants. Plusieurs départements ont ainsi alerté vos rapporteures sur la situation très difficile de la PMI sur leur territoire.

Malheureusement, ce constat est loin d'être nouveau. Dans son rapport public annuel de 2012, la Cour des comptes réitérait en effet le constat établi six ans auparavant sur la couverture très inégale du territoire en services de PMI et insistait déjà sur « le besoin d'une réaffirmation du rôle et des missions des services de protection maternelle et infantile (PMI) dépendant des départements » 43 ( * ) .

Bien que les textes aient prévu l'exigence de qualifications diverses et pluridisciplinaires, voire défini des quotas minimaux pour certaines professions médicales et paramédicales ainsi que pour certaines activités, les normes arrêtées en 1992 44 ( * ) pour encadrer l'organisation des services de PMI et leur fixer des niveaux minimaux d'activité et de moyens sont très inégalement respectées.

La Cour constate en outre, qu' « en l'absence de norme pour les médecins, les disparités sont importantes : on compte 66 médecins (en ETP) pour 100 000 naissances dans le Finistère contre 980 en Seine-Saint-Denis, soit un rapport de 1 à 15 » 45 ( * ) .

Dans ces conditions, les services de PMI ne sont pas réellement en capacité de mener une action préventive de long terme. Comme l'ont indiqué plusieurs départements, les difficultés auxquelles ils font face pour recruter médecins et puéricultrices de PMI ainsi que pour faire appel à des spécialités telles que la pédopsychiatrie ne leur permettent pas d'assurer une couverture optimale des besoins et les contraint à axer leurs missions sur la gestion des urgences. La mission de prévention de la PMI, alors même qu'elle était entendue comme un axe phare de la loi de 2007, est passée au second plan.

Allongement des délais de rendez-vous, fragilisation du suivi des enfants après deux ans, baisse du nombre de visites à domicile pré- et post-natales, suppression de nombreuses consultations pour les nourrissons et les femmes enceintes ou encore réorganisation de centres de planification ou d'éducation familiale (CPEF) sont autant de conséquences regrettables. Les missions d'orientation sont également rendues difficiles par la pénurie de médecins et de certaines spécialités comme l'orthophonie.

Cette situation est d'autant plus préoccupante que la médecine de ville et les hôpitaux ne sont pas en mesure de se substituer aux carences de la PMI et que le contexte de plus grande précarité sociale, d'évolution des structures familiales et d'isolement croissant de nombreux foyers nécessiterait des moyens d'actions accrus.

En outre, comme le relevait la Cour des comptes, il existe une certaine tension entre une législation nationale très précise (loi de 1989 assortie des décrets de 1992) et un cadre d'application décentralisée, tandis qu'aucune politique nationale incitative ou régulatrice n'a vu le jour pour faire face aux insuffisances relevées et pour réguler les orientations de PMI et leur mise en oeuvre.

Or, vos rapporteures sont convaincues que la PMI dispose d'atouts considérables et reconnus qui devraient lui permettre de jouer pleinement son rôle de digue et d'accompagnement social face aux situations de danger les plus graves . Ainsi que le relevait notamment l'inspection des affaires sociales (Igas) en 2006 46 ( * ) , les services de PMI présentent l'avantage d'un bon ancrage local permettant une accessibilité géographique, financière et culturelle, ainsi que d'une démarche de prise en charge globale à la charnière du sanitaire et du social, de l'individuel et du collectif, du préventif et de l'éducatif.

Il apparaît donc aujourd'hui plus que nécessaire de remobiliser les missions de la PMI dans le cadre d'une impulsion donnée au niveau national en réaffirmant leur rôle central en matière de protection de l'enfance et de prévention des situations de danger .

Afin de lutter contre la « désertification » des services de PMI, vos rapporteures s'associent pleinement à la recommandation réitérée de la Cour des comptes qui appelle à « mobiliser l'action des services départementaux de PMI autour d'objectifs précis fixés par l'Etat tenant compte des caractéristiques de chaque territoire » 47 ( * ) .

Elles jugent également urgent de renforcer l'attractivité des services de PMI par la mise en oeuvre d'un plan national d'adaptation de la démographie des professions de santé intervenant en PMI .

Dans ce cadre, l'entretien au quatrième mois de grossesse doit pouvoir être rendu effectif sur l'ensemble du territoire. Cet entretien doit, dans tous les cas où cela est possible, associer le père. Vos rapporteures estiment qu'il serait en outre utile de supprimer sa qualification de « psychosocial ». Ce qualificatif est en effet susceptible de revêtir un caractère potentiellement désincitatif s'il est vécu comme stigmatisant.

Enfin, comme le préconisent certains départements, il serait utile de rendre systématique la proposition de visites à domicile de professionnels de la PMI au retour de la maternité.

Proposition n° 9 : réaffirmer le rôle central de la PMI par la définition d'une stratégie nationale tenant compte des caractéristiques de chaque territoire.

Proposition n° 10 : renforcer l'attractivité des services de PMI par la mise en oeuvre d'un plan d'adaptation de la démographie des professionnels de la PMI (formations initiale et continue, reconnaissance des diplômes, recrutements, statuts et conditions de rémunérations).

Proposition n° 11 : rendre effectif l'entretien au quatrième mois de grossesse, y associer le père lorsque cela est possible et lui retirer sa qualification de « psychosocial ».

Proposition n° 12 : systématiser les propositions de visites à domicile de professionnels de la PMI au retour de la maternité.

(3) Redonner pleinement son rôle à la santé scolaire

Eu égard à leur proximité avec les élèves, les services de santé scolaire ont un rôle de premier plan à jouer dans la protection de l'enfance.

C'est pourquoi la loi de 2007 prévoyait quatre visites médicales obligatoires (à raison d'une tous les trois ans à compter de l'âge de six ans), permettant la réalisation d'un bilan de santé physique et psychologique des élèves.

La visite de la sixième année revêt une importance toute particulière car elle doit comprendre « un dépistage des troubles spécifiques du langage et de l'apprentissage ». Il est précisé que « les médecins de l'éducation nationale travaillent en lien avec l'équipe éducative, les professionnels de santé et les parents, afin que, pour chaque enfant, une prise en charge et un suivi adaptés soient réalisés suite à ces visites » (article L. 541-1 du code de l'éducation).

Force est cependant de constater que la santé scolaire reste le parent pauvre de la protection de l'enfance .

La loi de 2007 prévoyait un délai de mise en oeuvre de six ans pour les nouvelles visites médicales prévues à la 9 e , 12 e et 15 e années, si bien que tous les enfants de ces classes d'âge devraient pouvoir en bénéficier aujourd'hui, que cette visite soit assurée par les services de santé scolaire ou par le médecin traitant.

En pratique, les visites médicales obligatoires à 6, 9, 12 et 15 ans n'ont pas été systématiquement mises en oeuvre faute de moyens . Il semble en outre que la protection de l'enfance soit un sujet encore difficile à aborder à l'école et par les équipes éducatives.

Selon les informations communiquées à vos rapporteures par la direction générale de l'enseignement scolaire (DGSCO), le taux de réalisation du bilan de santé effectué au cours de la sixième année de l'enfant progresse régulièrement mais des progrès restent possibles. Ce taux s'établissait à 79,8 % pour l'année 2012 48 ( * ) . La DGSCO souligne en outre l'existence de fortes disparités selon les académies qui coïncident avec les zones caractérisées par un déficit des professions médicales.

En revanche, comme l'indique la DGSCO elle-même, les bilans prévus à 9, 12 et 15 ans n'ont pas été généralisés .

La médecine scolaire, qui concerne environ 12 millions d'élèves et fait appel à 1 500 médecins et 7 500 infirmiers de l'éducation nationale, se trouve, il est vrai, dans une situation assez dégradée. Le diagnostic établi par la Cour des comptes au terme d'une investigation menée en 2011 visant à évaluer les objectifs, les moyens, l'organisation et les résultats de cette politique publique est sans appel 49 ( * ) . La Cour critique :

- une multiplication progressive, au cours des dernières années, des missions de la médecine scolaire, aboutissant à une dilution de sa vocation première et de ses responsabilités ;

- un manque d'attractivité important des métiers (faible mobilité, conditions matérielles de travail insatisfaisantes, manque de reconnaissance) et une mauvaise répartition des moyens, aggravée par les perspectives démographiques préoccupantes des professions médicales ;

- une gouvernance qui laisse à désirer, le pilotage national faisant défaut et les acteurs de terrain étant mal coordonnés ;

- un suivi et une évaluation des effets de la médecine scolaire qui sont quasi-inexistants.

Pour tirer les conséquences de cette réalité, la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République 50 ( * ) a modifié l'article L. 541-1 du code de l'éducation concernant les bilans de santé pour en réviser le calendrier pluriannuel. Si le bilan de la sixième année est maintenu, elle prévoit pour les autres âges un texte réglementaire fixant la périodicité et le contenu des visites. Selon les indications de la DGSCO, eu égard aux recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), il a été arrêté qu'à la visite de la sixième année s'ajouterait un bilan lors de la douzième année ; le texte serait en cours de rédaction.

Vos rapporteures regrettent que les ambitions de la loi de 2007 n'aient pu recevoir une pleine concrétisation. Dans le contexte des dernières évolutions apportées à la programmation des bilans de santé scolaire, elles estiment nécessaire de réaffirmer avec vigueur les priorités de la santé scolaire au cours de la petite enfance. Elles se félicitent à cet égard de la consolidation apportée à la visite de la sixième année et seront particulièrement vigilantes aux suites réglementaires qui seront données à l'article L. 541-1 susvisé.

Proposition n° 13 : réaffirmer les priorités de la santé scolaire par la systématisation des visites médicales au cours de la petite enfance (maternelle et primaire) permettant d'identifier le plus tôt possible les situations à risque.

b) Rendre effective la formation des professionnels concernés
(1) La formation des professionnels de la protection de l'enfance : une obligation consacrée par la loi de 2007

La loi de 2007 prévoit à son article 25 une obligation générale de formation initiale et continue visant l'ensemble des professionnels de la protection de l'enfance.

Une formation initiale et continue obligatoire
qui s'adresse à tous les intervenants en protection de l'enfance

Le code de l'éducation prévoit une obligation de formation initiale et continue pour les différents acteurs de la protection de l'enfance. Afin de favoriser une culture partagée, cette formation doit leur être en partie commune.

L'article L. 542-1 du code de l'éducation dispose en effet que :

« Les médecins, l'ensemble des personnels médicaux et paramédicaux, les travailleurs sociaux, les magistrats, les personnels enseignants, les personnels d'animation sportive, culturelle et de loisirs et les personnels de la police nationale, des polices municipales et de la gendarmerie nationale reçoivent une formation initiale et continue, en partie commune aux différentes professions et institutions , dans le domaine de la protection de l'enfance en danger. Cette formation comporte un module pluridisciplinaire relatif aux infractions sexuelles à l'encontre des mineurs et leurs effets. Cette formation est dispensée dans des conditions fixées par voie réglementaire. »

Cette obligation légale est détaillée à l'article D. 542-1 du code de l'éducation qui :

- dispose que la formation initiale doit porter sur « l'évolution et la mise en perspective de la politique de protection de l'enfance », « la connaissance du dispositif de protection de l'enfance, de la prévention à la prise en charge, en particulier celle de son cadre juridique, de son organisation et de ses acteurs, de ses stratégies et de ses types d'interventions, ainsi que des partenariats auxquels il donne lieu », « la connaissance de l'enfant et des situations familiales » et « le positionnement professionnel, en particulier en matière d'éthique, de responsabilité, de secret professionnel et de partage d'informations » ;

- précise que la « formation continue a plus particulièrement pour objectifs la sensibilisation au repérage de signaux d'alerte » et « la connaissance du fonctionnement des dispositifs départementaux » ;

- prévoit que « la formation initiale et continue est organisée pour partie dans le cadre de sessions partagées réunissant » , s'agissant de la formation initiale, « les étudiants au plan national, interrégional, régional ou départemental » et, en ce qui concerne la formation continue, « les différents professionnels intervenant notamment sur un même territoire, afin de favoriser leurs connaissances mutuelles, leur coordination et la mise en oeuvre de la protection de l'enfance sur le territoire concerné ». Le contenu et les modalités d'organisation de ces sessions sont précisés par convention entre les organismes et services concernés.

(2) Une obligation insuffisamment mise en oeuvre

Malgré cet ancrage législatif et réglementaire, le bilan de la formation des professionnels de la protection de l'enfance est globalement limité et les objectifs assignés ne sont pas remplis.

Les informations communiquées à vos rapporteures tant au cours des auditions qu'en réponse aux questionnaires adressés aux conseils généraux convergent sur un même constat d'insuffisance : la formation en protection de l'enfance n'est pas suffisamment en prise avec les enjeux soulevés par celle-ci et généralement trop lacunaire.

S'agissant des travailleurs sociaux , les diverses observations recueillies peuvent se résumer en six points :

- de façon générale, une connaissance très imparfaite des enjeux et du contenu de la loi de 2007 ;

- un fossé entre les apprentissages théoriques et la pratique, les travailleurs sociaux n'étant finalement pas suffisamment armés sur le terrain pour faire face aux réalités de plus en plus complexes de la protection de l'enfance ;

- une formation initiale trop axée sur la méthodologie de projet et pas assez sur l'analyse des situations ;

- la nécessité de recentrer la formation initiale sur la relation éducative, l'accompagnement des familles et sur le « faire avec » l'enfant ;

- dans certains cas, une formation insuffisante aux écrits qui n'apparaissent pas assez structurés et précis, notamment en ce qui concerne les rapports aux magistrats et les changements de statuts ;

- une formation continue globalement insuffisante, s'agissant en particulier des aspects juridiques liés à l'évolution de la législation.

En ce qui concerne la formation des jeunes médecins , un enseignement théorique a été mis en place mais il comporte un nombre d'heures généralement très faible et très variable d'une faculté de médecine à l'autre.

Comme l'indique Céline Gréco dans sa thèse pour le doctorat en médecine, « en ce qui concerne les « épreuves classantes nationales », parmi les 335 sujets répartis en 11 modules, un seul, inclus dans le module « Maltraitance et enfant en danger. Protection maternelle et infantile ». Ce module est en général traité en une heure dans la plupart des facultés » 51 ( * ) . La réalité de cette formation dépend en outre très largement de la sensibilité et de l'implication du corps enseignant.

La connaissance mutuelle des différents acteurs de la protection de l'enfance à travers des sessions de formations partagées n'est, elle non plus, pas assez développée.

Pourtant, la formation constitue un levier central pour l'amélioration des pratiques qu'il s'agisse du repérage des situations à risque, de leur évaluation ou de la prise en charge des enfants. Vos rapporteures estiment qu'il s'agit de la première des préventions.

Un effort supplémentaire leur apparaît donc indispensable tant dans le domaine de la formation initiale que de la formation continue afin que les professionnels puissent s'appuyer sur des connaissances partagées et actualisées le plus souvent possible.

En matière de formation initiale , il conviendrait tout d'abord d'introduire dans les facultés de médecine une obligation de formation générale et renforcée à la protection de l'enfance, qui soit d'un volume horaire suffisant.

Parallèlement, comme l'a souligné un représentant du Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom) auditionné par vos rapporteures, les étudiants devraient davantage être encouragés à effectuer des stages chez les praticiens, dans le cadre de « compagnonnages », la mise en situation en milieu professionnel étant un complément indispensable à la formation théorique. A l'heure actuelle, cette pratique demeure trop peu développée du fait de contingences matérielles (manque de temps disponible des praticiens en libéral pour l'accueil d'externes en médecine et faible indemnisation des étudiants).

Enfin, la diversité des matières mobilisées pour l'exercice des missions de protection de l'enfance plaide pour le développement effectif - qui constitue une obligation du code de l'éducation - et le plus tôt possible, des rencontres interdisciplinaires dans les formations initiales de tous les professionnels (médecins, magistrats, travailleurs sociaux, corps enseignant, etc.). Le décloisonnement doit permettre une mise en synergie des compétences professionnelles de manière à assurer la réalisation d'action de prévention non seulement variées mais également et surtout bien articulées.

Les possibilités offertes en matière de formation continue doivent également être élargies.

A cet égard, certains conseils généraux ont suggéré à vos rapporteures d'accroître le rôle dévolu aux ODPE dans la formation et l'évolution des pratiques professionnelles. Cette suggestion rejoint la proposition formulée par le groupe de travail « Protection de l'enfance et adoption » 52 ( * ) qui consisterait, pour accompagner les pratiques au fil de l'eau, à confier à ces observatoires une double mission :

- la réalisation d'un bilan annuel des formations délivrées dans le département ;

- l'élaboration d'un plan pluriannuel des besoins en formation des professionnels intervenant dans le champ de la protection de l'enfance.

Vos rapporteures accueillent très favorablement cette proposition dont elles souhaitent se faire l'écho. Cette fonction complémentaire assignée aux observatoires départementaux s'inscrit bien dans le cadre des missions qui leur sont déjà dévolues en matière d'évaluation de la politique de protection de l'enfance dans les départements et de proposition d'améliorations.

En outre, vos rapporteures estiment qu'il serait souhaitable que les modules de formation continue actuellement dispensés aux cadres de la protection de l'enfance (attachés ou conseillers sociaux éducatifs) dans les instituts nationaux spécialisés d'études territoriales (Inset) sous l'égide du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) puissent également être proposés, avec les adaptations nécessaires, aux travailleurs sociaux (droit de la famille et de l'enfant, évaluation des situations familiales, PPE, participation des parents et de la famille) 53 ( * ) .

Enfin, pour prendre en compte les nouveaux visages de la protection de l'enfance, une réflexion pourrait être menée sur la possibilité de faciliter l'accès des professionnels concernés à certaines formations universitaires, comme par exemple le diplôme universitaire en psychopathologie de l'adolescence, ou des formations plus spécifiques concernant par exemple la prise en charge des jeunes atteints de troubles du comportement au sens large (troubles du développement et de la personnalité).

Proposition n° 14 : introduire dans les facultés de médecine un enseignement obligatoire consacré à la protection de l'enfance d'une amplitude horaire proportionnée à l'importance des enjeux soulevés par la protection de l'enfance.

Proposition n° 15 : développer pour les externes en médecine les stages professionnels chez les praticiens dans le cadre de « compagnonnages ».

Proposition n° 16 : rendre effectives les sessions de formation partagées (interdisciplinaires) par la signature et la mise en oeuvre des conventions prévues à cet effet à l'article D. 542-1 du code de l'éducation.

Proposition n° 17 : confier aux ODPE la double mission de réaliser un bilan annuel des formations délivrées dans le département et d'élaborer un plan pluriannuel des besoins en formation des professionnels intervenant dans le champ de la protection de l'enfance.

Proposition n° 18 : prévoir pour les travailleurs sociaux des cycles de formation continue organisés par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) sur le modèle de ce qui existe aujourd'hui pour les cadres de la protection de l'enfance.

2. Mieux repérer
a) Le dispositif départemental de repérage du danger : une avancée majeure de la loi de 2007

La loi de 2007 a réformé le repérage des enfants en danger ou en risque de l'être par la mise en place d'un dispositif de recueil, de traitement et d'évaluation des informations sur les situations préoccupantes, piloté par une nouvelle instance départementale, la Crip .

L'objectif était de clarifier l'entrée dans la protection de l'enfance et d'éviter l'engorgement des parquets qui, en pratique, pouvaient être saisis dès lors qu'une inquiétude existait sur la situation d'un enfant et sans même qu'une première évaluation n'ait été menée. Il s'agissait aussi, par la création des Crip, de centraliser le recueil des IP et d'organiser un circuit unique, facilement repérable par l'ensemble des acteurs.

Conséquence de ce nouveau cadre, le secret professionnel a été aménagé pour permettre aux professionnels participant au dispositif d'échanger entre eux les informations nécessaires à l'évaluation d'une situation de danger et à la mise en oeuvre d'actions de prise en charge.

Figure n° 1 : Schéma de recueil, de traitement et d'évaluation des informations concernant des mineurs en danger ou risquant de l'être

Source : Oned - Guide pratique Protection de l'enfance - La cellule départementale de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes

Il est unanimement reconnu que cette nouvelle organisation, plus rationnelle, a permis d'améliorer le repérage des enfants en danger ou en risque de l'être : des situations, qui seraient restées inconnues des services de l'ASE dans le système précédent, sont désormais traitées et évaluées.

Pour autant, des marges de progression existent afin de rendre le dispositif plus performant.

b) La très faible participation du secteur médical au repérage du danger

Les professionnels de santé, plus particulièrement les médecins (médecins généralistes, pédiatres, pédopsychiatres, etc.), sont un maillon essentiel de la protection de l'enfance : tous les enfants sont, un jour ou l'autre, examinés par un médecin, que celui-ci exerce en secteur libéral ou en service hospitalier. Aussi, les médecins sont-ils les acteurs de proximité les plus à même de détecter les signes évocateurs des différents types de maltraitance.

Or les chiffres relatifs aux IP transmises aux Crip, issus des réponses au questionnaire adressé aux conseils généraux, témoignent de la très faible part que représente le secteur médical (hôpital, médecine de ville) dans les sources émettrices . Celui-ci arrive quasi-systématiquement derrière tous les autres acteurs (éducation nationale, autorité judiciaire, établissement médico-social, association, membre de la famille, source anonyme...). Il en va de même s'agissant des signalements au parquet 54 ( * ) . Ce constat a été corroboré par de très nombreuses personnes auditionnées, y compris par les représentants des médecins eux-mêmes (Cnom).

Plusieurs freins expliquent cette faible participation du corps médical au dispositif de transmission des informations préoccupantes et de signalement : le manque de formation initiale aux problématiques de l'enfance en danger (cf. II. 1. b .), une méconnaissance des procédures mises en place à l'échelle du département, un certain isolement professionnel (pour les médecins libéraux), la crainte des poursuites judiciaires (pour dénonciation calomnieuse notamment).

L'amélioration du repérage par le médecin est donc un enjeu crucial pour l'efficacité du dispositif : plus l'enfant en danger ou maltraité sera pris en charge précocement, moins les répercussions sur sa santé physique, son développement psychique et son bien-être psychosocial seront importantes. Les efforts doivent être portés à la fois sur le secteur hospitalier et sur la médecine de ville .

(1) Faciliter le repérage des enfants en danger à l'hôpital

S'appuyant sur un travail réalisé en 2006 aux urgences pédiatriques du centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, le groupe de travail « Protection de l'enfance et adoption » 55 ( * ) constate que « les urgences sont un lieu de passage privilégié et parfois l'unique lieu de soins des victimes de maltraitance ». Les statistiques montrent en effet que les enfants maltraités consultent avec une plus grande fréquence les services d'urgence (spécialisés en pédiatrie ou pas) que les autres enfants et, plus particulièrement, pour des traumatismes crâniens ou des fractures.

Cependant, le repérage des situations de danger ou de maltraitance s'y avère souvent difficile car il nécessite « des connaissances spécifiques peu ou pas enseignées aux urgentistes (aspects épidémiologiques, démarche diagnostique, aspects légaux de la maltraitance) » et « une étroite collaboration entre toutes les personnes ressources » (urgentistes, pédiatres hospitaliers et libéraux, médecins généralistes, médecins de PMI, médecins scolaires, etc.) qui fait souvent défaut. Le groupe de travail en conclut que « l'objectif n'est pas tant de diagnostiquer avec certitude les cas de maltraitance, que de savoir évoquer cette hypothèse au travers d'un faisceau d'arguments afin d'activer le réseau d'évaluation multidisciplinaire existant » .

Afin qu'une vigilance accrue soit apportée aux mineurs effectuant des passages fréquents aux services d'urgence ou aux consultations médicales hospitalières, le groupe de travail formule plusieurs préconisations, dont certaines ont retenu l'attention de vos rapporteures :

Proposition n° 19 : mettre en place un outil informatique dédié à l'accueil des urgences permettant l'analyse systématique du nombre de passages et des motifs de venue par les infirmières d'accueil et les médecins urgentistes.

Proposition n° 20 : prévoir une formation spécifique aux problématiques de la protection de l'enfance à destination des professionnels des services des urgences.

(2) Impliquer davantage les médecins libéraux dans le dispositif de repérage

Bien qu'étant en première ligne, le secteur libéral est encore moins pourvoyeur d'IP ou de signalements que le secteur hospitalier. Les médecins libéraux travaillent souvent seuls, méconnaissant pour beaucoup le dispositif issu de la loi de 2007 et ayant parfois une vision erronée des exigences légales et réglementaires relatives au partage du secret professionnel. En outre, les liens entre les services départementaux de protection de l'enfance et les professionnels de santé libéraux peinent à se développer, alors que certaines initiatives ont vu le jour avec des établissements de santé.

L'amélioration du repérage et l'augmentation du nombre d'IP transmises par les médecins libéraux dépendent tout d'abord du niveau de connaissance et du degré de pratique professionnelle qu'ils ont acquis en protection de l'enfance 56 ( * ) . Comme cela a été évoqué précédemment (cf. II. 1. b .), il est indispensable de renforcer la formation initiale puis continue des médecins sur cette problématique.

Une plus grande implication de ces professionnels nécessite ensuite d' encourager des échanges réguliers avec les autres acteurs de la protection de l'enfance , au premier rang desquels les services du conseil général (Crip et/ou leurs structures territorialisées). Il semble, par exemple, indispensable que les médecins, via leur ordre départemental, soient partie prenante aux protocoles départementaux relatifs au dispositif de recueil, de traitement et d'évaluation des IP (cf. I. 3. b) ). D'une manière générale, les conseils départementaux de l'ordre des médecins ont un rôle important à jouer pour développer les partenariats et le travail en réseau.

Formulée par le groupe de travail « Protection de l'enfance et adoption », une autre piste de réforme consisterait à désigner, dans chaque service départemental de PMI, un médecin référent « protection de l'enfance » chargé d'établir des liens (annuaire téléphonique et courriels, points réguliers sur les situations difficiles, réunions de sensibilisation et de formation sur l'enfance en danger, etc.) avec l'ensemble des médecins généralistes et des pédiatres du département, ainsi qu'avec les médecins de santé scolaire . La désignation de ce médecin référent permettrait à la fois de rompre avec l'isolement du médecin exerçant en secteur libéral et d'améliorer la coopération entre les professionnels de santé, dans l'objectif d'une prise en charge plus précoce et mieux coordonnée des enfants en danger. Vos rapporteures s'associent pleinement à cette proposition, tout en insistant sur la nécessité d'inclure dans ce travail en réseau les praticiens hospitaliers prenant en charge des enfants.

Proposition n° 21 : désigner, dans chaque service départemental de PMI, un médecin référent « protection de l'enfance » chargé d'établir des liens de travail réguliers entre les services départementaux (PMI, ASE), les médecins libéraux du département (plus particulièrement les médecins généralistes et les pédiatres), les médecins de santé scolaire, et les praticiens hospitaliers s'occupant d'enfants (urgentistes, pédiatres).

c) Les cellules de recueil des informations préoccupantes : un dispositif innovant, dont le fonctionnement peut encore être amélioré

Principale innovation de la loi de 2007, la Crip joue désormais un rôle pivot dans le dispositif de protection de l'enfance. Elle constitue l'interface entre les services du département (ASE, PMI) et l'ensemble des partenaires impliqués dans cette politique (autorité judiciaire, éducation nationale, police, gendarmerie, service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger, hôpitaux, médecins, associations, etc.).

Que la Crip ait opté pour une organisation centralisée ou territorialisée (cf. I. 2. b) ), son fonctionnement est jugé globalement satisfaisant par les départements interrogés . La plupart lui reconnaissent une vraie plus-value en termes de centralisation des données, de partage de l'information entre les professionnels, de rationalisation dans le processus d'évaluation des situations.

Néanmoins, plusieurs améliorations pourraient lui être apportées pour rendre le dispositif plus cohérent et plus efficace.

(1) Harmoniser et encourager l'approche collégiale de la procédure d'évaluation des informations préoccupantes

S'agissant de la phase d'évaluation des IP , le choix du mode d'organisation appartient bien sûr à chaque conseil général, conformément au principe de libre administration des collectivités territoriales. Cependant, lorsque l'évaluation est réalisée par les antennes territoriales, il existe un réel risque de disparité de traitement au sein d'un même département. Aussi, est-il indispensable qu'un cadre de référence commun, comprenant des critères d'évaluation précisément définis, soit élaboré . Dans leurs réponses au questionnaire, plusieurs conseils généraux ont souligné la nécessité d'élaborer une grille de lecture partagée permettant un traitement harmonisé des IP au niveau du département. Se pose aussi la question de savoir si un tel référentiel ne devrait pas être réalisé au niveau national pour permettre l'application de critères communs à tous les départements. Si une telle proposition peut paraître pertinente pour lutter contre les disparités interdépartementales, elle présente le risque de « rigidifier » les pratiques des conseils généraux, qui ont besoin d'une certaine souplesse pour mettre en oeuvre les procédures les plus adaptées à leur territoire.

Par ailleurs, ainsi que le recommande l'Oned dans l'un de ses guides pratiques à destination des professionnels de la protection de l'enfance 57 ( * ) , il convient d' encourager la finalisation du processus d'évaluation par une réunion de synthèse pluri-professionnelle et pluri-institutionnelle , dans le but de croiser les points de vue des différentes personnes ressources et de faciliter la prise de décision. La Mayenne, par exemple, a mis en place une instance pluridisciplinaire chargée d'examiner les situations les plus complexes, où siègent l'ensemble des professionnels concernés. A l'issue d'une réflexion technique collégiale, un relevé de décisions est établi et transmis à l'instance décisionnaire. Cette « bonne pratique » mériterait d'être généralisée à d'autres départements.

Proposition n° 22 : inciter les services de l'ASE à mettre en place un référentiel permettant une évaluation harmonisée des informations permanentes (IP) à l'échelle du département grâce à des critères précisément définis.

Proposition n° 23 : encourager les départements à développer le caractère pluridisciplinaire et concerté du processus d'évaluation des IP.

(2) Encadrer la prise de décision lorsque celle-ci est déconcentrée

Au terme de la procédure d'évaluation, la décision peut être prise, selon les modèles d'organisation, soit par la cellule centralisée, soit par les services déconcentrés. Le plus souvent, elle incombe à un inspecteur de l'ASE, attaché d'administration qui dispose d'une délégation de signature du président du conseil général.

Ainsi que le notait la Cour des comptes dès 2009 58 ( * ) , « le choix d'une forte déconcentration peut contribuer à limiter les délais entre l'identification d'une situation de danger et la prise de décision. Il peut cependant conduire à d'importantes différences de pratiques au sein même du département, si l'autonomie des services décisionnaires n'est pas encadrée par des directives précises » . Or de telles instructions n'existent pas toujours. Il apparaît donc indispensable de progresser dans la formalisation et l'harmonisation de la procédure de décision .

Proposition n° 24 : encadrer strictement la procédure de prise de décision concernant les informations préoccupantes lorsque celle-ci relève des services déconcentrés de la Crip.

(3) Favoriser la présence d'un médecin au sein de la cellule de recueil des informations préoccupantes

Il ressort des réponses au questionnaire adressé aux départements que les cellules de recueil et de traitement des informations préoccupantes (Crip) sont, dans la majorité des cas, composées de personnels administratifs et de personnels spécialisés en protection de l'enfance. La participation de professionnels médicaux, en particulier de médecins, y est peu fréquente 59 ( * ) . Ce constat a été corroboré par le conseil national de l'ordre des médecins (Cnom) lors de son audition, qui y voit un facteur explicatif de la faible part du secteur médical parmi les sources émettrices d'IP. Faute d'homologue au sein de la Crip, les médecins seraient peu enclins à s'adresser à elle.

Sans systématiser une présence médicale à plein temps, il serait opportun de développer la mise en place d' une permanence médicale, assurée par le médecin de protection maternelle et infantile (PMI) référent « protection de l'enfance » (cf. supra ).

Proposition n° 25 : développer, dans chaque Crip, une permanence médicale assurée par le médecin de PMI référent « protection de l'enfance ».

(4) Garantir la continuité du service de recueil des informations préoccupantes

Afin d'assurer la continuité du dispositif de recueil des IP en dehors des heures d'ouverture de la Crip - lesquelles sont généralement alignées sur celles des autres services du conseil général -, les départements se sont organisés de façon diverse (cf. I. 2. b) ).

Il semble cependant que tous n'aient pas mis en place cette continuité du service : plusieurs professionnels auditionnés ont en effet déploré l'absence d'interlocuteur pour le recueil des IP, en particulier la nuit et le week-end. Une telle situation n'est pas admissible car elle entraîne des retards dans la prise en compte des situations de danger, dont les conséquences peuvent être très graves pour les enfants concernés. Aussi l'organisation d'un dispositif venant en relais de la Crip doit-elle être systématisée .

Proposition n° 26 : garantir, dans chaque département, la continuité du service de recueil des IP en organisant un dispositif prenant le relais de la Crip en dehors de ses heures d'ouverture.

(5) Conforter le rôle de conseil des cellules de recueil des informations préoccupantes

Outre sa fonction de recueil et de traitement des IP, la cellule de recueil des informations préoccupantes (Crip) est amenée, de par la position centrale qu'elle occupe dans le dispositif, à jouer un rôle de conseil auprès de l'ensemble des acteurs de la protection de l'enfance . Il est donc important que ces derniers puissent s'adresser directement à elle pour obtenir un avis ou un conseil à propos de la situation d'un enfant, en particulier lorsque celle-ci est difficile à évaluer.

A cet égard, l'Oned recommande 60 ( * ) que chaque cellule départementale se dote d'un numéro d'appel utilisable, en cas de besoin, par les personnels de l'éducation nationale, de la santé, de la police et de la gendarmerie, des services municipaux, des associations, etc.

Proposition n° 27 : conforter le rôle d'avis et de conseil des Crip en permettant à l'ensemble des acteurs de la protection de l'enfance de s'adresser à elle directement (par exemple, via un numéro d'appel mis à leur disposition).

3. Mieux prendre en charge
a) Replacer l'intérêt supérieur de l'enfant au coeur du dispositif
(1) Droits de l'enfant/droits des parents : un équilibre fragile

Les structures en charge de la protection de l'enfance ont pendant très longtemps exercé leurs missions auprès de l'enfant sans associer la famille au travail éducatif mis en place. La famille était considérée comme défaillante, incompétente, toxique, responsable des troubles de l'enfant. C'est donc par la séparation et l'éloignement du milieu familial que l'évolution de l'enfant était envisagée.

Les années 1980 marquent un véritable changement de paradigme . Soutenue par des travaux de recherche 61 ( * ) et la loi « Dufoix » 62 ( * ) , une nouvelle conception de la place de la famille émerge, selon laquelle les parents sont responsables et non plus coupables et doivent dès lors être associés aux mesures de protection mises en oeuvre pour leur enfant. Cette approche, centrée sur un travail de coconstruction avec la famille, a prévalu et s'est même amplifiée jusqu'aux années 2000 , faisant dire à certains que le système de protection de l'enfance avait basculé dans « le familialisme ».

C'est dans ce contexte polémique que la réforme de 2007 s'est donné pour objectif de rétablir un certain équilibre entre la protection due à l'enfant et la place de la famille , autrement dit entre droits de l'enfant et droits des parents.

Pour la première fois, la loi introduit dans le CASF les dispositions de l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant en définissant les priorités de la protection de l'enfance : « l'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins et le respect de ses droits doivent guider toute décision le concernant » (article L. 1112-4 du CASF). Des principes forts régissent les interventions dans l'intérêt de l'enfant : l'individualisation de la prise en charge, avec l'obligation d'établir un PPE (article L. 223-1 du CASF) ; la continuité et la cohérence des actions menées pour l'enfant et sa famille (article L. 221-4 du CASF), le président du conseil général étant garant de cette continuité. En outre, la stabilité affective est visée comme l'un des besoins de l'enfant auquel la prise en charge doit répondre (article L. 222-5 du CASF).

Parallèlement, une attention particulière est portée aux droits des parents. Leur information est améliorée, tant au moment du signalement que de la prise en charge (article L. 223-5 du CASF) ; leur participation aux décisions les concernant est renforcée (article L. 223-1 du CASF) ; les règles applicables au droit de visite et d'hébergement, ainsi qu'aux modalités d'exercice de l'autorité parentale sont aménagées (article 375-7 du code civil).

(2) La persistance d'une idéologie familialiste très forte

Bien que la notion d'intérêt supérieur de l'enfant irrigue désormais tout le droit de la protection de l'enfance, les nombreuses auditions menées par vos rapporteures ont montré que le système français reste profondément marqué par une idéologie familialiste, qui donne le primat au maintien du lien avec les parents biologiques .

Cette conception, que certains professionnels n'hésitent pas à qualifier de dogme, s'exprime d'abord à travers les représentations sociologiques de la famille. En France, il est très difficile d'envisager un aménagement voire une rupture du lien familial biologique. Preuve en est, par exemple, l'injonction qui est souvent faite aux assistants familiaux de ne pas s'attacher aux enfants qu'ils accueillent. Or, certaines situations nécessitent assurément de libérer les enfants de la tutelle de leurs parents, lorsque celle-ci ne peut plus s'exercer dans des conditions raisonnables, est néfaste, ou ne repose sur aucun lien affectif durable.

L'idéologie familialiste imprègne ensuite les pratiques sociales. Par leur formation, les travailleurs sociaux attachent beaucoup d'importance à l'adhésion des parents, à leur accompagnement et à leurs facultés de progression. Bien sûr, cette démarche est parfaitement louable et doit être mise en oeuvre dans la majorité des situations. Mais dans certains cas, les plus difficiles (délaissement, maltraitance), elle peut être préjudiciable à l'enfant en retardant la prise de décisions, qui seraient pourtant bénéfiques à son développement (l'éloignement, par exemple).

Le dogme du lien familial perdure également au sein de l'institution judiciaire. Les condamnations de parents maltraitants (hormis les meurtres et l'inceste) sont généralement d'une moindre sévérité que si les actes incriminés avaient été perpétrés par un étranger à la famille. En outre, il est assez rare que le retrait de l'autorité parentale soit prononcé. Par exemple, un père ayant violenté la mère de ses enfants peut conserver l'autorité parentale sur ceux-ci ; un père abuseur recouvre parfois son autorité parentale au terme de sa peine.

Enfin, même la loi n'est pas exempte de référence à cette idéologie puisque la protection administrative qui, depuis 2007, prime sur la protection judiciaire, doit chercher à obtenir l'adhésion des parents, ceci parfois au risque d'un allongement des procédures préjudiciable à l'enfant. Pour autant, il serait exagéré de parler de la loi de 2007 comme d'un texte familialiste ; ce sont davantage les mentalités et les pratiques professionnelles qui restent imprégnées par « le maintien du lien familial à tout prix ».

Au final, vos rapporteures estiment fondamental que l'intérêt supérieur de l'enfant soit replacé au coeur du dispositif de protection de l'enfance . Ainsi que l'a expliqué très justement, lors de son audition, le docteur Daniel Rousseau, pédopsychiatre, « en protection de l'enfance, le principe de précaution devrait toujours bénéficier en priorité à l'enfant et non aux parents comme cela est encore trop souvent le cas » .

b) Systématiser la mise en oeuvre du projet pour l'enfant et en faire un document de prise en charge globale

Comme cela a été mentionné précédemment, les réponses au questionnaire montrent que le PPE est mis en oeuvre de manière très inégale selon les départements (cf. I. 2. b) ), constat qui a été confirmé par nombre de professionnels lors des auditions. Sept ans après la promulgation de la loi de 2007, cette situation n'est pas acceptable . L'absence ou la mise en place partielle du PPE dans certains territoires signifie en effet que des enfants ne bénéficient pas d'une prise en charge pluridisciplinaire et coordonnée. Il est donc indispensable d' encourager tous les départements à élaborer, d'ici fin 2015, un « PPE-type » applicable à l'ensemble des mesures de protection .

A ces disparités territoriales s'ajoute la question de l'articulation du PPE avec d'autres outils administratifs comme le document individuel de prise en charge (DIPC) 63 ( * ) ou le livret d'accueil 64 ( * ) . Il semble en effet que la multiplication de ces documents, initialement destinés à améliorer l'information et la participation des usagers des services sociaux et médico-sociaux, nuise à la lisibilité et à l'efficacité du dispositif. Non seulement les parents, déjà fragiles socialement et/ou psychologiquement, ont du mal à s'y retrouver, mais en outre les professionnels se plaignent de démarches administratives redondantes et chronophages. Il serait donc pertinent que lorsqu'un enfant est pris en charge par un établissement ou un service social ou médico-social au titre de la protection de l'enfance, le DIPC soit intégré au PPE afin de regrouper toutes les informations concernant sa prise en charge dans un seul document . Certains établissements ont d'ores et déjà pris l'initiative d'une telle simplification.

En outre, il est fondamental que le PPE devienne un document de prise en charge globale, c'est-à-dire traitant de toutes les dimensions du développement de l'enfant (sociale, médicale, éducative, affective, etc.). Trop souvent, lorsqu'un PPE est élaboré, celui-ci s'apparente à un document administratif classique, mentionnant toutes les données relatives à l'organisation du suivi de l'enfant (situation familiale, noms des intervenants, modalités de prise en charge, objectifs fixés, délais prévus, etc.). Or, comme son nom l'indique, le « projet pour l'enfant » est bien plus qu'un simple dossier de prise en charge ; il doit être l'outil par lequel les services départementaux, en coordination avec l'ensemble des professionnels, et - lorsque la situation le permet- en collaboration avec les parents, s'interrogent sur le parcours de vie de l'enfant et mettent en place les actions nécessaires à son épanouissement .

Enfin, il serait intéressant de développer la pratique consistant à désigner, pour chaque PPE signé, un référent ASE exclusivement chargé de son suivi et de son évaluation . Rappelons, en effet, qu'en application du dernier alinéa de l'article L. 223-1 du CASF, il revient au président du conseil général d' « assurer le suivi et, dans la mesure du possible, la continuité des interventions mises en oeuvre pour un enfant et sa famille au titre de la protection de l'enfance ». Le département de la Loire-Atlantique, où vos rapporteures se sont rendues, a ainsi décidé de spécialiser certains travailleurs sociaux de son service d'aide sociale à l'enfance (« TS ASE ») dans le « portage » des PPE. Ceux-ci ont pour mission exclusive d'organiser les modalités de suivi et d'évaluation du projet, d'articuler les interventions des différents professionnels, et de proposer, le cas échéant, des aménagements au projet initial.

Proposition n° 28 : encourager tous les départements à élaborer, d'ici fin 2015, un « projet-type pour l'enfant » applicable à l'ensemble des mesures de protection.

Proposition n° 29 : lorsqu'un enfant est pris en charge par un établissement ou un service social ou médico-social au titre de la protection de l'enfance, intégrer le document individuel de prise en charge (DIPC) au projet pour l'enfant (PPE) afin de regrouper toutes les informations concernant sa prise en charge dans un seul document.

Proposition n° 30 : faire du PPE un outil au service d'une prise en charge globale de l'enfant, c'est-à-dire traitant de toutes les dimensions de son développement (sociale, médicale, éducative, affective, etc.), et d'une approche en termes de « parcours de vie ».

Proposition n° 31 : développer la pratique consistant à désigner, pour chaque PPE signé, un référent ASE exclusivement chargé de son suivi et de son évaluation.

c) Garantir la prise en charge psychique des enfants faisant l'objet d'une mesure de protection

Le suivi psychique (psychologique ou psychiatrique) des enfants faisant l'objet d'une mesure de protection est un élément central de leur prise en charge. Dans la très grande majorité des cas, en effet, ces enfants ont subi des traumatismes qui, en fonction de leur degré de gravité, affectent plus ou moins fortement leur développement psychique à court et à long terme. Seuls des soins adaptés et prolongés, prodigués le plus tôt possible, peuvent permettre de limiter le risque de séquelles .

La santé mentale des enfants protégés est un enjeu d'autant plus important que, de l'avis de nombreux professionnels auditionnés, l'ASE accueille de plus en plus d'enfants ou de jeunes adultes présentant des troubles du comportement ou de structuration de la personnalité.

Or force est de constater que l'offre de soins en pédopsychiatrie - comme d'ailleurs en psychiatrie adulte - ne permet pas aujourd'hui d'apporter une réponse satisfaisante aux besoins de ces enfants et de ces jeunes . Même si d'importantes disparités territoriales existent dans ce secteur également, le constat global est celui d'une démographie médicale déclinante, de délais d'attente excessifs pour une prise en charge en ambulatoire, d'un manque de places en hospitalisation et en établissements spécialisés (instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques - ITEP- et instituts médico-éducatifs - IME-).

Plusieurs départements ayant répondu au questionnaire estiment en outre que l'ASE, en accueillant des enfants aux profils de plus en plus complexes, qui relèveraient davantage d'une prise en charge sanitaire psychiatrique, est devenue « la variable d'ajustement de la pédopsychiatrie » .

Aussi, vos rapporteures souhaitent-elles alerter sur les difficultés de la pédopsychiatrie française qui ne sont pas sans rejaillir sur le système de protection de l'enfance .


* 42 Loi n° 89-899 du 18 décembre 1989 relative à la protection et à la promotion de la santé de la famille et de l'enfance et adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétences en matière d'aide sociale et de santé.

* 43 Voir l'insertion « La politique de périnatalité : l'urgence d'une remobilisation ».

* 44 Quatre demi-journées de consultations prénatales pour 100 000 habitants âgés de quinze à cinquante ans ; une demi-journée de consultation pour les enfants de moins de six ans pour 200 enfants nés l'année civile précédente ; une sage-femme à plein temps ou son équivalent pour 1 500 enfants nés au cours de l'année civile précédente ; une puéricultrice à plein temps ou son équivalent pour 250 enfants nés au cours de l'année civile précédente. La Cour constate que, s'agissant des consultations prénatales destinées aux mères, 40 départements ne respectent pas ces normes tandis que 20 assurent deux fois plus de consultations que prévu. S'agissant des consultations infantiles, 56 départements n'assurent pas le nombre de séances de consultations minimales tandis qu'une douzaine en offre au moins 50 % de plus (articles R. 2112-5 à R. 2112-7 du code de la santé publique).

* 45 Ibid.

* 46 Igas, Etude sur la protection maternelle et infantile en France, novembre 2006.

* 47 Cour des comptes, rapport précité.

* 48 Selon le projet annuel de performances de la mission « enseignement scolaire » du PLF 2014.

* 49 « Contribution de la Cour des comptes à l'évaluation de la médecine scolaire au titre de l'article 135-2 du code des juridictions financières », 6 octobre 2011.

* 50 Loi n° 2013-595.

* 51 Céline Gréco, Université Paris XI, thèse pour le doctorat de médecine, « Repérage et prise en charge de la maltraitance faite aux enfants par les internes en médecine générale. Bases pour améliorer la formation ». Sous la direction du Docteur Anne Tursz. Soutenue le 18 septembre 2013.

* 52 Rapport précité.

* 53 Les cadres de la protection de l'enfance ont la possibilité de suivre un cycle de formation continue pour acquérir les capacités nécessaires à la mise en oeuvre de la politique départementale de prévention et de protection de l'enfance sur un territoire donné. Le cycle de formation leur est accessible dans l'année qui suit la prise de fonction. D'une durée totale de 240 heures réparties sur 18 mois au maximum, il se compose des six modules suivants : « le contexte de l'ASE » ; « le droit de la famille et de l'enfant » ; « l'apport des sciences humaines dans la protection de l'enfance » ; « de l'évaluation des situations familiales à la décision » ; « du projet pour l'enfant à la participation des parents et de la famille » ; « diriger un service ASE et contribuer au pilotage du dispositif départemental de protection de l'enfance ».

* 54 Rapport du groupe de travail « Protection de l'enfance et adoption », février 2014.

* 55 Rapport précité.

* 56 Sur son site Internet, le Cnom a mis à disposition des médecins libéraux un modèle-type de signalement qui apparaît, de toute évidence, insuffisamment diffusé et donc connu des praticiens (« modèle de signalement de sévices à mineur »).

* 57 « La cellule départementale de recueil, de traitement et d'évaluation », guide pratique protection de l'enfance, Oned.

* 58 Rapport précité.

* 59 Parmi les départements interrogés, seuls la Sarthe et Paris font état de la participation d'un médecin à la Crip.

* 60 Guide pratique précité.

* 61 Recherches menées en psychologique autour du processus d'attachement.

* 62 La loi n° 84-422 du 6 juin 1984 relative aux droits des familles dans leurs rapports avec les services chargés de la protection de la famille et de l'enfance, et au statut des pupilles de l'Etat, dite « loi Dufoix », reconnaît pour la première fois des droits aux familles au cours de la procédure (droit d'être informées, associées et accompagnées).

* 63 La loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale oblige à élaborer, pour toute personne accueillie en établissement ou service social ou médico-social, un contrat de séjour ou un document individuel de prise en charge (DIPC), dont le but est de formaliser la relation entre l'usager, le service ou l'établissement, de définir les objectifs et la nature de la prise en charge, de préciser les prestations offertes et leur coût prévisionnel.

* 64 La loi du 2 janvier 2002 prévoit également que toute personne accueillie en établissement ou service social ou médico-social se voit remettre un livret d'accueil, qui l'informe des prestations et services dont elle peut bénéficier.

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