DEUXIÈME TABLE RONDE - Entreprises de la nouvelle économie et vie privée

M. Yves le Mouël, directeur général de la
Fédération française des Télécoms

M. Alain Bazot, président de l'UFC Que Choisir

M. Marc Mossé, directeur des affaires publiques et juridiques de Microsoft France et membre de l'Association
des services Internet communautaires (ASIC)

M. Loïc Rivière, délégué général de l'Association française
des éditeurs de logiciels et solutions internet (AFDEL)

Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la
Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL)

(de gauche à droite : Mme Isabelle Falque-Pierrotin, M. Yves le Mouël, M. Marc Mossé, Mme Anne-Marie Escoffier , M. Loïc Rivière, M. Alain Bazot)

Mme Anne-Marie Escoffier , présidente . - Je veux d'abord remercier M. Sueur de m'avoir demandé de présider cette table ronde. En 2009-2010, j'avais, avec d'autres collègues, commis le premier rapport sur le droit à la vie privée, puis une proposition de loi sur celle-ci à l'ère du numérique. Le débat sur l' homo numericus a depuis beaucoup évolué depuis.

Mme Féral-Schul a eu raison d'insister sur les valeurs en jeu dans ces affaires : le besoin de commercialiser des marchandises heurte l'attachement à la vie privée. Nos sociétés sont marquées par l'instantanéité, le besoin d'aller vite et, simultanément mais non sans tension, celui de protection. Comment concilier ces aspirations contradictoires ?

M. Yves Le Mouël, directeur général de la Fédération française des Télécoms . - Internet - faut-il le rappeler ? - est un outil mondial. Cet outil collecte et expose des données de toute nature, dont le volume augmente avec le nombre de ses utilisateurs.

Des milliards d'objets connectés vont envahir notre quotidien. Cette révolution change notre vie, et pas seulement d'une manière diabolique : quelle formidable opportunité pour la planète ! Voyez l'évolution du bien-être individuel : par un simple bracelet, on améliore sa santé et ses performances ; l'on apprend à gérer une ville, à réaliser des économies d'énergie ; e-call gèrera plus efficacement les secours en cas d'accident automobile...

Ne nous voilons pas la face, nous sommes là dans un modèle marchand. Ces données sont une monnaie d'échange : information contre service. Les valeurs morales n'en sont pas pour autant exclues : les informations que l'on dissémine sont chargées d'aspects intimes. Il faut trouver un équilibre, éviter de construire des abris anti-numérique et se garder de toute naïveté. L'immédiateté et l'universalité priment.

De plus, nous sommes passés d'un monde de consommateurs s'en remettant à des sachants à un monde de producto-consommateurs aux attentes sensiblement différentes. Nous voulons tous créer un monde de confiance, de sécurité, mais laissant une large place à l'innovation. Nous autres opérateurs essayons de contribuer à ces évolutions, notamment en sécurisant les échanges. Nous ne sommes bien sûr pas seuls à lutter contre la cybercriminalité : nous agissons suivant les orientations des pouvoirs publics. C'est ainsi que le Premier ministre a récemment demandé que les serveurs d'accès aux systèmes de messagerie soient sécurisés pour les FAI, les fournisseurs d'accès à Internet ; ce chantier aboutira avant la fin de l'année. Nous collaborons avec l'administration pour le mener à bien.

Nous travaillons également en lien avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) à sécuriser les réseaux eux-mêmes, les équipements, ainsi que les communications. Nous sommes aussi des acteurs pour les interceptions, qu'elles interviennent sur réquisition judiciaire ou selon des processus d'exception.

Le cadre dans lequel nous évoluons n'est pas seulement national : il est européen. Un projet de règlement des données personnelles est en cours d'élaboration, pour réformer la directive de 1995. Tous les acteurs de la chaîne du numérique sont concernés, car tous ont une activité internationale. Ce projet de texte bute au moins sur deux choses. D'une part, le consentement de l'utilisateur devient illusoire quand l'internaute doit compulser d'innombrables pages et cliquer de trop nombreuses coches. Veillons à ne pas complexifier les choses à l'excès. D'autre part, attention à ne pas handicaper le développement de nos entreprises en les corsetant par nos lois. Internet est un média mondial.

Restons souples : privilégions des codes de bonne conduite plutôt que de graver dans le marbre de la loi des normes, sans cesse à préciser pour tenir compte des évolutions fulgurantes du secteur. Vivons avec notre temps, au rythme échevelé de l'Internet.

Il n'y pas de raison que nous ne bénéficions pas des mêmes possibilités de développement que d'autre acteurs, implantés sur des territoires plus larges. Une grande zone de libre-échange est en négociation avec les États-Unis. Le Safe Harbor Agreement doit faire partie des discussions. Il serait très dommageable que les acteurs ne soient pas soumis aux mêmes règles de part et d'autre de l'Atlantique.

Une proposition de loi relative à la biométrie a été récemment examinée par la commission des lois du Sénat. C'est un secteur porteur. Certes, il importe de préserver la sécurité des biens et des personnes, mais il s'agit aussi d'un enjeu du développement pour les entreprises françaises, particulièrement innovantes et qui comptent parmi les leaders mondiaux.

Soyons prudents : trop réglementer serait contreproductif. Soyons également avertis et développons la formation, car l'État n'est pas le seul à agir : le consommateur doit également prendre ses responsabilités. Aidons-le à le faire. ( Applaudissements )

M. Alain Bazot , président de l'UFC-Que Choisir . - UFC-Que Choisir entend rester une vigie pour les consommateurs. Internet et le big-bang numérique nous invitent à tout reconsidérer sous un oeil neuf. A commencer par la science économique, parce que les données personnelles apparaissent comme une matière nouvelle. Leur exploitation est de plus en plus fine, de plus en plus massive, de plus en plus valorisée économiquement. Les informations personnelles fournies par les usagers eux-mêmes font vivre certaines entreprises à titre exclusif, un comme cela se passe pour les déchets - le parallèle s'arrête là...

Devant cette révolution, la digue juridique est sur le point de céder. Il est temps de l'adapter, de revenir aux fondamentaux et de repenser ce que l'on construit sur leur base. Ayant fait des études de droit - nul n'est parfait -, j'ai encore souvenir de l'article 9 du code civil, qui proclame le droit à l'intimité de la vie privée. À l'époque, le débat se focalisait sur la vie privée des personnes publiques - pouvait-on photographier Jean Gabin sur son lit de mort ? Le corollaire c'était l'inviolabilité du domicile, le secret des correspondances.

Les consommateurs prennent conscience que l'usage de ces données peut être abusif. La conscientisation reste assez intuitive. En 2011, l'une de nos enquêtes a révélé que le respect de la vie privée était désormais une préoccupation majeure des consommateurs. La prise de conscience porte en germe un sentiment de méfiance. Celui-ci, à son tour, peut avoir des conséquences économiques - voyez les scandales alimentaires. Il faut restaurer la confiance.

La clef est que les internautes maîtrisent leurs données. Les consommateurs, bien avertis, prendront les bonnes décisions. Voilà le point d'équilibre. Faisons-en des gens capables et responsables. Ne les traitons pas avec condescendance sous prétexte de les protéger.

L'enjeu est le consentement éclairé. Pour qu'il y ait contrôle des données, il faut que le consommateur soit informé. À défaut, pas de contrôle effectif de sa part. Avez-vous déjà cherché à comprendre les conditions générales d'utilisation de Facebook, de Google+ ou de Twitter ? Nous nous y sommes essayés pendant six mois avec des juristes : c'est impossible ! Les conditions générales ne sont pas toujours traduites, et quand c'est le cas, elles sont à la fois pléthoriques et elliptiques. Vous pouvez ouvrir un profil Facebook sans donner votre consentement... Il faut un dashboard * ( * ) , donnant à tout moment accès à une page sécurisée destinée à informer l'utilisateur de l'usage qui est fait de ses données, celles qui sont nécessaires au service, celles qui contribuent à sa qualité, et celles qui seront cédées, étant entendu qu'à tout moment le consommateur peut dire non. Ne partons pas du principe qu'il est nu ; à lui de choisir de se déshabiller ou non.

La sécurisation des données repose sur des dispositifs techniques : une norme ou une certification mondiale est souhaitable. Elle passe aussi par un contrôle. Enfin, il faut informer les intéressés de l'éventuel piratage de leurs données personnelles. Le projet de règlement en cours nous satisfait plutôt. L'information des autorités de contrôle sous 72 heures va dans le bon sens ; en revanche, il faut le faire « sans retard indu » pour le consommateur, ce qui nous laisse dubitatif.

Restera à savoir quel régulateur sera compétent géographiquement. Je ne suis pas sûr que l'autorité de régulation irlandaise, par exemple, dispose de moyens suffisants. Pour éviter le forum shopping, nous appelons de nos voeux une procédure associant la CNIL, si un Français est en cause.

Nous sommes bien sûr attachés à la bonne santé économique du secteur. Les limites à un usage débridé du profilage doivent venir de la libre volonté des consommateurs. ( Applaudissements )

M. Marc Mossé , directeur des Affaires publiques et juridiques de Microsoft France et membre de l'Association des services Internet communautaires (ASIC) . - « Je m'intéresse à l'avenir car c'est là que j'ai décidé de passer le restant de mes jours », disait Woody Allen. Nous parlons de 2,5 hexa-octets collectés chaque jour. Ce phénomène colossal est déjà là, il se produit sous nos yeux. Inutile de regarder dans le rétroviseur.

Nous sommes à l'époque des opportunités. La Commission européenne a bien montré, dans son rapport de septembre 2012 sur le cloud computing * ( * ) , les enjeux de ces évolutions : 1,5 point de PIB d'ici 2020, 2,5 millions d'emplois en Europe grâce à la création de nouveaux usages. L'on estime à 54 milliards la valeur supplémentaire dégagée par les nouveaux modèles économiques. Les applications sont innombrables : en santé par exemple, l'on parvient à prévenir les risques d'infections nosocomiales grâce au big data . C'est aussi l'occasion de renouer avec l'adaptabilité, l'égalité des services publics et de réformer l'Etat.

Les motifs d'enthousiasme sont réels. Toutefois, le big data semble fragiliser les droits fondamentaux. Contrairement à d'autres, je ne crois pas que la protection des droits fondamentaux menace l'innovation, au contraire. Celle-ci, by design , dans sa conception, doit veiller sur ceux-là.

La question de la confiance est centrale, qui suppose la transparence à l'égard des utilisateurs. La régulation, qui forme le premier volet du triptyque, n'est pas du ressort des entreprises. Le droit à la vie privée est un droit fondamental, et je ne crois pas qu'il ait succédé, historiquement et philosophiquement, à la liberté d'expression. Nous avons l'habitude de concilier les droits fondamentaux. Il ne revient pas à la technologie de décider quels principes font sens dans notre société : la régulation incombe au politique. Nous avons besoin à cet égard de principes clairs, simples, efficients, à partir desquels construire des réponses adaptées.

Deuxième volet du triptyque, la co-régulation, par un dialogue entre parties prenantes, y compris le régulateur et le juge. Nous avons au terme d'un travail de plusieurs mois avec la CNIL et les autres régulateurs européens intégré dans nos contrats de cloud computing les clauses contractuelles type européennes.

Enfin, le troisième volet du triptyque est celui de l'autorégulation. Résultant d'un choix volontaire des industriels, elle ne nous dispense pas de la régulation mais, au contraire, va plus loin qu'elle, à l'instar du principe de faveur en droit social. Il est possible de développer des technologies de protection : le dashboard , le do not track by default * ( * ) , le non-stockage des adresses IP au-delà de six mois.

En fonctionnant sur ces trois plans, nous réaliserons les promesses du numérique dans le respect des valeurs de notre société. Nous sommes confrontés à un enjeu de civilisation. Il n'est pas franco-français. Voyez l'intensité des débats en Allemagne, et la tribune publiée par Sigmar Gabriel. Aux Etats-Unis, les associations de protection des droits civils sont mobilisées. Un rapport sur le big data remis il y a quelques jours à M. Obama propose d'interdire la collecte des données à l'école, et réfléchit aux risques de discrimination liés à la capacité de prédiction facilitée par le croisement des données.

Il ne s'agit pas d'un conflit entre les Anciens et les Modernes. Tous les points de vue existent : les craintifs du numérique, les ravis de la crèche numérique, heureux by design , et les progressistes. Dans Le Prisonnier , série culte des années 60, le héros cherche à s'évader d'un village où tout le monde dit « Bonjour chez vous ! », un lieu trop parfait car déserté par le politique. Ce héros, c'est nous. Les libertés abandonnées sont celles auxquelles nous avons renoncé. Ne renonçons pas et saisissons-nous de ce débat. (Applaudissements)

M. Loïc Rivière , délégué général de l'Association française des éditeurs de logiciels et solutions internet (AFDEL) . - Nous ne faisons pas partie des ravis du numérique, mais espérons être de ses promoteurs éclairés. La notion de vie privée a évolué au cours de l'histoire. En Grèce antique, elle concernait ce qui ne relevait pas de la sphère publique, c'était peu. Maintenant, les conceptions latines et anglo-saxonnes s'opposent mais le numérique fait exploser les frontières. Quand on a 400 amis sur Facebook et 10 000 followers , est-on dans la vie privée ? La vie publique de beaucoup sur Internet consiste dans ce qu'ils exposent ou surexposent de leur vie privée.

Il y a un échange entre le fournisseur de service et l'utilisateur. Ne nous étonnons pas que les entreprises d'Internet qui offrent un service gratuit collectent et traitent des données. C'est leur business model . Si ce modèle est modifié, l'usage des réseaux sociaux deviendra-t-il payant ? On parle de travail gratuit, mais une recherche sur Google ou Bing s'apparente-t-elle au tripalium , à la souffrance ?

La confiance numérique a été ébranlée par l'affaire Snowden, qui a suscité des soupçons de connivence entre Google et les services de renseignements. Ces soupçons n'ont pas été corroborés ; au contraire le branchement sur le réseau a été opéré à l'insu des industriels. Internet ne saurait échapper à la surveillance des autorités de contrôle, parce qu'il décuple en même temps les possibilités d'échanger et de commercer, et celles de commettre des crimes.

Si le cadre règlementaire doit garantir les libertés, les industriels ont des progrès à accomplir en matière de transparence. Nos conditions générales d'utilisation (CGU) sont-elles longues ? Nous voulons noyer le poisson. Sont-elles courtes ? Nous ne traitons pas tous les cas ! Reste que l'internaute veut consommer le service le plus rapidement possible. C'est pourquoi l'essentiel réside dans l'éducation à la protection de la vie privée. Des applications sont dépourvues de CGU, ainsi que l'a révélé une étude de la CNIL : Internet ne sera jamais un espace totalement sain. Ce n'est en tout cas pas en rendant le cadre toujours plus coercitif que l'on favorisera la sécurité.

L'on a balayé trop vite les techniques d'anonymisation. Le navigateur est le meilleur outil, à travers la gestion des cookies* , pour protéger la vie privée. Le cadre réglementaire se révèle déterminant à cet égard. Cependant, il s'applique à la PME du quartier comme à la multinationale. Comme Alain Bazot, je crois qu'il ne faut pas céder à la tentation de créer de nouvelles lois pour résoudre toutes les questions.

Le droit à l'oubli existe déjà depuis la loi « Informatique et Libertés », avec le droit à l'effacement. La décision de la CJUE du 14 mai ne promeut d'ailleurs pas un nouveau droit mais fait entrer les moteurs de recherche dans le cadre applicable aux opérateurs de traitement et les rend responsables des atteintes à la vie privée, car ils ont la faculté de déréférencer certaines données. Mais qui est compétent ? Les juges ont résolu un problème en en créant un autre. Les vidéos de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) seront-elles concernées par ce type de décision? À nous de trouver, collectivement, les réponses. ( Applaudissements )

Mme Isabelle Falque-Pierrotin , présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) - Nous en convenons tous, nous sommes face à un changement absolu d'univers. Les données personnelles sont au centre de notre économie, ce qui apporte des bénéfices indéniables. Dans le même temps, les possibilités de ciblage, voire de surveillance des individus, s'accroissent et doivent être contrôlées. Les révélations sur le programme PRISM* ont permis de dévoiler un écosystème opaque et illustré les mauvais côtés d'Internet. Au fond, dans cette affaire, les remparts juridiques comme le Safe Harbor, n'ont pas fonctionné . Rétablir la confiance n'est pas simple. Il n'y a pas de réponse univoque et cela appelle une action simultanée auprès de tous les acteurs concernés. Il faut répondre aux attentes exprimées autour de deux notions : plus de transparence et plus de possibilités de maîtriser de façon individuelle le système.

S'agissant, en premier lieu, des acteurs économiques, les entreprises plaident pour l'autorégulation. Le projet de règlement européen, qui mise sur l' accountability * ( * ) , répond en partie à cette démarche de responsabilisation des entreprises pour intégrer les préoccupations Informatique et Libertés. La CNIL, d'ailleurs, est active à leurs côtés, en ce domaine, depuis plusieurs années. Encore faut-il qu'elles jouent le jeu de la transparence. Or, on rencontre encore beaucoup de conditions générales d'utilisation (CGU) opaques. Il reste beaucoup à faire en matière de privacy by design * ( * ) . De même, la culture de la sécurité des données personnelles est insuffisante.

De plus, il faut que les entreprises contribuent à rendre effectifs les droits des particuliers à l'accès, à la rectification ou à l'oubli. C'est pourquoi la CNIL propose, dans le cadre du projet de loi sur le numérique en préparation, que ces droits puissent s'exercer en ligne et que les particuliers obtiennent une preuve de cet exercice (récépissé, accusé de réception...).

Faut-il instaurer un droit de propriété sur les données personnelles pour éviter leur captation par les entreprises ? Je ne le crois pas. Ce serait une rupture avec la conception française selon laquelle les données sont une composante des droits fondamentaux et non un élément de patrimoine. De plus, même si les données sont détenues par des tiers, le particulier conserve des droits ; à l'inverse, dès que vous les aurez cédés, ces droits disparaîtront avec la perte liée au droit de propriété.

À l'égard, en second lieu, des acteurs publics, la CNIL propose que les fichiers de souveraineté puissent faire l'objet d'un contrôle externe, comme elle le fait déjà pour les fichiers de police - il ne s'agit pas de contrôler le contenu des fichiers de Renseignement mais de s'assurer que les outils mis en place par l'autorité compétente respectent le droit. Le cadre juridique, autre élément de transparence, doit être clarifié. L'invalidation de la directive sur la conservation des données de connexion, par un arrêt important de la CJUE rendu le 8 avril dernier, l'a montré. La CNIL avait attiré l'attention sur la nécessaire proportionnalité entre l'obligation de conservation qui pèse sur les opérateurs de télécommunication et la préservation des libertés. Les acteurs de marché nous interrogent pour savoir comment conserver les données. Il est indispensable que le législateur clarifie le champ de l'article 34-1 du Code des postes et des communications électroniques.

Enfin, s'agissant du rôle du régulateur, dans le domaine du conseil aux pouvoirs publics, la transparence doit également être renforcée. Les avis rendus par la CNIL sur les projets de loi devraient être rendus publics et les possibilités de saisine de la CNIL devraient être étendues aux propositions de loi. Le projet de règlement européen s'efforce d'améliorer la gouvernance et la coopération entre autorités de protection ; notre proposition concilie simplicité et compétence nationale. Nous proposons d'augmenter la maîtrise du régulateur national et d'ajuster le niveau des sanctions. (Applaudissements)

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - La commission des lois est déterminée à soutenir la CNIL face au projet de Mme Reding. L'instance compétente en cas de litige ne doit pas être l'instance du pays d'implantation de l'entreprise ; les citoyens ont le droit de s'adresser à l'autorité de régulation de leur pays. Nous espérons que vous gagnerez.

Merci d'avoir conforté notre idée selon laquelle une loi sur le renseignement est nécessaire. Quand la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) s'efforce de retrouver un otage ou lutte contre le terrorisme, elle s'appuie sur un faisceau d'indices. Faut-il avertir toutes les personnes qu'elle a soupçonnées ? Une instance de contrôle serait nécessaire.

(Échanges avec la salle)

Mme Nathalie Launay . - Une donnée personnelle n'est pas un élément de patrimoine. Le Safe Harbor Agreement* ne devrait-il pas être totalement exclu du Traité transatlantique, si la négociation de celui-ci se poursuivait après les élections européennes?

M. Daniel Latrémolière . - La CNIL a-t-elle étudié s'il est pertinent de conserver les données de connexion ? Il y a des précédents auxquels comparer cela : livrets ouvriers au XIX e , livrets de circulation pour les Roms, registres hôteliers...

Un intervenant . - Armer la France avec des outils de droit national est une chose, renforcer la dimension extérieure en est une autre. Le do not track * ( * ) n'a pas marché. Le rapport Obama évoque la remobilisation du Privacy Bill que les républicains empêcheront. La question de la territorialité est essentielle...

Mme Chantal Rubin . - Quelles sanctions prévoir à l'égard des gros acteurs d'Internet pour faire respecter les droits sur Internet ?

M. Yves Le Mouël, directeur général de la
Fédération française des Télécoms
. - Le débat sur le Safe Harbour Agreement* a partie liée avec la souveraineté. Les Européens en débattent. Des juges américains prolongent son application. Il faut mettre le sujet sur la table de négociation.

Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) . - Le bon niveau de réponse est européen. Il s'agit de créer un rapport de force pour peser sur les autorités et les entreprises américaines. Si nous dénonçons le Safe Harbor , les flux d'informations entre l'Europe et les Etats-Unis s'interrompent. La Commission négocie pied à pied des améliorations. Nous avons la main pour être exigeants. En outre, l'Europe peut se donner, dans son règlement, des instruments de contrôle, comme le fameux article 43 qui soumet à autorisation l'accès d'une autorité publique étrangère aux données d'un citoyen européen.

Nous sommes inquiets sur le TTIP * ( * ) . Que sont les données commerciales qui font l'objet des négociations, sinon des données personnelles, puisqu'elles servent au profilage des consommateurs ? Soyons vigilants pour que la négociation ne sacrifie pas la vie privée à la banane ou à tel autre produit. Les parlementaires ne peuvent-ils aider à dévoiler le mandat de négociation ?

M. Marc Mossé, directeur des affaires publiques et juridiques de Microsoft France et membre de l'Association des services Internet communautaires (ASIC) . - La réponse européenne est indispensable, tant dans les négociations internationales, que pour sécuriser et harmoniser le cadre juridique. Le règlement rendra la norme accessible par tout le monde, des multinationales aux PME. Encore l'harmonisation doit-elle se réaliser autour des standards les plus élevés.

L'enjeu n'est pas seulement la collecte, mais sa finalité, car elle sert de base à l'élaboration de nouveaux produits et services, comme en matière de prédictibilité des comportements. Face à ces questions nouvelles, il faut répondre par l' accountability . Le droit, c'est bien ; un droit efficace, c'est mieux.

Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) . - Les sanctions s'inscrivent dans un continuum . La nôtre n'était pas la première et ne sera pas la dernière, parce qu'une communauté de régulateurs travaillent ensemble. N'oublions pas en outre que la sanction affecte l'image d'une société : lorsque la CNIL a sanctionné Google, celle-ci a dû publier la décision sur sa page d'accueil, ce qui n'est pas en sa faveur ! Cela n'empêche pas de rendre les sanctions plus dissuasives. Quant aux métadonnées, peut-être des chercheurs détiennent-ils la réponse. Il faut en tout cas être attentif au respect de la proportionnalité.

M. Alain Bazot, président de l'UFC Que Choisir . - La publicité des manquements aux règles fonctionne. Les professionnels tiennent à leur e-reputation. Un indicateur de taux de fraude serait dissuasif. Nous partageons l'inquiétude sur l'opacité du mandat de négociation du TTIP. Les visions européenne et américaine ne sont pas nécessairement antagonistes ; nos homologues d'outre-Atlantique sont très remontés.

Ne négligeons pas le droit national qui rend des procès possibles. Celui que nous avons engagé s'apparente peut-être au combat de David contre Goliath, mais il démontre l'intérêt d'agir à ce niveau. Nous sommes confiants sur l'issue tout en sachant que le chemin de l'application de la décision sera long.

M. Loïc Rivière, délégué général de l'Association française
des éditeurs de logiciels et solutions internet (AFDEL)
. - Il est dans l'intérêt des entreprises américaines que le Safe Harbor crée de la confiance. L'Europe est évidemment le bon niveau. Une entreprise peut être prise dans une contradiction, née des obligations divergentes imposées aux niveaux national et international. Pour éviter des obstacles insurmontables, nous avons besoin de davantage de coopération.

Mme Anne-Marie Escoffier , présidente . - Merci à tous de la qualité de vos interventions, et à l'assemblée pour son attention ainsi que pour la pertinence de ses questions .


* * Cf. glossaire, p. 69

* * Cf. glossaire, p. 69

* * Cf. glossaire, p. 69

* * Cf. glossaire, p. 69

* * Cf. glossaire, p. 69

* * Cf. glossaire, p. 69

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