Rapport d'information n° 95 (2014-2015) de MM. Philippe DALLIER , Charles GUENÉ et Jacques MÉZARD , fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 12 novembre 2014

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N° 95

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 novembre 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) relatif à l' évolution des finances locales à l' horizon 2017 ,

Par MM. Philippe DALLIER, Charles GUENÉ et Jacques MÉZARD,

Sénateurs.

La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation est composée de : M. Jean-Marie Bockel, président ; MM. Marc Daunis, Christian Favier, François Grosdidier, Charles Guené, Joël Labbé, Antoine Lefèvre, Jacques Mézard, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Rémy Pointereau, René Vandierendonck, v ice-présidents ; Mme Caroline Cayeux, MM. Philippe Dallier et Georges Labazée, secrétaires ; MM. François Calvet, Luc Carvounas, Michel Delebarre , Éric Doligé, Vincent Eblé, Mmes Françoise Gatel, Éliane Giraud, MM. Jean-François Husson, Pierre Jarlier, Dominique de Legge, Michel Le Scouarnec, Christian Manable, Jean Louis Masson, Hervé Maurey, Philippe Mouiller, Philippe Nachbar, Louis Pinton, Alain Richard, Mmes Patricia Schillinger, Nelly Tocqueville, Catherine Troendlé et M. Jean-Pierre Vial.

INTRODUCTION

L'évolution des finances locales constitue un enjeu, non seulement pour l'équilibre économique et budgétaire global du pays mais aussi pour la vie quotidienne des collectivités et des territoires dans leur grande diversité.

Aussi, conformément à sa vocation, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation avait-elle décidé, en février 2014, d'en faire l'un de ses axes de travail de l'année. Son objectif était notamment de réexaminer le système financier local (dépenses, recettes, fiscalité, péréquation) au regard de l'évolution de la décentralisation, de la réforme territoriale annoncée et des contraintes qui pèsent globalement sur les finances publiques du pays.

Ces travaux ont pris une dimension toute particulière après le discours de politique générale de Manuel Valls du 16 avril dernier, au cours duquel il était annoncé que, dans le cadre d'un plan de réduction de 50 milliards de la dépense publique, la contribution des collectivités territoriales s'élèverait à 11 milliards d'euros, venant s'ajouter au 1,5 milliard d'euros de la baisse de la DGF déjà appliquée en 2014.

Compte tenu de l'ampleur de cette mesure, surtout si on la rapporte à sa rapidité de mise en oeuvre, nous avons considéré que l'évaluation de son impact était un préalable à toute réflexion sur les améliorations à apporter au système actuel des finances publiques locales.

Nous avons donc décidé d'organiser nos travaux en trois parties :

- une analyse quantitative et globale des conséquences de la baisse des dotations de 12,5 milliards 1 ( * ) entre 2014 et 2017 (partie I) ;

- une étude de la façon dont les élus locaux vont concrètement prendre leurs décisions pour s'adapter au nouveau contexte (partie II) ;

- et des éléments de propositions en vue d'améliorer l'efficacité et l'équité de nos finances locales (partie III).

Compte tenu du calendrier de nos travaux, notre objectif était aussi de contribuer à éclairer le Sénat lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2015, première année de mise en oeuvre de cette réduction sans précédent des dotations de l'État aux collectivités.

C'est la raison pour laquelle cette première partie est publiée à part. Elle s'appuie sur l'étude confiée par la délégation au cabinet Michel Klopfer (annexe II).

Nous en tirons trois conclusions essentielles, présentées dans le présent rapport. Les deux premières portent sur la tendance à la forte dégradation des finances locales, y compris sans l'effort supplémentaire de 11 milliards demandé aux collectivités, et la troisième concerne les mesures d'ajustements nécessaires pour y faire face.

LA NÉCESSITÉ DE REDRESSER LES FINANCES LOCALES NE DATE PAS DES DERNIÈRES ANNONCES DU GOUVERNEMENT

La baisse de 12,5 milliards de dotations annoncée pour 2014-2017 vient s'ajouter à une dégradation tendancielle des finances locales à l`oeuvre depuis plusieurs années.

A. L'EFFET DE « CISEAU » ENTRE RECETTES ET DEPENSES ÉTAIT D'ORES ET DÉJÀ DIFFICILEMENT SOUTENABLE

1. Une tendance marquée depuis 2011

Comme le fait apparaître le récent rapport de la Cour des comptes sur les finances locales 2 ( * ) , indépendamment des évolutions propres aux différentes catégories de collectivités, chacune d'entre elles connaissait depuis quelques années une progression des recettes moins rapide que celle des dépenses.

Évolution des recettes et des dépenses globales des collectivités territoriales et de leurs groupements

(en Mds€)

2011

2012

2013

2013/2012

Produits réels de fonctionnement

184,98

188,53

191,58

+ 1,6 %

Charges réelles de fonctionnement

152,85

157,98

162,64

+ 2,9 %

Épargne brute

32,12

30,56

28,93

- 5,3 %

Recettes réelles d'investissement (hors emprunts)

19,36

19,53

19,88

+ 2,8 %

Dépenses réelles d'investissement (hors emprunts)

51,70

52,65

55,18

+ 4,8 %

Encours de la dette

127,78

133,04

137,53

+ 3,4 %

Capacité de désendettement
(en années)

4,0

4,2

4,5

Source : Cour des comptes - données Direction générale des finances publiques

Nota : l'annexe I détaille cette évolution pour les différentes catégories de collectivités.

Depuis 2011, les dépenses de fonctionnement ont ainsi cru à un rythme proche de 3% 3 ( * ) , alors que celui des recettes était compris entre 1,5 et 2% 4 ( * ) , aboutissant mécaniquement à une diminution de l'épargne brute 5 ( * ) des collectivités d'environ 5% par an 6 ( * ) . Alors que les dépenses poursuivaient leur évolution tendancielle, celle des recettes a été fortement ralentie par l'effet de la crise sur les bases imposables et par les fortes contraintes pensant sur les dotations de l'État 7 ( * ) .

Parallèlement, la dynamique des investissements locaux a repris après un ralentissement en 2010. Les subventions d'investissement et les charges réelles d'équipement (c'est-à-dire hors emprunt) ont ainsi cru respectivement de 3,9% et de 5,5% entre 2012 et 2013, ce dernier chiffre étant même en croissance de plus de 8% pour le bloc communal 8 ( * ) .

À ceci s'ajoute une progression continue du recours à l'emprunt, l'encours total de la dette des collectivités ayant cru de 3,5% entre 2012 et 2013. Cette hausse est certes légèrement inférieure à la tendance moyenne observée depuis 2002 mais elle aboutit néanmoins à une hausse de 61% de la dette publique locale.

2. Des limites d'ores et déjà perceptibles

Avant même l'annonce par l'État de la réduction de 11 milliards supplémentaires du concours aux collectivités d'ici 2017, la poursuite de la divergence observée entre les dépenses et les recettes locales apparaissait difficile à envisager, pour deux raisons essentielles :

- d'une part, compte tenu des très grandes disparités entre les collectivités, la détérioration de la situation moyenne des collectivités se traduisait par la multiplication accélérée des cas de grandes difficultés financières. Ainsi, en 2013, 10 à 15% des communes de plus de 10 000 habitants et des départements 9 ( * ) affichaient d'ores et déjà un encours de dette représentant plus de 15 années d'épargne brute, c'est-à-dire qu'elles étaient techniquement en situation d'insolvabilité 10 ( * ) ;

- d'autre part, le creusement de l'écart entre le niveau des dépenses et celui des recettes était d'ores et déjà prévisible, conséquence de la décision prise l'an dernier 11 ( * ) de diminuer les dotations aux collectivités de 1,5 milliard en 2014 et de 1,5 milliard d'euros supplémentaires en 2015. Cette prévision est encore aggravée par l'annonce de la baisse supplémentaire de 11 milliards sur la période 2015-2017.

Notre étude montre ainsi que la poursuite « au fil de l'eau » de l'évolution de ces dernières années n'était pas possible.

B. L'IMPOSSIBILITÉ DE POURSUIVRE « AU FIL DE L'EAU » SANS RÉAGIR

Afin d'évaluer l'impact réel de la baisse supplémentaire des dotations de 11 milliards annoncée par le Premier ministre, nous avons considéré que la situation prévisible fin 2017 ne doit pas être comparée à celle qui prévaut aujourd'hui, mais à celle qui aurait résulté de la poursuite pendant trois ans de l'évolution des dépenses et de recettes observées ces dernières années 12 ( * ) . L'étude en annexe (publiée en annexe II) chiffre donc ce dernier scénario d'une évolution « au fil de l'eau » sur la période 2013-2018 13 ( * ) . Dans l'étude, il correspond au tableau intitulé « Avant » 14 ( * ) , présenté pour chacune des neuf catégories de collectivités ou de groupements que nous avons retenues.

Les 9 catégories de collectivités retenues pour notre étude

Com = 50 000 hab

Com 10 000
à 50 000 hab

Com 2 000
à 10 000 hab

Com 500 à 2 000 hab

Com = 500 hab

GPF* = 50 000 hab

GFP=
50 000 hab

Dép.

Régions

TOTAL

Nombre

130

893

45 04

12 292

18 845

2197

258

100

26

38 222

Recette de fonctionnement M€

24 961

24 698

18 607

8 754

3162

8 266

18 688

64 384

22 808

194 328

En % du total

13%

13%

10%

5%

2%

4%

10%

33%

12%

Population DGF
en millions d'hab

16,1

18,1

18,5

12,0

4,6

En % du total

23%

26%

27%

17%

7%

* GFP : groupements à fiscalité propre.

Ce scénario au fil de l'eau repose sur des hypothèses que nous avons voulues les plus prudentes possibles et qui sont détaillées entre les pages 15 et 27 de l'étude 15 ( * ) .

Les principales hypothèses retenues pour l'étude

Hypothèses d'évolution annuelle des principaux postes de recettes


• Produits de fiscalité directe : hypothèse de taux d'imposition constants 16 ( * ) , d'évolution des bases égale à l'inflation de l'année N-1 (coefficient forfaitaire) 17 ( * ) + 1,5% de croissance physique des bases.


• Produits de la CVAE : évolution égale à celle du PIB en valeur de l'année N-2 18 ( * ) .


• Dotations d'État : figées (NB : pour les communes, le scénario intègre une diminution de la DGF forfaitaire modulée selon le potentiel fiscal, et une majoration, elle aussi forfaitaire, de 10% de la DSU des communes éligibles à la DSU cible).


• FPIC 19 ( * ) et FSRIF 20 ( * ) : hypothèse d'évolution des prélèvements et des dotations au même rythme que l'enveloppe nationale.


• DMTO 21 ( * ) des départements : hypothèse d'un montant figé à celui de 2013.


• TIPCE 22 ( * ) : montant figé à celui de 2013.

Pour les départements, ont été intégrées pour 2014 de nouvelles ressources dévolues pour le financement des allocations individuelles de solidarité 23 ( * ) .

Hypothèse d'évolution des dépenses

Les dépenses de gestion (avant frais financiers) évoluent au rythme de l'inflation + 1% 24 ( * ) , sauf les dépenses des départements au titre des allocations individuelles de solidarité 25 ( * ) et les dépenses hors personnel des régions.

Autrement dit, le fil de l'eau ne prévoit par définition pas de mesures d'économies particulières par rapport à ces dernières années.

Hypothèses en matière d'investissements


• Pour les communes et les EPCI : réalisations 2013 diminuées de 15% 25 ( * ) .


• Pour les départements et les régions : reconduction du montant d'investissement 2013.

Hypothèses relatives à l'emprunt et à la dette


• L'encours de dette au 31/12/2013 est supposé s'amortir au rythme de 8% par an.


• Les emprunts contractés à l'avenir sont calculés après « mise à zéro » du compte au Trésor. Autrement dit, il est supposé que les collectivités ne recourent à l'emprunt qu'après avoir consommé leur trésorerie.


• Les frais financiers des emprunts nouveaux sont calculés uniformément à 3%.

La prise en compte de ces hypothèses est essentielle car les résultats des projections budgétaires en dépendent directement. Nous attirons notamment l'attention sur le fait que :

- nous avons pris le parti, afin de comparer ce qui est comparable, de travailler à périmètres constants, s'agissant à la fois de la délimitation des collectivités (nombre de régions, périmètres intercommunaux, etc.) et de leurs compétences. Les conséquences des réformes institutionnelles en cours (par exemple la loi MAPTAM 26 ( * ) ou le projet de la NOTRe 27 ( * ) ), difficiles à évaluer, n'ont pas été prises en compte ;

- conformément à notre objectif, nous avons procédé à un travail essentiellement statistique fondé sur des hypothèses de projection uniformes pour l'ensemble des collectivités alors qu'il existe, au sein-même de chaque catégorie, une grande diversité de situations individuelles, liées en particulier à la structure des recettes (part de la fiscalité et des dotations) au dynamisme plus ou moins important des bases fiscales, à l'évolution de la population ou à l'état d'avancement du cycle d'investissement 28 ( * ) .

Toutefois, si le débat sur les hypothèses retenues est intarissable, les résultats auxquels nous sommes parvenus à partir de la projection de 38 0000 comptes individuels 29 ( * ) nous semblent particulièrement significatifs, tant ils mettent en évidence le caractère difficilement soutenable de la poursuite de l'évolution de ces dernières années 30 ( * ) .

Au vu des deux ratios financiers observés par l'étude (le taux d'épargne brute et la capacité désendettement), l'évolution au fil de l'eau serait particulièrement problématique pour les communes comptant 10 000 à 50 000 habitants, pour celles de plus de 50 000 habitants et pour les départements.

Les deux ratios retenus pour l'étude

L'étude en annexe II ne se limite pas à une évaluation globale du nombre de collectivités susceptibles d'afficher un budget en déficit dans les années à venir. Elle suit également pour chaque catégorie l'évolution de deux ratios financiers.

Le taux d'épargne brute mesure le solde entre recettes et dépenses de fonctionnement ramené aux recettes de fonctionnement. Indicateur des marges de manoeuvre de la section de fonctionnement, l'épargne brute est le seul moyen propre et récurrent dont dispose la collectivité pour rembourser sa dette.

L'épargne brute doit a minima couvrir le montant des dotations aux amortissements pour que la section de fonctionnement soit équilibrée. Par ailleurs, ajoutées à certaines recettes propres d'investissement (cessions, FCTVA, taxes d'aménagement), l'épargne brute doit couvrir l'annuité en capital de la dette pour assurer l'équilibre budgétaire.

Le taux d'épargne brute minimum peut être fixé, de manière empirique, autour de 7 % des recettes de fonctionnement pour garantir que la collectivité sera à même de faire face aux aléas. On considère même d'ordinaire que la zone d'alerte commence dès que le taux passe au-dessous de 10 %.

La capacité de désendettement mesure soit l'encours de dette rapporté en nombre d'années théoriques nécessaires à une collectivité pour amortir son stock de dette, à condition qu'elle y consacre l'intégralité de son épargne brute.

Le seuil d'insolvabilité pour une collectivité est fixé à 15 ans, soit la durée de vie moyenne des équipements et des emprunts souscrits pour les financer. Au-delà de 12 ans, la collectivité se situe dans la zone d'alerte.

Pour ces trois catégories, le nombre de collectivités très vulnérables, s'agissant tant du taux d'épargne brute (inférieur à 7%) que de la capacité d'autofinancement (supérieure à 15 ans) serait en effet en quasi triplement.

Des difficultés, qui concernaient 10 à 15% des villes de plus de 10 000 habitants ou des départements en 2013, en affecteraient entre un tiers et la moitié si rien n'était fait.

En tout état de cause, des mesures correctives auraient donc dû être prises par nombre de collectivités dans les années qui viennent même si les 11 milliards de baisses supplémentaires de dotations n'étaient pas intervenues.

SANS AJUSTEMENT, LA BAISSE DE 11 MILLIARDS FERAIT DE L'IMPASSE FINANCIÈRE LA SITUATION DE « DROIT COMMUN » DES COLLECTIVITÉS FRANÇAISES

A. LA CONTRIBUTION DEMANDÉE AUX COLLECTIVITÉS

Si les modalités de calcul de la contribution additionnelle pour 2015-2017 s'inscrivent dans la continuité de celles des années antérieures, son niveau et son rythme de montée en charge sont en revanche sans précédent.

1. Une forme de continuité dans la répartition de l'effort entre les collectivités

Une réduction des dotations de 1,5 milliard d'euros avait déjà été décidée pour 2014 dans le cadre du Pacte de confiance et de responsabilité, imputée sur la DGF des collectivités. Cette baisse avait été répartie entre les catégories de collectivités territoriales au prorata de leurs ressources totales : soit une diminution de 840 millions d'euros pour le « bloc communal », de 476 millions pour les départements et de 184 millions pour les régions.

Au sein de ces enveloppes par catégorie, des modes différents de péréquation ont ensuite été adoptés :

- pour le « bloc communal », la baisse a été répartie pour 30% sur les EPCI et à hauteur de 70% sur les communes au prorata de leurs recettes réelles de fonctionnement ;

- pour les départements, la répartition s'est faite en fonction d'un indice synthétique mesurant le niveau des charges (apprécié en fonction du revenu moyen par habitant) et le niveau de marge de manoeuvre fiscale (estimé en fonction du taux de taxe foncière) ;

- pour les régions, elle a été effectuée au prorata des recettes totales (fonctionnement et investissement), hors emprunts et prélèvement du fonds de garantie individuelle de ressources (FNGIR).

Pour 2015, la même clé de répartition a été adoptée aussi bien pour la baisse de 1,5 milliard déjà annoncée que pour les 11 milliards venus s'y ajouter 31 ( * ) .

L'idée avait été évoquée d'une modulation selon le potentiel financier et le revenu par habitant, mais elle n'a finalement pas été retenue 32 ( * ) . Sur ce point, il convient toutefois de rappeler la forte augmentation des dotations de péréquation entre les communes (la DSU 33 ( * ) , la DSR 34 ( * ) ), notamment pour alléger la charge du prélèvement sur les plus défavorisées, et la progression du FPIC qui se poursuit comme prévu depuis l'origine du fonds en 2012.

2. Une inflexion sans précédent

Il n'est pas rare d'entendre un discours tendant à relativiser l'importance de la diminution des dotations de 12,5 milliards sur la période 2015-2017 au motif qu'elle ne représenterait que 6,5% des recettes des collectivités.

On peut à l'inverse être frappé par le caractère abrupt de cette mesure consistant, sur seulement trois exercices, à revenir sur plus de dix ans de croissance des dotations de l'État aux collectivités . Comme l'indique le tableau suivant, le montant total des dotations avait en effet cru de moins de 13 milliards entre 2003 et 2014, montant très proche de la ponction qui sera opérée entre 2015 et 2017.

Évolution des dotations de l'État depuis 2002 (en Mds€)

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

DGF

36,2

36,3

36,8

37,9

38,2

39,2

40,1

40,8

41,1

41,3

41,4

41,5

40,12

Total concours de l'État 35 ( * )

56

58,2 36 ( * )

60,1 37 ( * )

62,3

64,6

63,6

72,3

75,2

75,4

73,4

73,5

72,8

71,3

(Source : chiffres DGCL)

Certes, le retournement de tendance dans le sens d'une baisse des concours de l'État est sensible depuis 2011 38 ( * ) , mais il est ici fortement accéléré.

La décroissance des dotations s'annonce en effet quatre fois plus rapide que celle observée entre 2010 et 2014 , puisque l'on passerait de - 1 milliard par an en moyenne à - 12,5 milliards sur les trois années 2015, 2016 et 2017.

B. UN IMPACT MASSIF SUR LES FINANCES LOCALES FRANÇAISES

1. La prise en compte de la contribution dans notre étude

L'un des objectifs de notre étude étant de comparer les résultats du scenario « au fil de l'eau » avec celui intégrant la « contribution » de 12,5 milliards sur la période 2015-2017, l'ensemble des hypothèses retenues pour la première projection ont bien étendu été reprises pour la seconde.

La seule différence entre les deux scénarios est donc constituée par les 11 milliards additionnels de diminution de la DGF.

L'impact de la contribution est nécessairement massif dans la mesure où les 12,5 milliards d'euros en cause représentent 43% de l'épargne brute totale dégagée sur les budgets des collectivités au 31 décembre 2013 (28,8 milliards d'euros).

Comme le montre le tableau ci-dessous, moins la collectivité dispose d'épargne brute (c'est le cas des communes de plus de 10 000 habitants et des départements), plus cette ponction représentera une part importante de sa capacité d'autofinancement.

De surcroît, pour les catégories de collectivités déjà fragiles, le seul poids de la contribution aurait pour effet de faire passer le taux d'épargne brute au-dessous de la limite des 7% ( cf . tableau ci-après).

Si ces éléments permettent d'apprécier l'ampleur d'une perte de 12,5 milliards pour nos finances locales, il convient de ne pas perdre de vue qu'il ne s'agira pas d'une ponction en une seule fois mais qu'elle sera lissée sur une période de trois ans.

Elle sera donc concomitante à la poursuite de l'effet de ciseau tendanciel déjà décrit dans le scénario « au fil de l'eau ».

Ce scénario, qui cumule l'effet de ciseau et la contribution de 12,5 milliards, correspond aux tableaux notés « Après » dans l'étude jointe en annexe II 39 ( * ) .

2. Sans mesures correctives, les difficultés financières risquent de devenir la norme

Dans la mesure où elle consiste à diminuer les recettes des collectivités, la contribution aggrave fortement l'effet de ciseau correspondant au « fil de l'eau ».

Elle revient à en tripler l'effet (comparaison entre la troisième et la cinquième colonne du tableau ci-après).

Il en résulterait une forte tendance à la généralisation des impasses financières pour les collectivités à l'horzon 2017 .

D'une part, l'impact serait particulièrement sensible pour les catégories de collectivités les plus fragiles : les difficultés qui concernent aujourd'hui 10 à 15% des villes de plus de 10 000 habitants ou des départements affecteraient une grande majorité d'entre elles. À titre d'exemple, le scénario « Après » fait apparaître, qu'en 2018, 61% des communes de 10 000 à 50 0000 habitants 40 ( * ) auraient une épargne brute inférieure à 7%, et que 53% d'entre elles auraient dépassé le seuil de l'insolvabilité 41 ( * ) ( cf . le tableau « Après », page 48 de l'étude). Ce qui est aujoud'hui un problème sérieux tendrait donc à devenir la norme .

D'autre part, même pour les catégories qui affichent aujourd'hui des moyennes relativement satisfaisantes, ces difficultés seraient loin de concerner des cas isolés : elles affecteraient, par exemple, 35 à 50% de communes de 2 000 à 10 000 habitants 42 ( * ) .

Ces chiffres sont cependant à interpréter à la lumière des très grandes disparités qui existent derrière ces moyennes. Il faudrait, en tout état de cause, s'attendre à une multiplication des cas de petites et moyennes communes en difficulté, en particulier des bourgs-centres pour lesquels il existe de fortes attentes en matière de services et d'équipements.

Enfin, la généralisation des difficultés ne s'exprime pas seulement en termes de nombre ou de catégories de collectivités concernées, elles se traduit surtout par la multiplication des indicateurs financiers appelés à se détériorer de façon sensible.

Parmi eux figure notamment l'équilibre budgétaire qui, relativement préservé dans le scénario « Avant », est beaucoup plus affecté dans le scénario « Après ». L'étude indique que près des 2/3 des départements se retrouveraient ainsi en situation de double déficit , c'est-à-dire qu'ils afficheraient à la fois un déficit de la section de fonctionnement et une incapacité à couvrir l'annuité en capital de la dette avec des ressources propres 43 ( * ) . Dans un tel cas, en principe le budget « ne passe pas » 44 ( * ) et la collectivité s'expose à l'intervention du préfet et de la chambre régionale des comptes.

Si besoin en était, notre étude révèle l'importance de la détérioration des comptes locaux par le double impact de l'effet de ciseau tendanciel et de la conribution annoncée pour 2015-2017. Celle-ci apparaît insoutenale pour un très grand nombre de collectivités sans l'adoption de mesures correctives.

Reste à savoir quelles peuvent être la nature et l'ampleur de telles mesures.

LE RETOUR DES DÉPENSES DE FONCTIONNEMENT AU RYTHME DE L'INFLATION NE SUFFIRA PAS

A. UNE INÉVITABLE BAISSE DES INVESTISSEMENTS

1. L'objectif d'une évolution des dépenses de gestion au rytme de l'inflation

Dans l'exposé des motifs du projet de loi de finances pour 2015, le Gouvernement indique qu'« au total, l'effort sur les ressources des collectivités locales devrait conduire à une évolution à "zéro volume", c'est-à-dire égale à la progression de l'inflation des dépenses des collectivités locales ».

Aussi avons-nous testé cette hypothèse en établissant un scénario dans lequel l'évolution des dépenses de gestion des collectivités serait effectivement ramenée au rythme de l'inflation 45 ( * ) . L'étude présente les résultats de cette simulation pour chaque catégorie de collectivités 46 ( * ) et il est possible d'en tirer plusieurs enseignements.

Tout d'abord, concernant le taux d'épargne brute, le fait de ramener l'évolution des dépenses de gestion au niveau de l'inflation permet, d'absorber en grande partie (mais pas complètement) les 11 milliards d'euros de contribution supplémentaires. Pour les communes de 10 000 à 50 000 habitants, alors qu'elles étaient 546 à passer en dessous du taux d'épargne de 7% en 2018 47 ( * ) , sous le double effet du « ciseau » et de la contribution sans mesures correctives, ce chiffre serait ramené à 362 si les dépenses de gestion évoluaient comme l'inflation 48 ( * ) . On se rapprocherait ainsi fortement de la situation « au fil de l'eau » qui établissait à 325 le nombre de communes de cette catégorie en difficulté en 2018.

Toutefois, même si la limitation de la progression des dépenses de gestion au niveau de l'inflation permet de se rapprocher des conséquences de l'évolution « au fil de l'eau », la situation qui en résulterait ne peut être considérée comme satisfaisante. On se contenterait en effet de revenir à une situation déjà inquiétante, voire intenable pour nombre de collectivités, alors qu'elles ne disposeraient plus du levier d'action essentiel que constitue la stabilisation en volume de fonctionnement 49 ( * ) .

De surcroît, cette stabilisation des dépenses de fonctionnement ne permettrait pas de revenir au statu quo en ce qui concerne la capacité de désendettement , dans la mesure où celle-ci dépend non seulement de l'épargne brute (au numérateur), mais aussi du stock d'investissements à rembourser (au dénominateur).

De plus, ce résultat ne serait obtenu que si les dépenses de gestion étaient effectivement ramenées au rythme de l'inflation dès 2015. Ceci est loin d'être évident lorsqu'on sait par exemple que près de 40% des dépenses des collectivités concernent le personnel et sont en principe soumises au glissement vieillesse-technicité ; que pour les départements, la hausse des allocations individuelles de solidarité n'est pas maîtrisable ; et qu'enfin, les collectivités doivent prendre en charge la mise en oeuvre de décisions prises par l'État, telle la modification des rythmes scolaires.

2. La diminution de l'investissement local

Le discours du Gouvernement insiste sur le fait que la contribution porte uniquement sur la dotation globale de fonctionnement ; il apparait cependant évident que l'investissement des collectivités sera affecté, pour trois raisons essentielles :

- d'une part, il s'agit d'un levier souvent plus mobilisable à plus court terme que celui d'un ralentissement des dépenses de fonctionnement, surtout en début de mandat municipal. Or, pour nombre de collectivités, un ajustement rapide s'impose ;

- d'autre part, comme indiqué plus haut, la détérioration de ratio de solvabilité (capacité de désendettement évaluée en nombre d'années d'épargne brute) suppose qu'un effort soit aussi porté sur le stock de la dette. La seule façon de le faire est de ralentir, voire d'arrêter les investissements ;

- enfin, il convient de rappeler que les dépenses de fonctionnement et d'investissement des collectivités sont liées. La création d'un nouvel équipement occasionne généralement des frais de fonctionnement par la suite ; renoncer à un investissement est donc aussi une façon de ralentir les dépenses de gestion futures. Surtout, l'effet de l'évolution de l'épargne brute des collectivités 50 ( * ) est très sensible sur leurs dépenses d'équipement. En effet, en application des effets de levier habituellement observés, un euro de moins au niveau du solde de la section de fonctionnement diminue en moyenne de 10 euros la capacité d'investissement des collectivités.

Dès lors, notre étude a aussi consisté à étudier quel serait, en plus d'un retour de l'évolution des dépenses de gestion au niveau de l'inflation, l'effet d'une baisse des investissements de 30% par rapport à 2013. Pour le bloc communal, la diminution prise en compte est même de 45% car l'année 2013 se caractérise par des niveaux d'investissement tout à fait exceptionnels 51 ( * ) .

Bien entendu, le fait de considérer une baisse de cet ordre pour faire face à la situation financière des collectivités ne dispense nullement d'une réflexion sur les conséquences d'une telle mesure sur l'activité économique et l'emploi aussi bien au plan national que local.

B. LE SCÉNARIO AFFECTANT À LA FOIS LES DÉPENSES DE FONCTIONNEMENT ET D'INVESTISSEMENT

Ce scenario est présenté dans notre étude sous la forme de budgets prévisionnels et de graphiques intitulés « Mesures correctives : dépenses de gestion à l'inflation + baisse des investissements de 30% ». Pour les régions, il correspond par exemple au tableau en haut à droite de la page 80 du document en annexe II.

L'étude fait apparaître que le cumul de ces deux mesures correctives permet tout juste de compenser la hausse de 11 milliards de la contribution .

Les taux d'épargne brute rejoignent en effet à peine les niveaux obtenus avec une contribution à 3 milliards d'euros 52 ( * ) , telle que prévue avant l'annonce de la contribution complémentaire.

Le constat est similaire concernant la capacité de désendettement, avec des résultats relativement spectaculaires s'agissant des villes et des départements, qui dépasseraient en moyenne le seuil d'insolvabilité des 15 ans en l'absence de mesures correctives 53 ( * ) .

Ici encore, l'application des mesures correctives permet à peine de revenir aux résultats du scénario « fil de l'eau » avec une contribution limitée à 3 milliards d'euros.

En termes de capacité de désendettement, les mesures correctives ne permettraient pas de rétablir la situation à horizon 2018 pour 16 à 20 % des communes de moins de 10 000 habitants, pour 30 % des communes de 10 000 à 50 000 habitants, pour 43 % des communes de plus de 50 000 habitants, entre 16 et 20 % des EPCI et pour 17 % des départements et 8 % des régions (cf. graphique ci-après).

Les proportions de collectivités concernées sont proches si l'on considère le nombre de collectivités dont le taux d'épargne brute resterait inférieur à 7 %.

Au final, il apparaît que ;

- pour les collectivités les plus dégradées - celles qui présentaient des ratios inquiétants en 2014 -, il existe un risque réel d'impasse budgétaire en 2015 et 2016, le temps que des mesures correctives portent leurs fruits ;

- au-delà de ces deux années à forts risques, ces collectivités devront prendre des mesures d'ajustement allant au-delà de celles étudiées dans notre dernier scénario. Il s'agira d'une baisse des dépenses de gestion en volume et/ou d'une réduction des investissements supérieure à 30% et/ou d'un relèvement de la pression fiscale.

Ces mesures complémentaires ne se limiteront sans doute pas aux collectivités les plus dégradées. En effet si quelques collectivités peu endettées et disposant d'une épargne brute élevée pourraient s'offrir le luxe de différer l'ajustement en « laissant filer » leur situation à court terme, les résultats de la simulation montrent qu'une telle option serait financièrement intenable pour la plupart d'entre elles.

- le recours à l'endettement, possible pour certaines collectivités 54 ( * ) , ne ferait que retarder un ajustement nécessaire compte tenu notamment de l'effet de ciseau structurel 55 ( * ) ;

- si le développement des mutualisations de services entre communes et intercommunalités et les réformes territoriales en cours (MAPTAM, projet NOTRe) sont souvent présentés comme un moyen d'absorber le choc des 12,5 milliards, il est très peu probable qu'ils produisent des économies substantielles d'ici 2017-2018.

CONCLUSION

Au-delà de ce constat statistique global que nous avons souhaité rendre public avant la discussion au Sénat du projet de loi de finances pour 2015, plusieurs questions demeurent quant à la façon dont les choses vont se traduire sur le terrain :

- quel est le degré de connaissance et d'anticipation de la situation dans les différentes collectivités ?

- quels leviers les élus vont-ils utiliser pour y faire face dans l'immédiat (budgets 2015) et dans les années qui suivent ?

- quelle sera l'intensité de ces mesures et avec quelles conséquences, notamment sur le niveau de service pour la population et sur les territoires dans leur diversité ?

- selon quels critères ces décisions seront-elles prises ?

- dans cette course contre la montre, quid des collectivités déjà les plus en difficulté ?

- comment l'État peut-il accompagner cet effort (allègement des normes, des contraintes et des charges) ?

- comment accompagner cet ajustement par une évolution des règles financières, notamment en matière de fiscalité et de péréquation ?

Tels sont les sujets sur lesquels la délégation reviendra dans la poursuite de ses travaux.

ANNEXE I :
Évolution des recettes et des dépenses globales des collectivités territoriales et de leurs groupements par catégorie

Tableau n° 1 : Évolution des finances communales

En Mds€

2009

2010

2011

2012

2013

2013/2012

Produits réels de fonctionnement

72,49

74,25

76,69

77,97

78,85

1,1 %

Charges réelles de fonctionnement

62,13

62,50

63,90

65,38

67,25

2,9 %

Épargne brute

10,36

11,75

12,79

12,58

11,60

- 7,8 %

Recettes réelles d'investissement (hors emprunts)

12,65

10,96

10,92

11,02

11,14

1,1 %

Dépenses réelles d'investissement (hors emprunts)

23,17

21,75

23,00

23,72

25,64

8,1 %

Encours de la dette

58,73

59,36

60,05

61,51

62,98

2,4 %

Capacité de désendettement

(en années)

5,54

4,95

4,60

4,80

5,30

Source : Cour des comptes - Données DGFiP

Tableau n° 2 : Évolution des finances des groupements à fiscalité propre

En Mds€

2009

2010

2011

2012

2013

2013/2012

Produits réels de fonctionnement

20,48

21,95

23,06

24,26

25,31

4,3 %

Charges réelles de fonctionnement

16,39

17,20

18,01

19,23

20,13

4,7 %

Épargne brute

4,09

4,74

5,05

5,02

5,18

3,2 %

Recettes réelles d'investissement (hors emprunts)

3,32

2,92

3,26

3,21

3,26

1,6 %

Dépenses réelles d'investissement (hors emprunts)

7,63

7,69

8,49

9,00

9,43

4,8 %

Encours de la dette

17,47

18,19

19,30

21,21

21,97

3,6 %

Capacité de désendettement
(en années)

4,27

3,83

3,82

4,22

4,24

Source : Cour des comptes - Données DGFiP






Tableau n° 3 : Évolution des finances départementales

En Mds€

2009

2010

2011

2012

2013

2013/2012

Produits réels de fonctionnement

57,26

60,56

63,14

63,8

64,55

1,2 %

Charges réelles de fonctionnement

51,03

52,86

54,32

56,2

57,70

2,7 %

Epargne brute

6,23

7,70

8,82

7,61

6,85

9,9 %

Recettes réelles d'investissement (hors emprunts)

4,39

3,27

3,11

3,03

3,05

0,6 %

Dépenses réelles d'investissement (hors emprunts)

14,07

12,14

11,70

11,46

11,18

- 2,4 %

Encours de la dette

28

29,74

30,46

31,2

32,29

3,5 %

Capacité de désendettement
(en années)

4,49

3,86

3,45

4,10

4,71

Source : Cour des comptes - Données DGFiP

Tableau n° 4 : Évolution des finances régionales

En Mds€

2009

2010

2011

2012

2013

2013/2012

Produits réels de fonctionnement

20,88

21,77

22,16

22,50

22,86

1,6 %

Charges réelles de fonctionnement

15,99

16,26

16,71

17,16

17,57

2,4 %

Epargne brute

4,90

5,51

5,46

5,34

5,29

- 0,9 %

Recettes réelles d'investissement (hors emprunts)

3,08

2,14

2,11

2,26

2,42

7,1 %

Dépenses réelles d'investissement (hors emprunts)

9,68

8,49

8,55

8,48

8,93

5,3 %

Encours de la dette

15,88

16,86

17,99

19,13

20,28

6,0 %

Capacité de désendettement
(en années)

3,24

3,06

3,29

3,58

3,83

Source : Cour des comptes - Données DGFiP

ANNEXE II :
Étude réalisée pour la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation par le cabinet Michel Klopfer

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ANNEXE III :
Examen du rapport d'information en réunion de délégation

Le mercredi 12 novembre 2014, la délégation procède à l'examen du rapport de MM. Philippe Dallier, Charles Guené et Jacques Mézard sur « l'évolution des finances locales à l'horizon 2017 », avec présentation de la méthodologie utilisée par le cabinet Michel Klopfer, finances locales consultants

M. Jean-Marie Bockel, président. - Mes chers collègues, nous allons maintenant entendre nos trois rapporteurs MM. Philippe Dallier, Charles Guené et Jacques Mézard, auxquels la délégation avait confié, le 11 février 2014, un travail sur l'évolution des finances locales. Je sais qu'ils ont travaillé sur cette étude avec le cabinet Klopfer, dont je connais personnellement la qualité et le sérieux, y compris lorsqu'il s'agit de dire aux élus des choses pas toujours agréables.

Nous aurons aujourd'hui la présentation de la partie I du rapport, qui consiste en une analyse quantitative et globale des conséquences de la baisse des 12,5 milliards, afin d'éclairer le Sénat avant la discussion du projet de loi de finances pour 2015, qui débutera le 20 novembre prochain. La suite de leurs travaux étudiera les choix qui seront effectivement faits par les élus locaux pour faire face à la situation (partie II du rapport) avant de formuler des éléments de propositions en vue d'améliorer l'efficacité et l'équité de nos finances locales (partie III).

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Nous avions pensé, au printemps dernier, qu'il était nécessaire de se pencher sur la situation financière des collectivités avant que les décisions soit prises et non après. C'est une façon de ne pas reproduire ce que nous avons connu ici, notamment à propos de la réforme de la taxe professionnelle. Pour cela, nous nous sommes entourés des conseils du cabinet Kloper qui n'hésite pas à dire les vérités... même lorsqu'elles sapent le moral des élus.

En guise de première étape aux travaux que nous menons sur les finances locales, il était en effet essentiel de pouvoir mettre à la disposition de nos collègues un constat chiffré et objectif de ce qui les attend.

Il ressort de ce constat qu'avant même que soit décidée la fameuse baisse des 11 milliards de la DGF (dotation globale de fonctionnement) entre 2015 et 2017, l'évolution des finances locales ne pouvait plus continuer ainsi. Comme disent les financiers, elle n'était pas soutenable.

Depuis quelques années, on observe « un effet de ciseau » entre des dépenses qui augmentent d'environ 3 % par an et des recettes qui ne progressent qu'entre 1,5 et 2 % par l'effet de la crise sur les bases fiscales et du gel de la majeure partie des dotations de l'Etat (qui affecte environ 50 milliards d'euros sur un total de 70) depuis 2011.

Afin de comparer ce qui est comparable, nous n'avons donc pas comparé la situation qui nous attend fin 2017 à celle des finances locales d'aujourd'hui, mais nous avons bien entendu considéré que, pour bien évaluer l'effet de la ponction de 11 milliards sur la DGF, il fallait comparer la situation dans trois ans avec ce qui se serait produit sans cette mesure, c'est à dire si tout avait continué au même rythme que ces dernières années, si les choses avaient évolué « au fil de l'eau ».

Comme je vous l'annonçais, du fait de l'effet ciseau entre dépenses et recettes, même ce scenario au fil de l'eau est inquiétant. Telle est la première conclusion de notre rapport.

Ce scénario est inquiétant pour chacun des indicateurs financiers que nous avons demandé au cabinet Klopfer d'évaluer. Il s'agit :

- d'une part, de l'épargne brute, c'est-à-dire, schématiquement, du solde de la section de fonctionnement, qui constitue la capacité d'autofinancement d'une collectivité. Généralement, quand l'épargne brute représente moins de 10 % des dépenses, la collectivité est en risque et les difficultés financières sont quasiment certaines lorsque ce taux est inférieur à 7 % ;

- d'autre part, de la capacité de désendettement qui chiffre la dette totale de la collectivité en nombre d'années d'épargne brute. On considère techniquement qu'une collectivité est en situation d'insolvabilité lorsque sa dette représente 15 années d'épargne brute, ce qui correspond à la durée de vie moyenne des équipements ;

- et enfin, nous avons examiné quels étaient pour les collectivités les risques de se retrouver en déficit de la section de fonctionnement, et même en « double déficit » lorsqu'il y a aussi impossibilité de rembourser l'annuité du capital de la dette avec des ressources propres, à savoir l'épargne brute, les éventuelles cessions et les dotations.

Le résultat de notre étude fait apparaître qu'au fil de l'eau, la situation se détériore de façon très sensible pour les villes de 10 000 à 50 000 habitants, les villes de plus de 50 000 habitants et pour les départements. En matière d'épargne brute (taux inférieur à 7 %) ou de capacité d'autofinancement (ratio supérieur à 15 ans), environ 10 %-15 % de ces collectivités connaissent déjà des difficultés, et elles seraient plus de 30 % en 2018 si on laissait l'évolution de ces dernières années se poursuivre.

Je conclurai par deux observations. Tout d'abord, ces résultats sont tributaires des hypothèses de recettes et de dépenses que nous avons retenues pour définir ce scénario au fil de l'eau. Nous avons notamment considéré que les dépenses de fonctionnement continuaient de croître au taux de l'inflation + 1 % en reprenant les prévisions d'inflation du projet de loi de programmation des finances publiques. En matière de prévision, on peut toujours discuter les hypothèses, mais je pense que celles qui ont été retenues - sur lesquelles le cabinet Klopfer reviendra tout à l'heure - sont particulièrement prudentes et loin d'être pessimistes.

Ensuite, le scenario au fil de l'eau révèle quelque chose qui demeure clair quels que soient les scenarios et les hypothèses retenus : les catégories en moyenne les plus en difficulté sont bien les villes de plus de 10 000 habitants et les départements. Or, pour mémoire, ces villes représentent quasiment la moitié de la population française (49 % de la population DGF). Pour ces collectivités en particulier, il est clair que les choses ne peuvent plus continuer comme avant. En fait, nous nous sommes livrés à un exercice de prévision qui montre que la situation était d'ores et déjà intenable. C'est un constat mathématique, chacun étant ensuite libre d'en faire les interprétations politiques qu'il souhaite. Inutile de vous dire que les choses ne s'arrangent pas avec la baisse supplémentaire de la DGF de 11 milliards.

M. Jean-Marie Bockel, président. - J'ai procédé, pour ma propre communauté d'agglomération, à une projection à 2017 et je constate effectivement ce que vous venez de dire... mais en pire.

M. Charles Guené, rapporteur. - Comme vous l'a indiqué Jacques Mézard, il me revient de vous présenter la deuxième des trois grandes conclusions de notre rapport qui résulte non plus du scenario « au fil de l'eau » mais de la prise en compte des fameux 11 milliards de baisse de la DGF, et ce afin de mesurer l'effet réel de la mesure annoncée par le Gouvernement.

N'oublions pas qu'en 2013, le Gouvernement avait déjà prévu une baisse de la DGF de 1,5 milliard d'euros en 2014 et qu'avec les 11 milliards pour 2015-2017 supplémentaires annoncés par Manuel Valls, la DGF baissera donc de 12,5 milliards au total entre 2014 et 2017. Pour reprendre les termes du projet de loi de finances, la « contribution des collectivités au redressement des finances publiques » qui était de 1,5 milliard en 2014 par rapport à la DGF 2013, s'élèvera donc à 5,2 milliards en 2015 par rapport à cette même année, à 8,8 milliards en 2016 pour finir à 12,5 milliards de dotations en moins en 2017.

L'objectif étant de réaliser des économies, il va de soi que ces baisses ne seront pas compensées même si les mécanismes de péréquation entre collectivités seront renforcés, qu'il s'agisse de la dotation de solidarité urbaine (DSU), de la dotation de solidarité rurale (DSR) ou du FPIC (fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales), qui poursuit sa montée en puissance comme prévu lors de son institution en 2012.

Mais la baisse de 11 milliards ne fait pas elle-même l'objet d'une péréquation qui aurait consisté à répartir l'effort en fonction de la richesse, sauf pour les départements car cela avait été une demande de l'ADF (Assemblée des départements de France).

De même que la diminution de 1,5 milliard en 2014, la contribution sera supportée par les trois catégories de collectivités à due concurrence de leurs poids dans les recettes totales, soit 6,16 milliards sur les 11 milliards pour le bloc communal, 3,49 pour les départements, et 1,35 pour les régions.

Au sein du bloc communal, la baisse a été répartie en principe à hauteur de 30 % sur les EPCI et de 70 % sur les communes au prorata de leurs recettes de fonctionnement. Entre les départements, comme je le disais, la répartition s'est faite en fonction d'un indice mesurant à la fois le niveau des charges (apprécié en fonction du revenu moyen par habitant) et la marge de manoeuvre fiscale (appréciée à partir du niveau du taux de la taxe foncière). Entre les régions, la baisse sera répartie au prorata des recettes totales de fonctionnement et d'investissement, hors emprunts et prélèvements du FNGIR (fonds national de garantie des ressources).

Si l'on conserve pour 2015-2017 le même mode de répartition de la contribution que pour 2014, en revanche, il est évident que l'on change complètement d'échelle. L'effort de 11 milliards qui est demandé est massif. Il ne représente pas loin de la moitié (43 %) du niveau actuel de l'épargne brute totale des collectivités. Surtout, il consiste à revenir en seulement trois ans au niveau des dotations de l'Etat de 2003 !

Cette rapidité de « l'atterrissage » demandé est sans doute l'aspect le plus frappant de ce qui est demandé aux collectivités. C'est évident, même pour ceux qui ne contestent pas l'objectif de rétablissement des finances publiques du pays.

Vous ne serez donc pas étonnés que la deuxième conclusion de notre rapport soit très préoccupante puisqu'elle a consisté à regarder ce qui se passerait si les collectivités subissaient à la fois l'effet de ciseau du « fil de l'eau » et la baisse des 11 milliards, sans prendre aucune mesure pour rétablir la situation.

Nous constatons que dans un tel cas, toutes les catégories de collectivités connaîtraient des dégradations particulièrement sensibles. Pour les catégories les plus fragiles (villes de plus de 10 000 habitants et départements), on arrive même dans une situation où les trois indicateurs financiers que nous avons suivis (taux d'épargne brute, capacité de désendettement et équilibre budgétaire) seraient « dans le rouge » pour plus de la moitié, voire pour les deux tiers des collectivités. Plus de 60 % des budgets des départements seraient ainsi en double déficit !

Même pour les catégories les moins menacées, les situations difficiles représenteraient souvent un tiers des collectivités, comme c'est le cas pour les communes de 2 000 à 10 000 habitants. Rappelons qu'il s'agit là de moyennes, et qu'il existe de très grandes disparités sur nos territoires, notamment pour ce type de collectivités.

À cet égard, s'il est vrai que la plupart des petites communes seront en général faiblement impactées du fait de leurs réserves et de leurs besoins limités, le caractère global de notre étude vient parfois en trompe l'oeil et masque certaines réalités. Je veux évoquer le cas de ces petites intercommunalités rurales et des bourgs-centres qui les animent et supportent l'essentiel des charges de services aux populations. Ils sont aussi les moteurs du rare investissement dans ces zones rurales et ne résistent jusqu'alors que grâce à la progression du FPIC, dont les effets cesseront fin 2016.

Aussi assisterait-on sans aucun doute à une multiplication spectaculaire des cas d'impasse financière. Le titre du II de notre rapport consiste d'ailleurs à dire que la poursuite du fil de l'eau sans réagir associée au prélèvement de 11 milliards risque de faire de l'impasse financière la situation de droit commun de nos collectivités.

Il ne sera bien évidemment pas possible de subir ces évolutions sans réagir. Il reste à déterminer les mesures qui seront nécessaires ; c'est le sujet de la troisième conclusion de notre rapport, sur laquelle je vais laisser la parole à Philippe Dallier.

Avant cela, je voudrais juste, en qualité de rapporteur spécial de la commission des Finances sur les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », me féliciter du fait que notre délégation ait pu mener ces travaux et que nous soyons en mesure d'éclairer l'ensemble de nos collègues sénateurs sur ce sujet majeur avant le débat budgétaire. Bien que les informations du Gouvernement n'aient été disponibles qu'au dernier moment, tout a été fait pour que notre rapport soit adopté aujourd'hui et qu'il soit sur le bureau de tous nos collègues dès lundi prochain pour la discussion du projet de loi de finances. De plus, mercredi prochain, nous irons, au nom de la délégation aux collectivités territoriales, présenter nos travaux devant la commission des Finances. Je crois que c'est une bonne façon pour notre délégation de se rendre utile au Sénat et, partant, à l'ensemble des élus locaux.

M. Philippe Dallier, rapporteur. - La dernière partie du rapport pourrait s'intituler « Et maintenant qu'est-ce qu'on fait ? » puisqu'il est effectivement démontré que, même au fil de l'eau, un certain nombre de collectivités territoriales se seraient retrouvées en difficulté. Mais, avec la baisse programmée de la DGF, la très grande majorité d'entre elles vont être confrontées à des difficultés. Puisqu'à la différence de l'Etat, nous devons équilibrer la section de fonctionnement, nous allons bien devoir réagir. La question est de savoir comment.

Pour revenir sur les propos de Charles Guené, il est vrai que l'on assiste régulièrement à un débat entre baisse de la DGF et augmentation de la péréquation. Dans cette discussion, l'Etat nous fait valoir que la baisse de la DGF sera compensée pour les communes les plus en difficulté par les mécanismes de péréquation que nous connaissons. Or, je voudrais juste attirer votre attention sur un point : certes, il n'y a pas de mécanisme de péréquation inversée sur la baisse de la DGF, mais on a tout de même proportionné celle-ci aux recettes réelles de fonctionnement des collectivités. Or il est bien évident que lorsque ces communes, par exemple celles de plus de 10 000 habitants, rendent des services payants à la population, elles augmentent ainsi leurs recettes alors même qu'elles se contentent de combler un déficit de fonctionnement. Malgré tout, plus vous avez de recettes de ce type, plus vous êtes impactés en proportion par la baisse de la DGF ! Il n'est pas donc tout à fait exact de dire qu'il n'y a pas de mécanisme de péréquation à la baisse. Quant aux dotations de péréquation elles-mêmes, force est de constater que l'on a fini par empiler des mécanismes pour aboutir à un ensemble complètement illisible, voire contradictoire. Je rappelle à l'envi qu'une commune comme la mienne peut percevoir de la DSU, être contributrice au FPIC et être neutre au fonds de solidarité de la région Ile-de-France. Au bout du compte, vous pouvez être prélevé pour quatre fois du montant que vous percevez en DSU !

Tout cela devra être réformé en même temps que la DGF, ce que l'on n'a jamais eu le courage politique de faire dans le passé. On a toujours créé une couche supplémentaire, pour soi-disant corriger les défauts de toutes les précédentes mais, au bout du compte, je crois que personne ne peut plus dire que le système est satisfaisant.

S'agissant de la troisième partie de notre rapport, un constat sur la situation des collectivités devrait, à mes yeux, faire l'objet d'un débat dépassionné dépassant le classique clivage droite-gauche. Mais force est de constater que lorsque le Gouvernement nous dit que les collectivités territoriales absorberont la baisse de la DGF en limitant l'augmentation de leurs dépenses de fonctionnement au niveau de l'inflation, ce n'est pas exact.

Pour faire notre démonstration, nous avons repris les prévisions d'inflation du Gouvernement inscrites dans le projet de programmation des finances publiques. Sur cette base, on constate effectivement qu'en ramenant la progression des dépenses de fonctionnement au niveau de l'inflation, ça ne passe pas.

Quand bien même cet objectif serait atteint, la situation des collectivités territoriales en 2018 serait moins bonne qu'aujourd'hui, essentiellement à cause de l'effet ciseau déjà évoqué. De toute façon, l'objectif d'un retour au rythme de l'inflation nous semble difficilement réalisable, dans la mesure où la plus grande partie des dépenses de fonctionnement concerne le personnel et que les mesures prises sur ce type de postes budgétaires ne peuvent avoir des effets immédiats. Que va-t-il se passer ? Comme nous sommes en début de mandat municipal, les élus pourront certainement corriger le tir en matière d'investissement. Tant pis pour ceux qui auront fait des promesses électorales trop larges ! Rappelons en effet qu'une dégradation de la section de fonctionnement d'un euro aboutit, du fait de l'effet de levier, à une baisse de l'investissement de 10 euros.

Dans l'une des simulations qui va vous être présentée, nous avons retenu l'hypothèse d'une réduction de l'investissement des collectivités de 30 %. Il en ressort que même avec cette baisse de 30 % complétée par un retour des dépenses de fonctionnement à l'inflation, on reviendrait à peine à la situation d'aujourd'hui.

Certes, il existe certainement des collectivités qui pourront s'endetter pour essayer de passer cette période difficile, mais elles seront sans doute peu nombreuses sans compter qu'un recours à l'emprunt serait assez antinomique avec l'objectif global de réduction de la dette publique. Nous pouvons donc en conclure, qu'outre la réduction de l'investissement, les collectivités territoriales vont devoir utiliser le levier fiscal dans des proportions plus ou moins importantes.

Telles sont nos principales conclusions, qui de surcroît s'inscrivent dans un environnement très incertain au plan législatif : la loi MAPAM (loi de modernisation de l'action publique et d'affectation des métropoles) a été adoptée et va être modifiée, tandis que la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) arrive en discussion.

Tout cela ne va certainement pas aider les élus à prendre des décisions et peut-être les inciter à différer encore davantage leurs investissements, ce qui ne fera qu'accroître à mon avis le marasme économique. Telles sont donc les trois grandes conclusions de ce rapport, qui se poursuivra notamment par une étude sur le terrain ; nous irons demander aux élus comment ils envisagent concrètement de passer cette période difficile.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Je propose maintenant que Michel Klopfer nous présente de manière synthétique la méthode employée pour réaliser l'étude.

M. Michel Klopfer, président du cabinet Michel Klopfer . - Avant tout, je rejoins ce qui a été dit par les rapporteurs ; je pense, qu'il y a, - y compris dans les services de l'État -, une méconnaissance de l'impact réel de la diminution des dotations sur les collectivités. Je citerai un exemple : l'année dernière, nous avons travaillé avec l'État et pour l'Assemblée des départements de France sur le financement des allocations individuelles de solidarité. Au départ, le ministère des Finances pensait qu'il n'y avait pas besoin de financements supplémentaires car la péréquation devait suffire à couvrir les besoins. Cette année encore, nous avons été invités en septembre, d'une part, par la ministre en charge de la décentralisation et, d'autre part, par le cabinet du Premier ministre. Dans les deux cas, il nous a été demandé de réfléchir aux mesures à prendre pour sauvegarder l'investissement, comme si cela était possible dans le contexte actuel, compte tenu de la tension exercée sur la section de fonctionnement du budget des collectivités locales.

Pour la réalisation de cette étude, nous avons travaillé en nous concentrant sur les indicateurs d'épargne brute, de capacité de désendettement, ainsi que sur la contrainte budgétaire, sachant qu'un certain nombre de collectivités ont déjà réagi à cette ponction budgétaire, notamment par une baisse de l'investissement et une moindre progression des dépenses de fonctionnement. Dans nos hypothèses, nous avons prévu que les collectivités territoriales allaient s'adapter à la nouvelle donne budgétaire car, dans le cas contraire, la situation budgétaire ne serait pas tenable.

Je laisse maintenant la parole à Céline Bacharan qui va expliciter la méthode employée.

Mme Céline Bacharan, consultante au cabinet Michel Klopfer. - En ce qui concerne les ressources, nous avons travaillé avec les comptes de gestion de 2013, c'est-à-dire les comptes des collectivités territoriales de 2013 et les budgets principaux. C'est un point important, car les budgets des collectivités territoriales recouvrent à la fois les budgets principaux, le financement des syndicats non dotés de fiscalité propre, et enfin les budgets annexes. Nous avons raisonné sur les seuls budgets impactés par la contribution « redressement ».

Nous avons tout d'abord étudié l'épargne brute des collectivités territoriales, qui est la différence entre les recettes réelles et les dépenses réelles de fonctionnement. Cette épargne brute constitue le nerf de la guerre. C'est elle qui permet de payer l'annuité en capital de la dette et d'investir. Le deuxième ratio examiné est la capacité de désendettement, c'est-à-dire l'analyse de la solvabilité et de la capacité de n'importe quel organisme, qu'il soit privé ou public, à rembourser sa dette. On la mesure en années en rapportant l'encours de la dette à l'épargne brute. Le solde d'insolvabilité se situe à 15 ans, ce qui est la durée de vie moyenne des investissements des collectivités et donc des emprunts souscrits pour les financer.

En ce qui concerne les résultats, nous nous sommes particulièrement intéressés à mesurer la proportion des collectivités qui sont dans une situation très dégradée. Il s'agit des collectivités dont l'épargne brute atteint un seuil égal ou inférieur à 7 % des recettes. Ce seuil de 7 % n'est en aucun cas un objectif de politique financière. En effet, si la collectivité se fixe comme objectif d'être à un seuil de 7 % à échéance de 5 ans, elle est alors incapable d'absorber le moindre aléa. C'est pourquoi nous recommandons de viser plutôt un taux de 10 %. Nous avons étudié la proportion des collectivités qui seraient dans une situation très dégradée, c'est-à-dire dont l'épargne brute ne représenteraient que 7 % des recettes, et qui seraient à plus de 15 ans de capacité de désendettement. Bien évidemment, les collectivités commenceront à réagir avant ces seuils, sinon les dégradations seront vertigineuses.

En ce qui concerne l'équilibre de la section de fonctionnement, l'épargne brute doit permettre de couvrir les amortissements des immobilisations. Dans le cas contraire, la collectivité est en déficit de fonctionnement. Par ailleurs, l'épargne brute majorée de ressources propres d'investissement, et notamment du fonds de compensation TVA, doit permettre le remboursement des annuités en capital de la dette. Les collectivités qui ne respectent pas ces deux conditions sont en situation de double déficit. Leurs budgets peuvent alors être déférés par le préfet à la chambre régionale des comptes, qui va proposer des mesures de redressement pour que le budget soit équilibré.

Nous avons reconstitué les comptes de 2013 des 38 222 collectivités territoriales et nous les avons répartis par catégorie pour obtenir des résultats lisibles : les communes de plus de 50 000 habitants, les communes de 10 000 à 50 000 habitants, les communes de 2 000 à 10 000 habitants, les communes de 500 à 2 000 habitants, les communes de moins de 500 habitants, les départements et les régions. Pour les communes, on note un très fort émiettement, car l'essentiel de la population est concentré dans les deux premières catégories de communes tandis que le nombre de collectivités territoriales est important dans les deux dernières. Nous avons également étudié les groupements à fiscalité propre en les regroupant en deux catégories : les groupements de moins de 50 000 habitants et les groupements de plus de 50 000 habitants.

Nous avons ensuite appliqué à ces 38 200 collectivités des hypothèses de prospective. Nous avons tout d'abord envisagé une hypothèse « au fil de l'eau ». Pour cela, nous avons appliqué les mêmes hypothèses d'évolution des recettes à toutes les collectivités, avec la même évolution des produits de fiscalité directe, à savoir l'inflation majorée de 1,5 %. Cette hypothèse de travail permet de faire apparaître la structure de recettes de chaque collectivité. Une collectivité dont le poids des dotations reçues est très important dans ses ressources aura une progression de celles-ci qui évoluera moins vite qu'une collectivité dont les ressources sont principalement constituées par de la fiscalité directe. Toutefois, cette méthode applique un traitement uniforme à l'ensemble des collectivités, et nous sommes bien conscients qu'il existe une forte diversité. Certains territoires se développent et accueillent des bases fiscales de manière plus accélérée que dans la moyenne obtenu par cette méthode. D'autres, au contraire, sont loin d'atteindre les résultats obtenus par nos hypothèses de travail.

Par ailleurs, nous avons travaillé sur un scénario sans recours au levier fiscal. Or, lorsque l'on regarde les comptes des collectivités territoriales par le passé, on observe qu'elles ont toujours maintenu des ratios de solvabilité acceptables, y compris depuis que l'augmentation des dotations de l'État a ralenti grâce à un recours au levier fiscal.

En ce qui concerne les dépenses de gestion, nous sommes partis de l'hypothèse qu'il n'y aurait pas d'efforts particuliers d'économie, ce qui représente une progression de ces dépenses à hauteur de l'inflation majorée de 1 %. Là aussi, certaines collectivités connaissent une évolution des dépenses de gestion plus rapide et d'autres plus lente.

À ce « fil de l'eau », nous avons ensuite appliqué la minoration des dotations. Ce scénario intègre en effet déjà 3 milliards de baisse de dotations de l'État prenant en compte ce qui a déjà été décidé au printemps 2014 : 1,5 milliard d'euros de moins en 2014 et 1,5 milliard de moins pour 2015. Or, entre le scénario au « fil de l'eau » et le scénario prévisionnel, on passe d'une ponction de 3 milliards à 12,5 milliards d'euros.

Une fois ces hypothèses établies, nous leur avons appliqué des mesures correctives. Ainsi, les dépenses de gestion ont été ramenées au niveau de l'inflation, et les investissements ont été réduits. Vous trouverez en annexe du rapport nos principales hypothèses et les conséquences pour les catégories de collectivités. Nous avons travaillé de façon simple, en reconstituant les prélèvements pour l'année 2013, et nous leur avons appliqué proportionnellement la hausse de ce prélèvement sur chacune des catégories de collectivités.

S'agissant des principales hypothèses de recettes, nous avons supposé que les bases des produits de fiscalité directe évoluaient de 1,5 % par an pour ce qui est des bases physiques, avec un coefficient forfaitaire calé sur l'inflation de l'année précédente. Nous avons considéré que la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) augmentait au même rythme que le PIB. Les dotations d'État sont, en revanche, considérées comme figées, à deux exceptions près : nous avons intégré une baisse de la dotation forfaitaire pour les communes un peu plus riches que les autres et nous avons majoré de 10 % la DSU de toutes les communes éligibles à la DSU cible. Dans nos hypothèses, les mécanismes de péréquation horizontale du bloc communal augmentent dans les mêmes proportions que l'enveloppe nationale.

Nous n'avons en revanche pas opéré le même ajustement en ce qui concerne les départements. La taxe intérieure sur les produits pétroliers reste figée tandis que nous avons intégré 1,8 milliard de recettes nouvelles au titre des nouveaux fonds dont ceux-ci ont disposé à partir de 2014 pour financer les allocations individuelles de solidarité.

Pour conclure, je voudrais indiquer que ces simples hypothèses confirment l'existence d'un effet de ciseau. La moyenne de progression des recettes est inférieure à celle de l'inflation moyenne. On constate bien chaque année un différentiel de croissance entre recettes et dépenses de fonctionnement. Lorsque l'on prend ensuite en compte la contribution de 12,5 milliards au redressement des finances publiques, ce différentiel est très fortement démultiplié. Au final, si en 2016-2017 les dépenses de fonctionnement continuent d'évoluer comme par le passé, l'épargne brute disparaîtra.

En ce qui concerne les investissements, nous sommes partis du chiffre de 55 milliards de dépenses en 2013. Nous avons diminué les montants correspondants de 15 % pour le bloc communal parce que 2013 est une année de pic. Mais nous avons maintenu la dépense 2013 des départements et des régions, qui sont sur une pente descendante depuis quelques exercices. Par ailleurs, nous avons supposé que la trésorerie de 31 milliards des collectivités territoriales serait utilisée avant le recours à l'emprunt.

M. Michel Klopfer. - Je précise que nos hypothèses ont été fixées de façon modérément optimiste. Il est important de comprendre que la situation est déjà extrêmement grave, même avec ces hypothèses modérées. Par exemple, les taux d'épargne brute de 2013 sont déjà bien dégradés dans les communes de plus de 10 000 habitants.

Je précise également que les départements sont particulièrement pénalisés par la contrainte des dotations d'amortissement sur les subventions d'équipement et sur les fonds de concours, dont les règles sont particulièrement contraignantes.

Voyons maintenant l'impact sur les taux d'épargne brute de la contribution de 12,5 milliards au redressement des finances publiques. En moyenne, on assiste à une dégradation de ce taux de 15,1 % en 2013 à 8,4 % en 2018, toutes choses égales par ailleurs. Pour atténuer cet impact, nous avons fait l'hypothèse que deux mesures pourraient être prises par les collectivités : la limitation de l'augmentation de leurs dépenses courantes au niveau de l'inflation et la réduction du montant de leurs investissements de 30 % (soit une réduction de 45 % par rapport à 2013 pour le bloc communal). Malgré ces mesures, les taux d'épargne ne remonteraient que faiblement : de 3,5 % à 7,5 % pour les communes de 10 000 à 50 000 habitants, de 4 % à 8 % pour les départements. Ces niveaux de taux d'épargne sont excessivement dégradés.

Quel impact sur la capacité de désendettement ? Celle-ci se dégrade aussi très fortement pour les villes : les communes de plus de 50 000 habitants et celles de 10 000 à 50 000 voient leur capacité de désendettement passer respectivement à 39 ans et 22 ans d'épargne brute pour rembourser leur dette. Les départements atteignent 10 ans. Les mesures correctrices précitées permettraient de revenir à des taux plus convenables.

Mme Céline Bacharan . - Je précise qu'une capacité de désendettement au-delà de 20 ans perd sa signification.

Michel Klopfer . - Au total, plus de 60 % des départements et des communes de plus de 10 000 habitants verraient leur taux d'épargne brute descendre au-dessous de 7 % et leur capacité de désendettement monter au-delà de 15 ans. Après les mesures correctrices envisagées, 40 % de ces collectivités resteraient tout de même dans ces niveaux de ratios très dégradés.

Mme Céline Bacharan . - Je terminerai par deux considérations. Dans de nombreux cas, limiter le rythme d'augmentation des dépenses au niveau de l'inflation ne suffira pas et il faudra donc les baisser en valeur. En outre, la mise en oeuvre des mesures correctrices posera un problème de délai. L'ajustement portera nécessairement sur trois leviers : une baisse des dépenses courantes, une réduction de l'investissement, mais aussi éventuellement une augmentation des impôts. Le délai sera une difficulté supplémentaire car la baisse des dotations de l'Etat se fera sur trois ans, obligeant les collectivités à prendre des mesures qui pourraient avoir un impact rapide.

M. Jean-Marie Bockel, président . - J'ouvre le débat.

M. Jean-Pierre Vial . - J'ai deux questions. La première est relative à la diminution des dépenses d'investissement des collectivités territoriales. J'ai lu qu'elle était déjà significative au niveau européen. La seconde porte sur l'effet de la décision que vient de prendre l'Assemblée nationale de faire en sorte que les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP), auparavant gérés au niveau départemental, soient désormais gérés au niveau national pour bénéficier aux communes bénéficiaires de la dotation de solidarité urbaine (DSU).

M. Michel Klopfer . - Les FDPTP représentent au total 430 millions d'euros. L'idée de les gérer non plus au niveau départemental, mais nationalement avait émergé en 2011, avec l'intention du Gouvernement de l'époque de les verser au fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) créé en 2012, mais cela n'a pas été fait.

Le niveau des FDPTP est très variable suivant les départements, selon que leur territoire comprend ou non des établissements industriels importants, générateurs d'une forte CVAE. La moyenne est de 6 euros par habitant, mais l'écart va de l'absence totale de FDPTP à plus de 70 euros par habitant. Une répartition de ces fonds au niveau national permettrait d'harmoniser le traitement des communes défavorisées n'appartenant pas au même département. En revanche, cela n'aura aucun effet sur la baisse des dotations de l'Etat de 12,5 milliards, puisque seule la répartition des FDPTP sera modifiée et non leur montant global.

M. François Grosdidier . - Votre analyse trace une perspective très pessimiste pour 2018 s'agissant des collectivités territoriales les plus fragiles, c'est-à-dire les villes de plus de 10 000 habitants et les départements ; ces collectivités verraient en effet leur capacité de financement diminuer environ de moitié. Ces données mériteraient d'être croisées avec les perspectives d'évolution quasi-mécanique à la hausse des dépenses de fonctionnement. Dire, comme le fait le Gouvernement, qu'on peut stabiliser ces dépenses à niveau de service constant est mensonger. En effet, les dépenses vont s'accroître, du fait :

- du glissement vieillesse/technicité (GVT), certes gelé pour l'instant, mais qui ne pourra le rester très longtemps ;

- de la croissance prévisible de la TVA, des versements dus à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), ainsi qu'aux ponctions sur les budgets locaux consécutives à la réforme de la protection sociale des élus, dont la contrepartie en termes de prestations est minime ;

- du financement de la réforme des rythmes scolaires, qui sont devenus quasi-obligatoires depuis la décision du 10 octobre 2014 du tribunal administratif de Marseille, même si le Gouvernement pérennise son fonds d'amorçage, qui deviendrait un fonds de compensation partiel ;

-et enfin, la mise aux normes requise par l'accessibilité des bâtiments accueillant du public, évaluée à 1 milliard d'euros par an.

M. Louis Pinton. - Ce diagnostic est en effet inquiétant, et il faudra envisager différents remèdes car nos concitoyens sont surtout sensibles aux résultats de notre gestion. Pour ma part, j'estime que les dépenses de fonctionnement sont loin d'être incompressibles, et que leur croissance constante n'est pas une fatalité. On constate des différences considérables entre les départements en matière de frais de fonctionnement par habitant. Je prendrai l'exemple d'un département rural que je connais, et qui emploie 1 000 pompiers volontaires, gérés par 26 personnels administratifs. Un département voisin, petit, pauvre et peu peuplé, dispose de 52 personnels administratifs pour gérer 600 sapeurs-pompiers volontaires. Il dépense donc quatre fois plus pour faire fonctionner son SDIS, alors que ses responsables ne cessent de se plaindre de leur sort. Cet exemple montre qu'il existe des marges dans les dépenses de fonctionnement, et que ces dernières doivent être surveillées, contrôlées et réduites. J'estime que, dans mon propre département, il est encore possible de réduire ces dépenses d'environ 10 %.

M. Charles Guené, rapporteur. - Les suites de notre rapport consisteront à avancer des propositions concrètes en matière de gestion des finances locales.

M. René Vandierendonck. - J'estime également qu'il existe des marges, comme des disparités, considérables entre collectivités selon la durée du temps de travail, les régimes indemnitaires, etc.

J'observe que, dans mon département, les syndicats sans fiscalité propre regroupent 65 % de l'effectif en ETP des EPCI. C'est pourquoi j'aurais aimé avoir, pour chaque territoire, des ratios permettant une comparaison réaliste.

M. Charles Guené. - J'observe un fort contraste entre les positions de M. Grosdidier et celles des deux autres intervenants.

M. Michel Klopfer . - Je souhaite répondre aux questions posées par MM. François Grosdidier, Louis Pinton et René Vandierendonck. Lorsque nous indiquons, dans un scénario de base, que les dépenses évolueront au rythme de l'inflation + 1 %, y compris en intégrant les allocations individuelles de solidarité comme le revenu de solidarité active, nous prenons en compte le fait que certaines collectivités territoriales réaliseront des économies pour rééquilibrer leurs comptes.

Je souhaite signaler que les hypothèses de croissance des recettes et de maîtrise des dépenses que nous avons retenues sont modérément optimistes.

Mme Céline Bacharan . - Nous avons pu observer, dans notre activité professionnelle, que certains départements étaient parvenus à réduire leurs dépenses de façon significative et durable. J'ignore toutefois si ces économies ont été réalisées à service public constant.

Je ne crois pas qu'il soit possible de rétablir l'équilibre des comptes en ramenant simplement la croissance des dépenses de gestion au rythme de l'inflation : pour ce faire, il faudrait également trouver des économies. Le fait est que certaines collectivités en ont déjà réalisé un grand nombre, tandis que d'autres ont encore beaucoup à faire. Certaines collectivités sont en mauvaise santé financière mais ont la possibilité de dégager des économies, alors que d'autres affichent une bonne santé financière mais disposent de peu de marges de manoeuvre. La possibilité pour une collectivité de dégager des économies n'est pas nécessairement liée à sa situation financière.

Un autre point concerne le délai de mise en oeuvre de ces économies. Celles-ci devront être réalisées sur trois années. La question est la suivante : quelles collectivités pourront suivre ce rythme de réduction des dépenses ? Quand bien même une collectivité pourrait réduire un poste de dépense ou sa dépense globale de 10 à 15 % en 2015, on peut se demander si elle pourrait faire de même en 2016 et en 2017. En effet, les collectivités devront préserver un minimum de capacités financières d'ici à 2018.

Je le répète, le délai de mise en oeuvre des économies constitue la principale difficulté que nous observons. Certes, les collectivités territoriales ont la maîtrise de leurs dépenses courantes, cependant certaines d'entre elles auront du mal à réduire leurs dépenses aussi rapidement. Dans le bloc communal et, dans une moindre mesure, dans les départements et les régions, les économies ne pourront concerner que les exercices 2016 et 2017, les projets de budget pour l'année 2015 devant être arrêtés dans deux mois.

Il ne s'agit pas de dire qu'il n'y a pas d'économies possibles. La question est plutôt de savoir si ces économies seront réalisées, d'une part, à service public constant et, d'autre part, dans les délais impartis.

M. Charles Guené, rapporteur. - Je note que vous avez, dans vos projections, raisonnablement tenu compte de la hausse des dépenses de fonctionnement.

M. Michel Klopfer . - Malgré un scenario très raisonnable, notamment quant à l'hypothèse d'évolution des dépenses, la situation financière des collectivités territoriales explose. Je crois que c'est le message qu'il faut retenir.

En ce qui concerne les délais, je me souviens avoir travaillé pour des communes du sud de la France dans le cadre de plans de redressement au début des années 1990. Les décisions budgétaires prises par les conseils municipaux devaient être imminentes. En effet, si rien n'était fait dans les quinze jours, le préfet pouvait refuser le budget. Ce que nous essayons d'expliquer aujourd'hui à l'ensemble des conseils municipaux, c'est que des décisions sont à prendre très rapidement car, même si la dégradation financière n'a lieu qu'à l'horizon 2018, la réalisation d'économies est d'autant plus aisée qu'elle est précoce.

M. Charles Guené, président . - M. Jean-Marie Bockel a dû s'absenter, il m'a demandé d'assurer la présidence de la suite de la réunion.

M. Philippe Dallier, rapporteur. - L'intérêt de cette étude est de porter sur plus de 38 000 collectivités territoriales. Certes, pour chaque type de collectivité, il existera toujours de très bons et de très mauvais exemples. Ce qui importe ici, c'est la vision d'ensemble ainsi que l'évolution de la situation financière des collectivités territoriales. La conclusion est une dégradation sans précédent.

L'enseignement de cette étude chiffrée est très clair : les collectivités territoriales, à tout le moins une grande partie d'entre elles, vont se retrouver dans une situation d'impasse. Encore une fois, il nous faut garder à l'esprit que les projections retenues ne sont pas très pessimistes, et que la dégradation des finances locales pourrait être pire qu'annoncée. C'est le message que nous souhaitons faire passer au Gouvernement, et j'espère qu'il l'entendra.

Par ailleurs, la baisse des dotations n'entraînera pas seulement une baisse de 30 % de l'investissement local mais également une hausse de la fiscalité locale, alors que l'on promet qu'il n'y aura pas d'augmentation d'impôts à partir de 2015. L'augmentation des impôts locaux est le corollaire assuré de la baisse des dotations.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il est des messages que nos collègues élus locaux doivent entendre. La baisse des dotations équivaut à une baisse générale des recettes de 6 %, qui devra nécessairement être prise en compte lors des trois exercices à venir. Le diagnostic que nous avons établi est important, car il permet de savoir de quels maux souffrent les finances locales.

Un autre élément doit être pris en considération : la brutalité du choc. Un traitement nécessite du temps. Or, dans notre cas de figure, les décisions ne pourront pas être prises aussi rapidement. Je crois qu'il nous faut être conscient de cette réalité.

M. Charles Guené, président. - Je souhaite remercier le cabinet Michel Klopfer pour cette étude. Je consulte à présent la délégation sur l'adoption de ce rapport d'étape.

Le rapport est adopté.


* 1 Pour mémoire, les 11 milliards annoncés par le Premier ministre pour 2015-2017 se substituent à la baisse de la DGF de 1,5 milliard initialement annoncée pour 2015, à l'instar de ce qui s'était produit en 2014.

* 2 Les finances publiques locales, rapport public thématique de la Cour des comptes (octobre 2014) .

* 3 +3,4% entre 2011 et 2012 et +2,9% entre 2012 et 2013. Au cours de cette dernière année, les charges de personnels et les achats de biens et de services qui représentent à elles deux plus de la moitié des dépenses de fonctionnement ont ainsi cru respectivement de 3,1% et de 3%.

* 4 +1,9% entre 2011 et 2012 et +1,6% entre 2012 et 2013.

* 5 L'épargne brute ou capacité d'autofinancement se définit en effet comme la différence entre les recettes et les dépenses réelles de fonctionnement.

* 6 -4,9% entre 2011 et 2012 et -5,3% entre 2012 et 2013.

* 7 Mise en place d'une enveloppe normée des dotations en 2008 et gel d'une grande partie de cette dernière à partir de 2011.

* 8 L'investissement communal et intercommunal affiche une hausse record en 2013 (année préélectorale). Cette année doit dès lors être considérée comme présentant un caractère exceptionnel pour les investissements communaux, ce dont il a été tenu compte dans les projections pour l'avenir (cf. I.B)

* 9 Cf. Annexe II.

* 10 La durée de 15 ans est en effet prise pour référence, dans la mesure où l'on considère qu'il s'agit de la durée de vie moyenne des équipements.

* 11 Pour mémoire, l'article 13 de la loi de programmation des finances publiques pour 2012-2017 prévoyait de réduire l'enveloppe normée de 750 millions d'euros en 2014 et 2015. Le Gouvernement avait annoncé, dès février 2013, un doublement de cet effort, soit 1,5 milliard d'euros par an en 2014 et 2015. Cet effort supplémentaire correspondait alors à la participation demandée aux collectivités locales pour le financement du pacte de compétitivité reposant notamment sur 10 milliards d'euros d'économies budgétaires.

* 12 Et du prélèvement de 1,5 milliard de dotation en 2014.

* 13 2018 sera en effet la première année de « retour à la normale » intégrant complètement l'impact de la période 2015-2017.

* 14 C'est-à-dire projetant l'évolution qui était prévisible avant l'annonce de la baisse de 11 milliards.

* 15 Annexe II.

* 16 Nous avons considéré que les taux des impôts n'augmentaient pas dans la mesure où l'objectif était précisément de mesurer l'effet sur la détérioration des finances locales de la poursuite de la tendance actuelle si rien n'était fait.

* 17 Les prévisions d'inflation retenues ont par commodité été celles du projet de loi de programmation de finances publiques 2014-2019, soit : 0,5% en 2014, 0,9% en 2015, 1,4% en 2016 et 1,75% pour 2017 et 2018.

* 18 Là aussi, prévision du projet de loi de programmations des finances publiques 2014-2019.

* 19 Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC).

* 20 Fonds de solidarité entre les communes de la région d'Ile-de-France.

* 21 Droits de mutation à titre onéreux.

* 22 Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques.

* 23 Il s'agit notamment de la hausse du taux des DMTO dont le président de la République a annoncé le 6 novembre 2014 qu'elle serait pérennisée au-delà de 2016.

* 24 Hypothèse d'évolution tendancielle des dépenses des APUL en volume citée par la Cour des comptes dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2014 (page 125).

* 25 Cette année marque en effet un pic tout à fait exceptionnel, de 12% supérieur à la moyenne des quatre années précédentes.

* 26 Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles.

* 27 Projet de loi sur la nouvelle organisation territoriale de la République adopté en Conseil des ministres le 18 juin dernier.

* 28 La délégation reviendra sur ces différences de situation dans le deuxième temps de ses travaux.

* 29 Masse considérable d'informations que la délégation s'est procurée auprès du ministère des Finances et des Comptes publics.

* 30 Sans tenir compte de l'augmentation de la « contribution » de 11 milliards.

* 31 Les 12,5 milliards de baisse sont donc répartis comme suit : - 1,5 milliard en 2014, - 5,2 milliards en 2015 par rapport à 2013, - 8,9 milliards en 2016 et - 12,5 milliards en 2017, toujours par rapport à 2013.

* 32 Vos rapporteurs regrettent qu'il ait fallu attendre mi-septembre, soit quelques jours avant le dépôt du projet de loi de finances pour 2015, pour que cette question soit tranchée et que la répartition de la contribution 2015-2017 puisse donc être connue.

* 33 Dotation de solidarité urbaine.

* 34 Dotation de solidarité rurale.

* 35 Hors fiscalité transférée.

* 36 Base 2004.

* 37 59,14 en base 2003.

* 38 Année à partir de laquelle un certain nombre de dotations constituant une enveloppe dite « normée » de plus de 50 milliards ont été gelées en valeur.

* 39 Pour mémoire, les tableaux notés « Avant » traduisent le scénario « au fil de l'eau ».

* 40 Soit 546 sur 893.

* 41 Dette représentant plus de 15 ans d'épargne brute.

* 42 Cf. page 43 de l'étude jointe en annexe II).

* 43 Epargne brute + cessions + dotations.

* 44 Nota : les projections de notre étude portent sur des prévisions de réalisations budgétaires effectives (en fin d'exercice) et non sur le solde apparaissant dans le budget primitif lors de son vote (en début d'exercice). Certes, seul ce dernier est soumis à l'obligation légale d'affichage de l'équilibre budgétaire, mais on peut difficilement être en double déficit pendant plusieurs exercices sans que cela ne finisse par se traduire dans les budgets primitifs adoptés.

* 45 Pour mémoire, nous avions considéré qu'au fil de l'eau, les dépenses évoluaient au rythme de l'inflation +1%.

* 46 Pour les communes de 500 à 2 000 habitants, il `agit par exemple des deux tableaux de droite page 41 de l'étude.

* 47 Cf. tableau en haut à droite page 48 de l'étude.

* 48 Cf. tableau en haut à gauche page 51 de l'étude.

* 49 Puisqu'elles l`auraient déjà utilisé.

* 50 Qui n'est autre, rappelons-le, que le solde de la section de fonctionnement.

* 51 +12% de la moyenne de quatre années précédentes.

* 52 1,5 milliard en 2014 + 1,5 milliard en 2015.

* 53 L'envol de la durée de désendettement des grandes villes s'explique par la faiblesse excessive du niveau d'épargne brute (moins de 5 % des recettes). Au-delà de 15-20 ans, la progression du ratio est exponentielle et finalement peu significative, et il est peu ou prou équivalent d'afficher 30 ou 40 ans de capacité de désendettement.

* 54 Malgré l'effet de levier très fortement négatif exercé par la baisse de l'épargne brute.

* 55 Étant entendu en outre que la contribution au redressement ne se traduira par une réduction du déficit public national que si les collectivités ne la compensent pas par le recours à l'emprunt.

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