C. LA TENDANCE À L'HYPERCONSOMMATION : LA FABRIQUE DU CONSOMMATEUR

1. Une industrie caractérisée par un fort renouvellement des jouets

Ainsi que l'a fait observer Michel Moggio lors de son audition du 20 novembre 2014, l'industrie du jouet est caractérisée par un fort renouvellement : un million de jouets sont ainsi présentés chaque année au salon de Nuremberg ; un magasin spécialisé peut détenir jusqu'à 20.000 références .

La technologie est en effet, comme l'a relevé Michel Moggio, un aspect important de l'industrie du jouet. Les fabricants travaillent avec des équipes de développement internes, mais de nombreux inventeurs travaillent sur des concepts intellectuels (jeux de société) ou technologiques (toupie customisée ou balle rebondissante), qui sont ensuite édités. Une « communauté d'inventeurs professionnels ou amateurs » sollicite ainsi les industriels du jouet pour leur proposer leurs concepts.

L'innovation joue un rôle très important dans ce marché - chaque année, un jouet sur deux est nouveau - malgré la permanence de certains jeux comme le Monopoly ou, plus récemment, les Lego. En effet, les nouveaux jouets sont souvent fondés sur une actualisation d'anciens succès qui inspirent le développement de nouvelles lignes de produits.

2. La séparation des jouets pour filles et des jouets pour garçons : diviser pour mieux vendre

Ainsi que l'a relevé Mona Zegaï au cours de la table ronde du 20 novembre 2014, la séparation des univers de jouets pour filles et de jouets pour garçons , accrue par le recours aux codes couleurs roses et bleus, permet de démultiplier la demande de jouets et jeux , car cette séparation entre jouets pour filles et jouets pour garçons liée aux codes couleur permet de vendre plus de jouets, ces produits ne pouvant plus se transmettre entre les filles et les garçons d'une même fratrie. La séparation des sexes conforte donc la tendance à l'hyperconsommation.

L'intérêt de la séparation des jouets pour filles et pour garçons pour les industries du jouet a été relevé précédemment à partir de l'exemple des vélos roses : il est d'encourager la surconsommation même si, d'après le directeur général de la Fédération française des industries Jouet- Puériculture, entendu le 20 novembre 2014, les jouets mixtes représentent un courant d'affaires supérieur à un jouet spécifiquement destiné à l'un ou l'autre sexe.

La croissance du marché du jouet est de 2,3 % chaque année, ont indiqué Jean Kimpe et Franck Mathais lors de leur audition du 4 décembre 2014 : cette évolution favorable semble liée à la segmentation des jouets entre le sexe de l'enfant auquel il est destiné.

Ainsi que l'a fait observer Brigitte Grésy devant la délégation le 27 novembre 2014, il existe en effet une asymétrie entre les jouets pour filles et les jouets pour garçons : s'il est admis que les filles jouent avec des jouets considérés comme des jouets pour garçons et si le bleu peut être admissible pour les filles, l'inverse n'est pas vrai et le rose n'est pas acceptable pour les garçons, de même que les poupées, dînettes et kits de ménage n'attirent pas les garçons.

La même remarque vaut pour les vêtements d'enfants , qui aujourd'hui ne peuvent plus être utilisés par les filles et les garçons d'une même fratrie, ce qui n'était pas vrai à l'époque des vêtements « unisexes ».

Acheter un vélo rose pour la fille aînée impliquera donc, si naît ensuite un garçon, de racheter un vélo pour celui-ci tant la couleur rose est inacceptable pour un garçon aujourd'hui. C'est pourquoi la société Playmobil 17 ( * ) tient à son image de jouets pour garçons (ceux-ci représentent 60 % des utilisateurs) : un jouet considéré comme destiné aux garçons peut attirer aussi les filles, un jouet pour filles, en revanche, ne sera pas convoité par les garçons.

3. L'expansion insidieuse d'un idéal de consommation auprès des enfants

Mais l'influence des jouets sur la consommation peut aussi être plus sournoise, à travers leur contribution à la généralisation auprès des enfants d'un idéal de consommation .

Ainsi les gammes pour filles de Playmobil et de Lego proposent aux filles grands magasins et centres commerciaux où commerces, restaurants et instituts de beauté permettent des scénarios divers « entre copines ». « Et si on allait essayer de nouvelles robes ? » proposent les pages du catalogue Playmobil « City Life » consacrées à un grand magasin, où un distributeur à billets permet aux clientes (qui sont toutes des femmes...) de disposer de moyens de paiement pour acheter des robes, y compris de mariées, des sacs à main, des articles de sport et des glaces.

L'idéal de loisirs que véhiculent les jouets destinés aux filles est donc lié à deux activités très stéréotypées : le shopping et les soins esthétiques, qui passent l'un et l'autre par des dépenses importantes (Toutes les futures consommatrices pourront-elles se les permettre plus tard ?) et attribuent une importance disproportionnée à l'apparence.

4. La question de la soutenabilité écologique de ce modèle

Lors de la table-ronde du 20 novembre 2014, notre collègue Corinne Bouchoux s'est interrogée sur la possibilité de promouvoir avec les pays en développement des initiatives permettant de recycler la quantité énorme de jouets échangés sur le marché des pays occidentaux. Elle a fait état d'un jumelage avec Bamako qui avait encouragé un partenariat sur plusieurs thématiques, dont les jeux et les jouets, impliquant des échanges de pratiques dans ce domaine. Elle a noté qu'à Bamako, où les jouets sont rares, il n'y existe pas de notion de jouets pour filles ou pour garçons. Ce constat semble d'une importance significative et autorise une réflexion sur l'évolution de notre modèle de consommation. Dans cette hypothèse, le recyclage permettrait en outre de valoriser les valeurs de coopération et de créativité, ce que les fabricants pourraient favoriser.

Lors de notre réunion du 11 décembre 2014, Corinne Bouchoux a également fait valoir que les jouets pourraient être réutilisés dans des circuits parallèles tels que ceux de l'économie circulaire ou de l'économie sociale et solidaire : ce point est évoqué avec les recommandations de la délégation.


* 17 « Le Playmobil est-il « no sex » ? », Libération du 21 novembre 2014.

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