EXAMEN EN COMMISSION

Lors de leur réunion commune du mercredi 9 juillet 2014, la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois et la commission des Affaires économiques, sous la présidence de MM. David Assouline et Daniel Raoul, ont procédé à l'examen du rapport d'information de MM.  Jean-Claude Lenoir et Claude Bérit-Debat, rapporteurs, sur la mise en oeuvre des dispositions de la loi du 23 juillet 2010 relatives aux chambres de commerce et d'industrie.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques . - Bienvenue au président Assouline. Ce rapport d'information résulte de l'engagement que nous avions pris en commission, après l'audition du président de CCI France, d'étudier l'application concrète de la loi.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois . - Nous examinons le rapport d'information de MM. Jean-Claude Lenoir et Claude Bérit-Débat sur la mise en oeuvre des dispositions de la loi du 23 juillet 2010 relatives aux Chambres de commerce et d'industrie (CCI). Je remercie la commission des affaires économiques pour son concours. Notre commission n'engage de rapports qu'en bonne intelligence avec la commission concernée, parfois même sur sa proposition.

Tous les élus savent que la gouvernance, le rôle et le financement des chambres de commerce sont des sujets sensibles, aux enjeux locaux considérables. En témoigne le nombre des lois et décrets portant ces questions depuis quelques années : l'environnement juridique est complexe et évolutif. Les CCI viennent de faire l'objet d'une mission de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des Affaires sociales (IGAS), dont les conclusions seraient très critiques. Le Président de CCI France les a qualifié « d'instruction à charge inacceptable et surtout très dangereuse »... Notre rapport est donc d'actualité.

M. Claude Bérit-Débat, rapporteur pour la commission des affaires économiques . - La commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois a souhaité évaluer la mise en oeuvre de la réforme des CCI prévue par la loi du 23 juillet 2010. Parallèlement à nos travaux, une mission de l'IGF, l'IGAS et du Conseil général de l'économie a provoqué un certain émoi au sein du réseau des CCI. Nous ignorions son existence : il s'agit d'un travail d'audit interne dont les conclusions n'ont pas été portées à notre connaissance. Notre travail s'inscrit dans une démarche indépendante d'évaluation périodique de l'application des lois. Par construction, notre mission était pluri-partisane.

Vos deux rapporteurs étaient d'accord sur les objectifs comme sur la méthode, et partagent les principales conclusions. La réforme des CCI en 2010 a soulevé des oppositions à l'intérieur du réseau comme à l'extérieur. J'y étais opposé. Mais notre travail n'était pas de refaire la réforme. Du reste personne, dans le réseau des CCI, n'a exprimé le souhait de la défaire. Notre travail se bornait à observer comment cette loi est appliquée et quels sont ses effets. Nous avons recueilli des témoignages aussi exhaustifs que possible auprès des acteurs consulaires et de leurs partenaires institutionnels, en réalisant 31 auditions et par la diffusion d'un questionnaire de plus de 40 questions auprès des CCI territoriales et régionales.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur pour la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois . - La loi du 23 juillet 2010, que pour ma part j'avais votée, renforçait l'échelon régional du réseau des CCI pour mutualiser leurs fonctions administratives et mieux les insérer dans le cadre général de l'action publique. De fait, les structures consulaires souffraient d'une dispersion excessive : au début des années 2000, le réseau comptait plus de 180 chambres - les CCI sont des établissements publics sui generis , qui ne sont rattachés ni à une collectivité ni à l'État. Plusieurs dizaines d'entre elles comptent moins de 5 000 ressortissants et couvrent un territoire infra-départemental. C'est souvent l'héritage d'une histoire industrielle spécifique, faite de textile ou de métallurgie par exemple.

Cette dispersion fait peser des coûts fixes importants sur le fonctionnement des chambres. Pour exploiter les rendements d'échelle potentiels, une politique de fusion des chambres infrarégionales a diminué leur nombre de 33 entre 1997 et 2010. Pour réaliser les gains de productivité supplémentaires, la mutualisation régionale de certains services s'imposait : ce fut l'objet de la loi de 2010. Mais la régionalisation doit aussi aider les CCI à mieux travailler entre elles et avec les pouvoirs publics, qu'il s'agisse de l'État ou des régions. Une meilleure coordination rendrait l'action économique plus lisible, plus efficace et moins chère en supprimant de multiples redondances.

Or, à la veille de la réforme consulaire de 2010, chaque CCI, assise sur une légitimité élective et des ressources financières propres tirées de l'imposition des entreprises de son ressort, fonctionnait comme une entité très largement autonome. Elle n'était aucunement censée rendre compte aux chambres régionales de commerce et d'industrie (CRCI) ni à l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI), encore moins se conformer à leurs instructions. Si la réforme consulaire de 2005 a créé des schémas sectoriels pour mieux articuler l'action des chambres de chaque région, ces schémas, qui ne sont pas opposables, restent des coquilles vides.

L'État, qui est censé exercer la tutelle sur le réseau, a le plus grand mal à savoir exactement ce que font les CCI. Lorsque je travaillais au ministère de l'Industrie, au service qui assurait leur tutelle, nous n'avions déjà pas les moyens d'exercer un contrôle efficace.

Il n'y a pas d'outil budgétaire informatisé commun à la tutelle et au réseau, pas de comptabilité analytique commune aux CCI, pas de consolidation des comptes, pas de normes partagées délimitant services gratuits et services payants aux entreprises, pas d'homogénéité de l'offre de services de base - ce qui pose le problème de l'égalité devant le service public. Bref, la tutelle ne dispose pas des moyens pour exercer pleinement sa fonction.

En définitive, à la veille de la réforme de 2010, la stratégie et les activités de chaque CCI étaient conçues essentiellement en fonction de son territoire, ce qui favorise certes une offre de proximité adaptée aux réalités économiques locales mais empêche d'intégrer les priorités et les actions pertinentes à l'échelle territoriale régionale ou nationale. La régionalisation a donc pour second objectif de structurer les CCI en un véritable réseau et de donner ainsi à l'État et aux conseils régionaux un interlocuteur consulaire clairement identifié, capable d'assurer la coordination entre l'action des CCI et les politiques de développement économique.

M. Claude Bérit-Débat, co-rapporteur . - Les vifs débats occasionnés par la réforme consulaire de 2010 ont porté sur la façon de concilier les deux objectifs de cohérence et d'économie avec celui du maintien d'une offre consulaire de proximité.

Une offre de proximité réclame des points de contact aisément accessibles aux entrepreneurs auprès desquels ils peuvent s'informer, accomplir certaines formalités et trouver un accompagnement pour leurs projets. Elle implique aussi que les CCI sachent cerner les besoins et percevoir les enjeux spécifiques à un territoire de manière à proposer des services adaptés aux entreprises.

Nous sommes tous deux attachés à la préservation de cette proximité, dont les CCI territoriales (CCIT) sont l'outil historique. La régionalisation doit donc procéder de ces échelons de base. Les pouvoirs publics doivent encourager la mutualisation régionale, notamment par le levier financier, mais pas l'imposer.

La prise en compte de cet objectif de proximité a d'ailleurs conduit à infléchir profondément la réforme initialement prévue, au point que la loi de 2010 a finalement perdu l'essentiel de son caractère contraignant : c'est en réalité un texte très souple, qui crée un cadre propice à l'approfondissement volontaire des coopérations entre CCI territoriales au sein de la chambre de région, fournit une boîte à outils de la régionalisation mais laisse à des CCIT qui conservent une grande partie de leurs pouvoirs et de leur indépendance la liberté de déterminer le rythme et le degré de la coopération régionale. Elle propose une régionalisation à la carte, qui a abouti à une régionalisation à géométrie variable.

M. Jean-Claude Lenoir, co-rapporteur. - Je qualifierai la mise en oeuvre de cette loi de brouillonne. L'imprécision des textes d'application et le télescopage avec la réforme de la taxe professionnelle ont retardé la mobilisation des acteurs. Le décret en Conseil d'État du 1 er décembre 2010 mettant en oeuvre la réforme reste silencieux sur deux questions essentielles : la définition des conventions d'objectifs et de moyens (COM) et celle des schémas sectoriels. La loi prévoyait qu'une COM soit signée entre les CCIR et les préfets de région afin de décliner l'accord stratégique national conclu entre l'État et CCI France, qui a pris la forme d'un pacte de confiance et d'un contrat d'objectifs et de performance (COP) signés en 2013. Or aucune COM régionale n'a été signée, car le décret encadrant ces conventions n'est toujours pas paru ! Faute de déclinaison régionale, les accords nationaux entre l'État et CCI France restent lettre morte, car ils ne contiennent aucune mesure susceptible d'être directement mise en oeuvre par CCI France. Aussi est-il urgent que le décret sur les COM soit pris et que ces conventions soient enfin conclues.

M. Claude Bérit-Débat, co-rapporteur . - Le décret du 1 er décembre 2010 est également insuffisant sur la question des schémas sectoriels. Créés par la reforme consulaire de 2005, ces schémas ont été renforcés par la loi du 23 juillet 2010 afin que l'action des CCIT soit véritablement encadrée et s'inscrive bien dans la stratégie régionale du réseau, elle-même coordonnée avec les stratégies portées par l'État et les conseils régionaux. La loi de 2010 a ainsi prévu que la taxe pour frais de chambres soit répartie entre les CCIT « en conformité avec les schémas sectoriels », ce qui confère à ces schémas le plus haut degré d'opposabilité juridique. Cependant, le décret du 1 er décembre 2010 ne pose aucune exigence de forme et de fond sur leur contenu. En l'absence de précisions règlementaires, la plupart des CCIR et des CCIT ont fait des schémas sectoriels très descriptifs, sans réelle ambition ni objectifs chiffrés, comportant au mieux une définition des grandes orientations de la mandature. Ces schémas ne sont pas devenus les leviers voulus par le législateur pour mettre de la cohérence dans l'action des chambres au niveau régional. Il est donc indispensable de modifier rapidement le décret pour obliger les schémas sectoriels à comporter des prescriptions précises et opposables.

M. Jean-Claude Lenoir, co-rapporteur . - Le télescopage entre la réforme de l'organisation consulaire et celle de son financement est un autre élément qui explique sa difficile mise en place. La réforme de la taxe professionnelle en 2010 a rendu nécessaire celle du financement des CCI. Cependant, la mise en oeuvre de la nouvelle taxe pour frais de chambres (TFC) a conduit à une augmentation imprévue des recettes fiscales des CCI en 2012 et 2013, la baisse du taux de la contribution sur la valeur ajoutée ayant été compensée par le dynamisme des bases de la nouvelle taxe. Les chambres ont ainsi bénéficié d'un surplus de 60 millions d'euros en 2012 et de 164 millions d'euros en 2013 par rapport à la collecte de 2010, qu'elles ont employé chacune à sa manière...

Ainsi, une réforme visant à inciter le réseau des CCI à faire des économies a eu pour premier effet d'accroître ses recettes fiscales ! C'est une erreur de pilotage majeure car le durcissement de la contrainte financière constituait le seul levier pour amener les chambres à s'approprier la réforme.

M. Claude Bérit-Débat , co-rapporteur . - L'erreur est humaine ! Devant l'évolution inattendue des recettes de la taxe pour frais de chambres, des mécanismes correctifs ont été mis en place. La loi de finances pour 2013 a instauré un plafond de 549 millions d'euros pour la taxe additionnelle à la contribution foncière des entreprises (TACFE) et de 819 millions d'euros pour la taxe additionnelle à la contribution sur la valeur ajoutée (TACVAE). La loi de finances pour 2014 a abaissé le plafond de la TACVAE de 100 millions d'euros et a opéré, au profit du budget général, un prélèvement exceptionnel de 170 millions d'euros sur les ressources des CCI. L'effet de cette correction budgétaire est drastique : les CCI ne percevront plus que 1, 098 milliard d'euros en 2014, ce qui correspond à une baisse de 20 % de leurs ressources fiscales.

Certes, cet ajustement efface la hausse incongrue des recettes fiscales des CCI qui, depuis le début des années 2000, ont aussi bénéficié d'une fiscalité dynamique. Mais, du point de vue du pilotage du réseau, il est aussi néfaste que la manne fiscale perçue en 2012 et 2013. L'instabilité de la norme fiscale complique fortement la mise en oeuvre de la réforme : comment se projeter vers l'avenir quand les règles changent sans cesse ? Pour mettre un terme à cette incertitude, nous demandons qu'une programmation pluriannuelle des ressources fiscales soit négociée ente les CCI et l'État, comme le prévoit la loi de finance pour 2014. C'est l'intérêt du réseau consulaire de reprendre rapidement les négociations avec le Gouvernement pour y parvenir. Les pouvoirs publics doivent proposer au réseau des objectifs ambitieux et réalistes sur l'évolution de la taxe pour frais de chambre.

M. Jean-Claude Lenoir, co-rapporteur . - La réforme a apporté une avancée importante : la création d'outils de suivi et d'orientation du réseau par CCI France. La loi rend la tête du réseau compétente pour édicter des normes d'intervention pour les CCI. En l'absence de normes partagées, impossible de piloter l'action des chambres et de comparer leurs performances. Depuis 2011, CCI France a édicté des normes comptables, budgétaires et financières : la norme dite « 4.9 », comptabilité analytique commune du réseau, et la norme « 4.21 », dite « Cube », qui porte sur l'agrégation des budgets, comptes et indicateurs du réseau. Leur application combinée fournit enfin, pour la première fois dans l'histoire du réseau consulaire, une grille d'analyse homogène applicable à tous les établissements. Les échelons régional et national, ainsi que la tutelle, disposent à présent des outils indispensables à l'animation et au pilotage du réseau.

Cette pierre tardivement posée à l'édifice est celle qu'il aurait fallu poser en premier, car c'est sur elle que s'appuieront les futurs développements.

Il faut renforcer le rôle de CCI France, lui permettre de diligenter des audits de sa propre initiative, ou à la demande des autorités de tutelle, pour vérifier l'application des normes d'intervention qu'elle édicte. Par ailleurs, CCI France ne possède aucune réelle autonomie par rapport aux présidents de CCI qui composent son assemblée. À la différence des CCI de région et de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA), CCI France ne dispose pas d'une quote-part de la taxe pour frais de chambres et, en période de raréfaction de la ressource fiscale, les CCI rechignent à se mobiliser pour elle. Avec des moyens propres, CCI France pourrait impulser davantage de projets nationaux au profit du réseau : homogénéisation d'outils informatiques, des produits figurant dans un catalogue national, création d'un pôle juridique, poursuite du travail de normalisation...

M. Claude Bérit-Débat, co-rapporteur . - Où en est la régionalisation ? Le renforcement de l'échelon régional du réseau s'est fait à géométrie variable. Si l'on examine la quote-part de la chambre de région dans le total de la taxe de frais de chambres perçue dans chaque région, on observe deux blocs : les régions où la CCIR dispose d'un budget important (Nord-Pas-de-Calais, Champagne-Ardenne, Auvergne, Alsace et Franche-Comté) et celles où la CCIR, sans forcément être la coquille vide d'autrefois, reste encore financièrement faible (Lorraine, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Pays de la Loire, Limousin et Bourgogne).

Si l'on s'intéresse à la part de l'effectif dédié aux fonctions support, on constate que les chambres de région qui captent la plus grande part de la ressource financière sont également celles dont l'effectif pèse le plus par rapport à l'effectif régional total. Les CCIR du Nord-Pas-de-Calais, de Champagne-Ardenne, d'Auvergne, d'Alsace et de Franche-Comté emploient ainsi 20 à 30 % de l'effectif consulaire total. Dans les régions Lorraine, Rhône-Alpes, Pays de la Loire, Limousin et Bourgogne en revanche, ce taux reste inférieur à 10 %, voire à 5 %.

La hausse sensible des effectifs de certaines CCIR s'explique pour une large part par la croissance rapide des effectifs dédiés aux tâches administratives. Désormais, 30 à 40 % des effectifs support du réseau régional sont directement employés par la CCIR dans les régions de Champagne-Ardenne, du Nord-Pas-de-Calais et de Franche-Comté. Cette proportion atteint même 60 % en Auvergne et en Alsace. Dans ces régions, il y a donc bien eu un transfert massif des effectifs support des CCIT vers la CCIR, comme y invitait la loi. À l'inverse, dans les régions de Bourgogne, du Limousin, de Lorraine et des Pays de la Loire, la CCIR n'emploie que 10 % des effectifs support - seulement 6 % des Pays de la Loire.

Outre les fonctions d'appui administratif, les CCIR ont également investi le champ de l'appui direct aux entreprises, notamment dans des domaines comme l'export, l'innovation ou le numérique.

M. Jean-Claude Lenoir, co-rapporteur . - Ce renforcement de l'échelon régional a-t-il permis de réaliser les économies espérées ? Dans la région Nord, 45 emplois support ont été transférés vers la CCIR, ce qui a conduit à supprimer cinq postes, soit une économie qui représente environ 10 % des postes mutualisés et 3 % des effectifs consulaires régionaux. La mutualisation des achats aurait également permis d'économiser d'1 million d'euros. Ces économies, sans être négligeables, restent limitées - seulement quelques pour cents des coûts de fonctionnement. Il en ira sans doute de même pour la réforme territoriale !

En effet, la mise en oeuvre de la mutualisation engendre certains coûts à court terme, notamment du fait de la mise à niveau et de l'harmonisation des systèmes informatiques. Puis, la mutualisation met du temps à déployer tous ses effets bénéfiques : il faut former et adapter le personnel aux nouveaux outils et aux nouvelles structures, tout en assurant la continuité du travail ; si l'on se refuse à licencier, il faut attendre les départs en retraite ou la fin des contrats de mission. De surcroît, les chambres ayant reçu plus de TFC que prévu, elles ont parfois attendu 2013 ou 2014 pour se lancer vraiment dans les économies.

Enfin, les économies envisageables restent relativement faibles dans le schéma privilégié par la loi de 2010, d'une CCI de région encadrant l'action de CCIT rattachées. La personnalité morale conférée aux CCIT impose en effet le maintien d'un budget propre, d'un patrimoine, d'une trésorerie, d'une comptabilité, c'est-à-dire d'une direction financière complète dans chacun des établissements du réseau. Par ailleurs, la loi autorise la délégation aux CCIT du recrutement des agents de droit public nécessaires au bon accomplissement de leurs missions opérationnelles. Cette faculté a été déployée dans toutes les CCIT, qui conservent donc un rôle administratif très important et les effectifs support afférents.

Les principaux gisements d'économies de la régionalisation reposent sur un schéma de fusion des CCIT au sein de la CCIR. Plusieurs régions ont décidé de s'y lancer : le Nord-Pas-de-Calais, la Lorraine, la Champagne-Ardenne. D'autres pourraient le faire. D'après les estimations de la CCIR de la région Nord Nord-Pas-de-Calais, les économies de postes pourraient représenter 25 % des effectifs régionaux supports, soit 5 à 6 % de l'effectif régional total du réseau. Ce n'est pas négligeable, mais ce n'est pas non plus de nature à modifier fondamentalement les coûts de fonctionnement des chambres.

M. Claude Bérit-Débat, co-rapporteur . - Alors que l'idée de franchir une nouvelle étape dans la rationalisation du réseau des CCI semble connaître un certain regain, il serait utile de mesurer si le rapprochement régional des structures consulaires constitue un facteur de réduction des coûts aussi significatif qu'on l'affirme parfois. Un diagnostic partagé entre l'État et les CCI est nécessaire, afin de disposer d'une base solide pour calibrer correctement l'évolution pluriannuelle future des ressources fiscales des CCI. Si la contrainte financière venait à se durcir, les CCIT devront dépasser leur réticence à mutualiser davantage leurs moyens. Dans le contexte financier actuel, c'est la tendance qui se dessine. Mais à serrer trop fort le garrot, on risque d'étrangler financièrement les CCI et de toucher les services de proximité aux entreprises.

M. Jean-Claude Lenoir, co-rapporteur . - S'il est compréhensible que l'État demande des efforts financiers aux CCI, ceux-ci doivent être modulés en fonction du travail de rationalisation déjà accompli. Certaines CCI ont réalisé des économies de fonctionnement significatives ; d'autres ont encore une large marge de progrès. Appliquer à toutes les chambres une norme uniforme de réduction des ressources fiscales pénaliserait celles qui se sont montrées les plus volontaires dans le suivi des recommandations des pouvoirs publics. Là encore, pour une juste répartition de l'effort, un diagnostic financier partagé s'impose.

Enfin, je veux conclure en remerciant Claude Bérit-Débat, avec qui les relations ont été excellentes.

M. Claude Bérit-Débat , co-rapporteur . - Je le confirme.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques . - Dans ma région, les missions étaient historiquement réparties entre les différentes CCI : à Nantes l'industrie, à Angers l'agroalimentaire et l'habillement. Cet état de fait n'est-il pas un frein à la régionalisation ?

M. Claude Bérit-Débat, co-rapporteur . - Je ne le pense pas. Nombre de CCI ont réussi à s'entendre et ont passé des conventions. La CCIR s'appuie sur les spécificités des CCIT pour faire remonter ce savoir-faire au niveau régional. Certaines CCI ont joué le jeu de la réforme : tout est question de volonté politique. Reste que la régionalisation a entraîné des surcoûts, car il y a eu une harmonisation par le haut des salaires et des missions...

M. Jean-Claude Lenoir, co-rapporteur . - Le président Raoul connait bien l'organisation dans les Pays de la Loire, mais la situation est contrastée selon les régions. Il faut distinguer les services qui peuvent être régionalisés, comme la gestion administrative ou l'aide à l'export, et ceux qui ont vocation à être rendus au niveau territorial, quitte à être mutualisés. La réforme territoriale impliquera forcément des évolutions pour les chambres, qui auront à se rapprocher des services de la région dont le rôle économique aura été renforcé.

En revanche, il n'est pas question de régionaliser les activités propres des CCI que vous avez citées ; elles sont support pour l'ensemble des chambres.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques . - La loi ayant conservé la personnalité morale aux CCIT, elles ont un budget, un patrimoine, une trésorerie, et même un recrutement propre. C'est un frein à la mutualisation.

M. Claude Bérit-Débat, co-rapporteur . - Certaines ont fait de réels efforts, notamment dans la région Nord-Pas-de-Calais, où le taux d'intégration est remarquable. Cela ne se fait pas du jour au lendemain, ni sans volonté politique. Certains nouveaux présidents de chambre ont une vision plus dynamique et veulent accompagner la réforme. Nous en avons auditionné deux qui se disent prêts à mutualiser... C'est que cela doit pouvoir se faire !

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques . - En 2012-2013, les CCI ont reçu une manne céleste dont elles ne savaient pas toujours que faire : je le sais pour avoir négocié un apport supplémentaire dans le réseau consulaire de leur part dans le cadre de ma Technopole. Que donnera la réforme fiscale, à terme ?

M. Claude Bérit-Débat, co-rapporteur . - C'est une baisse drastique qui s'annonce ; il faudra faire avec. Les mêmes chefs d'entreprise qui réclamaient la suppression de la taxe professionnelle se sont retrouvés avec des recettes supplémentaires. Certains les ont conservées, d'autres les ont dépensées. Aujourd'hui, la raréfaction de la ressource les met en difficulté.

M. Gérard Bailly . - Je participe à toutes les réunions de ma CCI, de ma chambre des métiers, de ma chambre d'agriculture. La Franche-Comté a opéré une véritable révolution, mais les conséquences n'ont pas toutes été bénéfiques. Vous me connaissez, je suis très « territoire, territoire » ! Il est vraiment dommage d'éloigner ces instances qui apportent assistance et conseils aux PME et aux PMI. Entre Besançon et Saint-Claude, il faut compter deux bonnes heures de route... Laissons de la consistance à l'échelon départemental.

La chambre de métiers du Jura s'est fait hara-kiri , faute de moyens. Celles du Doubs et de la Haute-Saône, idem : il n'y a désormais plus qu'une chambre régionale. Je crains que cet éloignement ne soit pas bénéfique ; les nouvelles technologies ne peuvent pas tout, et les déplacements font perdre beaucoup de temps. Bref, je suis sceptique.

En 1990, j'étais président de la chambre d'agriculture. Avec les présidents de la chambre de commerce et de la chambre de métiers, nous faisions de l'interconsulaire, en partageant un bâtiment et en ciblant des actions spécifiques au niveau régional. Plus mes cheveux blanchissent, plus je me demande s'il ne faudrait pas fusionner les trois réseaux consulaires et n'avoir qu'une chambre des acteurs économiques, à l'échelle d'un territoire. Compétitivité, productivité, développement du territoire : les enjeux sont les mêmes. Je ne sais si c'est une solution pertinente, mais je vous la soumets.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques . - Vous n'êtes pas le seul à y songer : dans mon département, l'idée de fusionner la CCIT et la chambre de métiers fait son chemin. Elle pose toutefois problème en termes d'organisation régionale, mais ce sera sans doute une solution à terme.

M. Gérard Bailly . - Quel écart entre un apiculteur et un céréalier ! Ils sont pourtant réunis au sein de la même chambre d'agriculture... Il en va de même dans les chambres de métier ou les CCI.

M. Yannick Vaugrenard . - Le sujet est complexe. La nécessité de réaliser des économies impose une certaine concentration, qui se traduit par un éloignement des centres de décision et une moindre proximité : c'est la quadrature du cercle. Les CCI auraient dû garder une poire pour la soif quand les ressources étaient abondantes ; aujourd'hui, elles se plaignent de voir leurs moyens baisser.

Il faut des perspectives durables, dit le rapport Pisani-Ferry sur la France de demain. Le manque de confiance dans les institutions, quelles qu'elles soient, tient à l'incertitude permanente tant sur le plan réglementaire que fiscal. Les CCI ont besoin d'une vision à long terme, sur cinq à six ans au moins. Pour éviter de trop serrer le garrot, il faudrait une concertation systématique entre les CCI et le préfet de région, afin de tenir compte des spécificités et de l'histoire de chacune. La fusion des CCI de Nantes et de Saint-Nazaire, qui est à l'origine du développement de la métropole Nantes-Saint-Nazaire, a pris du temps ; on comprend qu'il y ait des réticences à se lancer dans une nouvelle expérience quand les choses marchent si bien. Laissons du temps au temps, laissons faire le bon sens, et tenons compte des spécificités locales.

M. Jean-Claude Lenoir, co-rapporteur . - Certaines missions peuvent être régionalisées, comme les fonctions administratives, comptables et juridiques, ou les actions qui nécessitent de rassembler plusieurs entreprises et d'associer des partenaires et des spécialistes, comme l'aide à l'export. Quand il y a mobilisation des moyens et agrégation des acteurs, les choses fonctionnent. Pour la Franche-Comté, les actions en faveur de l'export ont été portées au niveau régional.

M. Gérard Bailly . - Sont-ce les viticulteurs et les agriculteurs qui font de la prospection au Japon ou en Chine, ou bien la chambre de commerce ?

M. Jean-Claude Lenoir, co-rapporteur . - Souvent, ce sont encore d'autres acteurs.

Les CCIT conservent la plus grande partie des effectifs : en Franche-Comté, 60% sont affectés à des actions de proximité, notamment au profit des entreprises.

Fusionner les CCI et les chambres de métiers ? Certaines tâches peuvent sans doute être mutualisées, mais une fusion est juridiquement inenvisageable.

Enfin, je veux dire notre surprise - le mot est faible - devant la désinvolture avec laquelle nombre de chambres nous ont répondu, quand elles ont daigné le faire... Il n'est pas d'usage de traiter avec si peu d'attention les questions légitimes émanant d'une commission parlementaire !

M. Claude Bérit-Débat, co-rapporteur . - La régionalisation risque de se faire au détriment de la proximité, disais-je lors du vote de la loi de 2010. Cela dit, dans les faits, cette crainte n'était peut-être pas justifiée, et les CCIT ne se plaignent pas d'un quelconque éloignement du terrain.

M. Gérard Bailly . - Il faut interroger les mandants !

M. Claude Bérit-Débat, co-rapporteur . - Les chambres de métiers sont opposées à une fusion des réseaux consulaires, car elles craignent de se faire absorber par les CCI. En outre, les différents réseaux n'ont pas des pratiques homogènes. En revanche, il existe des cas de coopération horizontale : dans mon département, les CCI de Bergerac et de Périgueux ont fusionné il y a une quinzaine d'années. Nous avons créé un pôle interconsulaire réunissant dans les mêmes locaux les chambres de métiers, de commerce et d'agriculture ; elles partagent une salle de réunion et mutualisent les moyens informatiques et de communication. Il y a là de réels gisements d'économies.

Je suis d'accord avec M. Yannick Vaugrenard sur la nécessité pour les CCI d'avoir un minimum de visibilité : les chambres - comme les collectivités territoriales ! - doivent connaître leur budget pour les trois années à venir et être à l'abri de coupes sombres...

M. David Assouline, président de la commission pour le contrôle de l'application des lois. - Merci pour ce rapport qui est d'actualité, et qui montre bien que le travail en binôme majorité-opposition, qui est d'usage dans notre commission, est un gage de réussite. Espérons que le gouvernement suivra vos préconisations !

À l'issue de ce débat, la publication du rapport est autorisée à l'unanimité.

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