B. UNE « COMMUNAUTÉ DES PERSONNELS DE LA VOIE D'EAU » QUI TARDE À ÉMERGER

1. Combler les différences concrètes de situation ne sera pas gratuit

Vos rapporteurs ont pu constater à l'occasion des auditions auxquelles ils ont procédé la persistance d'un clivage sinon entre deux communautés de travail, du moins dans la perception des conditions de travail et d'emploi de chacune d'elles, les salariés privés d'un côté, les agents de droit public de l'autre.

Les organisations syndicales tendent à défendre le statut de la fonction publique - qui s'applique à la presque totalité des personnels. Ils articulent leurs revendications sur la base d'une défense de ce statut contre les évolutions qui pourraient conduire VNF à « privatiser » son personnel et dans le cadre de celui-ci. Quant aux effectifs de droit privé, leur crainte est, semble-t-il, de perdre leurs spécificités.

Sans entrer dans la logique d'une évaluation des avantages nets respectifs des uns et des autres, vos rapporteurs relèvent que les motifs de « friction » qu'il faut souhaiter voir surmontés rapidement sont bien réels.

Qu'il s'agisse des conditions du dialogue social, des régimes indemnitaires et de pensions, des attributs des IRP, de l'accès à certaines prestations sociales, les écarts entre les régimes appliqués aux deux grandes communautés de travail ne pourront pas subsister si l'on souhaite créer une communauté de travail vérifiant les conditions de cohésion mais aussi de gouvernabilité.

Il faudra donc conduire les rapprochements nécessaires, ce qui implique un dialogue social encore plus nourri que celui déjà engagé et, point sur lequel souhaitent insister vos rapporteurs, la participation de l'ensemble des décideurs.

Même s'il a confirmé VNF dans son statut d'établissement public, l'État qui, ce rapport souhaite le montrer, a conservé les leviers les plus décisifs pour la gestion des moyens de l'établissement, ne doit pas céder à la tentation de s'exempter de ses responsabilités dans le dialogue social, au moins sur les sujets que la mise en oeuvre de la loi a engendrés et qu'il faut résoudre pour compléter une réforme qui doit réunir les conditions de sa viabilité sociale à long terme.

Celles-ci vont au-delà des dispositions envisagées par la loi adoptée par le Parlement. Elles couvrent les problématiques ponctuelles diverses évoquées plus haut relatives à la diversité des statuts des personnels et renvoient à des engagements plus globaux portant sur le développement de l'établissement.

Pour ces derniers engagements, force est de souligner leur importance mais aussi, comme on l'a montré au précédent chapitre, les besoins de clarification qu'ils réclament.

S'agissant des questions plus ponctuelles, il y a lieu d'anticiper que la loi entraîne quelques coûts qui n'avaient pas été pleinement envisagés.

Ceux-ci s'ajouteraient aux coûts d'administration de la réforme résultant des charges de gestion transférés à l'établissement faisant de la réforme de 2012 une réforme coûteuse à court terme, mais dans des proportions encore indéterminables.

Il semble en particulier que l'intégration des agents publics recèle des effets salariaux potentiellement inflationnistes

Une comparaison « naïve » des coûts salariaux unitaires des personnels de droit privé sous statut VNF et des agents des services de navigation transférés à l'établissement fait ressortir un coût unitaire des premiers largement supérieur à celui des seconds.

On pourrait en déduire que dans le cadre d'une harmonisation prévisible des surcoûts salariaux très importants devraient résulter de la réforme.

Une estimation fondée sur ces données apparentes conduirait à surestimer les effets salariaux de la réforme. En effet, les structures d'emplois des deux cohortes ne sont pas identiques. Il faut tenir compte de cette hétérogénéité et raisonner en comparant des données plus homogènes.

Les informations fournies à vos rapporteurs font ressortir qu'il n'existe pas d'écart majeur de salaires entre les agents sous statut VNF et les personnels transférés par l'État à niveau de responsabilité équivalent.

Source : VNF.

Cette homogénéité cède cependant dans les échelons hiérarchiques supérieurs où, selon VNF, les agents transférés par l'État disposent d'un avantage dû à un régime indemnitaire plus favorable et à un effet démographique consistant dans l'âge moyen plus élevé des agents transférés par l'État avec les conséquences indemnitaires attachées à une telle situation. A ces niveaux, l'écart est consistant puisqu'il peut atteindre 20.000 euros par an.

Ces données conduisent à envisager que les effets d'un éventuel rattrapage entre les deux populations d'agents de la voie d'eau désormais réunies certes non nuls seraient moins forts que si la situation inverse (où l'écart aurait été au détriment des agents transférés en nombre beaucoup plus élevé) avait prévalu.

Pourtant, les données transmises à vos rapporteurs et qui ont fait l'objet d'une présentation à la direction du budget et à la direction générale de l'administration et de la fonction publique n'éclairent pas complètement la question.

En particulier, l'homogénéité des coûts pris en compte pour les deux populations d'agents est douteuse.

C'est notablement le cas pour ce qui concerne le régime d'intéressement des agents qui est aujourd'hui limité à ceux sous statut VNF.

L'intéressement des agents VNF porte sur des montants en hausse constante (excepté l'année 2011). Il est passé de 429 917 euros à 613 302 euros entre 2009 et 2014 soit un montant individuel de 1 284 euros en 2009 porté à 1 478 euros en 2014 (+ 15 %). Ces évolutions sont intervenues en application d'un accord conclu pour la période 2009-2011 (soit avant la réforme envisagée) et d'une délibération du conseil d'administration de VNF en juin 2012 (postérieure à la réforme).

Cette dernière forme n'étant pas conforme au droit de l'intéressement qui prévoit un accord collectif et un enregistrement administratif qui conditionne l'application du régime social favorable à l'intéressement (exonération de cotisations sociales, abattements pour les calculs de CSG et de CRDS), un nouvel accord devra intervenir qui couvrirait la période 2015-2017. Dans le cadre de la conclusion de ce nouvel accord d'intéressement général, la question de son champ sera inévitablement posée.

La généralisation de l'intéressement à l'ensemble des agents (c'est-à-dire aux nouveaux « entrants ») conduirait à un surcoût très substantiel estimé par VNF à 11 millions d'euros.

Il semble qu'une simple délibération du conseil d'administration de VNF ne suffirait pas à un tel élargissement qui supposerait une intervention législative.

Au-delà de la question de l'intéressement, il convient de relever que les institutions qui encadrent les évolutions salariales diffèrent selon le statut des personnels. Placée sous les contrôles mentionnés plus haut pour la fonction publique, elles relèvent de la négociation sociale pour les agents propres de VNF qui sont également couverts par les règles assurant un minimum salarial.

Il est peu envisageable que les dynamiques des rémunérations diffèrent durablement entre les deux composantes des effectifs de VNF. Dans ces conditions, beaucoup dépendra des équilibres sociaux à venir, dont l'issue n'est pas prévisible.

Les bénéfices tirés des institutions sociales sont une autre source d'écarts. Les fonctionnaires ne bénéficient pas du régime des tickets-restaurants qui peut offrir un avantage appréciable. De la même manière, le comité d'entreprise de VNF paraît incomparablement mieux doté, pris par agent, que son homologue pour la fonction publique. L'écart serait de 1 à 10 selon certaines informations.

2. Stabiliser une architecture de la représentation du personnel qui semble peu soutenable

La représentation des personnels de VNF dans le cadre nouveau instauré par la loi a d'emblée posé des problèmes juridiques et suscité des divisions syndicales.

L'avant-projet de loi avait cédé à la tentation d'ouvrir la possibilité d'évolutions alternatives, avec regroupement ou non des instances représentatives du personnel (IRP), tout en prévoyant, par provision, un maintien de leur diversité reflet de celle des personnels du nouveau VNF.

La jurisprudence du Conseil Constitutionnel (décision n° 2010-91 du 28 janvier 2011) n'étant pas favorable à un dispositif dans lequel le législateur n'exerce pas suffisamment sa compétence de définition des conditions et garanties de participation des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail, il a fallu renoncer à la solution initialement envisagée.

Par ailleurs, le Conseil d'État ayant estimé qu'une IRP unique des personnels était seule conforme au principe constitutionnel de participation, le législateur a dû résoudre le problème de faire « rentrer le divers dans l'unique ».

« In fine » , une période transitoire s'achevant le 31 décembre 2014 a été ménagée pour instaurer le comité technique unique de VNF et les comités techniques uniques de proximité (CTUP) institués auprès de chaque directeur territorial.

C'est en effet sur la solution de raison proposée par le rapporteur du projet de loi au Sénat que reposent les équilibres fixés par la loi, celui-ci ayant prévu qu'ils puissent être ajustés à la faveur de la période transitoire alors ménagée.

Le comité technique unique est appelé à regrouper deux formations, pour les emplois publics d'un côté, les emplois privés de l'autre, dans le respect des attributs de l'IRP des salariés privés, une formation plénière examinant les compétences des comités techniques sur les questions intéressant l'ensemble du personnel.

En revanche, la loi instaure un comité central d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) unifié ; de même elle opte pour l'unicité des CTUP.

Vos rapporteurs ont été alertés sur la permanence de difficultés occasionnées par la mise en place d'une architecture qui peut être perfectible, alors même que la période transitoire prévue par la loi doit s'achever.

Les mouvements sociaux conduits par l'intersyndicale constituée en cours d'année - ce qui serait une « première » dans l'établissement - semblent en partie résulter de ces difficultés.

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