TROISIÈME PARTIE : LA NÉCESSITÉ D'AMÉLIORER LA GESTION DE LA PÉNURIE BUDGÉTAIRE TOUT EN PRÉSERVANT L'AUTONOMIE STRATÉGIQUE DE LA FRANCE

I. ÉVITER LA MYOPIE BUDGÉTAIRE

Il est regrettable que certaines décisions d'externalisation soient motivées par une forme de « myopie budgétaire ».

En effet, l'intérêt budgétaire à long terme de l'externalisation n'est pas toujours avéré. Le choix de minimiser à court terme les investissements peut conduire à des surcoûts conséquents à moyen et long termes. La pénurie budgétaire d'aujourd'hui ne doit pas conduire à faire des choix qui aggravent les difficultés budgétaires de demain.

La Cour des comptes souligne ainsi que « lorsque les externalisations sont guidées d'abord par l'incapacité du ministère à financer des matériels dont il considère qu'il a un besoin urgent, les analyses peuvent être biaisées ». L'exemple du transport à long rayon d'action illustre cette difficulté. En effet, « la décision de louer deux Airbus A 340 répondait à un besoin capacitaire urgent (le retrait de deux appareils vieillissants, coûteux et mal adaptés aux besoins des armées) et à une forte incertitude sur les orientations du ministère pour l'avenir de sa flotte d'avions de transport et d'avions de ravitaillement (projet MRTT). Par ailleurs, l'incitation était alors forte à chercher des « financements innovants ». Dans ces conditions, bien que l'analyse préalable ait conclu à l'intérêt d'une acquisition plutôt que d'une location, l'armée de l'air a retenu le principe d'une location avec option d'achat pour deux A 340 de seconde main. »

Comme l'explique la Cour des comptes, les externalisations doivent présenter leur intérêt propre en termes de gain d'efficience, et non être simplement destinées à « contourner l'obstacle budgétaire, en remplaçant un investissement, lourd, immédiat pour lequel les financements budgétaires ne sont pas disponibles, de titre 5, par un flux, limité mais durable, de loyers de titre 3 ».

II. RÉTABLIR L'AUTONOMIE STRATÉGIQUE DE LA FRANCE

Certaines externalisations ne sont qu'un palliatif de lacunes capacitaires mettant en cause l'autonomie stratégique de la France. Le recours à l'affrètement d'aéronefs privés, notamment pour le transport stratégique, est aujourd'hui indispensable compte tenu de l'insuffisance des moyens de l'armée de l'air que les opérations extérieures mettent en lumière. D'après le ministère de la défense, 75 % du fret projeté par voie aérienne au cours du premier semestre 2013 a été transporté par des avions affrétés (SALIS et ICS) auprès de deux sociétés, l'une ukrainienne, l'autre russe, dépendant du ministère de la défense russe. Dans le cadre de l'opération Serval, les forces françaises ont également bénéficié de l'aide de plusieurs pays alliés, notamment les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni qui ont mis à leur disposition des avions cargos C17, et des moyens de l'EATC.

L'A400M, dont les premiers appareils livrés ont pu être testés au Mali, est un début de solution pour le transport stratégique. Cet appareil a de nombreuses qualités et va considérablement améliorer les capacités de projection de l'armée française. Mais il n'est pas un gros porteur. La capacité d'emport de l'A400M est quatre fois inférieure à celle de l'Antonov 124 : 20 tonnes sur 6 390 km ou 30 tonnes sur 4 535 kilomètres, alors que l'Antonov emporte 120 tonnes d'emport maximal pour l'An-124 sur 4 800 kilomètres ou 80 tonnes sur 8 400 kilomètres.

Même lorsque les A400M auront tous été livrés, les forces armées auront encore besoin de gros porteurs. Or leur location est très couteuse et leur disponibilité dépend de la demande mondiale, militaire et civile. Faut-il prévoir un programme européen ou opter pour l'acquisition commune de gros porteurs ? En tout cas, on ne peut se satisfaire de la situation actuelle, qui place les capacités de projection de nos forces sous la dépendance de puissances étrangères.

S'agissant du ravitaillement en vol, les lacunes réelles et préoccupantes de notre armée ne conduisent pas actuellement à une externalisation auprès de prestataires privés, mais entraîne une forme de dépendance à l'égard des États-Unis, qui suppléent les déficiences et les insuffisances d'une flotte française à bout de souffle. Dans le cadre de l'opération Unified Protector , 80% des missions de ravitaillement en vol ont ainsi été effectuées par l'US Air Force.

Pour l'avenir, le caractère stratégique et très opérationnel de cette fonction, interdisent, selon vos rapporteurs, le recours à l'externalisation. L'expérience britannique en la matière apparaît d'ailleurs assez dissuasive.

Il est donc impératif que soit respectée la programmation 2014-2019, qui prévoit une commande globale de douze MRTT, dont deux doivent être livrés d'ici 2019.

Les critiques de la Cour des comptes à l'égard de l'externalisation du transport stratégique

« Dans un secteur opérationnel sensible comme le transport stratégique, le ministère de la défense considère que les externalisations sont destinées à satisfaire des pics d'activité exceptionnels, qui ne justifient pas d'effectuer des investissements lourds, au-delà d'un « socle » indispensable, garantissant le fonctionnement autonome des armées au quotidien.

« Ce n'est pourtant pas le cas, puisque 92% du transport stratégique (en tonnage), au profit des troupes en OPEX ou pré-positionnées, est assuré dans le cadre de 49 marchés externalisés. Au total, le tiers de la dépense de transport stratégique des armées françaises est externalisé. Cette situation traduit une insuffisance capacitaire structurelle avérée, les armées ne disposant que de 41 % des moyens prévus par le contrat opérationnel, loin du socle indispensable. Même si le ministère ne considère pas que le recours aux externalisations pénalise son fonctionnement, il est à craindre que, en cas de crise majeure, la disponibilité et, donc, le coût des moyens de transport stratégique à affréter, sur un marché mondial tendu, rendent leur mobilisation aléatoire.

« Si le recours à des moyens de transport ou de soutien externalisés présente un intérêt économique (éviter des investissements inutiles, par exemple pour les transports en métropole), voire opérationnel (affrètements d'urgence de petits volumes), il ne dispense pas d'une réflexion sur le socle de capacités patrimoniales nécessaires pour que l'externalisation soit choisie et non subie. Or, les décisions de conclure les différents marchés ont été prises au coup par coup, pour répondre à des besoins urgents et pallier des déficits capacitaires croissants. La création du centre multimodal des transports en 2007, chargé de coordonner l'ensemble des moyens utilisés par les armées, n'a permis que de rationaliser la gestion de moyens insuffisants.

« L'externalisation du transport stratégique est ainsi subie et indispensable, car elle vient pallier un déficit capacitaire structurel. »

Source : Cour des comptes, Un premier bilan des externalisations au ministère de la défense , 2011

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