EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport lors de sa séance du 9 juillet 2014, sous la présidence de M. Jean-Louis Carrère, président.

Après la présentation du rapport par les rapporteurs, un débat s'est engagé.

Mme Nathalie Goulet . - Votre rapport comprendra-t-il une partie critique présentant vos appréciations personnelles sur la stratégie américaine ? Lorsque vous avez abordé la question du Moyen-Orient, les responsables américains ont-ils évoqué la question de la base française d'Abou Dhabi ? La question du traité transatlantique a-t-elle été évoquée ?

Avez-vous perçu un assouplissement de la position américaine à l'égard de l'Iran, sachant que d'ores et déjà des entreprises américaines commencent à négocier des contrats dans ce pays ?

Que vous ont répondu vos interlocuteurs américains sur les poursuites engagées contre la banque BNP Paribas ?

M. Jeanny Lorgeoux . - Avez-vous pu mesurer l'influence du complexe militaro-industriel qui était très prégnante sur l'entourage du précédant Président G.W. Bush ?

M. Jean-Louis Carrère, président . - J'ai surtout ressenti, chez nos interlocuteurs, une grande sensibilité à l'opinion publique dominante les incitant à résoudre en priorité les questions de politique intérieure. L'influence du complexe militaro-industriel me semble moindre, mais honnêtement nous n'avons pas pu la mesurer. Il faut aussi relever que les crédits de la défense sont en baisse très sensible, et notamment les crédits d'équipement, ce qui crée des meurtrissures dans l'appareil de défense. Enfin, nos interlocuteurs nous ont fait sentir la place qu'ils attachaient à la prééminence de leur industrie de défense. Nous avons, de notre côté, essayé de les convaincre que les alliés européens au sein de l'OTAN dont ils souhaitaient une implication plus forte étaient très attachés eux-aussi au maintien d'une BITD européenne forte.

Nous avons abordé la question du traité transatlantique en indiquant que, si un accord gagnant-gagnant pouvait être trouvé, nous y serions favorables mais que nous serions extrêmement vigilants et que des éléments de contexte pouvaient influer sur les positions politiques. Nous avons aussi indiqué que la façon dont serait traitée la banque BNP Paribas dans le contentieux qui l'oppose aux autorités fédérales rejaillirait certainement sur l'opinion publique française et les élus. À ce sujet, nous avons indiqué à nos interlocuteurs que nous respections l'indépendance de la justice, mais que nous étions étonnés de voir l'Attorney Général s'exprimer quasi-quotidiennement à charge dans les médias sur ce sujet.

Nous avons eu également l'occasion d'expliquer la position française sur l'exportation des BPC Mistral. Cet ensemble de sujets, dans l'actualité du moment, traduisent bien l'état de la relation franco-américaine faite d'un accord sur les grands principes et les grandes orientations mais aussi de points d'achoppement. La France est un allié fidèle, mais elle est très attachée à son autonomie de décision. Elle ne suivra pas les États-Unis aveuglément. C'est ce que nous avons transmis comme message à nos interlocuteurs, mais il vaut mieux un allié de ce tempérament qu'un allié s'exprimant peu et réduisant beaucoup son effort de défense.

Nous avons constaté chez nos interlocuteurs une position favorable à la défense européenne. Jusqu'à maintenant, le discours était moins net et les États-Unis laissaient sans trop sans plaindre les alliés réduire leurs budgets, ceux-ci s'estimant protégés par le parapluie américain. Il n'y a qu'à observer le montant du ratio budget de défense/PIB chez la plupart de nos voisins. Désormais, les Américains sont plus incisifs et demandent aux Européens de façon explicite d'augmenter leur effort budgétaire.

S'agissant de l'Iran, nous avons noté le changement de stratégie et les démarches des acteurs économiques. Je regrette que nous n'ayons pu nous rendre en Iran jusqu'à maintenant, nous devrions programmer un déplacement sans tarder, si possible au prochain semestre.

Ce qui nous a aussi surpris chez certains de nos interlocuteurs et notamment au Sénat, c'est évidemment l'intérêt qu'ils portaient à notre pays en nous recevant, mais en même temps le peu de connaissance qu'ils avaient de nos préoccupations.

Enfin, il faut préciser que les États-Unis sortent de la crise économique, le taux de chômage diminue, mais les Américains restent marqués par cette crise et notamment par l'accroissement des écarts de richesse, l'existence de travailleurs à bas revenus et d'une population pauvre.

M. Jean Besson . - Je voudrais rappeler que les socio-démocrates en Europe ont toujours été attachés à l'alliance avec les États-Unis et avaient regretté, à l'époque, le retrait de la France de l'organisation militaire de l'OTAN. Je voudrais aussi dire notre gêne parfois devant certaines politiques et interventions des États-Unis sur la scène internationale. Aujourd'hui, nous nous sentons plus à l'aise avec la stratégie du Président Obama.

S'agissant du pivotement vers l'Asie-Pacifique, il rend plus urgent l'édification d'une défense européenne. Cette défense ne doit pas être la seule préoccupation de la France et de la Grande-Bretagne, mais de tous les Européens et l'Allemagne, qui exerce un leadership économique et de plus en plus politique, devrait s'investir davantage sur les questions de défense.

M. Jean-Claude Peyronnet . - Vous avez abordé la question des hydrocarbures de schiste. Avez-vous mesuré les conséquences pour les industries en Europe, notamment le secteur de la chimie qui subit une concurrence redoutable en raison de la baisse des coûts de production aux États-Unis ?

Avez-vous également abordé la question de la place du dollar dans le système monétaire ? C'est un élément clé de la puissance américaine. Comment les Américains perçoivent-ils les initiatives chinoises qui envisagent de faire de leur monnaie une monnaie de réserve et ont créé une banque d'investissement des BRICS ? Ils se positionnent à terme avec le souci de remettre en cause l'équilibre du système de Bretton-Woods.

M. Jean-Louis Carrère, président . - Nous n'avons pas traité spécifiquement de la question du dollar, car notre déplacement était centré sur les questions de politique étrangère et de défense.

Nous consacrons dans le rapport de longs développements aux conséquences du retour des États-Unis à l'autonomie énergétique.

M. Alain Gournac . - S'agissant du gaz de schiste, les États-Unis pourront bientôt exporter, cela deviendra aussi un outil politique.

M. Daniel Reiner . - Aujourd'hui le système politique américain me semble atteint de paralysie, car il s'appuie sur la recherche d'un consensus entre les partis. Or ce système ne fonctionne plus en raison de la montée du Tea Party au sein du parti républicain et des lobbies qui le soutiennent, donc de la montée des extrêmes. Cela se traduit par les séquestrations sur le plan budgétaire. Mais cela a aussi des conséquences sur l'action internationale du Président qui peut être freiné dans ses initiatives. Cela donne parfois l'impression d'un grand État impotent. Or, le système mondial fonctionne avec une grande puissance et cette impotence provoque des non-actions, ce qui a des effets sur la stabilité du monde. Certains universitaires américains s'en inquiètent et craignent qu'à défaut de réforme, le système ne conduise à l'impuissance.

M. Jean-Louis Carrère, président . - - Effectivement, ce qui inquiète les observateurs dans les prochaines élections, ce n'est pas tant l'alternance au Sénat, que la place qu'occuperont les élus du Tea Party au sein des Républicains. Nous avons très bien ressenti cela lors de notre déplacement, en enregistrant les réactions de nos interlocuteurs à la défaite du leader républicain de la Chambre des représentants, Eric Cantor, à l'élection primaire dans l'État de Virginie.

La crise économique a laissé des traces en matière de cohésion sociale et comme dans beaucoup de pays, le fonctionnement politique en subit les conséquences et se pose la question de l'adaptation des constitutions.

M. Jeanny Lorgeoux . - Ces observations confirment la thèse développée, il y a déjà quelques années, par Stanley Hoffman dans son ouvrage « Gulliver empêtré »

Mme Josette Durrieu . - Il faut aussi ajouter que les États-Unis sont en élections tous les deux ans.

Le Président Obama voudrait arrêter une position forte pour la conférence de Paris sur le climat, mais il ne le pourra probablement pas car il ne sera pas soutenu par le Congrès, ce qui signifie que c'est le monde entier qui est victime de la paralysie du système.

M. Christian Cambon . - La position des États-Unis en Afrique me semble un peu ambivalente, ils soutiennent notre action, notamment au Sahel, mais ont quelque peine à s'engager eux-mêmes. Pour autant, ils sont assez présents, le personnel de leurs ambassades est nombreux, ils sont actifs sur le plan économique. Avez-vous pu vous entretenir avec eux sur les limites de leur engagement et sur l'appréciation qu'ils portent sur l'action de la France ?

M. Jean-Louis Carrère, président . - La lutte contre le terrorisme est leur priorité, mais leur perception s'élargit, elle n'est plus cantonnée à l'Afrique du Nord et au Sahel, le développement de mouvements comme Boko Haram au Nigéria les interroge. Cela étant, ils considèrent préférable que ce soit la France qui intervienne en direct car elle dispose d'une connaissance de ces territoires qui sont dans la proximité de l'Europe. Ils souhaiteraient d'ailleurs que les Européens s'engagent davantage. Ils sont prêts à apporter leur soutien avec des moyens de renseignements, de logistique...

Mme Josette Durrieu . - Je partage cette analyse mais voudrais souligner deux aspects qui me paraissent importants. L'analyse que les Américains font de la situation en Afrique est de considérer que ce continent est un terrain « familier » pour les Français et les Européens et qu'il est donc plus facile pour eux de prendre l'initiative et conduire des opérations, eux restant en arrière-plan et en soutien. D'autre part, j'ai l'impression qu'ils sous-estiment l'ampleur de la diffusion du terrorisme en Afrique et que leur investissement n'est pas à la hauteur de l'enjeu réel.

Cette tendance à sous-estimer les menaces a été perceptible également lorsque nous nous sommes entretenus de la Russie avec certains responsables. J'ai été étonnée de leurs interrogations sur le caractère imprévisible de Vladimir Poutine et de leur sous-estimation du pouvoir de nuisance de la Russie, même si elle n'a pas recouvré toute sa puissance. Il y a, de mon point de vue, un certain décalage avec la réalité de la subtilité stratégique de la Russie aujourd'hui.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Les États-Unis se considèrent toujours comme une grande puissance mais leurs résultats sur le plan international restent modestes. On le voit sur le plan politique avec Israël qui n'a pas beaucoup évolué dans le processus de paix et sur le plan financier quand on mesure les investissements considérables dans la formation de la police et de l'armée irakienne à l'aune de son efficacité face à l'offensive des djihadistes de l'EIIL. Avez-vous senti une réticence à s'engager de nouveau en Irak ?

M. Jean-Louis Carrère, président . - Oui, nous avons senti cette prudence. Le trait dominant chez nos interlocuteurs, c'est vraiment la pression de l'opinion publique sur les questions de politique intérieure. Les différences d'appréciation sont telles qu'il est difficile au Président d'avoir une vraie politique claire, lisible, concrète et partagée.

Puis la commission adopte le rapport à l'unanimité et autorise sa publication sous forme de rapport d'information.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page