B. L'AVIS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DU SÉNAT : FAVORABLE SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS

1. Tirer les conséquences de l'adoption de la loi d'orientation et de programmation

Le projet de COM a été élaboré sur la base des conclusions du CICID de juillet 2013 et le document fait parfois référence au « projet de loi d'orientation ». Or le Parlement a définitivement adopté le projet de loi le 23 juin, en adoptant sans modification les conclusions de la commission mixte paritaire qui s'est réunie le 4 juin.

La version finale du COM doit naturellement intégrer les modifications apportées par le Parlement au projet de loi . Il s'agit du simple respect de la hiérarchie des normes telle que fixée par la Constitution, mais surtout d'une exigence démocratique fondamentale.

Par exemple, le titre 5 de la deuxième partie du projet de COM relatif à l'évaluation doit être profondément revu pour tenir compte de la réforme souhaitée par le Parlement du dispositif d'évaluation de la politique de développement :

« Les services d'évaluation de l'aide aujourd'hui placés auprès de la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats du ministère des affaires étrangères, de la direction générale du Trésor du ministère de l'économie et des finances et de l'AFD seront regroupés dans un organisme unique , indépendant de ces acteurs et ayant accès à l'ensemble des informations lui permettant d'exercer sa mission. Cet observatoire de la politique de développement et de solidarité internationale permettra à la fois une mutualisation et une rationalisation des moyens et une évaluation neutre des programmes menés par la France. Il comprend onze membres, désignés pour un mandat de trois ans, renouvelable. À l'exception du collège parlementaire qui désigne deux députés et deux sénateurs de manière à assurer une représentation pluraliste, les sept autres collèges du CNDSI délèguent chacun un membre pour siéger au sein de l'observatoire, qui est présidé alternativement par un député et un sénateur. Ses travaux doivent également, à terme, permettre de mieux définir ex ante la pertinence de ces programmes. Cet observatoire transmet son programme pluriannuel de travail aux commissions permanentes compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. »

Si une telle réforme ne peut être effective immédiatement, le COM doit cependant en respecter les objectifs et les grandes lignes : fusion des services d'évaluation des deux ministères (affaires étrangères et finances) et de l'AFD au sein d'un observatoire présidé alternativement par un député et un sénateur .

2. Intégrer explicitement les arbitrages relatifs au renforcement des fonds propres

Fondée sans dotation en capital en 1941, la Caisse centrale de la France libre, devenue AFD, a progressivement constitué des fonds propres par une intégration intégrale des résultats aux réserves. Or depuis 2004, l'Etat prélève une part conséquente du résultat - elle a atteint 100 % du résultat en 2006-2008 -, ce que votre commission avait déjà qualifié d'« hérésie » dans leur précédent rapport sur le COM pour la période 2011-2013.

Résultat net

(en millions d'euros)

Dividende distribué l'année suivante à l'Etat

(en millions d'euros)

Pourcentage
ainsi reversé

(en pourcentage)

2001

38

0

0 %

2002

40

0

0 %

2003

48

0

0 %

2004

167

84

50 %

2005

189

95

50 %

2006

248

248

100 %

2007

289

289

100 %

2008

167

167

100 %

2009

247

220

89 %

2010

104

71

68 %

2011

73

55

75 %

2012

88

63

72 %

2013

93

37

40 %

Source : documents de l'AFD

Evolution du résultat net de l'AFD et du dividende reversé à l'Etat
(en millions d'euros)

Source : documents de l'AFD

La question des fonds propres est particulièrement aiguë pour l'AFD en tant qu'établissement bancaire et du fait de l'importance prise par son activité de prêts. En outre, sans attendre le renforcement des règles prudentielles de Bâle III, l'agence est déjà soumise au respect du ratio « grands risques » qui lui interdit de dépasser sur une contrepartie donnée un montant d'engagement de 25 % des fonds propres. Ce plafond conduit déjà l'agence à restreindre ses engagements ou à en modifier la nature, par exemple en développant les prêts non souverains, dans certains pays comme le Maroc, la Tunisie ou le Viêt-Nam.

Vos rapporteurs regrettent cependant que, malgré leurs demandes répétées, l'agence n'ait pas accepté de leur fournir un état détaillé de ses principales contreparties pour illustrer concrètement cette question du ratio « grands risques ».

Une réunion interministérielle a abouti, le 8 novembre 2013 , à un arbitrage sur les fonds propres de l'AFD. Le cabinet du Premier ministre a arrêté les décisions suivantes :

« [...]

1) Dans le contexte de l'établissement du COM pour la période 2014-2016, les fonds propres de l'AFD devront être augmentés en vue de lui permettre d'atteindre une cible d'activité (autorisations d'engagements) de 8,5 milliards d'euros par an.

2) Afin d'atteindre cet objectif, les leviers suivants seront mobilisés :

- conversion de ressources à conditions spéciales (RCS) en quasi capital à hauteur de 840 millions d'euros ;

- abaissement du dividende versé à l'Etat (limité à 20 %) ;

- augmentation du résultat de l'Agence notamment via une maîtrise de ses charges ;

- en tant que de besoin, annulation de RCS pour un montant à déterminer (jusqu'à 200 millions d'euros) nécessitant une disposition ad hoc en loi de finances.

[...] »

Cet arbitrage a été suivi d'une lettre adressée le 28 mars 2014 par le ministre de l'économie et des finances, Pierre Moscovici, à Anne Paugam, directrice générale de l'AFD. Cette lettre reprend partiellement les éléments de l'arbitrage du 8 novembre ; surtout, sa valeur « juridique » est particulièrement faible.

Vos rapporteurs estiment que le COM doit inclure précisément l'ensemble des termes de l'arbitrage interministériel du 8 novembre . Il doit en outre fixer un calendrier précis de la conversion de RCS en quasi capital qui doit avoir lieu, comme prévu initialement, sur la période 2014-2016 et non sur la période 2015-2017 comme l'envisage la lettre du ministre de l'économie du 28 mars.

3. Mieux mesurer l'effort financier envers les pays pauvres prioritaires, notamment au Sahel

On l'a vu, l'AFD a connu une profonde transformation ces dernières années par l'accroissement massif de ses engagements, presque uniquement dû aux prêts non bonifiés.

Vos rapporteurs n'entendent pas remettre en cause l'outil des prêts, y compris non bonifiés, dont le coût budgétaire est relativement faible, voire nul. Ils peuvent en effet constituer un outil très utile pour la France s'ils sont effectivement mis au service de l'influence et de la diplomatie économique. Financer un projet d'infrastructure dans un grand pays émergent peut avoir un effet d'entraînement à la fois en termes d'expertise et de diffusion des normes ou des procédures utilisées en France et en termes de parts de marché pour les entreprises. L'AFD doit cependant bien intégrer cette priorité de diplomatie économique dans ce type de circonstances.

Le développement des prêts a nécessairement des conséquences sur l'orientation géographique des engagements de l'AFD, puisque cet outil ne peut pas être utilisé dans l'ensemble des pays partenaires : les pays pauvres, dont la capacité d'endettement est faible, ne peuvent guère en bénéficier.

C'est pourquoi les objectifs fixés dans le projet de COM concernant la répartition géographique de l'aide paraissent insuffisants pour mesurer effectivement l'engagement de l'agence dans les pays pauvres prioritaires .

Ces objectifs reprennent ceux fixés par le CICID de juillet 2013 et repris dans la loi d'orientation : 85 % de l'effort financier global pour l'Afrique et la Méditerranée ; 67 % des subventions dans les pays pauvres prioritaires (PPP). Mais cet « affichage » risque de masquer un engagement limité envers les PPP : le premier objectif concerne toute l'Afrique et la Méditerranée et englobe les prêts qui ne peuvent bénéficier aux PPP ; le second objectif ne concerne que les « subventions » qui constituent une faible part des engagements de l'agence.

Ainsi, ces objectifs s'inscrivent dans la continuité des engagements récents de l'agence mais, comme cela a déjà été mentionné, celle-ci n'a consacré en 2013 que 11 % de ses engagements à l'étranger aux PPP. On peut donc tout à la fois afficher un effort financier concentré sur l'Afrique et la Méditerranée mais obtenir ce résultat pour le moins décevant . Cette situation révèle le décalage entre les ambitions et les moyens régulièrement mis en avant par vos rapporteurs.

Vos rapporteurs demandent en conséquence que soit inscrit dans le COM un objectif supplémentaire pour les PPP, exprimé en termes d'effort financier, pas seulement de subvention, et avec une cible ambitieuse pour 2016.

Ils estiment également que le COM pour la période 2014-2016 doit inclure, comme son prédécesseur, un indicateur spécifique pour les pays du Sahel , qui nécessitent une approche globale.

Face à la distorsion entre l'objectif général de concentration des aides et la réalité vécue sur le terrain, vos rapporteurs demandent au Gouvernement de mener une réflexion sur les moyens d'augmenter l'effort financier envers les PPP, notamment en réévaluant le niveau des contributions françaises aux organismes et fonds multilatéraux.

4. Renforcer les objectifs relatifs à la coordination entre l'ensemble des bailleurs de fonds

Toujours avancée comme un objectif, la coordination entre les différents bailleurs de fonds reste souvent, pour un ensemble de raisons, un voeu pieux . Elle est pourtant nécessaire , tout d'abord pour renforcer l'efficacité de l'aide au bénéfice des populations les premières concernées , ensuite pour accompagner les évolutions en cours du côté des financeurs :

- mise en place d'une politique d'aide, parfois massive, par des pays anciennement considérés comme des pays « en développement » et qui le restent encore dans une certaine mesure. Par exemple, l'OCDE a estimé qu'en 2011, les apports concessionnels bruts au titre de la coopération pour le développement (assimilables à de l'APD) s'élevaient à 2,8 milliards de dollars pour la Chine et 790 millions pour l'Inde. On peut également citer quelques pays du Moyen-Orient qui versent dorénavant des sommes tout à fait conséquentes en faveur du développement : l'Arabie saoudite a ainsi versé 5 milliards de dollars en 2011 (mais 1,3 milliard en 2012) ; les Emirats arabes unis 1 milliard en 2012 et 5 milliards selon les données préliminaires pour 2013 ;

- apparition d'acteurs diversifiés comme les fondations « philanthropiques ». Par exemple, la seule fondation « Bill et Melinda Gates » a accordé environ 3 milliards de dollars de subventions pour la seule année 2012, dont 900 millions dans le domaine de la santé. L'OCDE estimait ainsi que la fondation se plaçait en 2009 au troisième rang des donateurs mondiaux dans le domaine de la santé, après les Etats-Unis et le fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

Dans ce contexte, la proposition de COM est très en retrait ; elle ne fixe qu' un seul objectif, lui-même très limité : le nombre d'autorisations d'engagement de l'AFD associant une subvention de l'Union européenne devra passer de 17 en moyenne entre 2010 et 2012 à 30 en 2016.

Vos rapporteurs estiment au contraire qu'il est indispensable d'engager des actions nettement plus volontaristes, que ce soit avec les Etats de l'Union européenne, l'Union elle-même, les banques et organismes multilatéraux (Banque mondiale, Banque africaine de développement,...) et les autres bailleurs publics et privés.

5. Ne pas délaisser les secteurs traditionnels d'intervention

Contrairement au COM précédent dont les objectifs 5, 6, 6 bis et 6 ter concernaient respectivement l'éducation et la formation professionnelle, l'éducation de base, la santé maternelle et infantile et l'agriculture, la proposition qui a été soumise au Sénat pour la période 2014-2016 ne fixe pas d'objectifs exprimés en termes de secteurs d'intervention de l'agence.

Si vos rapporteurs peuvent comprendre le souhait de recentrer le COM sur un nombre plus restreint d'objectifs, ils estiment que la politique française de développement ne doit pas délaisser les secteurs traditionnels d'intervention comme l'agriculture ou l'eau qui continuent de constituer des besoins et des demandes fortes de la part des populations locales et qui répondent pleinement à la nouvelle priorité transversale du développement durable.

En outre, les récentes crises au Mali et en République centrafricaine montrent, s'il en était besoin, l'attention qu'il est nécessaire de porter à l'exercice des missions régaliennes et aux capacités administratives des pays partenaires. Faire bénéficier de l'aide des acteurs « non souverains » (collectivités locales, entreprises publiques ou privées,...) constitue une réponse utile et efficace mais qui ne permet pas de faire entièrement l'impasse sur l'action publique dans ces pays.

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