B. L'ADHÉSION À L'UNION EUROPÉENNE : OBJECTIF 2020 ?

1. Une perspective européenne réaffirmée à plusieurs reprises
a) Un statut de candidat obtenu rapidement

Le Monténégro a signé un accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne dès le 15 octobre 2007, soit à peine plus d'un an après son accession à l'indépendance. L'ASA instaure une zone de libre-échange avec l'Union européenne dans les cinq ans suivant son entrée en vigueur. Il définit également des objectifs politiques et économiques communs et encourage la coopération régionale. Il doit servir de fondement à la mise en oeuvre du processus d'adhésion et prépare ainsi à la convergence de la législation avec l'acquis communautaire en vue de garantir la libre circulation des travailleurs, la liberté d'établissement, et la libre-prestation de services sur le territoire monténégrin.

Cette signature rapide n'est pas étonnante compte-tenu du fait qu'alors qu'il était uni avec la Serbie, le Monténégro s'inscrivait dans la dynamique lancée par l'Union à destination de la région suite au Conseil européen de Feira des 19 et 20 juin 2000. Les pays des Balkans y ont notamment obtenu le statut officieux de « candidats potentiels ». Le Conseil européen de Thessalonique rappellera, le 21 juin 2003, le soutien de l'Union européenne « à la perspective européenne qui s'offre aux pays des Balkans occidentaux ». L'Union de Serbie et Monténégro participe ainsi dès l'origine au processus de stabilisation et d'association (PSA) qui succède à l'Approche régionale en 2000. Sa collaboration pleine avec le Tribunal pénal international pour l'ex Yougoslavie (TPIY), facilitée par son implication relative dans les guerres de sécession qui ont déchiré l'ancienne fédération, ont permis au pays de signer l'ASA plus rapidement que son voisin serbe, signataire en 2010. Le Monténégro est par ailleurs un des promoteurs de la coopération régionale entre pays issus de l'ex-Yougoslavie. Il est partie à la Déclaration de Sarajevo qui réunit la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et la Serbie et qui vise à améliorer la situation des personnes déplacées et des réfugiés dans la région. Cette intégration locale est également manifeste au plan énergétique avec la signature d'un accord avec l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine et la Croatie sur les projets de pipelines Trans-Adriatic et Ionian Adriatic. Des accords judiciaires ont en outre été signés avec la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine et la Serbie. Les problèmes de délimitation de frontière avec la Croatie (frontière de Prevlaka) mais aussi le Kosovo et la Macédoine ne constituent pas pour l'heure de réels obstacles à cette collaboration régionale. Le règlement du litige avec la Croatie devrait néanmoins constituer un des préalables à l'éventuelle adhésion du Monténégro après la conclusion des négociations avec la Commission européenne.

Après l'entrée en vigueur de l'ASA le 1 er mai 2010, le Monténégro s'est vu reconnaître le statut de candidat le 17 décembre 2010. L'ouverture des négociations d'adhésion a été autorisée par le Conseil le 26 juin 2012, six mois après un rapport positif de la Commission.

Le Monténégro bénéficie dans le même temps des fonds versés par l'instrument de pré-adhésion (IPA), 235,7 millions d'euros ont ainsi été alloués au Monténégro entre 2007 et 2013. Le Monténégro participe par ailleurs à différents programmes financés par l'Union européenne visant la recherche, l'entreprenariat, la formation continue ou les douanes. Les citoyens monténégrins bénéficient d'une libéralisation du régime des visas depuis le 19 décembre 2009 afin d'effectuer de courts séjours au sein de l'espace Schengen.

b) Les priorités des négociations d'adhésion

Les négociations portent pour l'heure principalement sur les chapitres 23 (pouvoir judiciaire et droits fondamentaux) et 24 (Justice et droits fondamentaux), ouverts le 18 décembre 2013. La priorité accordée aux questions ayant trait à l'État de droit est conforme à la nouvelle approche des négociations d'adhésion validée en décembre 2011 par le Conseil. Trois chapitres connexes : « marchés publics » (chapitre 5), « droit des sociétés » (chapitre 6) et « politique industrielle et entreprenariat » (chapitre 20) ont été ouverts à la même date. Le 31 mars 2014, les chapitres « droit de la propriété intellectuelle » (chapitre 7) et « société de l'information et médias » (chapitre 10) ont également été ouverts. Deux chapitres avaient été ouverts au préalable le 18 décembre 2012 - « science et recherche » (chapitre 25) - et le 15 avril 2013 - « éducation et culture » (chapitre 26), avant d'être provisoirement fermés dans la foulée.

Sept autres chapitres font l'objet d'une attention particulière : « liberté d'établissement et de prestation de service » (chapitre 3), « liberté de mouvements de capitaux » (chapitre 4), « politique de la concurrence » (chapitre 8), « services financiers » (chapitre 9), « agriculture et développement rural » (chapitre 11), « sécurité alimentaire et politiques vétérinaire et phytosanitaire » (chapitre 12) et « politique régionale et coordination des fonds structurels » (chapitre 22).

Aux yeux de la Commission européenne, les principaux défis pour le Monténégro sur la voie de l'adhésion européenne concernent l'État de droit, le fonctionnement des institutions, la concurrence, l'agriculture qui souffre d'un manque patent d'investissements, l'environnement et le changement climatique.

L'adhésion rencontre un large consensus au sein de population monténégrine selon les enquêtes d'opinion. Reste que compte tenu des conséquences de la crise économique, les Monténégrins attendent des résultats à court terme, ce qui peut paraître en décalage avec la longueur attendue des négociations d'adhésion. Le gouvernement a en effet plusieurs fois indiqué qu'il était conscient que l'intégration ne serait pas effective à très court terme. Les négociations entourant les chapitres 23 et 24 ont déjà pris du retard. L'ambition initiale affichée par le Monténégro d'ouvrir de nouveaux chapitres de négociation a dû être revue à la baisse. L'Allemagne et la France restent au Conseil opposés à l'ouverture de nouveaux chapitres tant que les 23 et 24 ne sont pas clos.

2. Les chapitres 23 et 24  révélateurs des faiblesses structurelles du Monténégro

Le rapport de progrès 2013 présenté par la Commission en octobre dernier insiste sur la réforme de l'administration afin de pouvoir mettre en oeuvre les chapitres 23 et 24. Celle-ci doit déboucher sur une dépolitisation effective et une professionnalisation de la fonction publique. La Commission juge ainsi préoccupante l'existence de lettres de démission non datées. Plus largement, le Monténégro est fragilisé par la faiblesse de ses capacités administratives. La fonction publique d'État comprend 10 000 agents dont 5 000 sont employés dans la police et dans l'armée. Ce chiffre reste trop faible au regard de l'ampleur du chantier de l'adaptation de la législation monténégrine à l'acquis communautaire.

Le vote par le Parlement monténégrin des amendements constitutionnels sur l'indépendance de la justice, le 31 juillet 2013, constitue néanmoins un gage de bonne volonté. Une telle révision était bloquée depuis deux ans en raison de l'opposition des formations pro-serbes. Ces textes répondent aux observations en la matière de la commission pour la démocratie par le droit du Conseil de l'Europe, dite commission de Venise. La loi électorale participe également du même objectif. Les plans d'action du gouvernement sur les chapitres 23 et 24 avaient au préalable été déposés auprès de la Commission le 27 juin 2013. Ceux-ci associent la société civile.

Il s'agit désormais d'appliquer concrètement les orientations des plans d'action, ce qui peut apparaître pour l'instant délicat faute de ressources administratives adéquates ou d'accord politique. La réforme judiciaire n'est ainsi pas encore totalement mise en oeuvre en l'absence de vote au parlement sur la nomination du procureur général d'État. Une majorité qualifiée est nécessaire pour sa désignation (deux tiers aux deux premiers tours puis trois cinquièmes au troisième tour). La Commission européenne a annoncé, par ailleurs, au lendemain de la publication du rapport de progrès, fin octobre 2013, qu'un groupe de travail sur la réforme de l'administration publique allait être mis en place.

Si l'essentiel du cadre législatif semble adapté aux exigences européennes, l'absence de résultat concret tend à inquiéter, notamment en matière de lutte contre la criminalité organisée et la corruption de haut niveau. L'annulation d'un jugement concernant une affaire immobilière - affaire Zavala - impliquant la mairie de Budva et le demi-frère du vice-président du DPS, Svetozar Maroviæ, et d'un autre arrêt visant une affaire de blanchiment d'argent lié à un trafic de drogue - affaire Duko ariæ - ont pu apparaître comme de mauvais signaux. Deux angles permettent d'appréhender de telles décisions. Le premier tient à la corruption possible d'une partie de l'appareil judiciaire. Le deuxième est structurel et tient à la qualité de la formation des juges. La mise en place récente d'une académie ne règle pas tous les problèmes. Certains juges, qui n'ont pas connu d'évolution notable de la législation pendant une vingtaine d'années, sont aujourd'hui confrontés à des normes évoluant régulièrement et auxquelles ils ne sont pas formés. S'ajoute à cela des retards accumulés qu'il convient d'écluser au risque de fragiliser la qualité de la décision.

Il s'agit désormais que les condamnations soient réellement appliquées, le saut qualitatif espéré induit par la priorité accordée aux chapitres 23 et 24 n'ayant pour l'heure pas eu lieu, aux yeux d'un certain nombre d'observateurs. Le gouvernement tend néanmoins à communiquer sur ces affaires ainsi que sur d'autres cas pour souligner son implication dans la lutte contre la corruption et plus largement sur la mise aux normes européennes dans le cadre des chapitres 23 et 24. Une newsletter est ainsi publiée tous les trimestres. Elle fait notamment le point sur les affaires, présente les faits et le cas échéant les jugements prononcés : 37 affaires sont ainsi détaillées dans le document publié pour la période janvier-mars 2014.

La Commission européenne insiste également dans le rapport de progrès sur les menaces pesant sur la liberté d'expression, en particulier sur la nécessaire élucidation des affaires d'agression et d'intimidation contre les journalistes. De telles réserves s'appuient notamment sur les violences visant certains quotidiens de l'opposition, à l'image de Vijesti , dont le fondateur a été menacé de mort en 2010 et l'un des journalistes agressé en mars 2012 ou de Dan , dont le fondateur et rédacteur en chef, Duko Jovanoviæ a été assassiné le 27 mai 2004. L'enquête a été rouverte en juillet 2013. Le gouvernement a néanmoins mis en place le 26 décembre 2013 une commission d'investigation sur les cas des menaces, violences et meurtres contre les journalistes. Cette commission est composée de représentants des ministères de l'intérieur et de la justice, des services de renseignements, d'organisations non gouvernementales et de quatre journalistes. La commission est d'ailleurs présidée par le rédacteur en chef adjoint du quotidien Dan . Nonobstant ces dérives, le Monténégro demeure un pays où la liberté d'expression est pleinement respectée - la diffamation y est totalement dépénalisée - et peut s'incarner au sein de nombreux organes de presse, à l'image des cinq quotidiens nationaux. Elle met également en avant le respect des droits des minorités, en particulier ceux des LGBT.

Le lancement de commissions d'enquête parlementaires concernant la corruption supposée dans la privatisation de Telekom Crne Gore , le meurtre de Duko Jovanoviæ, l'alimentation en électricité du conglomérat KAP ou l'utilisation des fonds publics par les partis politiques témoignent en outre de la disparition progressive d'une forme d'omerta sur des sujets pouvant fragiliser le gouvernement. La Commission européenne s'interroge néanmoins dans son rapport de progrès sur la volonté politique d'accompagner les réformes, estimant trop technique l'action du comité parlementaire d'enquête sur les allégations d'utilisation de fonds publics. Aucun dispositif n'apparaît de surcroît adapté pour lutter efficacement contre la corruption et le crime organisé.

De fait, plus que la transposition de l'acquis communautaire, les négociations d'adhésion doivent déboucher sur une véritable appropriation par les autorités de pratiques conformes aux standards de l'Union européenne. Elles doivent également aboutir à un rétablissement de la confiance des citoyens monténégrins dans leurs institutions.

3. L'économie du Monténégro en question

Au-delà de la question judiciaire, la Commission s'interroge sur la situation macro-économique à court terme, qu'il s'agisse du déficit public, des aides publiques, des créances douteuses ou de la situation du groupe KAP . Le rapport de progrès insiste sur la nécessité pour le pays de ne pas uniquement s'appuyer sur le tourisme et l'immobilier, qui ont tiré la croissance en 2013, pour alimenter son développement.

La reprise de l'acquis communautaire dans le domaine économique demeure, par ailleurs, assez lente. Si la législation a pu être adaptée pour permettre l'ouverture des négociations concernant les chapitres 4 (mouvements de capitaux), 5 (marchés publics) et 9 (services financiers), la mise en adéquation avec l'acquis communautaire devrait encore prendre du temps. Il convient, par ailleurs, de relever que le chapitre 17 qui concerne la politique économique et monétaire n'a, quant à lui, pas été ouvert.

Plus largement, il est possible de s'interroger sur les liens économiques entre l'Union européenne et le Monténégro. La relance des investissements dans le pays est en effet le fruit d'un rapprochement avec une entreprise chinoise en ce qui concerne le projet d'autoroute ou avec des sociétés égyptienne, azérie ou canadienne en matière de tourisme. Comme indiqué plus haut, la Russie constitue par ailleurs le principal partenaire commercial du pays. En dépit de l'ouverture des négociations, la tendance ne semble pas favorable : les échanges commerciaux avec l'Union européenne ne représentaient que 36,8 % en 2012 contre 41,3 % en 2011 et se concentrent sur la Grèce, la Hongrie et l'Italie. La France n'est ainsi représentée sur le marché monténégrin que par la Société générale.

4. Une volonté clairement affichée d'adhérer rapidement

Afin d'étayer un peu plus son souhait d'adhérer rapidement à l'Union européenne et dans la lignée de ce qu'elle a déjà accompli pour se rapprocher de l'OTAN, le gouvernement s'est très vite calé sur les orientations de la politique étrangère et de défense. Il s'est de la sorte distingué de la prudence affichée par la Serbie et la Macédoine, également candidats à l'adhésion. Le soutien aux positions européennes à propos de la crise ukrainienne est, ainsi, sans équivoque. Il s'est traduit par l'adoption de sanctions équivalentes à celles mises en place par les Vingt-huit. Ce choix en partie induit par l'accord de stabilisation et d'association mais aussi par le chapitre 31 (Politique étrangère de sécurité et de défense) a suscité des critiques au sein de l'opposition, le SNP dénonçant la remise en cause des relations séculaires avec la Russie, mais aussi au sein de l'église orthodoxe serbe. La portée de ces critiques a conduit le gouvernement à afficher une certaine distance à l'égard de la délégation de l'Union européenne au Monténégro qui avait rappelé la nécessaire convergence entre les positions des autorités et celles de l'Union. Cette posture, purement interne, ne saurait néanmoins remettre en cause l'engagement sincère de la coalition majoritaire pour l'adhésion.

L'investissement des autorités monténégrines en faveur de l'adhésion est en effet indéniable. Le gouvernement a mis en place une stratégie d'adaptation de la législation à l'acquis communautaire prévue pour la période 2014-2019. Le programme d'accession prévoit sur cette période l'adoption de 228 lois et de 845 décrets. Certains chapitres devraient à cet égard nécessiter des modifications conséquentes de la législation monténégrine : 238 amendements pour répondre aux exigences du chapitre 1 (libre-circulation des biens), 257 pour adapter le chapitre 12 (Sécurité alimentaire et politiques vétérinaire et phytosanitaire), 108 décrets d'application pour le chapitre 27 et 95 pour le chapitre 11 (Agriculture et développement rural). Une telle adaptation exige une mise à niveau de l'administration et un développement manifeste de ses capacités. Cette modernisation n'a pour l'heure été mise en oeuvre qu'au Parlement, avec une augmentation de ses effectifs et une amélioration de la formation. Le rapprochement des autorités monténégrines avec la Slovénie et la Croatie en vue de la mise en place d'une aide technique destinée à faciliter le travail d'intégration de l'acquis communautaire tente de compenser les faiblesses de son administration d'État. Au regard de celles-ci, la question d'une meilleure allocation des ressources humaines au sein des collectivités locales se pose également. 10 000 agents publics sont employés par les municipalités. Certains observateurs relèvent cependant que la décentralisation n'est pas optimale, l'échelon municipal n'étant pas toujours le plus adapté pour gérer un certain nombre de compétences de part et d'autre du territoire.

À ces faiblesses structurelles s'ajoute également le poids de l'histoire. Le pays semble toujours en transition, ayant subi deux dissolutions en 16 ans, celle de la Yougoslavie puis celle de l'Union de Serbie et Monténégro. Cet état de fait contraste avec un discours résolument ambitieux et optimiste au terme duquel le Monténégro serait en avance sur la plupart des pays candidats des Balkans occidentaux. Cet avantage est indéniable en ce qui concerne la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine. Il l'est beaucoup moins à l'égard de la Serbie. Si celle-ci a signé plus tardivement son ASA avec l'Union européenne et a dû attendre le mois de janvier 2014 pour que les négociations d'adhésion s'ouvrent effectivement, il n'est pas illusoire de penser qu'elle rattrape rapidement son retard supposé sur le Monténégro. La force de son appareil d'État constitue un atout dont ne dispose pas Podgorica.

L'ambition affichée par les autorités monténégrines consiste en une adhésion dès 2020, ce qui supposerait une fin des négociations courant 2018. Le Monténégro souhaite pouvoir bénéficier dès 2021 du cadre financier pluriannuel 2021-2027. Reste que compte tenu des réformes à mener et des défis auxquels est confronté le Monténégro, ce souhait peut apparaître un peu présomptueux.

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