Rapport d'information n° 538 (2014-2015) de MM. Thani MOHAMED SOILIHI , Joël GUERRIAU , Serge LARCHER et Georges PATIENT , fait au nom de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, déposé le 18 juin 2015

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N° 538

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer (1) sur :

Domaines public et privé de l' État outre-mer ,
30 propositions pour mettre fin à une gestion jalouse et stérile ,

Par M. Thani MOHAMED SOILIHI

Rapporteur coordonnateur,

MM. Joël GUERRIAU, Serge LARCHER et Georges PATIENT,

Rapporteurs.

(1) Cette délégation est composée de : M. Michel Magras, président ; Mme Aline Archimbaud, M. Guillaume Arnell, Mmes Éliane Assassi, Karine Claireaux, MM. Éric Doligé, Michel Fontaine, Pierre Frogier, Joël Guerriau, Antoine Karam, Thani Mohamed Soilihi, vice-présidents ; M. Jérôme Bignon, Mme Odette Herviaux, MM. Robert Laufoaulu, Gilbert Roger, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jean Bizet, Mme Agnès Canayer, MM. Joseph Castelli, Jacques Cornano, Félix Desplan, Alain Fouché, Jean-Paul Fournier, Jean-Marc Gabouty, Jacques Gillot, Daniel Gremillet, Jean-Jacques Hyest, Mme Gisèle Jourda, MM. Serge Larcher, Nuihau Laurey, Jean-François Longeot, Vivette Lopez, Jeanny Lorgeoux, Georges Patient, Stéphane Ravier, Charles Revet, Didier Robert, Abdourahamane Soilihi, Mme Lana Tetuani, MM. Hilarion Vendegou, Paul Vergès et Michel Vergoz.

SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION

Lors de sa réunion du 9 décembre 2014, la délégation sénatoriale à l'outre-mer, présidée par M. Michel MAGRAS (Saint-Barthélemy - Les Républicains) a inscrit à son programme de travail et retenu la question foncière comme sujet d'étude transversal. Cette problématique, très prégnante dans l'ensemble des outre-mer, constitue en effet l'un des verrous majeurs du développement économique et social des territoires.

Le premier volet de l'étude triennale sur la question foncière est consacré au domaine public et privé de l'État. Le rapport de MM. Thani MOHAMED SOILIHI (Mayotte - Socialiste et républicain), Joël GUERRIAU (Loire-Atlantique - UDI-UC), Serge LARCHER (Martinique - Socialiste et républicain) et Georges PATIENT (Guyane - Socialiste et républicain), adopté le 18 juin 2015, livre la première radiographie transversale de la gestion domaniale dans l'ensemble des outre-mer, de ses failles et des opportunités jusqu'à présent ignorées. Des constats dressés, ils ont tiré une série de recommandations opérationnelles visant à améliorer la protection du domaine, à avancer dans la résolution du dossier de la zone des cinquante pas géométriques (ZPG) et à jeter les bases d'un nouvel équilibre des responsabilités entre l'État et les collectivités territoriales pour transformer le verrou foncier en levier de développement.

I. - Stratégie, organisation et gestion

Le domaine ultramarin de l'État se laisse très difficilement appréhender car il présente une mosaïque de biens très divers, soumis à des régimes juridiques éparpillés, enchevêtrés, exorbitants et illisibles. À titre de repères, le domaine représente environ 13,5 % de la superficie de la Martinique, 37,5 % de celle de La Réunion et jusqu'à 95,2 % de celle de la Guyane. Sa gestion pâtit d'une absence criante de pilotage et de moyens trop restreints.

A - Concevoir une stratégie foncière de l'État en outre-mer

1. Réaliser un inventaire exhaustif à jour des biens appartenant au domaine de l'État.

2. Définir une doctrine au niveau national sur le domaine outre-mer : quels biens de l'État pour servir quelles fins ?

3. Décliner cette doctrine dans des stratégies régionales négociées avec les collectivités territoriales et conformes aux orientations des schémas d'aménagement régionaux (SAR).

B - Consolider les capacités d'action des services de l'État

4. Renforcer les moyens humains et financiers des services de l'État en charge de la gestion du domaine.

5. Après audit, moderniser les systèmes d'information utilisés par les services de l'État et assurer leur interconnexion.

C - Clarifier le droit domanial applicable dans les outre-mer

6. Éliminer certains archaïsmes du droit domanial des outre-mer, notamment à Mayotte.

7. Fondre les dispositifs juridiques régissant la gestion du domaine outre-mer qui doublonnent ou se chevauchent pour gagner en clarté et en lisibilité.

II. - Traitement de la ZPG

La géographie et l'histoire ont conjugué leurs effets pour faire diverger la situation de la zone des cinquante pas géométriques dans les différentes collectivités ultramarines. La sécurisation juridique de la bande littorale passe par le recentrage de l'État sur la protection des espaces naturels et la définition d'un cadre de transfert des espaces urbanisés aux collectivités territoriales. C'est ainsi que la lutte contre le mitage et la privatisation du rivage pourra regagner en efficacité et que les procédures de régularisation des occupations sans titre pourront être régénérées.

A - Assurer un règlement définitif du cas antillais : préparer un transfert ordonné de la ZPG aux collectivités

8. Actualiser la délimitation des zones urbanisées et naturelles dans la ZPG.

9. Achever le transfert de l'ensemble des parties naturelles de la ZPG à des établissements publics spécialisés comme le Conservatoire du littoral.

10. Transférer aux Antilles les zones urbanisées et semi-urbanisées gérées par les agences à la région de Guadeloupe et à la collectivité unique de Martinique, dans un cadre négocié.

11. Recentrer les agences, pendant la période transitoire, sur la régularisation des occupations et le titrement en limitant les opérations d'aménagement à l'achèvement des travaux d'équipement en cours.

B - Prévoir un suivi au cas par cas de la ZPG dans l'ensemble des collectivités concernées

12. Rester vigilant à La Réunion et traiter sans délai le problème émergent de la ZPG en Guyane.

13. Assurer à Mayotte la mise en place opérationnelle de l'établissement public foncier d'État en préservant un équilibre entre ses missions foncières et d'aménagement.

14. Finaliser le transfert de propriété à Saint-Martin.

15. Dans toutes les collectivités concernées par un transfert massif de propriété domaniale, assurer un accompagnement transitoire par l'État sous forme d'une commission consultative mixte réunissant des représentants de ses services et des collectivités.

C - Prévenir les effets d'aubaine lors des régularisations sur la ZPG

16. Revoir les modalités d'estimation par les services locaux du domaine du prix des cessions-régularisations dans la ZPG, en prévoyant si nécessaire une compensation par la hausse de l'aide aux occupants les plus défavorisés.

17. Introduire un mécanisme de taxation exceptionnelle de la plus-value immobilière en cas de revente de terrains régularisés pour lutter contre la spéculation.

III. - Protection du domaine

Le constat préoccupant de la multiplication des occupations sans droit ni titre du domaine tant public que privé appelle une remobilisation des services de l'État afin de pallier les lacunes manifestes dans la protection d'espaces présentant un intérêt stratégique pour le développement économique des outre-mer.

A - Activer toutes les ressources juridiques de sanction des atteintes au domaine public maritime

18. Assurer la circulation rapide d'information entre les maires et la préfecture en cas d'occupation ou de début de construction.

19. Poursuivre les procédures de contravention de grande voirie jusqu'à leur exécution effective sous astreinte.

20. Exploiter la faculté de saisir et de détruire les matériaux servant à des constructions illégales sur le domaine public maritime, en s'assurant que tous les services préfectoraux disposent des moyens matériels d'y procéder.

21. Cibler la destruction d'immeubles ou d'installations ayant valeur d'exemple pour restaurer la crédibilité entamée des pouvoirs de police de l'État.

B - Renforcer l'arsenal pénal de protection du domaine privé de l'État

22. Étudier l'opportunité de définir un délit spécial d'occupation d'immeubles du domaine privé bâti de l'État calqué sur le régime de sanction des violations de domicile

23. Envisager la création d'une procédure d'expulsion administrative simplifiée sur le modèle de la loi instaurant le droit au logement opposable de 2007

IV. - Refonte du système forestier

La mobilisation du foncier d'État est contrariée par des logiques de conservation stricte des écosystèmes et ne sert pas suffisamment le développement des outre-mer. La définition d'un nouveau partage entre l'État et les collectivités sur les forêts ultramarines doit conduire à la libération de terrains du domaine forestier permanent et à l'accroissement des ressources revenant aux communes.

A- Proposer une nouvelle architecture propre à la Guyane pour libérer du foncier d'État au service du développement local

24. Accélérer les procédures de cession gratuite ou onéreuse de terrains du domaine privé.

25. Repousser vers l'intérieur des terres les limites du domaine forestier permanent et transférer le foncier libéré à la collectivité unique de Guyane, charge à elle de le rétrocéder aux communes, aux acteurs économiques et aux particuliers en fonction des demandes et des orientations du SAR.

26. Préparer la transformation du reste du domaine forestier permanent restant en forêt collectivo-domaniale avec nue-propriété à la collectivité unique et droit d'usage à l'État.

B - Accroître les revenus tirés de la forêt par les communes

27. Faciliter la constitution de forêts communales prises sur le domaine en prévoyant une exonération temporaire des frais de garde dus à l'ONF

28. Fiscaliser les forêts d'État exploitées en Guyane en faisant s'acquitter l'ONF de la taxe foncière sur les propriétés non bâties

C - Trouver un compromis stable et pérenne entre les parcs nationaux, l'ONF et les collectivités territoriales

29. Trouver un schéma équilibré de partage des responsabilités entre l'ONF et les parcs nationaux, notamment à La Réunion.

30. Dans les zones gérées par les parcs nationaux, garantir le maintien d'activités traditionnelles de la population et préserver les capacités de développement des communes en envisageant des modifications des schémas miniers et des schémas de développement des carrières, sans compromettre la vocation même des parcs.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Lors de sa réunion du 9 décembre 2014, la délégation sénatoriale à l'outre-mer a arrêté son programme de travail et retenu la question foncière comme sujet d'étude transversal. Cette problématique concerne en effet l' ensemble des outre-mer et constitue l'un des verrous majeurs du développement économique et social des territoires. Sans avancée sur le traitement de la question foncière, il n'y aura pas de progrès à attendre en matière de logement, de transports, d'équipements collectifs, de soutien à l'agriculture et aux entreprises, puisque toutes ces politiques sont conditionnées par la disponibilité et l'aménagement du foncier.

Ce problème si aigu dans les territoires ultramarins est rendu particulièrement complexe par l'empilement et l'enchevêtrement de règles dérogatoires, la prise en compte de la coutume, les insuffisances du cadastre, les carences du titrement et le poids historique d'un État propriétaire. Les situations pratiques et le droit applicable varient très fortement outre-mer d'une collectivité à une autre, même si les « affaires de terre » les concernent toutes profondément.

Pourtant, malgré l'ancienneté et la prégnance de ces problématiques, il n'existe aucune étude globale prenant en compte l'ensemble des aspects du problème dans la totalité des territoires ultramarins ; les études ponctuelles et les monographies ciblées sont également rares.

Il est temps de démêler l'écheveau normatif, d'apporter de la clarté et de dégager des solutions opérationnelles adaptées aux réalités diverses de l'outre-mer. C'est ce qu'a entrepris la délégation sénatoriale.

Devant la complexité et l'ampleur de la tâche, il a été fait le choix de la segmenter en trois volets, qui seront présentés au cours des trois années de la mandature. Le premier volet, couvert par le présent rapport, est consacré à la gestion du domaine public et privé de l'État. Le deuxième portera sur les maux de la propriété foncière privée, et en particulier les problématiques de titrement, d'indivision successorale, de cadastre et de publicité foncière. Le troisième traitera des politiques d'aménagement en évoquant les conflits d'usage, les outils fonciers, les instruments de planification et les documents d'urbanisme. La question foncière sera ainsi examinée successivement à travers le prisme de chacune des parties prenantes : l'État, les personnes individuelles et les collectivités territoriales.

Commencer par l'étude de la gestion du domaine s'imposait parce qu'elle couvre les espaces à la fois très vastes et très stratégiques pour les outre-mer que sont le littoral et les forêts . Or, la légitimité comme l'efficacité de l'action de l'État sont contestées localement.

L'épineuse question des régularisations dans la zone des cinquante pas géométriques, vestige archaïque de la période coloniale, attend toujours sa solution définitive. Les occupations sans droit ni titre des espaces naturels et des immeubles désaffectés se poursuivent inlassablement. La mobilisation du foncier d'État pour le logement, les grands équipements et l'agriculture tarde à produire des effets. Le point d'équilibre entre le développement économique et la protection de l'environnement, les deux objectifs auxquels la gestion du domaine de l'État doit tendre, n'est pas encore atteint.

Tous ces problèmes sont connus, parfois rebattus, toujours irrésolus. Ils n'ont jamais été analysés simultanément sur l'ensemble des collectivités ultramarines afin d'en discerner les causes profondes communes et de sérier les facteurs de différenciation propres à chaque territoire. C'est l'ambition du présent rapport de livrer la première radiographie transversale et synthétique de la gestion domaniale dans les outre-mer .

À l'appui de son diagnostic, la délégation sénatoriale a bénéficié de la compétence et de la disponibilité des nombreux experts et services de l'État qu'elle a auditionnés à Paris et lors de son déplacement en Guyane, en Martinique et à Saint-Martin. Elle a également pris le soin de recueillir des contributions écrites auprès des juridictions civiles et administratives, des préfectures et des directions des finances publiques dans tous les outre-mer. Ces données sont d'autant plus précieuses qu'elles n'avaient, pour l'essentiel, jamais été mises à la disposition du public. Elles nourriront également les prochains volets de l'enquête triennale sur la question foncière.

Les carences manifestes et les tensions persistantes qui affectent la gestion du domaine de l'État outre-mer proviennent d'une conjonction de facteurs défavorables : l'hétérogénéité matérielle des biens, la complexité redoutable du droit domanial, l'éparpillement et le chevauchement des opérateurs, l'empilement des dispositifs dérogatoires, le manque de moyens et l'extrême sensibilité des populations sur le sujet.

Constat encore plus grave, le mal s'enracine dans l'absence de pilotage et de stratégie cohérente de long terme , d'où découlent toutes les solutions temporaires, les atermoiements et les oscillations qui paralysent la gestion domaniale. Sans stratégie, il est impossible de repenser la gouvernance et les modes de gestion, d'affecter des moyens adéquats, de procéder à une libération encadrée et rationalisée du foncier. L'État sait-il lui-même dans quel but il continue de garder tant de biens fonciers dans les outre-mer, au risque de maintenir une forme de tutelle sur les collectivités territoriales ?

Des constats qu'ils ont dressés, vos rapporteurs ont tiré une série de recommandations opérationnelles pour améliorer la protection du domaine, avancer dans la résolution du dossier de la ZPG et jeter les bases d'un nouvel équilibre des responsabilités entre l'État et les collectivités. Pour qu'elles ne restent pas lettre morte et pour sortir l'État de son immobilisme, peut-être de son indifférence, ils ne peuvent que reprendre les exhortations de Démosthène aux Athéniens qui renvoyaient indéfiniment les problèmes au lendemain :

« Si vous persistez dans l'inaction et bornez votre ardeur à des cris et des applaudissements, si vous vous dérobez quand il faut agir, je ne vois pas de discours qui pourrait, sans que vous fassiez votre devoir, sauver la ville. » 1 ( * )

I. UN DOMAINE VASTE ET HÉTÉROGÈNE, RÉGI PAR UN DROIT PLURIEL ET DÉLAISSÉ PAR L'ÉTAT CENTRAL

Le domaine ultramarin de l'État se laisse très difficilement appréhender car il présente une mosaïque de biens très divers, soumis à des régimes juridiques exorbitants du droit commun. Sa gestion pâtit d'une absence de pilotage et de moyens trop restreints .

A. LE KALÉIDOSCOPE DES PROPRIÉTÉS DE L'ÉTAT OUTRE-MER

Manque encore un inventaire exhaustif des propriétés incorporées aux domaines public et privé de l'État dans les outre-mer. Un principe général se dégage néanmoins : l'État conserve un patrimoine immobilier considérable dans les départements d'outre-mer, alors qu'il en a transféré la plus grande partie dans les collectivités régies par l'article 74 de la Constitution.

1. L'impossible « tour du propriétaire »

Toute évaluation de la gestion du domaine de l'État outre-mer inévitablement se heurte à la difficulté d'établir un diagnostic global, tant les types de propriétés et les régimes juridiques paraissent nombreux et disparates . La complexité de l'étude du domaine, déjà patente en métropole, est décuplée outre-mer par un effet de diffraction, reflet de l'hétérogénéité géographique des territoires et de leurs trajectoires historiques.

Une présentation agrégée, globale et synthétique se révèle trop schématique et peu éclairante, tant elle masque les enjeux pour chaque collectivité et biaise l'appréhension des situations. C'est pourquoi vos rapporteurs ont eu comme première tâche d'inventorier les données existantes et de collecter des informations précises sur le foncier d'État dans chacune des collectivités ultramarines auprès des multiples services et opérateurs compétents.

Néanmoins, quelques constats généraux méritent d'être relevés avant d'être affinés selon les collectivités, selon la nature des espaces incorporés au domaine, leur statut juridique et les modalités de leur gestion administrative. Il convient, en particulier, de distinguer au sein du domaine de l'État les biens bâtis et le foncier non bâti, étant entendu que ce dernier n'est pas toujours libre de constructions ou d'occupations illégales.

En superficie, le parc immobilier bâti occupé par l'État et ses opérateurs outre-mer représente 3,7 millions de m 2 de surface utile brute (SUB), soit environ 3 % du parc global , en tenant compte des propriétés situées en France et à l'étranger. Les propriétés bâties de l'État , dont le détail par collectivités ultramarines est présenté dans le tableau ci-après 2 ( * ) , sont dans l'ensemble correctement inventoriées et identifiées, malgré quelques imperfections. Ces immeubles sont essentiellement affectés à l'activité des services de l'État. Ils comprennent des logements pour les magistrats et fonctionnaires de l'État en poste dans les territoires d'outre-mer et dont la résidence habituelle est située hors du territoire dans lequel ils servent. 3 ( * )

En revanche, dans le cas du foncier non bâti , qui représente des surfaces bien plus étendues, les données ne sont pas complètes, ainsi que le reconnaît France Domaine : « la qualité du cadastre outre-mer rendant plus difficile la délimitation des parcelles, base de l'identification physique d'un site immobilier et donc son inscription dans le système d'information immobilier, l'information n'est pas aussi fiable que pour le bâti. » 4 ( * )

Cette carence dans l'inventaire et l'identification des parcelles appartenant à l'État en raison du défaut de fiabilité du cadastre se retrouve dans tous les outre-mer à des degrés divers et tend à croître avec la taille du patrimoine foncier de l'État. De ce point de vue, l'État est un propriétaire comme les autres, puisque les particuliers pâtissent également des fragilités du cadastre et de la conservation des hypothèques, ainsi que l'ont souligné les juridictions civiles et administratives que vos rapporteurs ont consultées.

Le foncier non bâti appartenant outre-mer à l'État est essentiellement constitué d'espaces naturels, notamment de forêts, placés sous différents régimes juridiques, et de la bande littorale . C'est la partie du domaine qui a retenu l'attention de vos rapporteurs puisqu'elle concentre à la fois les enjeux sociaux et économiques les plus importants pour les populations d'outre-mer et les lacunes les plus marquantes dans la réglementation et dans la gestion domaniale.

Répartition du parc immobilier global par département/territoire et par type de composant (SUB par propriétaire en m²) au 31.12.2014

Présenter plus précisément les biens incorporés au domaine de l'État outre-mer demande, pour la clarté de l'exposé et avant même d'entrer dans le détail des règles juridiques particulières qui le régissent, de procéder successivement à plusieurs distinctions :

- entre les collectivités selon qu'elles relèvent de l'article 73 ou de l'article 74 de la Constitution et les autres, ces dernières bénéficiant d'un statut plus autonome ;

- entre le domaine public et le domaine privé ;

- entre les biens qui appartiennent au domaine de l'État en vertu du droit commun, aussi bien dans l'hexagone qu'outre-mer et les biens qui n'appartiennent au domaine de l'État qu'outre-mer par dérogation.

2. Un domaine de l'État aux contours variables avec le degré d'autonomie des collectivités
a) L'État, un acteur pivot de la politique foncière dans les départements et régions d'outre-mer grâce à la possession du littoral et des forêts

Au moment d'examiner la composition matérielle, le régime juridique et les modalités de la gestion administrative des propriétés foncières de l'État outre-mer, il convient de garder à l'esprit que la question domaniale est d'ordre fondamentalement politique, au sens le plus élevé du terme, puisqu'elle touche les conditions d'exercice de la souveraineté, l'usage des prérogatives propres de la puissance publique et l'organisation du service public.

Dans les départements et régions d'outre-mer, aucune politique d'aménagement ou d'urbanisme, de développement économique ou environnementale ne peut se faire sans l'État, considéré non seulement comme la puissance publique régulatrice, mais aussi comme un propriétaire foncier majeur au titre de son domaine public comme de son domaine privé.

Le premier trait frappant du domaine de l'État dans les départements et régions d' outre-mer est son étendue , sans commune mesure avec celle du patrimoine des autres personnes publiques. Selon les territoires, la répartition de la propriété foncière varie toutefois grandement. Pour prendre des points de repère dans trois départements nettement différents, le domaine de l'État représente environ, sous réserve des carences cadastrales et en considérant l'ensemble des régimes juridiques, 13,5 % de la superficie de la Martinique, 37,5 % de celle de La Réunion et jusqu'à 95,2 % de celle de la Guyane . Les biens de l'État ne sont toutefois pas répartis de façon homogène : au sein d'une même collectivité, certaines communes ou intercommunalités sont nettement plus marquées que d'autres par la gestion domaniale. Ainsi, en Martinique, le Nord de l'île au relief montagneux et moins peuplé comprend presque quatre fois plus de terrains appartenant à l'État que le Sud.

Source : Préfecture de la Martinique

Répartition de la propriété foncière en Martinique

Type de propriétaire

Martinique (ha)

%

CCNM 5 ( * )
(ha)

%

CACEM 6 ( * )
(ha)

%

CAESM 7 ( * )
(ha)

%

Personne physique

54 484,4

59,9

25 754,3

51,5

9 351,7

57,2

27 586,5

71,9

Commune

1 867,6

2,1

1 102,0

2,2

622,7

3,8

756,9

2,0

Personne morale privée

16 886,7

18,6

10 222,3

20,5

2 468,8

15,1

6 069,2

15,8

État

12 256,6

13,5

9 580,8

19,2

2 746,3

16,8

1 968,1

5,1

Organisme HLM

393,6

0,4

151,3

0,3

302,4

1,9

159,1

0,4

Propriétaire inconnu

26,5

0,0

19,3

0,0

4,5

0,0

10,3

0,0

Copropriétaire

984,1

1,1

434,4

0,9

308,5

1,9

491,4

1,3

Département

1 743,9

1,9

1 360,5

2,7

293,4

1,8

324,2

0,8

Établissement public

1 729,7

1,9

1 042,9

2,1

90,3

0,6

716,2

1,9

EPCI

146,4

0,2

82,8

0,2

60,3

0,4

42,4

0,1

Région

417,2

0,5

187,1

0,4

32,3

0,2

227,1

0,6

SEM

55,7

0,1

30,1

0,1

55,9

0,3

4,0

0,0

90 992

100,0

49 968

100,0

16 337

100,0

38 355

100,0

Source : Cadastre DGI 2011

Comme en témoigne la carte du foncier en Martinique insérée ci-dessus, l'hypertrophie du domaine de l'État résulte de l'incorporation de deux zones cruciales pour les collectivités ultramarines :

- les forêts qui couvrent l'intérieur des terres, d'une part ;

- la bande littorale, où se concentrent la population, les activités économiques et des équipements structurants, d'autre part.

(1) Le poids particulier des forêts du domaine privé

Une grande partie du foncier de l'État dans les outre-mer est couvert de forêts. Ainsi, à La Réunion , 97 % du domaine de l'État est situé dans l'intérieur montagneux de l'île et constitué de terrains forestiers obéissant à différents régimes.

C'est d'ailleurs l'importance du massif forestier dans ces territoires qui y explique largement l'étendue hors norme du domaine et la répartition des biens de l'État d'une commune à l'autre est corrélée à l'intensité de la couverture forestière.

Par exemple, selon les données de l'ONF, la forêt couvre plus de 8 millions d'hectares soit 96 % du territoire de la Guyane , ce qui correspond à la quasi-intégralité du domaine de l'État. Les collectivités territoriales ne possèdent en moyenne qu'environ 0,3 % de la surface foncière et les personnes privées guère plus de 1,3 %.

Répartition comparée de la propriété foncière
dans plusieurs communes de Guyane 8 ( * )

État
(%)

Collectivités

(%)

Privés
(%)

Total cadastre (ha)

Apatou

93,46

3,78

0,03

215 916

Cayenne

8,86

18,51

42,94

2 874

Mana

93,74

0,07

1,48

659 407

Maripasoula

99,67

0,01

0,03

1 866 502

Matoury

18,86

11,61

60,56

14 342

Saint-Élie

100,00

0,00

0,00

583 119

Saint-Laurent

93,70

0,09

1,26

430 706

GUYANE

95,21

0,29

1,42

8 428 421

Source : Audeg 9 ( * ) , 2015 (données DRFIP 2014)

Les communes de Cayenne et de Matoury dans l'agglomération du Centre littoral se distinguent par une superficie nettement plus faible que les autres communes de Guyane, mais aussi par une forte part de propriétaires privés et un patrimoine des collectivités important. Corrélativement, le foncier d'État y est nettement moins abondant.

En revanche, dans des communes de l'intérieur de la Guyane, comme Saint-Élie ou Maripasoula, le domaine de l'État essentiellement constitué de forêts absorbe quasiment la totalité du foncier, les collectivités comme les personnes privées ne disposant que de surfaces marginales. De même, des communes du Nord-Ouest comme Apatou, Mana ou Saint-Laurent-du-Maroni, soumises à une très forte pression démographique, ne disposent pas de réserve foncière et dépendent d'une libération de foncier au compte-goutte, sur demande adressée aux services de l'État.

Il paraît difficile de mener des politiques d'urbanisme, d'équipements et de développement économique cohérentes sur le moyen et le long terme dans de telles conditions. Desserrer l'étreinte domaniale pour libérer le développement des territoires semble indispensable.

(2) Des composants spécifiques du domaine public ultramarin
(a) La zone des cinquante pas géométriques (ZPG)

Le domaine public maritime naturel appartient à l'État en métropole comme dans les départements d'outre-mer. Défini à l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) qui synthétise les règles élaborées progressivement par la jurisprudence et les textes, il comprend les rivages, les lais et relais, ainsi que le sol et le sous-sol de la mer territoriale.

Toutefois dans les départements d'outre-mer, le domaine public maritime s'étend au-delà du rivage pour englober une bande littorale s'enfonçant vers l'intérieur des terres. La composition du domaine de l'État outre-mer porte, en effet, la marque de la colonisation, dont la zone des cinquante pas géométriques (ZPG) constitue un vestige que la départementalisation n'a pas aboli.

Initialement dénommée réserve domaniale des cinquante pas du Roi, cette zone a été définie au XVII e siècle et intégrée aux biens de la Couronne afin d'assurer la défense des colonies contre toute attaque, en facilitant les fortifications et le passage des troupes, ainsi que leur approvisionnement et l'entretien des navires. Contiguë à la mer, elle présente une largeur de 81,20 mètres à compter de la limite haute du rivage. Cette règle ancienne encore applicable à Mayotte 10 ( * ) et en Guyane rend le tracé de la limite supérieure de la ZPG sensible à l'évolution du trait de côte. Elle est remplacée par une délimitation fixée par l'autorité administrative à La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique. 11 ( * )

D'une importance stratégique essentielle aux Antilles et à Mayotte , tant pour la politique de l'habitat que pour le développement touristique et la préservation de la biodiversité, la ZPG est dotée d'un régime juridique morcelé, complexe et fluctuant qui reflète les difficultés que rencontre l'État depuis des décennies pour assurer le règlement des nombreuses occupations sans titre qui grèvent son domaine.

(b) Les eaux ultramarines

Depuis la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, le régime de propriété des cours d'eau et lacs naturels est identique dans les départements d'outremer et dans l'Hexagone : ils ne font plus partie nécessairement du domaine public de l'État comme par le passé mais ils sont intégrés au domaine public fluvial au sens large, ce qui implique une possibilité de transfert de propriété aux départements qui en font la demande.

En revanche, aux termes de l'article L. 5121-1 du CG3P qui consacre une solution datant de la conquête même des territoires, les sources et les eaux souterraines appartiennent au domaine public de l'État pour des raisons essentiellement liées à la rareté, à la sécheresse des sols et au caractère irrégulier des cours d'eau. C'est ce qui permet d'assujettir les prélèvements d'eau non domestiques à autorisation administrative et au versement d'une redevance. L'abondance de la ressource en Guyane explique une dérogation à cette règle : l'usage à des fins d'irrigation n'y est pas soumis à autorisation. 12 ( * )

La portée de cette particularité des eaux ultramarines ne doit pas être sous-estimée. Dans le droit commun, c'est le lit des rivières et non l'eau elle-même qui fait l'objet d'une propriété publique. En outre, l'incorporation des eaux souterraines au domaine de l'État, quel que soit le propriétaire du foncier, constitue une dérogation à une règle fondamentale du droit civil qui veut que « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous » (art. 552 du code civil).

Certains juristes comme Mme Caroline Chamard-Heim, professeur de droit public à l'Université Lyon III - Jean Moulin, estiment que « c e type de mécanisme devrait même être transposé en France métropolitaine, dès lors que l'eau y deviendra de plus en plus une ressource rare. [...] nous devons protéger les eaux souterraines et les sources pour contrôler les prélèvements. Dans ce cas, le régime strict de la domanialité publique cadre bien avec la rareté de la ressource. L'outre-mer peut ici faire office de précurseur. » 13 ( * )

Il convient toutefois de noter que ce régime des eaux ultramarines ne s'applique pas de la même façon à Mayotte, où les eaux stagnantes et courantes - à l'exception des eaux pluviales même accumulées artificiellement -, les cours d'eau navigables 14 ( * ) , les sources et les eaux naturelles appartiennent non à l'État mais à la collectivité départementale. 15 ( * ) C'est là un exemple non seulement de la complexité systématique du droit domanial ultramarin, pétri de dérogations et d'exceptions , y compris pour la simple définition de la composition du domaine et de la désignation de la personne publique propriétaire, mais aussi plus spécialement du caractère très exorbitant des règles applicables à Mayotte.

La composition hétérogène du domaine de l'État
dans les départements d'outre-mer :

L'exemple de La Réunion

À La Réunion, l'État exerce des droits de propriété sur environ 940 km 2 pour une superficie globale de l'île de 2 510 km 2 . Les estimations de surface doivent être considérées avec prudence et sans prétention à une excessive précision en raison de l'imprécision et des lacunes du cadastre pour les biens non bâtis.

Dans le domaine public de l'État sont identifiés, outre les domaines aéronautique, portuaire et militaire :

- le domaine public maritime, divisé en deux parties : le domaine public maritime naturel de l'État d'environ 250 km de côtes et la bande littorale appelée zone des cinquante pas géométriques (ZPG) d'une largeur allant de 81,20 à 600 m selon l'endroit du rivage et d'une superficie de 20 km² hors forêt ;

- le domaine public fluvial (environ 1800 km de linéaire).

Le domaine privé de l'État comprend :

- les ravines sèches, qui représentent environ 1700 km de linéaire ;

- le domaine forestier littoral situé dans la ZPG (4 km²) ;

- les forêts départemento-domaniales (915 km 2 ) ;

- les bâtiments tertiaires occupés par les services (surface occupée de 154 000 m²) ;

- les logements (surface occupée de 159 000 m²).

Source : préfecture de La Réunion - ONF, 2015

b) Une domanialité résiduelle dans les collectivités à statut d'autonomie
(1) Un indicateur du degré d'autonomie des collectivités

L'étendue et la nature propre des biens du domaine constituent des indices éminents du niveau de maîtrise par l'État du territoire de la collectivité où ils sont situés. Il s'agit au moins d'une maîtrise formelle de jure qui peut être considérablement atténuée en pratique, lorsque l'État se révèle de facto incapable de faire respecter son domaine et de mettre sa gestion au service de l'intérêt général. N'en demeure pas moins le fait que le degré d'autonomie d'une collectivité ultramarine peut se lire directement dans la description des biens restant propriété de l'État.

Ainsi, à Saint-Pierre-et-Miquelon, le domaine public maritime reste propriété de l'État comme dans les cinq départements d'outre-mer, ce qui est cohérent avec le fait qu'il s'agit de la collectivité relevant de l'article 74 qui dispose du plus faible degré d'autonomie. En revanche, à la différence des départements, jamais n'y a été délimitée une zone des cinquante pas géométriques. Les terrains qui y correspondraient relèvent de propriétaires privés ou de la collectivité territoriale. De même, les sources et eaux souterraines à Saint-Pierre-et-Miquelon font partie du domaine public de l'État comme dans les DOM. 16 ( * )

Le domaine de l'État à Saint-Pierre-et-Miquelon

« Les immeubles de l'État, en surface insuffisantes pour les besoins, sont principalement utilisés pour l'installation des différents services ministériels sous le régime des conventions d'utilisation, assorties ou non de loyers budgétaires. L'État prend à bail des bâtiments à usage de bureaux ou de logements.

Le domaine public est surtout constitué par le domaine public maritime et la présence du port de Saint-Pierre qui demeure le dernier port d'État. Les occupations du domaine public maritime sans titre sont assez fréquentes et résultent de coutumes ancestrales.

Les redevances d'occupation, désormais calculées à partir des bases nationales, sont toutefois divisées par environ 5 pour tenir compte des coutumes et de la faible activité économique de l'archipel.

La principale préoccupation domaniale demeure la gestion du Port de Saint-Pierre, sur lequel se trouve d'anciens bâtiments industriels partiellement inutilisés et des constructions nouvelles initiées par la collectivité territoriale, sans parfois que les conditions économiques et juridiques d'utilisation de ces ouvrages aient été fixées suffisamment à l'avance. »

Source : Direction des finances publiques de Saint-Pierre-et-Miquelon, Réponse transmise aux questions de la délégation, mars 2015

(2) Les réserves de souveraineté encadrant le transfert du domaine public de l'État

Ailleurs, le domaine public maritime , très associé à la capacité de l'État à maîtriser un territoire, a été transféré aux collectivités par les différentes lois organiques leur conférant un statut d'autonomie propre. C'est le cas en Nouvelle-Calédonie au profit des trois provinces 17 ( * ) , à Saint-Barthélemy 18 ( * ) et à Saint-Martin 19 ( * ) . De même, la Polynésie française est propriétaire du domaine public maritime. 20 ( * )

Le transfert du domaine ne s'est pas accompagné par un transfert de la compétence d'incorporation de nouvelles dépendances au sein du domaine public maritime naturel. En d'autres termes, contrairement au domaine public artificiel, la constitution du domaine public maritime naturel de chacune de ces collectivités résulte nécessairement d'un transfert de propriété de la part de l'État. De plus, dans la mesure où ce type de transfert peut affecter la souveraineté nationale, il doit être décidé expressément, ainsi que l'a rappelé le Conseil d'État dans son arrêt Province Sud du 19 mai 2000.

Dans le même élan, l'État a transféré aux collectivités la ZPG de Saint-Martin, de Nouvelle-Calédonie et celle des îles Marquises en Polynésie française . Les autres archipels polynésiens (Société, Tuamotu-Gambier et Australes) et Saint-Barthélemy ne connaissaient pas, en revanche, cette institution.

En revanche, certains espaces naturels protégés ont parfois été exclus du transfert du domaine public maritime. Par exemple, la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 n'a pas attribué à la collectivité de Saint-Martin les zones classées en réserve naturelle, le domaine relevant du Conservatoire du littoral, ni la forêt domaniale littorale qui a au contraire été transférée à titre gratuit au Conservatoire.

Dans sa décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996 sur le statut de la Polynésie française, le Conseil constitutionnel a toutefois posé des limites à ces transferts : les transferts de compétence et de biens aux collectivités ultramarines ne peuvent pas « affecter l'exercice de sa souveraineté par l'État ». En outre, les différentes lois organiques portant statut d'autonomie disposent à titre général que le transfert de propriété se fait à l'exception des emprises affectées, à la date de publication de la loi, à l'exercice des compétences de l'État. C'est sur cette base que, par exemple, des terrains portant des casernes de gendarmerie et inclus dans la ZPG des îles Loyauté en Nouvelle-Calédonie n'ont pas été transférés à la province et sont restés incluses dans le domaine public de l'État.

Ainsi, même dans les collectivités les plus autonomes, régies par l'article 74 de la Constitution, l'État conserve des propriétés abritant ses services publics tels que palais de justice, bases militaires, ports autonomes ou encore les aéroports internationaux de Nouméa-La Tontouta et de Tahiti-Faa'a.

(3) La persistance de revendications ponctuelles

Des revendications sur certaines parties du domaine de l'État demeurent formulées par les collectivités pour prolonger et finaliser les premiers transferts.

Il convient de souligner que tout nouveau transfert de compétences entraîne les transferts de biens domaniaux qui sont nécessaires à leur exercice. L'article 57 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 2009 prévoit ainsi pour la Nouvelle-Calédonie que les transferts de compétences prévus par les Accords de Nouméa s'accompagnent automatiquement du transfert gratuit des immeubles. Le dernier acte de transfert de propriété gratuit porte sur l'aérodrome de Magenta suite au transfert de compétence de la circulation aérienne intérieure.

Par ailleurs, le gouvernement de la Polynésie française demande la rétrocession des atolls de Mururoa et Fangataufa sur lesquels se sont déroulés des essais nucléaires et qui demeurent propriétés de l'État.

En sa qualité de juridiction d'appel des tribunaux administratifs de la Polynésie française, de Nouvelle-Calédonie et de Mata-Utu, la Cour administrative d'appel de Paris a également été saisie de trois affaires concernant l'aéroport de Tahiti - Faa'a. Le maire de la commune de Faa'a, M. Oscar Temaru, ancien président de la Polynésie française, contestait notamment la compétence des autorités de l'État en matière aéroportuaire en Polynésie française et l'appartenance de l'aéroport concerné au domaine public de l'État. La Cour a rejeté deux des requêtes en cause pour défaut d'intérêt à agir et la troisième au fond (CAA Paris, Commune de Faa'a , 31 juillet 2013). 21 ( * )

Outre la Polynésie française, on peut citer le cas de Saint-Barthélemy qui demande le transfert du fort Karl et de l'îlet Coco pour la réalisation d'un projet éolien. L'État s'y refuse car le premier est occupé par la gendarmerie et le second constitue une réserve paléontologique majeure 22 ( * ) .

Vos rapporteurs estiment que ces demandes de transfert doivent être examinées au cas par cas et négociées dans la sérénité entre l'État et la collectivité autonome, dans le respect des réserves de souveraineté posées par le Conseil Constitutionnel.

(4) Un transfert inachevé à Saint-Martin, conséquence de la défaillance du cadastre

Si la collectivité de Saint-Martin porte encore des demandes sur le foncier restant à l'État et sur la délimitation du domaine, il est surtout essentiel pour elle de finaliser le transfert effectif qui, huit ans après, n'est pas encore achevé. De nombreuses parcelles sont encore inscrites comme appartenant à l'État en raison d'un retard manifeste dans la mise à jour du cadastre 23 ( * ) , des défaillances d'enregistrement à la conservation des hypothèques et des interprétations divergentes des dispositions de la loi organique. L'affaire de l'ancienne gendarmerie de Concordia illustre une autre facette du problème : voilà un terrain disputé entre l'État et la collectivité, dont on ne parvient pas à savoir avec certitude s'il appartient à l'un ou à l'autre, si les actes anciens retrouvés sont valides et s'il faut le classer dans le domaine public ou le domaine privé.

La situation actuelle est probablement due à la sous-administration chronique dont a longtemps souffert ce territoire et qu'a reconnue le préfet délégué devant vos rapporteurs. La responsable du pôle domanial à la direction des finances publiques de Guadeloupe qui gère aussi Saint-Martin a confirmé le manque cruel de fiabilité qui affecte les fichiers fonciers de l'État et de la collectivité. Elle estime que le lourd travail de mise à jour afin d'assurer une sécurité juridique nécessaire à toute opération ou transaction prendra au moins deux à trois ans.

La cause profonde des difficultés du transfert réside dans l'absence d'un inventaire exhaustif, fiable et à jour des biens de l'État.

Les départements d'outre-mer sont aussi touchés et, au premier rang, Mayotte. Ainsi que l'a indiqué M. Olivier James, directeur régional de l'ONF à La Réunion et responsable des opérations sur l'île de Mayotte : « un état des lieux de la propriété foncière, pour clarifier la situation, est en cours. Nous devons savoir précisément ce qui relève de la propriété domaniale de l'État, du Département et des communes . » 24 ( * ) Sur cette base, des actes d'échanges permettront de clarifier les relations de propriété entre l'État et le conseil général. Pour de nombreux biens, il y a en effet lieu de procéder à une reconstitution de propriété, à cause du grave incendie qui, en 2004 a détruit une partie des archives de la propriété immobilière. Vos rapporteurs appellent à la résorption rapide de toutes les carences d'inventaire du domaine, qui se révèlent très préjudiciables dans toutes les collectivités ultramarines.

B. UN DROIT DOMANIAL FLUCTUANT ENTRE SÉDIMENTATION HISTORIQUE ET TENTATIVES D'ADAPTATION AUX CIRCONSTANCES LOCALES

L'hétérogénéité qui se manifeste dans la composition matérielle du domaine ne suffit pas à expliquer l' extrême éclatement du droit domanial ultramarin . Les dérogations au droit commun sont devenues la règle au point de rendre les normes applicables particulièrement obscures et fluctuantes.

1. Un régime juridique dérogatoire et morcelé
a) Le droit commun de la domanialité

Le domaine public regroupe des propriétés de personnes publiques qui sont affectées soit à l'usage du public, soit à un service public. Les biens qui en font partie sont censés incarner au plus haut point la poursuite de l'intérêt général et sont, à ce titre, protégés par un régime très exorbitant qui assure leur inaliénabilité, leur imprescriptibilité et la précarité des occupations privatives. La cession d'un bien du domaine public nécessite au préalable sa désaffectation et son déclassement.

Domaine public de l'État et domaine public des collectivités

L'appartenance au domaine public de certains biens ne signifie pas nécessairement que leur propriétaire est l'État ; les collectivités territoriales et les établissements publics peuvent disposer d'un domaine public soumis aux mêmes règles et bénéficiant des mêmes protections.

Toutefois, il demeure une asymétrie entre l'État et les autres personnes de droit public en matière domaniale.

Ainsi que le relève Mme Caroline Chamard-Heim, professeur de droit public à l'Université Lyon III-Jean Moulin :

« De manière générale, l'État est assez omnipotent en matière de propriété publique en métropole comme outre-mer. Jusqu'au début du XX e siècle, on considérait que les communes n'étaient pas propriétaires de leurs biens. Encore aujourd'hui, la propriété privée et la propriété des personnes publiques autres que l'État ne bénéficient pas des mêmes protections. Ainsi, l'État ne peut pas exproprier une personne privée sans suivre une procédure très lourde qui demande l'intervention du juge judiciaire, la démonstration de l'utilité publique de l'opération et le versement d'une indemnité juste et préalable. C'est parfaitement cadré par le juge constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme.

Ce n'est absolument pas le cas pour les propriétés publiques. L'État peut à tout moment, par arrêté, prendre l'usage du bien de n'importe quelle commune, construire dessus, décider d'un transfert de propriété d'une commune à une personne physique, sans aucune indemnité. La patrimonialité publique est marquée du sceau de la toute-puissance de l'État, qui est placé au-dessus de toutes les personnes publiques. Le juge constitutionnel a validé ce régime qui ravale la propriété des collectivités à un rang inférieur à celui de la propriété privée. » 25 ( * )

En effet, l'État possède également des biens appartenant à son domaine privé , qui se définit par opposition au domaine public. Schématiquement, il rassemble des biens véhiculant un intérêt général moins important et ne bénéficie pas des protections attachées au domaine public.

L'État est alors plus ou moins assimilé à un propriétaire privé. La délimitation du domaine se fait selon la procédure du bornage, les servitudes du code civil sont applicables et les dommages seront réparés selon les règles de la responsabilité civile. En particulier, les biens du domaine privé ne sont pas inaliénables, ni imprescriptibles, sauf disposition législative expresse contraire et, par conséquent, ils entrent plus facilement dans le commerce juridique. Ils peuvent faire l'objet d'une expropriation.

Toutefois, certaines règles applicables au domaine privé demeurent exorbitantes du droit civil. Les biens qui en font partie sont insaisissables et bénéficient d'une fiscalité dérogatoire. En outre, s'impose l'interdiction des libéralités d'où provient le principe d'incessibilité à vil prix, qui peut être dans certains cas levé au nom de l'intérêt général.

b) Des exceptions ultramarines aux fondements discutables
(1) L'éclatement du droit domanial ultramarin

Avant d'apprécier l'efficacité ou l'inefficacité de la gestion par l'État de son domaine outre-mer, il convient de s'interroger sur la légitimité des normes particulières qui le régissent. Même si les grands principes du droit de la domanialité se retrouvent outre-mer, ils ressortent en effet très souvent criblés de mesures exorbitantes, de dispositifs dérogatoires et de solutions inédites dans l'Hexagone .

Le sujet est rendu particulièrement épineux par le fait qu'aucune collectivité d'outre-mer, tous statuts confondus, n'est véritablement régie par le même droit domanial. On ne peut que constater l'extrême morcèlement du droit applicable au domaine dans les outre-mer. Même entre la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, traditionnellement proches, il existe des différences tenant aux modalités de gestion de la ZPG par une agence d'État en Guadeloupe et en Martinique, d'une part, aux normes spéciales découlant de l'implantation de parc nationaux en Guadeloupe et à La Réunion, d'autre part. Cet éparpillement ne facilite pas la compréhension, la maîtrise et la transposition des solutions pertinentes, y compris au sein des services de l'État.

Tout l'enjeu est de saisir les fondements de ces dérogations , à la fois par rapport au droit commun métropolitain et d'une collectivité d'outre-mer à l'autre, pour en évaluer la pertinence : sont-elles la conséquence d'une juste appréciation des spécificités géographiques et humaines des territoires ou le produit d'une pure sédimentation historique? Faut-il y lire l'effet d'une volonté politique et administrative claire et constante ou le reflet de l'indifférence d'une gestion au fil de l'eau et à la trajectoire incertaine ?

En particulier, on peut s'interroger sur la réalité de l'affectation de certains biens de l'État à l'usage du public ou à un service public, critère fondamental posé dans la définition même du domaine public par l'article L. 2111-1 du CG3P qui reprend une longue jurisprudence. À défaut de mise à disposition directe ou indirecte du public, le domaine de l'État outre-mer apparaîtrait davantage comme un levier d'intervention dont il se réserve l'usage pour soutenir l'application des politiques nationales dans certaines collectivités.

Les particularités de la définition du domaine public de la Polynésie française

Aux termes de l'article L. 2111-1 du CG3P, qui régit le droit commun, appartiennent au domaine public les biens affectés à l'usage direct du public ou bien affectés à un service public pourvu qu'en ce cas, ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public.

En revanche, selon l'article premier de la délibération n° 2004-34 du 12 février 2004 de l'Assemblée de la Polynésie française, applicable dans cette collectivité, le domaine public « comprend toutes les choses qui sont affectées à l'usage du public ou affectées à un service public par la nature même du bien ou par un aménagement spécial, et, par suite, ne sont pas susceptibles de propriété privée. » C'est la transposition de l'ancienne jurisprudence administrative métropolitaine et de l'ancien article L. 2 du code du domaine de l'État. Dans le projet de code de la propriété publique polynésien, encalminé depuis 2011 en raison de la question des biens sans maître, la définition évolue vers le droit commun.

Par ailleurs, de façon dérogatoire aux principes généraux de la domanialité publique, des décisions successives de la collectivité de Polynésie française ont attribué des droits réels aux titulaires d'autorisations d'occupation, y compris sur le domaine public maritime naturel. 26 ( * )

(2) L'inapplicabilité de certaines règles spéciales

Certaines règles relatives à des éléments spéciaux du domaine sont absentes du droit applicable outre-mer, sans toutefois représenter des dérogations majeures, ni bouleverser les grands principes.

Les dérogations dues à l'absence de domaine public ferroviaire ou à l'absence de biens concernés par l'édit de Moulins de 1566, première qualification juridique du domaine public de l'État, ou par la vente des biens nationaux à la Révolution s'expliquent d'elles-mêmes.

Il convient aussi de relever que la loi de séparation des Églises et de l'État du 9 décembre 1905 ne s'applique qu'en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion. Dès lors, les articles du CG3P qui y renvoient ne s'appliquent pas hors de ces trois collectivités. On peut également remarquer qu'est exclue expressément à Saint-Pierre-et-Miquelon l'application de l'article L. 2124-31 du même code relatif aux visites et aux utilisations des édifices du culte donnant lieu au versement d'une redevance domaniale.

Vos rapporteurs constatent, en outre, que ne s'applique pas partout le dispositif de l'article L. 2141-2 autorisant le déclassement anticipé d'un immeuble de l'État affecté à un service public dès le prononcé de la décision de désaffectation, alors que celle-ci ne prendra effet qu'avec retard dans un délai maximal de trois ans. De même, la possibilité, offerte par l'article L. 2141-3, d'échanger, sans désaffectation préalable au déclassement, un bien affecté au service public avec un bien privé, afin d'améliorer les conditions d'exercice de ce service public, est exclue à Saint-Pierre-et-Miquelon comme à Mayotte. Le fondement des exceptions ainsi faites ne paraît pas évident et un rapprochement avec le droit commun devrait être envisagé.

(3) Les forêts départemento-domaniales et les anciens biens des colonies

L'intégration de forêts dans le domaine privé de l'État constitue une solution classique reconnue par la jurisprudence (Conseil d'État, 28 novembre 1975, ONF c/ Abamonte ) et reprise à l'article L. 2212-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P). Sur ce point, les outre-mer ne se distinguent pas du droit commun.

Toutefois, il convient de relever deux particularités de l'outre-mer :

- la faiblesse des forêts communales ;

- l'existence en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion d'un régime inédit de forêts départemento-domaniales , dont la propriété est démembrée entre le conseil général nu-propriétaire et l'État usufruitier.

Cette double singularité favorise la domanialité d'État sur les forêts ultramarines en limitant considérablement les prérogatives des collectivités territoriales. À l'inverse, dans l'Hexagone, selon les données de l'ONF, sur 4,7 millions d'hectares de forêts publiques, environ 1,7 million d'hectares, soit 36 % seulement appartiennent à l'État. Les deux tiers restants appartiennent aux collectivités territoriales, essentiellement aux communes. Bien qu'il leur soit ainsi épargné des charges, les collectivités territoriales ultramarines semblent prima facie privées de la responsabilité de la politique forestière et des ressources qu'elles pourraient tirer de l'exploitation.

Le régime des forêts départemento-domaniales est issu du décret n° 47-2222 du 6 novembre 1947 qui a posé les modalités de répartition de l'ancien domaine des colonies entre l'État, les départements d'outre-mer et, éventuellement, les communes. La solution retenue fut d'accorder à l'État des droits d'usage à titre gracieux sur les biens de la colonie transférés au conseil général. Elle perdure aussi pour des immeubles comme des tribunaux et des préfectures, en Guyane notamment, non sans générer des conflits entre les collectivités et les services de l'État, qui ne tirent pas toujours les conséquences du statut juridique particulier des immeubles qu'ils occupent. Pour compliquer la situation, il peut arriver pour certains immeubles que le conseil général ne soit pas identifié comme propriétaire de ces biens à la conservation des hypothèques.

La répartition de la propriété n'est toutefois pas figée et peut faire l'objet de négociations, sachant que le retour en pleine propriété du bâtiment ne va pas sans charges supplémentaires. En Guyane, le conseil général a récupéré quelques biens, comme le bâtiment des archives, en assez mauvais état. Dans d'autres départements comme la Guadeloupe, une partie importante de cet ancien bâti colonial à forte valeur patrimoniale a été rétrocédée au conseil général.

(4) La domanialité publique discutable de la zone des cinquante pas géométriques

La ZPG constitue sans équivoque une survivance de la colonisation qui distingue nettement les outre-mer de l'Hexagone. Les occupations sans titre y sont anciennes et sont apparues dès l'abolition de l'esclavage comme une juste compensation prélevée sur des terres qui pouvaient aussi bien être considérées à l'époque comme sans propriétaire par des habitants peu au fait des subtilités du droit. Sur le territoire des régions d'outre-mer, la légitimité du maintien de la zone dans le domaine public de l'État mérite d'être réexaminée au regard de l'évolution sociale et économique des collectivités et de leurs projets d'aménagement.

Or, d'un strict point de vue juridique, les justifications classiques pour l'incorporation de la ZPG dans le domaine public font défaut ou du moins sont largement inopérantes. Pour le professeur Chamard-Heim, auditionnée le 20 janvier 2015, l'affectation domaniale est douteuse et le régime juridique propre au domaine public est dévoyé en l'espèce.

Il apparaît en effet que la ZPG ne reçoit ni affectation au public, ni à un service public avec les aménagements indispensables à l'exercice de ses missions , si bien qu'elle ne répond pas aux exigences posées par l'article L. 2111-1 du CG3P pour reconnaître la domanialité publique. Les considérations tenant à la défense nationale ou à la nécessité de garantir l'approvisionnement et les communications ne peuvent aujourd'hui justifier la domanialité publique de cette zone.

En outre, ni la protection de l'environnement, ni l'aménagement du littoral, ni la lutte contre l'urbanisation excessive n'entraînent de conséquences univoques sur la domanialité d'un espace. La domanialité publique n'est pas en elle-même un régime de protection de l'environnement et ne se substitue pas au droit de l'urbanisme. En particulier, si le Tribunal des conflits dans sa décision M lle Doucedame du 22 octobre 2007 a reconnu l'existence d'un service public environnemental à propos d'espaces naturels sensibles, il s'est montré très exigeant sur la nature des aménagements spécialement adaptés à l'exploitation du service public qui justifieraient le classement dans le domaine public. L'installation de panneaux d'information et le balisage de sentiers de promenade ou de randonnée ne suffisent pas. A fortiori , un site naturel non aménagé devrait appartenir au domaine privé 27 ( * ) , quitte à recevoir une protection supplémentaire tirée du droit de l'environnement ou du code forestier par exemple.

Par ailleurs, le code général de la propriété des personnes publiques 28 ( * ) prévoit que la ZPG puisse être cédée après déclassement mais sans désaffectation, ce qui est a contrario la preuve qu'il n'y a pas d'affectation à l'usage du public ou à un service public de la ZPG. Ces mécanismes permettent, sous conditions et sur les espaces urbanisés, de sortir de la domanialité publique et de la propriété de l'État. Ils peuvent bénéficier aux communes pour des opérations d'aménagement public ou d'habitat social, ainsi qu'aux organismes HLM mais aussi aux personnes privées pour leurs activités professionnelles ou pour leur habitation. Ces deux dernières catégories de cession à titre onéreux valent régularisation d'occupation.

Restent comme seules raisons du maintien de principe de la domanialité publique sur la zone, la volonté :

- d'assurer la précarité et la révocabilité juridiques des occupations privatives et d'éviter l'activation mécanique de la prescription acquisitive avec des conséquences imprévisibles ;

- de préserver les mécanismes spéciaux de protection du domaine public, tels que les contraventions de grande voirie.

S'il peut être trouvé in fine dans des motifs pragmatiques de pure opportunité une justification au maintien d'un régime de domanialité publique sur la ZPG, vos rapporteurs soulignent que l'État n'est pas le seul propriétaire possible du domaine public et que, par conséquent, il n'existe pas d'obstacle à ce que la ZPG appartienne au domaine public d'une collectivité territoriale, même lorsque celle-ci n'est pas dotée d'un statut d'autonomie. La légitimité de la propriété de l'État sur la ZPG étant incertaine, seule l'éventualité d'une efficacité supérieure de son action de régularisation et de protection des espaces par rapport à celle que pourraient mener les collectivités pourrait justifier le maintien du régime actuel. Les investigations menées sur pièces et sur place par vos rapporteurs conduisent à en douter. 29 ( * )

En outre, vos rapporteurs relèvent qu'il est logique et cohérent de décorréler :

- le sort des espaces naturels les plus sensibles , qui, moyennant une véritable mise à disposition du public ou des aménagements conséquents pour un service public, peuvent rester dans le domaine public ou sous un régime protecteur exorbitant comme le régime forestier ;

- et le sort des espaces urbanisés , qui, après une période transitoire dans le domaine public pour régulariser les occupations, ont vocation dans l'avenir à être traité comme des biens privés.

(5) Le cas exceptionnel de Mayotte : la dérogation devient la règle

Le droit du domaine applicable à Mayotte comprend un grand nombre de dérogations spécifiques que l'on ne retrouve pas dans les autres collectivités ultramarines. Il convient de tenir compte de l'histoire particulière de l'île où l'État a surtout cherché à garantir sa souveraineté contre les contestations des Comores, ce qui peut expliquer l'impression d'un domaine fermement tenu et soumis à un régime manquant de souplesse. Le processus récent de départementalisation représente une vague de transformations très profondes et très rapides mais il n'a pas encore permis de lever tous les archaïsmes en matière de réglementation de l'urbanisme et du foncier.

Parmi les particularités notables, il faut mentionner que l'inaliénabilité des biens du domaine public de l'État est spécialement renforcée pour Mayotte en prévoyant que leur aliénation est frappée d'une nullité d'ordre public , s'ils n'ont pas été, au préalable, régulièrement déclassés dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État 30 ( * ) . Le déclassement est ainsi clairement caractérisé comme une règle procédurale essentielle à la validité de l'acte dont l'omission porte nécessairement grief en lésant les intérêts de l'État.

En outre, le dispositif des droits réels sur le domaine public de l'État créé par la loi n° 94-631 du 25 juillet 1994 n'est pas applicable . Le droit commun dont ne bénéficie pas Mayotte prévoit que le titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public de l'État a un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu'il réalise pour l'exercice de son activité. Ce droit réel confère à son titulaire les prérogatives et obligations du propriétaire.

De surcroît, Mayotte ne connaît pas le régime des baux emphytéotiques administratifs (BEA) ou hospitaliers (BEH), ni celui des mutations domaniales ou des superpositions d'affectations.

Outre la redevance domaniale classique, l'occupation du domaine public donne lieu au paiement d'un droit fixe correspondant aux frais exposés par la collectivité propriétaire. 31 ( * )

Enfin, les biens sans maître et présumés sans maître à Mayotte reviennent à l'État et non aux communes , comme dans le droit commun. Les articles L. 5321-4 et L. 5321-5 du CG3P concernés datent en effet de la codification en 2006 de l'ordonnance n° 92-1139 du 12 octobre 1992 relative au code du domaine de l'État et des collectivités publiques applicable dans la collectivité territoriale de Mayotte, qui reprenait elle-même l'ancienne réglementation applicable localement. Ils n'intègrent pas la modification apportée à l'article 713 du code civil par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui a attribué prioritairement les biens sans maître aux communes dès lors que cette évolution n'avait pas été rendue applicable à Mayotte par ladite loi.

En réponse aux questions de vos rapporteurs, France Domaine a reconnu que ce traitement dérogatoire ne présentait pas d'intérêt, si bien que :

« Dans le cadre du processus de départementalisation de Mayotte, il est envisagé de mettre un terme à cette spécificité et d'aligner ce régime sur le droit commun métropolitain. Il est ainsi prévu de réaliser cette réforme avec le support du projet d'ordonnance, en cours d'élaboration, qui est pris pour l'application de l'article 3 de la loi n° 2013-1029 du 15 novembre 2013 portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer, lequel autorise notamment le Gouvernement, à rapprocher les dispositions législatives du CG3P applicables à Mayotte du droit commun. » 32 ( * )

Tout en restant réservés sur le principe du recours aux ordonnances, qui ne facilite pas notamment la publicité des modifications apportées au droit applicable sur des sujets fort complexes et dans un territoire où l'accès au droit des populations est déjà limité, vos rapporteurs souhaitent que le Gouvernement réalise un audit précis des dispositions régissant le domaine à Mayotte afin de lever les archaïsmes et de se rapprocher du droit commun. En particulier, l'aménagement du territoire et son développement nécessiteront à terme d'ouvrir la possibilité de conclure des baux emphytéotiques et de reconnaître des droits réels sur le domaine public.

2. Un maquis normatif inextricable rendant problématique l'accès au droit
a) Un enchevêtrement normatif

La complexité du droit domanial ultramarin, née de son morcèlement, est encore compliquée par un éparpillement des normes applicables dans un grand nombre de textes différents qui interagissent entre eux. Le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) , et plus particulièrement sa cinquième partie relative aux dispositions spécifiques à l'outre-mer, ne rassemble pas l'ensemble des normes applicables.

La création de la partie règlementaire du CG3P relative aux dispositions spéciales applicables en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion ou à Saint-Pierre-et-Miquelon après abrogation des dispositions correspondantes du code du domaine de l'État ne date d'ailleurs que du décret n° 2014-930 du 19 août 2014. Incidemment, ce regroupement bienvenu ne semble pas s'être opéré tout à fait à droit constant. Par exemple, tout en approuvant une suppression qui alignerait la Guyane sur le régime de droit commun, vos rapporteurs ne retrouvent pas dans la cinquième partie du CG3P les dispositions de l'ancien article D. 33 du code du domaine de l'État attribuant les terres vacantes et sans maître à l'État. Il paraît légitime de s'interroger sur la publicité accordée par l'administration aux recodifications qu'elle mène, la matière étant suffisamment complexe pour éviter aux élus et aux citoyens toute incertitude supplémentaire.

Malgré le décret du 19 août 2014 précité, certaines dispositions du code du domaine de l'État continuent à s'appliquer, à côté du CG3P. De même, une version particulière du code du domaine de l'État applicable à Mayotte existe toujours.

En outre, il est impossible de faire l'impasse sur le code forestier pour comprendre la gestion du domaine de l'État outre-mer, dont une grande partie est couverte de forêts. Il peut aussi être nécessaire de se référer au code de l'environnement , notamment pour la réglementation applicable aux parcs nationaux, et au code général des impôts , en particulier sur l'assujettissement aux taxes foncières et les modalités d'évaluation cadastrale, ainsi que résiduellement au code de l'urbanisme , au code rural et au code général des collectivités territoriales .

Enfin, certaines dispositions législatives essentielles ne sont pas codifiées et doivent être recherchées directement dans les lois d'origine , par exemple la loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d'outre-mer, la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer et la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement dite Grenelle II.

Une complexité supplémentaire dans les collectivités à statut d'autonomie : l'exemple de la Nouvelle-Calédonie.

C'est le droit local qui s'applique au domaine des provinces et de la Nouvelle-Calédonie, en particulier aux terrains transférés par l'État. Mais quel est le droit applicable au domaine restant à l'État ?

Par exception au principe de spécialité législative, depuis la loi organique n° 2009-969 du 3 août 2009 relative à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, les dispositions législatives et réglementaires métropolitaines relatives au domaine public de l'État sont applicables de plein droit, sans qu'il soit besoin d'une mention spécifique de l'application des textes concernés en Nouvelle-Calédonie. En revanche, l'entrée en vigueur des normes régissant le domaine privé reste conditionnée à l'introduction d'une mention expresse.

En conséquence, le domaine public de l'État en Nouvelle-Calédonie est régi par la dernière version en vigueur du CG3P, mais son domaine privé reste soumis à l'ancien code du domaine de l'État.

Le directeur des finances publiques de Nouvelle-Calédonie fait de cette « réglementation juridique complexe nécessitant une vigilance permanente sur l'applicabilité des textes » une difficulté particulièrement importante pour la bonne gestion du domaine.

Source : Réponse écrite de la DFIP de Nouvelle-Calédonie aux questions de la délégation, mars 2015.

b) Une complexité insoupçonnée qui confine à l'obscurité

À l'éclatement normatif du droit domanial ultramarin , qui constitue une difficulté systémique pour appréhender la globalité du régime, s'ajoutent les méandres du droit applicable dans chaque collectivité prise isolément. Vos rapporteurs ont retenu quelques exemples parmi les plus emblématiques de ce phénomène qui débouche sur une totale illisibilité du droit du domaine de l'État outre-mer, dont naît une grande partie des problèmes d'accès au droit, d'assimilation des normes par l'administration et, au final, d'insécurité juridique que l'on constate.

Une enquête archéologique :
le raisonnement suivi en 2010 par le Conseil d'État pour trouver la base légale des contraventions de grande voirie à Mayotte contre la Cour administrative d'appel de Bordeaux

« Considérant qu'en vertu de l'article 10 du décret du 26 septembre 1902 relatif au domaine public dans l'île de Madagascar et dépendances , des règlements généraux, arrêtés par le gouverneur général, édictent les règles relatives à la police, à la conservation et à l'utilisation du domaine public et les contraventions à ces règlements sont punies d'une amende de 1 F à 300 F, sans préjudice de la réparation du dommage causé et de la démolition des ouvrages indûment établis sur le domaine public ou dans les zones des servitudes ; qu'aux termes de l'article 43 de l'arrêté du 8 avril 1911 du gouverneur général de Madagascar et dépendances , fixant les règles relatives à l'utilisation, la conservation et la police du domaine public et pris en application de l'article 10 de ce décret : "Constituent des contraventions tous aménagements, dépôts de matériaux, constructions, anticipations, fouilles, plantations et entreprises quelconques de nature à détériorer une portion du domaine public ou à entraver son libre parcours, s'ils n'ont pas fait l'objet d'autorisations réglementaires." ; que les dispositions de cet arrêté ont été rendues applicables aux Comores par arrêté de la même autorité en date du 22 août 1914 ; qu'aux termes de l'article 36 du décret du 28 septembre 1926 réglementant le domaine à Madagascar : "Les contraventions aux règlements relatifs à la police, à la conservation et à l'utilisation du domaine public, qui seront édictées par arrêté du gouverneur général en conseil d'administration, seront punies d'une amende de 1 F à 300 F, sans préjudice de la réparation du dommage causé et de la démolition des ouvrages indûment établis sur le domaine public ou dans les zones des servitudes. Les contraventions sont constatées par des procès-verbaux dressés par des agents désignés et régulièrement commissionnés par le gouverneur général (...)" ; que l'article 1 er de l' arrêté du gouverneur général de Madagascar et dépendances du 1 er septembre 1927 , pris en application de l'article 36 du décret du 28 septembre 1926, a maintenu en vigueur les dispositions de l'arrêté du 8 avril 1911 en ce qu'elles n'étaient pas contraires aux dispositions de ce décret ; que l'article 43 de cet arrêté n'est contraire à aucun article du décret du 28 septembre 1926 et notamment à l'article 36 de ce décret, qui s'est borné à reprendre les dispositions de l'article 10 du décret du 26 septembre 1902 ; que, par suite, les dispositions combinées de l'article 36 du décret du 28 septembre 1926 et de l'article 43 de l'arrêté du 8 avril 1911, constituaient le fondement légal des poursuites pour contravention de grande voirie à Mayotte dans la mesure où elles étaient en vigueur à la date des faits passibles d'une telle poursuite ;

Considérant que le code du domaine de l'État et des collectivités publiques applicable dans la collectivité départementale de Mayotte , issu de l'article 2 de l' ordonnance du 12 octobre 1992 , prévoit en son article L. 211-1 : "Nul ne peut, sans autorisation délivrée par l'autorité compétente, occuper une dépendance du domaine public ou l'utiliser dans des limites excédant le droit d'usage qui appartient à tous. / L'autorité compétente constate les infractions aux dispositions de l'alinéa précédent en vue de poursuivre, contre les occupants sans titre, le recouvrement des indemnités dont l'État, la collectivité départementale ou la commune ont été frustrés, le tout sans préjudice de la répression au titre de la police de la conservation du domaine public." ; qu'aux termes de l'article 2 de cette ordonnance : "Toutes les dispositions de nature législative, notamment celles du décret du 28 septembre 1926 portant réglementation du domaine à Madagascar, contraires à la présente ordonnance sont abrogées." ; que les dispositions précitées de l'article L. 211-1 laissent applicables les dispositions antérieurement en vigueur auxquelles elles renvoient nécessairement et relatives à la protection du domaine public assurée par le régime des contraventions de grande voirie ; que le code du domaine de l'État applicable à Mayotte ne contient aucune disposition spécifique relative à ce régime ; que, par suite, les dispositions de l'article 36 du décret du 28 septembre 1926, qui ne sont pas contraires à cette ordonnance n'ont pas été abrogées ; qu'il suit de là que l'article 43 de l'arrêté du 8 avril 1911, maintenu en vigueur par l'arrêté du 1 er septembre 1927, demeurait applicable après le 1 er juillet 1993 , date d'entrée en vigueur de cette ordonnance ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que les dispositions de l'arrêté du 1 er septembre 1927, prises en application de l'article 36 du décret du 28 septembre 1926, ayant maintenu en vigueur l'article 43 de l'arrêté du 8 avril 1911 avaient été nécessairement abrogées en même temps que l'ensemble des dispositions à valeur législative de ce décret par l'article 2 de l'ordonnance du 12 octobre 1992, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ; que, par suite, le MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'ECOLOGIE, DE L'ENERGIE, DU DEVELOPPEMENT DURABLE ET DE L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE est fondé, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque [...] »

Extrait de la décision CE n° 320382, Ministre de l'écologie c/MM. Boura, 2 juin 2010.

(1) La prise en compte des pratiques coutumières

Le droit domanial touche à la terre avec laquelle nombre de sociétés ultramarines conserve des liens symboliques extrêmement puissants. Il serait dès lors préjudiciable et périlleux que l'État ignore le fait coutumier . Si l'outre-mer connaît tant de problèmes fonciers, c'est aussi en raison de la confrontation entre un système de propriété validée par la preuve d'un titre écrit, héritier du droit romain , et diverses formes traditionnelles d'occupation et d'usage. Parmi ces dernières, il en est qui renvoient à un droit structuré comme le droit musulman du rite chaféite qui a longtemps prévalu à Mayotte, tandis que d'autres répondent à des normes coutumières orales qui ne reconnaissent pas forcément la propriété individuelle, ni même la propriété au sens du triptyque civiliste usus, abusus, fructus .

La constitution même du domaine de l'État lors de la colonisation est née de l'imposition opportuniste du droit civil pour permettre l'appropriation par la puissance publique des terres. Aujourd'hui encore, dès que l'identité d'un propriétaire ne ressort d'aucun document publié au fichier immobilier ou d'aucun document cadastral, le bien est considéré comme sans maître et fait l'objet une procédure d'occupation sans titre s'il entre dans les limites du domaine ou sinon une procédure de biens vacants permettant son retour à la commune ou à l'État. De ce défaut originel découle ensuite l'obligation de définir des processus compliqués et interminables de régularisation des occupations, parce qu'il faut bien malgré tout tenir compte de la réalité sociale.

Toute la difficulté réside dans le fait de parvenir à trouver des aménagements en conservant un cadre juridique stable, partagé et compatible avec les principes républicains. Cela peut passer par des dispositifs juridiques particuliers, comme le statut des terres coutumières en Nouvelle-Calédonie ou des zones de droits d'usage collectifs en Guyane, mais aussi par une adaptation de la gestion administrative. Il ne faut pas non plus négliger l'importance de pratiques plus informelles de médiation et de dialogue permettant d'accorder une place à des pratiques locales et à des autorités traditionnelles, qu'il s'agisse de chef coutumiers ou de cadis.

Lors de leur déplacement en Guyane, vos rapporteurs ont pu mesurer concrètement sur deux exemples différents la complexité spécifique née de la prise en compte des normes coutumières sur le domaine de l'État.

(a) Le cas de la commune bushinenge d'Apatou

Le capitaine Joseph Apatou crée en 1886 au Nord-Ouest de la Guyane sur le Maroni un village, qui devient la commune éponyme en 1976. La création du village s'articule autour d'une attribution foncière de l'État, représenté par la colonie, au capitaine fondateur qui a reçu une concession collective pour la communauté sur le bourg délimité. Il n'était pas question pour les habitants de devenir propriétaires individuels sur ces terrains, attribués aux familles et gérés selon la coutume, sous l'égide des trois chefs coutumiers, successeurs de Joseph Apatou et appelés capitaines comme lui.

En 1972, ces chefs coutumiers ont ainsi procédé à une attribution foncière à quelques familles qui voulaient exercer une activité agricole pour répondre à leurs besoins familiaux. Les parcelles de six hectares chacune demeurent la propriété de la collectivité. La personne attributaire est cependant libre de la réattribuer au sein de sa famille, dans le cadre traditionnel du système matriarcal, de sorte que l'attribution coutumière tend avec le temps par devenir de plus en plus personnelle. Les chefs coutumiers n'interviennent plus après l'attribution initiale à une famille, sauf en cas de conflits comme médiateurs.

Aujourd'hui, la commune d'Apatou détient seulement 1500 hectares cédés en 2011 par le conseil général, alors que 93% de son territoire appartient à l'État. Sur 7000 habitants, seules deux personnes disposent de titres de propriété valides sur les terrains qu'ils occupent. Traditionnellement, les gens considèrent néanmoins que la parcelle qu'ils occupent leur appartient, même en l'absence de titre, parce qu'elle leur a été attribuée de façon coutumière. De cette coexistence entre une appréciation coutumière et un statut légal naissent des conflits entre les occupants et la commune, dès que celle-ci veut implanter un équipement sur leur terrain, c'est-à-dire sur un terrain du domaine privé de l'État qu'ils occupent et que la commune voudrait acquérir auprès de France Domaine pour construire.

Pour l'instant, il n'existe pas de traduction juridique en droit civil de la propriété coutumière qui n'entraîne aucun effet légal mais qu'il est inenvisageable d'ignorer. S'est créé récemment dans la commune un conseil consultatif qui vient en appui de la mairie pour gérer les problèmes de foncier, notamment les questions liées à l'attribution traditionnelle du foncier. Les chefs coutumiers qui forment le conseil gèrent les conflits entre la collectivité et les personnes. C'est une façon d'institutionnaliser des pratiques anciennes et de les associer à la gestion administrative communale.

Le conseil consultatif foncier intervient comme médiateur pour éviter le recours à l'expulsion, l'expropriation pour cause d'utilité publique n'étant pas envisageable puisqu'ils ne sont pas propriétaires. Sans cette médiation, d'après M. Denis Galimot, premier adjoint, la construction du bureau de poste et du collège n'aurait pas eu lieu. Par exemple, pour le collège, une famille habitait depuis cinquante ans sur la parcelle, après négociation avec le capitaine en chef, elle a accepté que son terrain soit cédé pour permettre la construction. France Domaine en a fixé le prix et la commune l'a racheté.

Les nombreuses implantations le long des routes entre Apatou et Saint-Laurent du Maroni sont sauvages au plan du droit domanial mais n'ont pas non plus été autorisées par les chefs coutumiers, qui n'ont pas été consultés par les familles. Le capitaine Pierre Sida y voit une érosion de l'influence des chefs coutumiers qu'il regrette.

Le paradigme est, en effet, en train d'évoluer et l'accès à la propriété privée via l'acquisition auprès du service des domaines et l'octroi d'un titre devient un enjeu. Après avoir cultivé pendant trente ans leur parcelle, certains attributaires de 1972 souhaitent une régularisation par cession sur le domaine privé de l'État.

Pour le directeur général des services, M. Dolor, la question coutumière est un frein qui se rajoute à l'obstacle majeur que représente le poids des propriétés foncières de l'État. La commune prépare donc une demande pour obtenir la cession de dix fois sa surface agglomérée conformément à la possibilité qui en est offerte par le code général de la propriété des personnes publiques. La commune regrette toutefois les délais importants de traitement des demandes de cession de foncier par les services de l'État.

Cessions de terrains domaniaux aux collectivités territoriales en Guyane

Le domaine privé de l'État en Guyane connaît un régime juridique très spécifique et dérogatoire, tant vis-à-vis de l'Hexagone que des autres outre-mer.

En particulier, sont rendues possibles par l'article L. 5142-1 du CG3P des cessions gratuites aux collectivités territoriales, à leurs groupements ou à l'établissement public d'aménagement de la Guyane.

Les terrains concernés doivent figurer au préalable sur un plan d'occupation des sols opposable ou un document d'urbanisme. Leur cession vise la constitution sur le territoire d'une commune de réserves foncières, à condition que les biens soient libres de toute occupation autorisée ou ne soient pas confiés en gestion à des tiers. La superficie globale cédée en une ou plusieurs fois ne peut excéder sur chaque commune dix fois la superficie des parties agglomérées de la commune. Cette possibilité est rouverte tous les dix ans à compter de la première cession gratuite. Lorsque les cessions gratuites sont consenties à un autre acquéreur que la commune, elles doivent faire l'objet d'un accord préalable de la commune. Ces réserves foncières doivent être gérées selon les conditions de droit commun du code de l'urbanisme.

Sont ouvertes également par le même article du CG3P des possibilités de concession, puis de cession à titre gratuit aux communes de terrains du domaine privé de l'État pour l'aménagement d'équipements collectifs, la construction de logements sociaux ou des services publics.

Toutes les concessions et cessions peuvent être accompagnées de prescriptions particulières visant à préserver l'environnement. Leur non-respect peut entraîner l'abrogation de l'acte par le préfet.

(b) Le cas de la commune amérindienne d'Awala-Yalimapo

Deuxième plus petite commune de Guyane, après Cayenne, Awala-Yalimapo est située à l'embouchure du Maroni. Elle compte 1300 habitants dont 60 % de moins de 20 ans avec un doublement de la population prévu d'ici quinze ans.

L'équipe municipale qu'ont rencontrée vos rapporteurs considère Awala-Yalimapo à la fois comme une commune de la République et comme une communauté et cherche à trouver un équilibre avec des espaces d'échanges, d'où la constitution d'une commission mixte entre élus et autorités coutumières amérindiennes pour réfléchir aux principaux enjeux.

En matière foncière, la commune ne dispose pas de foncier à part les terrains où ont été construits les équipements scolaires et de base comme l'hôtel de ville. Les nouveaux projets nécessitent des demandes de foncier à l'État.

Sur le territoire de la commune il faut distinguer la partie où sont reconnus des droits d'usage collectifs. Hors de cette zone, et c'est là que sont installés notamment les réfugiés du Suriname, il est possible d'accéder à la propriété individuelle. Il s'agit de terrains qui appartiennent à l'État mais qui peuvent être cédés aux occupants pour régulariser leur situation.

Le périmètre des droits d'usage, défini par arrêté en 1992, couvre une très grande partie du territoire de la commune. Les droits d'usage collectifs sont limités par les nécessités d'intérêt général notamment les équipements publics. Ils ne constituent pas une concession et ne doivent pas être interprétés non plus comme un transfert de propriété à la communauté, l'État restant propriétaire.

Une concession sur le domaine privé peut être reconnue pour l'habitat ou l'agriculture, mais seulement à une association ou d'une société, c'est-à-dire à une personne morale individuée, et pas à la communauté elle-même. 33 ( * ) Après dix ans de concession, il est possible de demander la cession. Sur l'ensemble de la Guyane, trois communautés d'habitants ont formé des associations pour poursuivre ce processus.

Lorsque quelqu'un veut s'installer dans la commune, il lui faut rencontrer les chefs coutumiers qui lui indiquent où il est possible de s'installer dans le respect des droits d'usage collectifs, puis il doit consulter le service de l'urbanisme de la mairie pour éviter d'empiéter sur un projet de la commune et enfin demander un permis de construire. Il y a donc à recueillir le double avis du chef coutumier et du maire. Les services de l'État souhaitent également que soit bien prise attache avec le chef coutumier.

Les personnes individuelles sont propriétaires du bâti mais pas du sol et s'acquittent des taxes foncières calculées sur la base de l'emprise de la construction. En cas de décès, le bâti est récupéré par la famille et non pas par les chefs coutumiers.

Les règles coutumières d'installation ne répondent pas à une logique de parcellisation individuelle. Elles définissent une zone de vie familiale qui comprend un noyau central et des extensions possibles pour les générations suivantes. Sur 1000 mètres carrés, on considère que peuvent s'installer trois ou quatre familles.

Enfin, il faut relever des différences d'appréciation entre les générations d'habitants, les plus jeunes ne vivant pas la coutume comme les plus anciens. De même, l'accroissement démographique résulte de l'arrivée de nouveaux habitants qui n'appartiennent pas nécessairement à la communauté amérindienne et qui peuvent parfois d'ailleurs souhaiter le respect d'autres règles coutumières. Il faut tenir compte de cette diversité pour assurer la coexistence pacifique de tous.

Coutume et domaine de l'État dans le Pacifique :

le cas des îles Wallis et Futuna

Les terres des îles Wallis et Futuna ont été distribuées par les chefferies coutumières aux familles, leur conférant un droit perpétuel, exclusif et inaliénable sur le sol qu'elles exploitent. Cependant, les chefs coutumiers encore aujourd'hui, peuvent procéder à des reprises de terres, mais également à des attributions de biens pour des raisons d'intérêt collectif.

Wallis-et-Futuna dispose donc d'un droit foncier coutumier conforme à ce qui existe dans toute la zone Pacifique. Mais les droits d'occupation du sol n'y seraient pas formalisés en l'absence de cadastre, de titre de propriété et de système sécurisé des locations ou bien ils le sont très peu, quand il s'agit de terrains destinés à la propriété de l'État. La validité juridique des actes anciens d'acquisition, d'échange et de donation est dès lors souvent contestée.

Le droit de l'urbanisme, prévu par la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant le statut de territoire d'outre-mer à Wallis et Futuna, n'a jamais été mis en oeuvre. Aucun texte ne régit les droits à construire ou les obligations de démolir.

Les concessions et les baux accordés sur le domaine de l'État correspondent principalement à des concessions de logement à des fonctionnaires et à quelques autorisations d'occupation de terrains ou constructions, sans difficulté particulière.

En revanche, l'évaluation domaniale pose problème, car les références sont quasi-inexistantes du fait de l'absence d'enregistrement et de cadastre. Les acquisitions historiques par l'État servent de seuls points d'appui.

Source : réponse écrite par la direction locale des finances publiques de Wallis-et-Futuna au questionnaire de la délégation, mars 2015

(2) La mosaïque fluctuante des statuts fonciers sur la ZPG des départements d'outre-mer

Dans un souci de simplicité, on présente généralement la ZPG comme appartenant au domaine public de l'État. En réalité, le constat est beaucoup plus complexe et la ZPG connaît une juxtaposition de parcelles de statut foncier très divers . En effet, le régime juridique de la ZPG a évolué à plusieurs reprises au cours de l'histoire. Ces fluctuations ont laissé des traces et il faut se livrer à une entreprise quasi-archéologique pour isoler les différentes strates sédimentées.

Autrefois partie du domaine de la Couronne, la ZPG est restée soumise au régime de la domanialité publique jusqu'aux décrets du 21 mars 1882 pour la Guadeloupe et du 4 juin 1887 pour la Martinique qui ont opéré un premier assouplissement vers la privatisation en prévoyant que les occupants de terrains situés dans la limite des agglomérations pouvaient s'en porter acquéreurs sous certaines conditions. Des titres de propriété définitifs et incommutables sur les terrains bâtis et des concessions irrévocables sur les parcelles non bâties furent ainsi délivrés.

Après une réaffirmation de principe de la domanialité publique 34 ( * ) , il fallut attendre la loi n° 55-349 du 2 avril 1955 et son décret d'application n° 55-885 du 30 juin 1955 pour que la ZPG soit pleinement incorporée au domaine privé avec l'objectif affiché de faciliter l'exploitation économique et la régularisation des occupations. Profitant du caractère désormais aliénable et prescriptible de la ZPG, des acquisitions par les particuliers eurent lieu, tandis qu'une commission de vérification des titres fut créée pour stabiliser la propriété foncière historique.

La situation a toutefois peu évolué aux Antilles parce que l'arrêté de clôture des opérations de délimitation prévu par le décret de 1955 n'a jamais été publié ce qui a empêché les occupants de faire valoir l'usucapion 35 ( * ) . À l'inverse, les résultats de la prescription acquisitive ont été massifs à La Réunion qui bénéficiait de l'antériorité grâce aux dispositions particulières d'un décret du 13 janvier 1922, supprimant sous conditions l'inaliénabilité de la ZPG dans l'île.

Vos rapporteurs ne peuvent manquer de souligner que l'introduction échelonnée de mesures différentes selon les territoires pour traiter des questions similaires est une pratique ancienne qui signale un défaut d'appréhension globale et cohérente et qui a généré un éclatement du droit et une divergence des trajectoires entre les outre-mer , dont les conséquences fort regrettables se manifestent encore.

Plus tard 36 ( * ) , certaines parcelles sont transformées en forêt domaniale littorale, régie par le code forestier, protégée par le régime forestier et placée sous la responsabilité de l'Office national des forêts (ONF).

Enfin, le statut de la ZPG a été modifié par la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral qui l'a réintégrée au domaine public maritime au motif de protéger l'environnement. Toutefois, les droits antérieurs des tiers ont été réservés et la domanialité publique d'État ne vaut pas pour les parcelles appartenant en propriété à des personnes publiques ou privées qui peuvent justifier de leur droit, ni pour les immeubles du domaine privé de l'État, ni pour les terrains domaniaux gérés par l'ONF en application du code forestier.

En conséquence, se retrouvent aujourd'hui dans la ZPG des parcelles :

- de droit privé appartenant à des particuliers ;

- du domaine public maritime ;

- du domaine public de l'État mais hors du domaine public maritime, qui bénéficie de protections particulières ;

- du domaine privé de l'État hors forêt ;

- de forêt domaniale littorale, intégrée au domaine privé mais soumise aux modalités particulières de protection et de gestion du régime forestier.

Un souci d'exhaustivité conduirait à mentionner le cas particulier des mangroves , qui font partie du domaine public maritime tout étant soumises au régime forestier, et celui des terrains protégés par la législation sur les parcs nationaux.

En outre, il convient de noter que l'appréciation des titres de propriété des particuliers sur la ZPG donne lieu à un contentieux abondant . Sont avérés des cas de conflits entre deux légitimités sur une même parcelle : l'une, provenant d'un titre ancien transmis par succession et l'autre, d'un titre obtenu par prescription trentenaire qui n'a pas été contestée à temps. Le Conseil constitutionnel a même été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité : il a considéré que la jurisprudence judiciaire exigeant un titre émanant de l'État pour asseoir la propriété privée ne portait pas atteinte à la protection constitutionnelle du droit de propriété (CC, 4 février 2011, n° 2010-96 QPC, Jean-Louis de L .).

Le régime forestier

Le régime forestier emporte notamment la gestion par l'ONF, dont c'est la première mission (art. L. 212-2 du code forestier), selon un document d'aménagement approuvé par arrêté (art. L. 212-1). L'arrêté d'aménagement tient compte d'objectifs de gestion durable, fixe l'assiette des coupes et peut interdire ou soumettre à conditions dans certaines zones les activités qui compromettent la réalisation de ses objectifs. La concession dans les forêts d'État de droits d'usage de toute nature pour tout motif est interdite (art. L. 241-1).

Des dispositions pénales propres protègent les forêts soumises au régime forestier et permettent de sanctionner toute destruction de l'état boisé, occupation sans titre et empiètement de toute nature. Des amendes et des remises en l'état primitif au frais du délinquant sont prévues.

Les forêts domaniales ultramarines soumises au régime forestier, littorales ou non, sont imprescriptibles et sont aliénables seulement en vertu d'une loi comme dans le droit commun (art. L. 213-1 du code forestier et art. L. 3211-5 du CG3P) avec des cas dérogatoires d'aliénation par décret en Conseil d'État pour des parcelles de moins de 150 hectares sans intérêt environnemental ou humain particulier. Certaines sont même strictement inaliénables comme à La Réunion (art. L.274-1 pour les forêts du département) et à Mayotte (art. L 275-2 pour les forêts de l'État et du Département de Mayotte).

La Guyane, dont les 2,4 millions d'hectares du domaine forestier permanent (DFP) au-delà de la bande littorale relève du régime forestier, se distingue par:

- un mécanisme de cession gratuite de forêts aux collectivités territoriales en raison du rôle social ou environnemental que ces forêts jouent au plan local
(art. L. 272-2 du code forestier et L. 5142-2 CG3P). La cession n'entraîne pas de sortie du régime forestier et la collectivité se substitue à l'État dans ses droits et obligations à l'égard des tiers ;

- un dispositif de concession ou de cession gratuite à des personnes morales en vue de leur utilisation par les communautés d'habitants qui tirent traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt (art. L. 272-5 du code forestier et L. 5143-1 CG3P) ;

- une possibilité de reconnaître des droits d'usage collectif à ces mêmes communautés (art. L. 272-4 du code forestier).

Pour creuser plus avant, il faut encore superposer à ces régimes juridiques :

- la délimitation par les préfets au sein de la ZPG des espaces urbains (zones d'habitation et espaces d'urbanisation diffuse), dans lesquels des cessions de terrains domaniaux peuvent avoir lieu, et des espaces naturels, où l'impératif de protection l'emporte. 37 ( * ) Dans les espaces naturels se retrouvent aussi bien des terrains du domaine privé que du domaine public, soumis au régime forestier ou pas.

- les modalités de gestion administrative des différents espaces (régie directe ou remise à un opérateur spécialisé).

Certains juristes comme Mme Sylvie Caudal (Lyon III) n'hésitent pas à évoquer une « désagrégation » de la domanialité dans la ZPG. 38 ( * )

Compte tenu de ces éléments, vos rapporteurs accueillent cum grano salis l'appréciation du directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature au ministère du développement durable selon lequel, « il appartient à l'État, compte tenu de cette diversité perçue comme une complexité, de construire une approche cohérente et lisible de cet espace, en lien avec de nombreux acteurs. » 39 ( * ) C'est précisément ce qui paraît faire défaut globalement dans la gestion du domaine outre-mer.

C. UNE ORGANISATION DES SERVICES DE L'ÉTAT FRAGILE

Pour assumer la complexité juridique de la gestion domaniale, l'État a fait le choix de s'appuyer sur une multitude d'opérateurs, sans les doter des moyens nécessaires à leur action, sans s'assurer de l'efficacité de leur coordination et sans leur fixer de cap clair .

1. Des opérateurs locaux multiples mais peu dotés
a) Une gestion domaniale démembrée

Pour gérer l'intense complexité née de l'hétérogénéité des propriétés du domaine et de la diversité de statuts fonciers, parfois très exorbitants, l'État a retenu une organisation également complexe . Doivent s'articuler des services déconcentrés et des établissements publics spécialisés. Se croisent des logiques fonctionnelles de répartition des tâches et des logiques géographiques de répartition des zones entre ces différents acteurs. L'efficacité de la gestion du domaine de l'État dépend dans ce cadre de trois facteurs :

- la clarté et la pérennité de la stratégie définie aux niveaux national et régional ;

- le degré de coordination entre les divers services et établissements - dont les compétences doivent être délimitées sans chevauchement - en termes d'homogénéité des procédures, d'échange d'information, de partage des objectifs, de prise de décision collective ;

- l'adéquation des moyens aux tâches pour chaque service ou établissement, une adéquation globale n'ayant que peu de sens dans la mesure où la faiblesse d'un maillon peut fragiliser toute la chaîne tant les compétences sont imbriquées.

Les trois principaux services déconcentrés de l'État concernés par le domaine sont les directions régionales des finances publiques (DRFIP), les directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) et les directions de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt (DAAF). Interviennent simultanément des établissements publics d'État notamment l'ONF, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres (CELRL), les parcs nationaux et les agences des cinquante pas géométriques selon leur territoire d'intervention et leur vocation.

Il importe de souligner à titre liminaire que France Domaine ne gère pas directement, sauf exceptions , les emprises domaniales. Les biens immobiliers domaniaux sont gérés par les différents services de l'État qui en ont l'utilisation ou l'affectation (pour les biens du domaine public). Incombent à France Domaine via les DRFIP les actions de « gestion domaniale » proprement dite qui comprend l'évaluation des biens de l'État ou des collectivités territoriales, le calcul des redevances pour occupation temporaire du domaine, le suivi des procédures et la rédaction des actes de cession et d'acquisition, ainsi que de prise à bail .

Missions et organisations de France Domaine

Créé en 2006, le service France Domaine est un service de la direction générale des finances publiques (DGFiP), placé sous l'autorité du ministre des finances et des comptes publics ;

Il est chargé, pour le compte de l'ensemble des administrations, de représenter l'État-propriétaire et de définir la politique immobilière de l'État. Il assure la gestion domaniale, c'est-à-dire l'évaluation des biens de l'État et des collectivités locales, la réalisation des actes de cession, acquisition, prises à bail, l'élaboration de la législation domaniale et du contentieux afférent. Le bureau de la réglementation domaniale est très occupé par l'outre-mer, qui représente jusqu'à 40 % de son activité.

En outre, France Domaine tient l'inventaire physique et comptable de l'État, soit le recensement de l'ensemble des biens occupés par l'État, quel que soit leur statut, et évaluation des biens contrôlés par l'État en vue de leur inscription au bilan de l'État. Il gère les successions administrées, vacantes ou en déshérence. Il réalise les cessions des biens meubles dont les services de l'État et les établissements publics n'ont plus l'usage.

L'action du service France Domaine repose sur un réseau de services locaux du domaine au sein des directions départementales des finances publiques (DDFiP) et des directions régionales des finances publiques (DRFiP). Ces services locaux mettent en oeuvre les orientations et la politique immobilière et domaniale définies par le ministre chargé du domaine, sous le pilotage du service central. Ils constituent les interlocuteurs privilégiés des services déconcentrés de l'État, mais aussi des collectivités locales au titre de l'expertise immobilière.

Par ailleurs, la DGFiP a désigné auprès de chaque préfet de région et de département un cadre de l'équipe de direction et l'a chargé des fonctions de responsable de la politique immobilière de l'État (RPIE).

Le service dispose par ailleurs d'un service à compétence nationale (SCN), la direction nationale d'interventions domaniales (DNID).

Ce service à compétence nationale est rattaché au Chef du service France Domaine. Il exerce des missions domaniales au plan national et en région Île-de-France. Pour l'ensemble du territoire national, il assure notamment les travaux d'évaluation des immeubles militaires et des biens exceptionnels, et assure des missions de renfort en matière d'expertise immobilière. Il est chargé de la réalisation des ventes mobilières avec publicité et concurrence.

L'échelon central de France Domaine a été récemment réorganisé. La nouvelle organisation fonctionne depuis le 10 décembre 2014.

Source : DGFIP - ministère des Finances

Les DEAL gèrent pour le compte des préfets le domaine public de l'État, qu'il soit maritime naturel, fluvial ou routier. Leur mission couvre l'ensemble des aspects, de l'entretien et de la surveillance à la valorisation et à la gestion administrative des demandes d'occupation et de cession. La gestion du domaine public maritime naturel en mer, qui se situe hors du champ du présent rapport, est confiée aux services des directions de la mer. Il convient toutefois de signaler que le directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature, M. Jean-Marc Michel, estime que : « [leur] coordination avec les DEAL est sans doute à renforcer pour une parfaite cohérence de l'action de l'État sur la gestion du domaine public maritime sur terre et en mer. » 40 ( * )

Dans le cas des terrains de la ZPG , les DEAL sont en charge au titre de leur compétence générale sur le domaine public. Sur les espaces naturels de la zone, il convient de souligner que conformément à la loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996, les emprises peuvent être remises en gestion au Conservatoire du littoral par voie de conventions d'utilisation spécifiques qui sont passées par les services locaux du domaine. C'est lui qui en assure alors directement la gestion, y compris en matière de délivrance des titres d'occupation, de fixation des redevances et de perception des redevances. Parallèlement, l' ONF assure l'application du régime forestier sur la forêt domaniale littorale incluse dans la ZPG.

De même, dans les espaces urbanisés de la zone , ont été créées par la même loi uniquement en Guadeloupe et à la Martinique , des agences des cinquante pas géométriques à statut d'EPIC dont les missions portent sur la régularisation des occupants sans titre et l'établissement de programmes d'équipement, ainsi que sur la réalisation de travaux de voies d'accès, d'adduction d'eau potable et d'assainissement.

Les DRFIP n'interviennent donc sur la ZPG qu'à deux titres : la fixation des redevances d'occupation si des titres d'occupation sont délivrés aux occupants et, après déclassement du domaine public, dans la procédure de cession des emprises par l'évaluation, la rédaction des actes, leur publication et l'encaissement des produits de cession.

La gestion du domaine forestier, qui relève du domaine privé de l'État, est assurée par l'ONF sous le contrôle des DAAF . La gestion des emprises forestières du domaine privé en Guyane est effectuée, soit directement par l'ONF en lien avec France Domaine pour les parties qui lui sont confiées, soit directement par France Domaine en lien avec les services chargés de l'agriculture pour les parties qui n'ont pas été confiées à cet établissement public. Sur 8 ,4 millions d'hectares de superficie totale, 5,3 millions d'hectares sont sous la responsabilité de l'ONF. Pour les 3 millions d'hectares restant, France Domaine assure le guichet unique pour les demandes de cession, de concession et de baux agricoles.

Le patrimoine foncier du Conservatoire du littoral outre-mer

En outre-mer, depuis sa création, le Conservatoire protège 42 000 hectares, composés pour 8 500 hectares de terrains acquis et pour 33 500 hectares de terrains de l'État. Pour ces derniers, 27 800 hectares appartiennent au domaine public maritime, 2 200 hectares relèvent de la zone dite des cinquante pas géométriques et 3 500 hectares correspondent au domaine privé de l'État en Guyane.

La Guyane est le département d'outre-mer sur lequel l'intervention foncière du Conservatoire est la plus forte, avec près de 27 000 hectares dont 20 000 hectares de domaine public maritime et constitués de mangrove, 3 400 hectares d'acquisitions et 3 000 hectares de domaine privé de l'État qui ont été affectés au Conservatoire. Vient ensuite la Guadeloupe, pour près de 8 000 hectares, avec une importante proportion de domaine public maritime avec 5 700 hectares de mangrove. En Guadeloupe, contrairement aux autres départements d'outre-mer, le Conservatoire est affectataire d'une grande partie de la zone des cinquante pas géométriques, à linéaire ou à surface égale avec celle de l'ONF, soit 1 200 hectares. À parts égales environ, viennent enfin La Réunion, Mayotte et la Martinique, avec 1 500 à 2 000 hectares pour chaque territoire, essentiellement constitués de terrains privés acquis, sauf à Mayotte où la répartition est équilibrée entre le domaine public maritime et les acquisitions.

L'objectif fixé par le CLERL à l'horizon 2050 est d'arriver à environ 155 000 hectares protégés en outre-mer, ainsi répartis :

- 41 500 hectares d'acquisitions, soit 33 000 hectares de plus que ce qui a été acquis aujourd'hui ;

- 77 800 hectares de domaine public maritime, essentiellement de la mangrove en Guyane, un peu en Guadeloupe, en Martinique et à Mayotte. S'ajoute de manière très marginale du domaine privé, au droit de certains sites pour créer des sentiers marins ou travailler à l'accès à leur accès par voie terrestre ;

- 2 400 hectares au titre de la ZPG, sans véritable augmentation sauf à Mayotte ;

- 33 500 hectares de domaine privé de l'État qui ne concerne que la Guyane.

La DGALN accompagne, par ailleurs, la mise en oeuvre de l'objectif, défini lors de la dernière conférence de Guadeloupe sur la biodiversité, visant à placer 35 000 hectares de mangroves sous protection du Conservatoire d'ici à décembre 2015, date de la Conférence internationale de Paris sur le climat. Les services que rendent les mangroves pour atténuer les effets du changement climatique et favoriser l'adaptation des territoires littoraux aux risques de submersion marine et d'érosion côtière sont essentiels et méritent d'être mieux connus. Le délégué à l'outre-mer du Conservatoire, M. Alain Brondeau, indique « [la] politique d'espaces naturels sensibles est assez hétérogène, très développée à La Réunion, moins dans les autres territoires, et très peu en moyenne par rapport au territoire métropolitain. » Il souligne également « une pratique plus fréquente en outre-mer qu'en métropole : le domaine public sert de réserve foncière pour les projets publics ou privés. Cette manière de percevoir la notion de domaine public peut entrer en contradiction avec les objectifs du Conservatoire. »

Source : auditions du Conservatoire du littoral (20 janvier 2015) et du DGALN (12 mars 2015).

b) Des moyens limités

Les tableaux suivants collectés auprès de France Domaine et de la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature récapitulent les moyens humains consacrés par l'État à la gestion de son domaine outre-mer.

Les ressources humaines de l'ensemble de France Domaine
par catégorie de la fonction publique

A+

A

B

C

Total

Effectif total

156,1

740,3

396,6

207,6

1500,6

dont direction nationale d'interventions domaniales

14,9

90,9

56,6

43

205,4

dont comptable spécialisé du domaine

1,9

0

5,3

1

8,2

Source : France Domaine - 2015

Les moyens humains des services locaux du domaine dans les outre-mer

par catégorie de la fonction publique

Territoire

A+

A

B

C

Total

GUADELOUPE

(y compris St-Barthélemy et St-Martin)

1

6

1

1

9

MARTINIQUE

1

6

2

1

10

GUYANE

1,3

6

1

0

8,3

LA REUNION

1

6,5

4

1

12,5

ST PIERRE-ET-MIQUELON

0

0,8

0

0

0,8

MAYOTTE

0

0

1

1

2

WALLIS ET FUTUNA

0

0,2

0

0

0,2

POLYNESIE FRANCAISE

0,1

1

2

0

3,1

NOUVELLE-CALEDONIE

0

1,7

0

0

1,7

Ensemble

4,4

28,2

11

4

47,6

Source : France Domaine - 2015

Les emplois locaux dédiés aux politiques publiques dans les DEAL en outre-mer constatés pour l'année 2013 (en ETPT) 41 ( * )

Programme « urbanisme, territoires, amélioration de l'habitat » (UTAH)

Programme « paysages, eau, biodiversité » (PEB) 42 ( * )

Total
(par territoire)

Guadeloupe 43 ( * )

110,9

37,2

148,1

Guyane

53,3

25,2

78,5

Martinique

86,2

34,5

120,7

Réunion

103,4

51,1

154,5

Mayotte

55,2

23,5

78,7

Saint-Pierre-et-Miquelon

32,0

4,5

36,5

Total (par programme)

441

176

617

Source : DGALN - ministère du développement durable

Emplois locaux des principaux établissements publics d'État concernés dans les DOM (en ETP)

Guadeloupe

Guyane

Martinique

Mayotte

La Réunion

Total (établissement)

Parcs nationaux

70,5

92

-

-

90

252,5

Conservatoire du littoral

4

3

3

3

2,8

15,8

80

83

89

7

274

533

Agences des 50 pas géométriques

16

-

20

-

-

36

Établissement public d'aménagement de la Guyane (EPAG)

-

37

-

-

-

37

Total (territoire)

170,5

215

112

10

366,8

874.3

Source : DGALN - ministère du développement durable

Au regard de l'importance sociale, économique et environnementale toute particulière du domaine de l'État dans les outre-mer et de la complexité extrême des règles qui le régissent, vos rapporteurs estiment que les moyens humains de la gestion domaniale ne sont pas à la hauteur des enjeux et expliquent une part des difficultés rencontrées sur le terrain. Mayotte et la Guyane sont particulièrement touchées par cette pénurie générale alors qu'ils sont confrontés à une croissance démographique très forte, à des retards de développement majeurs et à des carences graves dans la fiabilité du cadastre et de la conservation des hypothèques.

L'ONF est le principal établissement public agissant sur le domaine en outre-mer tant en termes de superficie que de personnels. Il exerce simultanément une fonction de protection te de surveillance, une fonction sociale et une fonction de production. Les espaces forestiers contribuent également fortement à l'attractivité touristique des territoires et la gestion de l'Office doit en tenir compte. L'ONF gère souvent pour le compte du Conservatoire du littoral les terrains qu'il possède. C'est le cas, par exemple, en Guadeloupe ou en Martinique.

Pour l'exercice de toutes ses missions, globalement, l'ONF emploie environ 533 personnes dans les départements d'outre-mer. Les ratios surfaces gérées/personnes varient de façon importante, ce qui traduit des différences d'intensité de gestion de la forêt selon les territoires. En Guyane, l'ONF assume la gestion de 5,3 millions d'hectares avec 83 personnes, soit fonctionnaires, soit salariés du droit privé, qui comportent des gestionnaires et des ouvriers forestiers. Ce sont 38 000 hectares qui sont gérés par 80 personnes en Guadeloupe et 16 000 hectares en Martinique par 89 personnes. Plus de 100 000 hectares sont gérés à La Réunion par 274 personnes, avec la particularité de compter dans leurs rangs un très grand nombre d'ouvriers forestiers et de mener une action d'insertion avec le conseil général au moyen de 500 contrats aidés. L'installation à Mayotte est récente, d'où la présence de seulement sept agents, malgré l'importance de lutter contre les feux et la déforestation.

Par ailleurs, malgré un écho différent venant des directions centrales des services de l'État, les équipes déconcentrées agissent dans un contexte budgétaire très contraint, qui entravent leur action. En Guyane, le directeur régional des finances publiques, M. Jean-Claude Hernandez a regretté devant vos rapporteurs manquer des ressources nécessaires à la bonne exécution des tâches qui incombent à son service. 45 ( * ) Pour tout le territoire, les évaluations doivent être menées par seulement trois inspecteurs-rédacteurs. On ne peut pourtant méconnaître ni son extrême étendue, ni le caractère très atypique de son foncier qui, faute de points de repère et d'un marché immobilier suffisamment fluide, est très difficile à évaluer. Même en ce qui concerne le seul programme d'identification du patrimoine immobilier de l'État, la Guyane est le deuxième département en termes de charge de travail après Paris.

Le caractère malthusien de la répartition des postes dans les services locaux des finances publiques saute aux yeux dès que l'on tente une comparaison avec l'Hexagone . La Lozère avec 70 000 habitants sur 5 200 km 2 bénéficie de 180 ETP alors que la Guyane avec 250 000 habitants sur 84 000 km 2 se voit affectée 210 ETP. Ce faible écart ne reflète pas la complexité matérielle et juridique du cas guyanais.

Par rapport à la métropole, la gestion des patrimoines privés avec les difficultés liées à des déclarations arrivant très tardivement, à un grand nombre de successions non réclamées, incombe au DRFIP dans les DOM et non à un pôle spécialisé. En outre, particularité propre à la Guyane, la DRFIP assume selon M. Hernandez, un rôle d' « agence immobilière » : la plupart du temps, ce n'est pas l'État qui met en vente un bien identifié mais des particuliers qui repèrent des terrains appartenant à l'État, souvent mal cadastrés et déjà occupés irrégulièrement dans bien des cas, et qui demandent leur acquisition ou location au service du domaine. En 2014, le service a reçu en flux environ 1 000 dossiers dont 700 demandes de cession onéreuse émanant de particuliers et au 31 décembre 2014, on comptait 5 500 demandes actives en stock.

Source de tensions avec les particuliers et les collectivités, l'engorgement de la DRFIP est patent et ne peut être résolu sans accroissement de ses moyens humains. Fait significatif, les services déconcentrés dépendant d'autres ministères qui participent à la gestion domaniale partagent cette appréciation. En audition sur place le 14 avril 2015, la DEAL a affirmé que les effectifs de la DRFIP étaient « clairement insuffisants pour résorber le stock accumulé » et que « s'il y a des ETP disponibles, c'est à France Domaine qu'il faut les affecter ». De même, la DAAF a vivement souhaité « le renforcement des moyens du service des domaines pour lui permettre de reprendre toutes les attributions qui lui reviennent en tant que guichet unique. »

La pénurie de ressources humaines n'est pas limitée à la Guyane. À Mayotte, qui connaît un des contextes fonciers les plus complexes en raison de l'absence de cadastre et de la superposition du droit coutumier et du droit écrit, l'effectif du service local de France Domaine est très réduit. Trois agents sont chargés de faire fonctionner le service, encadrement compris. Toutes les activités d'un service du domaine sont développées (évaluations, gestion domaniale, ventes mobilières).

Le manque d'effectifs ne touche pas que les services du domaine. À La Réunion, par exemple, « les fortes contraintes qui pèsent un peu plus chaque année sur les effectifs conduisent la DEAL à arbitrer, non sans difficulté, sur un volet d'actions prioritaires et à effectuer inexorablement certaines de ses missions de manière dégradée. » 46 ( * ) Dans les zones balnéaires de l'ouest de l'île, des terrains domaniaux ont fait l'objet de cessions par le passé, si bien que le territoire est devenu semi-urbanisé. D'après M. Louis-Olivier Roussel, directeur-adjoint de la DEAL de La Réunion: « On peut même utiliser le terme de « gruyère ». L'État ne dispose pas actuellement des moyens financiers pour assurer la protection des espaces qu'il conserve en gestion et nous nous interrogeons sur la façon dont nous pouvons continuer à les gérer. On peut citer en exemple sur ce sujet trois conventions de gestion, qui ont été signées avec les communes de Saint-Paul, de Saint-Pierre et de Saint-Leu. [...] Les moyens financiers sont limités. Les moyens attribués à la gestion du domaine public fluvial représentent en moyenne 150 000 € par an. Les moyens financiers affectés au domaine privé de l'État - et notamment les ravines sèches - et au domaine public maritime sont inexistants. » 47 ( * )

À ces difficultés de moyens humains et financiers, qui pèsent également sur des établissements publics comme l'ONF dont l'intervention dans les outre-mer est fragilisée par un déficit d'environ dix millions d'euros 48 ( * ) , s'ajoutent les défauts des systèmes informatiques .

Par exemple, le logiciel Komala mis au point pour la DRFIP de Guyane par l'Agence de services et de paiement (ASP) n'est pas labellisé et ne paraît pas adéquat. Les cessions foncières en Guyane ne peuvent pas être intégrées dans l'outil national de suivi des cessions. Il n'existe pas d'outil informatisé de suivi contentieux, alors même que la base originelle du droit domanial est jurisprudentielle et que les recours sont fréquents. Il n'existe pas non plus d'outil cartographique répondant aux besoins malgré un travail avec l'Institut géographique national (IGN) pour coupler leurs systèmes et disposer d'un référentiel unique des parcelles.

Ce problème ne se pose pas uniquement en Guyane, ni dans les autres DOM. Ainsi, le DRFIP de Nouvelle-Calédonie pointe également comme entrave à son action « un manque d'outils informatiques et statistiques fragilisant les évaluations ». 49 ( * )

Vos rapporteurs recommandent donc une réévaluation des moyens humains mis à la disposition des services locaux du domaine en outre-mer, ainsi qu'un audit de leurs systèmes d'information en vue de leur refonte et leur mise en cohérence.

2. Une absence de stratégie nationale qui rejaillit sur l'action des services locaux
a) Un pilotage sans gouvernail

Entre les auditions des services centraux de l'État en charge de la gestion du domaine et les enseignements recueillis lors des déplacements, auprès des services déconcentrés et au contact du terrain, vos rapporteurs ne pouvaient soupçonner plus grand écart. Comme l'expliquait à la délégation, un directeur régional en proie à la difficulté d'exercice de la gestion domaniale en outre-mer : « du niveau national, je reçois surtout l'indifférence ».

En particulier, la connaissance des problématiques foncières propres aux outre-mer, tant à France Domaine qu'au service de la gestion fiscale par les services centraux du ministère des finances, est apparue manifestement insuffisante pour faire face aux enjeux. Mme Nathalie Morin, chef du service France Domaine l'a reconnu avec honnêteté lors de son audition du 20 janvier 2015 : « En recevant vos questions, j'ai pris conscience du très grand nombre de mesures existantes et j'avoue que je ne les maîtrise pas. »

Au fond, le domaine de l'État outre-mer reste dans l'angle mort de la politique immobilière nationale. De l'aveuglement naît le désintérêt, et bientôt le délaissement. C'est là que se trouve la racine du mal et c'est ce qui explique la prolifération des statuts fonciers dérogatoires, la fluctuation des normes sans horizon de long terme, le renvoi des difficultés à des facteurs extérieurs à l'administration et la compression des moyens humains et financiers.

Vos rapporteurs regrettent vivement l'absence de doctrine nationale de l'État sur son domaine outre-mer, c'est-à-dire l'absence de réponse cohérente à la simple question « quels biens conserver pour quelles fins ? ». Sans l'édification d'une stratégie nationale, la légitimité des propriétés de l'État, qui restent dans l'esprit des populations comme un symbole de l'époque coloniale, sera toujours soumise à contestation, et l'efficacité de sa gestion au gré de la rotation des représentants de l'État, toujours incertaine et intermittente.

Vos rapporteurs demandent donc que soit élaboré un document d'orientation et de programmation à long terme de la politique domaniale dans les outre-mer qui devra ensuite être déclinée dans des stratégies régionales compatibles avec les SAR. Cette feuille de route trouvera naturellement sa traduction dans les lettres de mission adressées aux préfets dans le souci d'assurer une double cohérence, territoriale et temporelle, à l'action de l'État. À défaut, persistera la tentation d'un immobilisme de fond, ponctué par à-coups d'interventions épisodiques et décousues.

b) Une coordination entre acteurs déconcentrés complexe dans les faits

La multiplicité des opérateurs intervenant sur des parcelles de statuts très divers, le fractionnement des procédures et l'exercice conjoint de compétences sur certains éléments du domaine rendent la coordination à la fois essentielle à une bonne gestion et complexe à mettre en place.

Or, sur plusieurs exemples, vos rapporteurs ont pu noter des divergences d'approche et de méthode, des frictions et des tensions , entre les services déconcentrés et entre les établissements publics. Il faut y porter réponse sous peine de paralysie de l'action de l'État avec toutes les répercussions en chaîne que cela entraîne pour les collectivités territoriales et les particuliers.

Deux exemples peuvent être pris en guise d'illustration : les cessions du domaine privé en Guyane et les relations entre l'ONF et les parcs nationaux en Guadeloupe, en Guyane et à La Réunion.

(1) Les cessions du domaine privé en Guyane

Diverses dispositions propres à la Guyane du CG3P prévoient des mécanismes de sortie de biens hors du domaine privé de l'État. Au-delà des possibilités classiques de cession onéreuse, il existe des dispositifs de concessions et de cessions gratuites :

- pour l'aménagement et la mise en valeur agricole des terres domaniales (art. L. 5141-1 à L. 5141-6 CG3P) ;

- pour la réalisation d'équipements collectifs, la construction de logements sociaux et l'exercice de services publics (art. L. 5142-1 et L. 5142-2 CG3P) ;

- pour leur utilisation par des communautés d'habitants tirant traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt (art. L. 5143-1 CG3P) ;

- pour régulariser les personnes physiques occupant 50 ( * ) des constructions principalement affectées à leur habitation 51 ( * ) (art. L. 5144-1 à L. 5144-36 CG3P).

Pour mettre en oeuvre ces dispositifs de cession gratuite, des commissions d'attribution foncière sont instituées pour rassembler les différents services concernés et prendre une décision sur la base d'une instruction globale du dossier. Cette solution est intéressante, mais demeure trop partielle.

Premièrement, elle ne couvre pas les cessions onéreuses à des particuliers, qui sont la principale source d'engorgement et de contentieux. Rien ne permet donc en l'état ni de les accélérer, ni de les sécuriser. Ces cessions onéreuses relèvent exclusivement de la DRFIP et, lors de leur audition sur place, les responsables de l'ONF et de la DAAF se sont plaints d'un service des domaines associant peu les services gestionnaires aux décisions, alors même qu'elles peuvent avoir des conséquences agricoles et forestières. L'avis du gestionnaire des terrains n'est pas toujours pris en compte, ce qui ne contribue pas à maintenir un climat de confiance mutuelle entre les services déconcentrés de l'État au service d'une politique claire et stable.

En outre, des marges d'amélioration existent aussi en matière de traitement des dossiers de transfert ou de déclassement du domaine public maritime et fluvial. De l'aveu de la DEAL, « un travail plus étroit sécuriserait davantage les projets en prenant en compte l'ensemble du droit applicable ». 52 ( * ) Vos rapporteurs y voient le signe, au-delà d'une amélioration potentielle de la machinerie administrative, que l'État lui-même a du mal à appréhender la complexité du droit domanial ultramarin dont il est pourtant la première source.

Ensuite, en dehors des commissions d'attribution foncière, il n'existe que des échanges informels entre services qui, selon la DRFIP, « en pratique, n'assurent que peu de convergence des logiques et des doctrines professionnelles ». Le service domanial ne partage manifestement pas la même vision de la politique de mise de valeur agricole que la DAAF, estimée trop prudente et peu favorable aux grands schémas systématiques.

Un besoin de fluidification et de simplification des procédures entre services déconcentrés de l'État se fait sentir. Une clarification des rôles entre la DAAF et la DRFIP serait nécessaire. D'après les services de l'agriculture, aujourd'hui, c'est la DAAF qui instruit la demande de cession pour mise en valeur agricole, qui localise les parcelles dans les documents d'urbanisme, alors que cela relève du service du domaine.

Enfin, la coopération avec les collectivités territoriales n'est pas assez poussée, malgré les avis requis auprès des maires. Ces derniers ont beaucoup de peine à élaborer une politique foncière globale et cohérente en l'absence de documents d'urbanisme et de réserves foncières suffisantes, ce qui explique leurs délais de réponse aux demandes d'avis. Il serait au moins souhaitable de mettre en place une stratégie de gestion du foncier de l'État partagée et adossée au schéma d'aménagement régional (SAR) , le document maître.

(2) Les relations entre l'ONF et les parcs nationaux

Les trois parcs nationaux ultramarins sont des établissements publics administratifs dont la tutelle est assurée par le ministère de l'écologie et du développement durable. Ils assurent des missions de protection et de valorisation, d'appui au développement durable et d'accueil du public. Leur charte, validée par un décret en Conseil d'État, programme sur douze ans les objectifs pour la zone de coeur, ainsi que les orientations pour l'aire d'adhésion qui ont été définies en partenariat avec les acteurs locaux, notamment les communes.

Les parcs nationaux ne sont pas des opérateurs fonciers. Ils assurent certes, pour partie, la gestion d'un territoire, mais n'ont pas vocation à devenir propriétaire des terrains concernés.

En Guyane , le foncier compris dans le périmètre du parc national appartient au domaine privé de l'État et les terres classées en coeur de parc sont affectées à l'établissement public. Conformément au II de l'article
L. 211-1 du code forestier, les forêts mises à disposition d'un établissement public national pour l'exercice de ses missions cessent de relever du régime forestier. Dans l'aire d'adhésion, où le parc n'est pas gestionnaire mais seulement conseil des collectivités et des acteurs locaux, le domaine privé forestier de l'État est géré par l'ONF.

L'ancien 53 ( * ) directeur régional de l'ONF en Guyane, M. Nicolas Karr a précisé lors de son audition que :

« Dans le grand sud, c'est-à-dire la forêt intérieure et la zone de libre adhésion du parc amazonien, nous ne faisons pas grand-chose hormis de la surveillance de l'orpaillage illégal. Nous effectuons des missions héliportées, parfois des missions terrestres avec les forces de l'ordre et nous utilisons la télédétection par images satellite. [...] Très concrètement, certains de nos agents vont de temps en temps à Saül, Maripasoula et Papaïchton exercer leur métier de gestionnaire forestier et, le reste du temps, le parc exerce d'autres missions en coordination. Nous ne souhaitons pas, et nous ne pourrions pas, d'ailleurs, poster des agents dans l'intérieur, puisque le parc a ses propres effectifs sur place. » 54 ( * )

Source : ONF Guyane

Le zonage complexe de la forêt guyanaise

Plusieurs statuts de forêts coexistent en Guyane :

- La forêt littorale appartenant en majorité au domaine privé de l'État ou au Centre national d'études spatiales (CNES) et couvrant environ 400 000 hectares gérés par l'ONF ;

- Le domaine forestier permanent soumis au régime forestier couvrant 2,4 millions d'hectares gérés par l'ONF qui l'exploite selon des plans de gestion pluriannuels ;

- Les forêts intermédiaires entre le Parc amazonien de Guyane et le domaine forestier permanent : surveillé par ONF, mais non exploité pour 1,1 million d'hectares ;

- le Parc amazonien de Guyane (PAG). Il possède le même statut que les dix parcs nationaux français : il est créé par décret en Conseil d'État et son territoire est soumis à un principe général d'interdiction des activités, sauf exceptions. Le régime forestier ne s'y applique pas. Il faut y distinguer la zone de libre adhésion pour 1,4 million d'hectares plus proches des bourgs où l'ONF intervient encore et la zone de coeur pour deux millions d'hectares, qui constitue un espace strict de protection et de recherche géré par le PAG. La zone de coeur répond à un droit particulier selon lequel le président du parc se substitue aux maires en faveur de la préservation des écosystèmes. Dans la zone de libre adhésion, qui équivaut à une zone tampon, prévue par la loi du 14 avril 2006 sur les parcs nationaux, en négociation avec les communes, le droit commun de l'environnement s'applique et un document communal précise les orientations en matière de développement économique local.

Les relations entre le parc amazonien et l'ONF font l'objet d'une convention de partenariat pour éviter tout doublon avec le parc amazonien de Guyane et répartir les rôles en privilégiant une logique de coopération. D'après M. Gilles Kleitz, le directeur du parc, il existe une bonne articulation sans chevauchement de compétences entre le PAG et l'ONF.

Tel n'est pas le cas dans les autres territoires. En Guadeloupe et à La Réunion, le foncier classé en parc national relève en effet majoritairement du statut départemento-domanial. L'ONF est le gestionnaire historique de ce foncier mais, contrairement à la Guyane, la création des deux parcs nationaux ne s'est pas accompagnée d'un changement d'affectation du foncier classé en coeur. Il en résulte une superposition préjudiciable qui s'est traduite par de très sérieuses tensions liées à des choix de gestion différents.

En ce qui concerne le parc de Guadeloupe , le plus ancien, la contraction des moyens publics et l'intégration de certains personnels de l'ONF au sein de l'équipe du parc ont permis d'apaiser les relations, aujourd'hui réglées par convention.

En revanche, cet équilibre n'est pas atteint au parc national de La Réunion , où « les importants travaux liés aux aménagements forestiers et touristiques sont difficiles à concilier avec les contraintes qu'imposent une biodiversité particulièrement sensible » d'après la DGALN. 55 ( * )

Le préfet de La Réunion, M. Dominique Sorain, se retrouve dans la situation de devoir « arbitrer entre le Parc national, qui souhaite laisser le plus possible ces forêts en l'état, quitte à les mettre sous cloche pour protéger totalement la nature, et l'ONF, qui souhaite viabiliser une partie de cette forêt pour l'exploiter. La filière bois n'est pas négligeable mais il faut trouver un équilibre en tenant aussi compte des intérêts du Parc. » 56 ( * )

On peut aller jusqu'à parler de crise précontentieuse, alors que même la création de pistes de défense de la forêt contre l'incendie (DFCI) est sujet de contestation. Les difficiles relations que le parc entretient avec ses partenaires mises en évidence lors de l'écriture de la charte, encore largement contestée par les communes, se sont dégradées après les grands incendies de 2010 et 2011 touchant le coeur du parc. À cette occasion l'établissement a été perçu par les autres services (SDIS, DAAF, ONF) comme un obstacle au bon déroulement de la lutte contre l'incendie en s'opposant à l'ouverture de pistes ou à la création de pare-feux. 57 ( * )

Des tensions sont aussi apparues dans le cadre de travaux sur le gîte de montagne Roche Écrite géré par l'ONF du fait d'un non-respect de certaines clauses par l'entrepreneur de travaux. Posait problème pour le parc l'approvisionnement par hélicoptères des matériaux. L'autorisation fait l'objet d'un recours contentieux par l'entrepreneur, ce qui alimente les suspicions entre établissements. C'est encore est un exemple récent de la difficulté des deux établissements à établir un réel partenariat de travail.

Vos rapporteurs partagent l'appréciation du directeur général de l'ONF, M. Pascal Viné :

« Il est clairement inadmissible que deux établissements publics de l'État ne puissent travailler ensemble. Je ne peux me satisfaire d'une situation de tension entre deux établissements publics. Le paradis ne peut pas être transformé en enfer par l'État ! [...]Il faut reconnaître que la superposition des structures ne rend pas les choses faciles. [...]Le Parc et l'Office n'ont ni le temps ni les moyens de superposer les structures et de continuer à s'observer en chiens de faïence. Nous partageons une tutelle commune avec le Parc, à savoir le ministère de l'écologie, nous devons trouver une voie pour sortir de cet imbroglio, à la hauteur de ce qu'attendent les Réunionnais. »

La situation est d'autant plus inacceptable qu'elle est connue depuis longtemps sans cesser de s'envenimer. On ne peut manquer de s'étonner de l'inefficacité des différentes interventions menées depuis la création du parc :

- une inspection du Conseil général de l'environnement et du développement durable en 2009 portant une attention particulière à ce sujet ;

- une mission spécifique de la direction de l'eau et de la biodiversité diligentée en 2012, suite à des incendies de forêt dont le traitement a cristallisé les oppositions entre les deux établissements ;

- en 2013 et 2014, la définition d'une position commune entre le ministère du développement durable et le ministère de l'agriculture ;

- un courrier cosigné du directeur de l'eau et de la biodiversité et du directeur général de l'ONF en décembre 2014 demandant aux deux directeurs de normaliser leurs relations.

Il est à souhaiter que la convention de partenariat qui vient d'être finalisée entre les deux établissements se traduise concrètement, malgré la persistance de la superposition d'affectation foncière. Vos rapporteurs s'inquiètent de l'impuissance manifeste de la tutelle sur les établissements, qui pourrait être interprétée comme un symptôme soit de l'acrasie, soit de l'impéritie de l'État dans la gestion de son domaine outre-mer.

II. UN ÉTAT QUI ENTEND GARDER LA MAIN, MALGRÉ UNE GESTION DOMANIALE INEFFICACE

Alors que l'État peine à assumer le poids de la gestion d'un domaine hypertrophié, qu'il ne parvient ni à protéger suffisamment contre les occupations illégales, ni à mobiliser au service du développement économiques des outre-mer, il repousse la perspective d'un transfert significatif de propriété au profit des collectivités territoriales.

A. UNE LUTTE DIFFICILE CONTRE LES OCCUPATIONS DU DOMAINE

Le constat préoccupant de la multiplication des occupations sans droit ni titre du domaine tant public que privé appelle une remobilisation des services de l'État afin de pallier les lacunes manifestes dans la protection d'espaces présentant un intérêt stratégique pour les outre-mer.

1. Des carences dans la protection du domaine qui ne sont pas une fatalité
a) Un constat préoccupant tant sur le domaine public que sur le domaine privé

La persistance des installations et des constructions sans droit, ni titre sur le domaine de l'État est patente dans les outre-mer . Le phénomène prend une ampleur différente selon les territoires et selon les sites de tout type, mais sont touchés aussi bien le domaine privé que public, les côtes que les bords de fleuves, les abords des routes que les immeubles désaffectés.

Ces occupations, parfois très récentes, parfois anciennes se font au vu et au su de tous. Elles peuvent avoir des causes sociales, en raison de la pression foncière et de la prégnance de l'habitat indigne et insalubre, mais parfois elles ressortissent purement et simplement à une volonté d'accaparement de terres à des fins spéculatives.

Vos rapporteurs ont pu le constater par eux-mêmes au cours de leurs déplacements. Sur le domaine public maritime en Martinique, les enrochements et les appontements illégaux sont nombreux sur le rivage et les constructions d'habitation allant de l'amas de tôles à la villa cossue ne sont pas rares dans la zone des cinquante pas géométriques. Les cas de squats d'immeubles, de défrichement illégal et d'occupations de terrains du domaine privé se multiplient de façon incontrôlée en Guyane et à Saint-Martin notamment. Le constat fait sur place est corroboré tant par l'analyse du contentieux que par les rapports d'inspection.

Les recherches entreprises par le service de documentation de la cour administrative d'appel de Bordeaux ont mis à jour, sur la dernière période décennale de 2004 à 2014, 105 décisions relatives au contentieux du domaine dans le ressort géographique ultra-marin de la juridiction 58 ( * ) . Les deux principaux enseignements sont les suivants :

- une très forte proportion de litiges (73 décisions, soit 69,5 %) dans le contentieux des contraventions de grande voirie, généré par l'implantation irrégulière de constructions dans la ZPG relevant du domaine public maritime 59 ( * ) ;

- une très grande dispersion de décisions rendues dans le contentieux ultra-marin du domaine public et privé de l'État.

L'activité du tribunal administratif de Fort-de-France
en matière de contentieux domanial

Le contentieux du domaine de l'État en Martinique consiste quasi exclusivement en un contentieux de contraventions de grande voirie.

Sur les 88 requêtes enregistrées au cours des 10 dernières années concernant directement le domaine de l'État, 86 étaient des contraventions de grande voirie et deux seulement étaient relatives à des refus de cession de parcelles relevant de la zone des cinquante pas géométriques opposés par le préfet.

Dans la très grande majorité des cas, les occupations irrégulières poursuivies ont porté sur la construction d'extensions de résidences principales et la réalisation de résidences secondaires, d'appontements, de locaux professionnels (restaurant, garage...) sur la zone des cinquante pas géométriques.

Les communes en cause dans ces contentieux sont pour l'essentiel des communes situées sur les côtes centre Est et Sud Est de l'île (La Trinité, Le Robert, Le François et Le Vauclin).

Sources : Réponse écrite du 7 avril 2015 de Mme Bénédicte Folscheid, présidente du TA aux questions de la délégation.

Ces données chiffrées peuvent paraître faibles au regard du contentieux administratif global (1,25 % des affaires du TA de Basse-Terre contre 28 % pour le contentieux des étrangers 60 ( * ) ). Elles sont néanmoins d'un ordre de grandeur analogue à celui de départements littoraux métropolitains connaissant une forte pression foncière. Par exemple, 23 contentieux en appel depuis 2010 sont recensés pour les Alpes Maritimes contre 18 en Martinique pour une population cependant deux fois moins nombreuse et aux revenus nettement plus faibles.

En outre, toutes les infractions ne donnent pas lieu à une contravention et toutes les contraventions ne donnent pas lieu à un contentieux, si bien que les statistiques des juridictions minorent le phénomène et constituent un plancher, sans que l'on puisse déterminer une évaluation précise de l'ampleur du phénomène qui sur le terrain saute aux yeux.

De 1985, juste avant l'adoption de la loi « Littoral », à aujourd'hui, les missions d'inspection successives ont pu mettre en évidence une croissance régulière du nombre des occupants sans titre installés sur la ZPG. 61 ( * ) Ce phénomène, néfaste pour l'environnement, l'est aussi pour le potentiel de développement économique des territoires, dont un littoral préservé constitue une richesse touristique à préserver jalousement.

Dans la mesure où l'État a entrepris depuis au moins 130 ans diverses actions de régularisation des occupations de la ZPG et depuis 30 ans une politique rigoureuse de protection du littoral, la persistance sur le long terme et sans fléchissement d'un contentieux de grande voirie constitue un indice irrévocable des carences de l'État en matière de gestion de son domaine outre-mer.

Le rapport rendu en avril 2014 par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) sur l'application de la loi « Littoral » dans les DOM, sans pouvoir présenter de bilan quantitatif, révèle que les difficultés liées à la police de l'urbanisme et de l'environnement y sont plus intenses qu'en métropole. 62 ( * ) Il prend « la mesure de l'importance particulière du phénomène de construction illicite et de la difficulté pour les documents de planification à encadrer efficacement le développement dans les territoires à forte croissance démographique, comme La Réunion mais surtout la Guyane et Mayotte. » 63 ( * ) Le faible respect de la domanialité face aux différentes occupations illicites, quel que soit l'opérateur gestionnaire, est reconnu par les services, qui ne manquent pas de l'identifier comme un problème majeur. 64 ( * )

Les différences entre collectivités y sont aussi relevées, y compris entre les îles des Antilles. Ainsi, d'après les inspecteurs, « la Guadeloupe se distingue des autres DOM par l'importance d'espaces littoraux peu urbanisés, mais régulièrement objet d'occupations sans titre, et la concentration de l'habitat informel et insalubre dans les parties urbanisées de la ZPG. Contrairement à la Martinique, peu de grandes propriétés sont concernées et l'enjeu social est généralement prépondérant. » 65 ( * )

Toutes les occupations illégales ne poursuivent pas des fins d'habitation, à titre principal ou secondaire. Elles peuvent donner lieu à des activités professionnelles très diverses. Ainsi, à Saint-Martin, cinq occupations illégales sont actuellement constatées sur les terrains gérés par le Conservatoire du littoral ou la réserve marine, sur les Salines d'orient et au Galion : une ferme aux papillons, un centre équestre, un dresseur de chiens, un refuge d'animaux, un abri et les cultures vivrières d'un agriculteur. 66 ( * ) De même sont fréquentes sur le domaine public fluvial de Guyane les installations à usage commercial (restaurants et centres de loisirs) ne bénéficiant pas d'autorisation temporaire d'occupation (AOT).

Toutefois, le principal problème de la Guyane réside plutôt dans l'explosion des occupations sans titre du domaine privé que le préfet de Guyane 67 ( * ) comme le conseil général 68 ( * ) qualifient de « véritable fléau ». Les occupations illégales touchent le domaine du conseil général comme celui de l'État ou les propriétés privées. Tout immeuble désaffecté ou inoccupé est susceptible d'être rapidement capté, ce qui contribue à bloquer le marché foncier et certains programmes d'équipement ou de promotion immobilière. Les rumeurs se propagent très vite et en 24 heures, des squats peuvent s'installer dans un bâtiment laissé vide. L'endiguement d'un squat à un endroit ne fait que déplacer le problème ailleurs. Les installations se produisent même sur des terrains classés zones à risque, comme des collines de l'île de Cayenne inscrite dans un programme de prévention des risques (PPR) de mouvement de terrain.

b) Le cas particulier des forêts littorales

Le flux d'implantations nouvelles et la difficulté à résorber le stock ne doivent pas conduire au découragement et au fatalisme, qui ne feraient qu'aggraver une situation déjà instable. L'exemple des forêts domaniales du littoral gérées par l'ONF montre qu'il est possible d'agir et d'obtenir des résultats pour éviter le mitage des espaces naturels.

Ces forêts, qui ne sont pas en régie directe des DEAL, bénéficient en effet plutôt d'une meilleure surveillance et protection que les autres parties du domaine public naturel. Qu'elles appartiennent au domaine privé ou au domaine public pour le cas particulier des mangroves, elles bénéficient de la protection particulière du régime forestier propre aux outre-mer contre les occupations et empiètements de toute nature.

Les dispositions du code forestier relatives à la protection
des forêts domaniales ultramarines contre les occupations sans titre

« Le fait d'occuper sans titre ou de procéder à un empiètement de toute nature entraînant la destruction de l'état boisé dans les bois et forêts relevant du régime forestier est puni d'une amende de 3 750 euros par hectare détruit, sans préjudice de la confiscation des récoltes, des outils et des installations . Toute fraction d'hectare est comptée pour un hectare. » (L. 271- 3 du code forestier, pour la Guadeloupe)

« Dès l'établissement d'un procès-verbal constatant une occupation sans titre ou un empiètement de toute nature entraînant la destruction de l'état boisé dans les bois et forêts relevant du régime forestier, l'Office national des forêts peut procéder, sur autorisation de l'autorité administrative compétente de l'État, au rétablissement de ces derniers en l'état primitif aux frais du délinquant . L'autorité administrative compétente de l'État arrête le mémoire des travaux exécutés et le rend exécutoire. » (L. 271- 4 du code forestier, pour la Guadeloupe)

« Quiconque réside sur une parcelle relevant du régime forestier sans titre valable de location ou s'y est installé temporairement sans autorisation est passible d'expulsion immédiate, sans préjudice des amendes prévues par des dispositions réglementaires » (L. 271-5 du code forestier, pour la Guadeloupe)

Les mêmes dispositions existent dans les autres départements dans d'autres articles, chaque département ayant droit à son chapitre particulier au sein du titre VII du livre II du code forestier décrivant le régime forestier.

L'avantage essentiel réside cependant dans le fait que l'ONF demeure un service de terrain à la différence de la DEAL qui ne l'est plus depuis longtemps. Lutter contre les occupations nécessitent en effet de pouvoir intervenir très rapidement pour éviter des constructions en dur. La surveillance régulière des espaces est donc la clef . Il ne s'agit pas de mettre un agent derrière chaque arbre, mais de faire de la surveillance régulière en arpentant la zone. Les agents de l'ONF ont l'habitude de s'acquitter de cette tâche sur laquelle est basée par ailleurs toute la gestion forestière.

C'est pourquoi l'ONF dispose d'une cartographie précise des occupations qu'elles soient régularisées ou illicites . Une base de données occupation (BDO) permet le recensement et le positionnement des installations avec des informations sur l'identité de l'occupant et sur la nature de l'occupation. Y sont inscrites également toutes les informations juridiques et foncières nécessaires, ainsi que des photographies aériennes et prises sur le terrain. En Martinique, fin 2014, 589 occupations de forêts publiques étaient recensées dans la base de données, dont 210 concessions de régularisations et une centaine d'occupations inventoriées ayant donné lieu à un premier contact avec l'occupant.

Bien que les interventions soient parfois difficiles, 90 % des procès-verbaux dressés en Martinique pour occupation du domaine public le sont par des agents de l'ONF, d'après son directeur régional. Le partenariat de l'Office avec le procureur, essentiel pour assurer le suivi des procédures et l'effectivité des sanctions, est jugé de bonne qualité. 69 ( * )

Cependant, même dans les parcelles gérées par l'ONF, une baisse de vigilance ou une réduction des interventions de gardiennage entraîne une reprise des dégradations et atteintes à l'environnement. La tendance au rétrécissement des effectifs dans un contexte de tensions sur les finances publiques peut menacer le relatif équilibre actuel. La DGALN reconnaît à cet égard que « les contraintes budgétaires qui pèsent sur les opérateurs de l'État conduisent à s'interroger sur leur capacité à long terme à assumer une intervention constante » 70 ( * ) sur les espaces naturels du domaine public ultramarin.

Parallèlement à l'activité de surveillance et de sanction , est aussi entreprise une conciliation avec les occupants historiques pour la régularisation de leur situation . La situation est en effet rendue paradoxalement plus complexe dans la forêt domaniale littorale que dans le reste de la ZPG appartenant au domaine public, car l'aliénation de parcelle sous régime forestier relève de la compétence du seul législateur, ce qui entraîne une quasi-inaliénabilité de fait. Une solution novatrice a toutefois été trouvée en Martinique sous l'égide de notre collègue rapporteur Serge Larcher via un protocole d'accord ouvrant des possibilités de concession trentenaire renouvelable aux occupants historiques.

Les régularisations d'occupation par concession
sur la forêt domaniale littorale de Martinique

Le protocole d'accord signé le 27 février 2014 entre l'ONF Martinique et l'Union des associations du Littoral de la Martinique (UALM) réunissant les occupants règle les installations antérieures au 31 décembre 1984, date de la dernière incorporation par arrêté préfectoral de parcelles de la ZPG au sein de la forêt domaniale du littoral.

Il permet d'accorder aux occupants historiques une concession trentenaire renouvelable, transmissible et cessible. Il prévoit la possibilité d'une reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit par le cyclone Dean ou en cas de sinistre lié à une cause naturelle. Le non-renouvellement de la concession à son échéance doit être motivé par un projet d'intérêt général, avec déclaration d'utilité publique pour les terrains bâtis.

La propriété reste à l'État. Compte tenu de la nature des occupants, souvent des pêcheurs et des familles aux ressources modestes, les concessions sont attribuées à titre quasiment gratuit. Le protocole a pour l'instant été mis en oeuvre à la satisfaction des parties.

Le règlement des cas transitoires, pour les occupations commencées entre le 1 er janvier 1985 et le 31 décembre 2005, est encore en cours de négociation avec l'association. Plusieurs cas de figure se rencontrent. Il y a des occupations de bâtis sur le domaine privé de l'État et des occupations par des riverains ayant installé une piscine ou un jardin sur le domaine privé de l'État. Certains sont des propriétaires de terrains non bâtis et sollicitent une concession. Au cas par cas, des concessions de durée variable sur tout ou partie des bâtiments et dépendances pourront être délivrées. Le protocole d'accord stipule que l'interdiction totale n'interviendra que dans très peu de cas.

Une commission consultative composée de représentants de l'ONF, de l'UALM, de la préfecture et des communes concernées est constituée et pourra émettre un avis sur le traitement des dossiers.

Les occupants installés après 2005 sont considérés comme des occupants illicites en toute connaissance de cause. Dans ce cas, le droit commun s'applique : un procès-verbal est dressé et la démolition des constructions peut être ordonnée.

Source : audition de l'ONF à Paris le 14 janvier 2015 et de la direction régionale Martinique à Fort-de-France le 16 avril 2015 - Texte du protocole d'accord ONF-UALM.

2. Des procédures et des paradoxes créant des effets d'aubaine et nécessitant une remobilisation de l'État
a) Des procédures de protection propres au domaine public tenues en échec

Aux termes de l'article L. 2132-3 du CG3P, « nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d'amende. Nul ne peut en outre, sur ce domaine, procéder à des dépôts ou à des extractions, ni se livrer à des dégradations. »

Avant même d'envisager tout aggravation des peines encourues ou l'ajout de nouvelles sanctions, il est primordial de lutter contre un sentiment d'impunité en utilisant pleinement tous les moyens légaux disponibles afin d'endiguer le mitage progressif du littoral et une urbanisation anarchique. Or, si les procédures de protection du domaine public, comme celles de contraventions de grande voirie (CGV), ne permettent pas d'endiguer les occupations illicites dans les outre-mer, c'est en partie simplement parce qu'elles ne sont pour l'instant pas suffisamment appliquées .

Les difficultés à « tuer dans l'oeuf » les implantations nouvelles viennent d'un défaut de surveillance, qui retarde la constatation et la verbalisation des infractions. Mais elles viennent aussi d'un manque d'articulation entre la police du domaine et la police de l'urbanisme, en particulier les arrêtés interruptifs de travaux que peuvent prendre les maires.

Il est également regrettable de constater une sous-utilisation des procédures de saisie et de destruction des matériaux de construction . Cette possibilité est pourtant ouverte spécifiquement pour les installations ou les constructions non autorisées en cours de réalisation sur la zone des cinquante pas géométriques par l'article L. 2132-3-1 du CG3P, alors que les dispositions de droit commun pour le reste du domaine public maritime en reste à la simple confiscation.

Vos rapporteurs ne peuvent qu'avouer leur incrédulité devant les justifications fournies sur ce point par la DEAL de Martinique, selon laquelle les services de l'État ne disposeraient pas des moyens matériels adéquats -camions, pelles et entrepôt- pour saisir des matériaux de construction. 71 ( * ) S'il était avéré que l'État fût aussi impécunieux, il serait indispensable de débloquer sans délai les crédits nécessaires à leur acquisition, ces coûts étant destinés à être compensés par le surcroît d'efficacité et les économies réalisées par rapport à d'autres procédures plus lourdes et incertaines.

Les installations ou les constructions non autorisées en cours de réalisation sur la zone des cinquante pas géométriques peuvent, sur autorisation administrative et après établissement d'un procès-verbal constatant l'état des lieux, faire l'objet d'une saisie des matériaux de construction en vue de leur destruction.

Il ne faut pas pour autant négliger la lenteur et la lourdeur des procédures qui offrent à toutes les étapes de nombreux motifs de contestation devant le juge. La qualité de l'agent assermenté dressant le constat, la validité du procès-verbal, la transmission à l'occupant, la caractérisation des faits, l'identification des parcelles et la délimitation exacte du domaine public maritime fournissent autant de motifs au requérant.

En cas de condamnation, les appels ne sont pas rares. En cas d'annulation de la procédure pour vice de forme, elle n'est pas toujours reprise. La situation peut demeurer ainsi bloquée pendant de longues années avant une décision définitive. Des retards dans les notifications par le greffe ont été parfois relevés. L'analyse de la jurisprudence de la cour administrative d'appel de Bordeaux révèle des délais compris généralement entre deux et six ans entre le procès-verbal et le jugement en appel, sans compter un dernier recours devant le Conseil d'État.

Enfin, les décisions de justice ne sont pas toujours exécutées . Les astreintes ne sont pas systématiquement sollicitées, ni recouvrées lorsque c'est le cas. Il faut aussi souligner que plus le délai court et plus les montants des astreintes deviennent importantes, au point que leur liquidation devient plus improbable que menaçante. Les démolitions et remises en état sont très rares. 72 ( * ) En cas de condamnation à démolir, l'État peut devoir procéder à l'exécution d'office, ce qui implique de mobiliser les moyens humains et financiers non négligeables, tandis que les entreprises locales de construction rechignent à se prêter à ce type d'opération.

Constatant que les moyens humains et financiers dévolus à la gestion du domaine sont trop faibles pour assurer sa protection, alors que les espaces concernés revêtent une importance stratégique pour les territoires, vos rapporteurs demandent la réévaluation des ressources des services déconcentrés et des opérateurs concernés.

L'autorité de l'État et sa capacité de dissuasion s'affaiblissent par manque de suivi, de continuité et de cohérence dans l'action. Par vague, souvent liée à l'arrivée d'un nouveau préfet volontaire, la police du domaine se durcit mais l'impulsion ne dure pas. C'est d'autant plus regrettable que la poursuite des infractions sur le domaine public est d'ordre public, sans laisser de liberté de décision en opportunité. Ceci n'empêche pas l'État de sérier son action et de s'attaquer en priorité aux infractions les plus significatives. En effet, vos rapporteurs partagent le constat des inspections : « Plus qu'une question quantitative, il semble que l'enjeu de crédibilité de l'État (et des collectivités) réside dans leur capacité à sélectionner les dossiers emblématiques et les mener jusqu'à terme, y compris dans l'exécution des décisions de justice. » 73 ( * )

Il convient néanmoins de reconnaître que les responsabilités sont partagées entre les services de l'État et les maires . La chaîne administrative pêche parfois par un certain attentisme, un défaut de surveillance, un manque de suivi et de constance. Mais les élus ne sont pas tous exempts de reproches. Ils ne transmettent pas toutes les informations dont ils disposent sur les nouvelles occupations ou constructions qu'ils sont à même de repérer. Certains ont délivré des permis de construire irréguliers sur le domaine de l'État en connaissance de cause, ce que révèle l'analyse du contentieux. 74 ( * ) Les occupants se prévalent alors devant le tribunal de ce permis comme d'une reconnaissance tacite de leur occupation par l'autorité publique. Ces effets de brouillage peuvent avoir des conséquences néfastes en suscitant l'incompréhension parmi la population et en décourageant la régularisation ou le respect de la réglementation de l'urbanisme.

Même lorsqu'ils en appellent à une action ferme de la préfecture sur le territoire de leur commune, les maires adoptent des postures plus ambiguës au moment où l'on entre dans la phase aiguë du conflit avec les occupants, en cas d'expulsion ou de démolition. M. Joachim Bouquety, maire de Grand'Rivière et président de l'Agence des cinquante pas géométriques de Martinique a parfaitement résumé les enjeux sociaux sous-jacents et la position inconfortable des élus, qui renvoient l'État à sa responsabilité de garant de l'ordre public : « Certains font des demandes de régularisation mais ne paient pas en considérant qu'on ne les mettra pas à la porte. Comme maire d'une petite commune sans résidences secondaires, je n'irai pas faire démolir la construction. Si le préfet veut le faire, qu'il le fasse ! Ce n'est pas la même chose dans les grandes communes comme Fort-de-France ou Le Robert. » 75 ( * )

À la décharge des maires, il faut admettre qu'ils sont soumis à des pressions parfois très fortes de la population, qui n'a pas toujours elle-même fait sien l'impératif de protection du rivage et des milieux naturels, non parce qu'ils appartiennent à l'État mais parce qu'ils constituent un atout économique pour la collectivité. Un des arguments majeurs en faveur de l'implication plus importante des collectivités territoriales dans la gestion du littoral, y compris par voies de transfert de propriété le cas échéant, est précisément de sortir de cette ambiguïté pour faciliter la compréhension par la population des enjeux et son adhésion aux actions menées.

Reconnaître l'importance du rôle des maires dans la protection du domaine ne peut toutefois conduire à exonérer l'État de ses responsabilités. Ce dernier possède une compétence générale au titre de la conservation de la police du domaine public maritime, qui n'est jamais levée, même en cas d'un transfert de gestion à une commune de terrains de la ZPG via la signature d'une convention. 76 ( * ) Selon la jurisprudence constante du Conseil d'État, le préfet est tenu de saisir le juge des contraventions de grande voirie pour faire cesser l'occupation du domaine public. 77 ( * ) Le désistement du préfet à un instant donné, pour laisser la porte ouverte à une régularisation, est sans incidence sur la reprise des poursuites, l'action publique étant imprescriptible sur le domaine. 78 ( * )

Pour renforcer la protection du domaine, il paraît essentiel de faire converger les positions et les actions de la préfecture et des maires et d'assurer une circulation rapide d'information en cas d'occupation ou de début de construction. Vos rapporteurs relève le premier pas intéressant en ce sens que constitue la convention mise en place récemment entre le préfet de Martinique et quatre communes. Les maires s'engagent à informer au plus tôt les services de l'État, qui doivent alors instruire, verbaliser et procéder à des saisies sans délai. Il est même envisagé une interprétation extensive des textes pour faciliter la régularisation de situations qui perdurent depuis très longtemps sans s'être aggravées. Reste toutefois à prendre garde à ce que ce type de régularisation n'intervienne pas dans des espaces naturels sensibles et ne soit pas interprété comme du laxisme ou de l'indifférence qui génèrerait un effet d'aubaine. Le chemin de l'efficacité entre la souplesse et la rigueur reste étroit.

b) Un domaine privé paradoxalement moins protégé qu'une propriété individuelle

Autant la protection du domaine public ne paraît pas nécessiter de modifications législatives ou réglementaires des polices qui l'assurent, mais leur application effective, autant l'État paraît pâtir de l'absence de dispositifs juridiques adaptés pour lutter contre les occupations de son domaine privé.

La presse s'est fait en 2015 l'écho d'affaires retentissantes de squats dont étaient victimes des particuliers, qui parvenaient avec difficulté à retrouver la possession de leur bien. On peut comprendre dès lors les difficultés rencontrées par l'État. D'une part, il ne peut utiliser les procédures de contravention de grande voirie, ni des prérogatives particulières de puissance publique, sous peine de voie de fait caractérisée. D'autre part, le domaine privé de l'État n'est par définition pas protégé contre les violations de domicile, qui est l'incrimination spécifique prévue à l'article L. 226-4 du code pénal pour protéger les particuliers. Cet article ne vise pas à garantir d'une manière générale la propriété immobilière contre une usurpation, mais à protéger le domicile comme lieu de vie privé justifiant une protection plus rigoureuse que celle du droit civil. 79 ( * )

Si le domaine public souffre dans les faits de la double inconstance de la préfecture et des maires, le domaine privé souffre encore plus de cette impuissance juridique qui paralyse l'État.

L'enjeu essentiel est de rendre possible l'expulsion. Le recours à la procédure d'expulsion par référé « mesures utiles » prévu par
l'article L. 521-3 du code de justice administrative est fermé. N'est pas ouverte non plus à l'État la procédure d'expulsion administrative accélérée prévue par l'article 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, issu d'un amendement de notre collègue Catherine Procaccia. Ce mécanisme protège seulement les particuliers, propriétaire et locataire, contre les violations de leur domicile en leur permettant de demander au préfet de mettre en demeure l'occupant de quitter les lieux. Au préalable, le propriétaire ou le locataire devra avoir déposé plainte, apporté la preuve qu'il est domicilié sur les lieux et fait constater l'occupation par un officier de police judiciaire. La mise en demeure est assortie d'un délai d'exécution, à l'expiration duquel le préfet est tenu de procéder à l'évacuation forcée du logement.

Il ne reste donc à l'État que la voie de droit commun du droit civil prévue par l'article 61 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution. Dans ce cadre, « l'expulsion ou l'évacuation d'un immeuble habité ne peut être poursuivie qu'en vertu d'une décision de justice ou d'un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d'un commandement de quitter les lieux. » Une procédure longue et incertaine ne peut manquer de s'en suivre.

Les délais pourraient être drastiquement raccourcis, si la procédure de flagrant délit était empruntée pour permettre aux forces de l'ordre d'intervenir sur le fondement de l'incrimination des articles 322-1 et suivants du code pénal relatifs à la destruction, la dégradation et la détérioration du bien d'autrui. Les raisons pour laquelle elle ne l'est pas, le plus souvent, demeurent obscures pour vos rapporteurs. En effet, il semble que les services de l'État commettent une erreur de droit , pernicieuse quoique répandue, qui les enferment dans une pratique plus restrictive que ce qu'imposent les textes. Il a été affirmé à de nombreuses reprises à vos rapporteurs, y compris par des préfets, qu'au bout de 48 heures, il n'était plus possible d'agir contre les squats et les occupations du domaine privé car expirait alors le délai de flagrance .

Se conjuguent là deux erreurs. D'une part, sans être une légende urbaine à proprement parler, l'idée qu'il existe un délai maximal fixe pour engager une enquête de flagrance repose sur des bases très fragiles. L'article 53 du code de procédure pénale qui définit le flagrant délit ne prévoit aucun délai précis, fixe et uniforme, mais rapporte la flagrance à ce qui « se commet actuellement ou vient de se commettre », ainsi qu'à la découverte de traces et d'indices « dans un temps très voisin de l'action. » Il n'existe pas non plus de règles prétoriennes tirées de la jurisprudence pour établir le délai de 48 heures. Rien ne laisse accréditer l'idée qu'un délai puisse être fixé une fois pour toutes pour n'importe quelle infraction. Tout dépend du cas d'espèce. Il semble que la règle des 48 heures provienne d'une interprétation extensive et rigide d'arrêts de la Cour de Cassation validant une enquête de flagrance engagée 48 heures après la commission d'un viol, en estimant que ce délai était raisonnable pour laisser la victime porter plainte. 80 ( * )

D'autre part, même s'il prévalait, sinon en droit du moins en raison d'une pratique constante, le délai de 48 heures serait inopérant dès lors que le délit est continu . La Chancellerie considère précisément que « l'infraction de violation de domicile est un délit continu : tant que la personne se maintient dans les lieux [...], les services de police et de gendarmerie peuvent diligenter une enquête dans le cadre de la flagrance. » 81 ( * ) La proposition de loi n° 586 (2013-2014) déposée par notre collègue Natacha Bouchart, adoptée par le Sénat le 11 décembre 2014, lève une ambiguïté résiduelle en distinguant mieux l'introduction dans le domicile, qui est sanctionnée lorsqu'elle est le fait de manouvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte, et le maintien dans le domicile, sanctionné en tant que tel sans restriction.

Si juridiquement le cas de la sanction de la violation de domicile est clair, avec une enquête de flagrance qui put être diligentée à tout moment et une procédure administrative d'expulsion accélérée, il reste que les immeubles privés de l'État demeurent moins protégés. C'est pourquoi vos rapporteurs proposent de rapprocher le traitement de l'occupation du domaine privé de celui de la violation de domicile .

Il conviendrait d'envisager la création d'un délit spécial d'occupation du domaine privé de l'État calqué sur l'article 226-4 du code pénal 82 ( * ) , ce qui permettrait en particulier de disposer à coup sûr d'un délit continu. Cela rapprocherait incidemment les protections du domaine privé et du domaine public, sur lequel les occupations sans titre, aux termes de l'article L. 2123-27 du CG3P, sont toujours des infractions continues. 83 ( * )

Il pourrait paraître excessif de protéger ainsi l'intégralité du domaine privé, en particulier les bois et forêts qui bénéficient déjà des protections spécifiques du régime forestier. Mais il faudrait au moins couvrir les occupations du bâti , en particulier les anciens biens du domaine public affectés à un service public et déclassés dans le domaine privé. À défaut, la désaffectation et le déclassement de bâtiments comme des casernes pour permettre des opérations immobilières, y compris au bénéfice des collectivités territoriales, continuera de donner lieu à des occupations sauvages incontrôlables.

Aux mêmes fins et pour les mêmes biens, il conviendrait également d'étudier aussi la possibilité d'ouvrir une voie d'expulsion administrative simplifiée sur le modèle de l'article 38 de la loi DALO de 2007 précitée pour s'exonérer de la procédure civile.

c) Un traitement imparfait et inefficace des demandes de cession onéreuse qui encourage l'occupation sans titre

Les occupations sans titre ne donnant lieu ni à expulsion, ni à régularisation ne pénalisent pas que l'État mais aussi les communes qui sont tenues d'apporter les équipements collectifs d'eau et d'assainissement aux occupants, sans bénéficier du produit correct des taxes foncières. Or, les demandes d'attributions onéreuses aux particuliers de terrains du domaine privé sont traitées avec trop de lenteur par les services du domaine. L'absence de réponse de l'administration ou des refus mal motivés ne peuvent que susciter des tensions avec la population, décourager les régularisations, voire encourager les occupations sans titre.

Le problème se pose avec particulièrement d'acuité en Guyane, où les opérations de cession onéreuse s'exercent sous une forte pression, qui est l'expression d'une forte demande sociale. L'insuffisance de moyens humains et informatiques, déjà évoquée, n'explique pas tout. Les procédures de cession sont imparfaites, fragiles et lourdes.

En premier lieu, le système de dévolution y est juridiquement contestable, dès lors que l'attribution aux particuliers se fait de gré à gré sans la mise en concurrence prévue à l'article R. 3211-4 du CG3P : une demande parvient aux domaines et après bornage, repérage cadastral, parcellement et avis de la collectivité , la cession intervient. Le DRFIP de Guyane estime que « ces formalités sont, à bien des égards, inadaptées et quasi inapplicables dans le département, eu égard, notamment, au nombre de cessions, à leurs faibles enjeux et au particularisme des demandes de foncier qui émanent des administrés eux-mêmes, souvent déjà occupants. » 84 ( * ) Il n'en demeure pas moins qu'écarter une formalité substantielle peut conduire à l'annulation de la cession au contentieux.

En outre, la jurisprudence administrative est venue récemment compliquer la donne. Le Conseil d'État a rappelé qu'une décision de refus de cession d'une parcelle du domaine privé n'était pas du nombre des actes administratifs qui nécessitaient d'être motivés. Mais il a jugé que si France Domaine motivait, malgré tout, sa décision, alors le motif invoqué pouvait être attaqué. De plus, dans le cas d'espèce concernant des terrains sur la commune de Rémire-Montjoly en Guyane, il a considéré contre la Cour administrative d'appel de Bordeaux que, pour refuser de céder des parcelles du domaine privé de l'État à des particuliers afin de donner la préférence à une cession à titre gratuit à la commune qui les a parallèlement sollicitées, France Domaine n'avait pas assez motivé sa décision parce que le service n'avait pas vérifié l'existence d'un projet municipal d'aménagement suffisamment identifié et détaillé. 85 ( * ) La simple intention de la commune de constituer des réserves foncières ne suffit pas à motiver la décision de refus, qui est en conséquence annulée, tandis que l'État et la commune sont condamnés aux dépens (CE, 24 octobre 2014, SCI Colibri) .

Les plans locaux d'urbanisme sont en cours de révision et les communes hésitent de ce fait à rendre l'avis que sollicite auprès d'eux la DRFIP sur tous les projets de cession onéreuse. Dans ce contexte, l'interprétation stricte du code de l'urbanisme et du CG3P par le juge administratif restreint la capacité des communes de préempter des terrains faisant l'objet de demande de cessions onéreuses .

Vient s'ajouter à cela une information cadastrale trop faible pour organiser un inventaire précis permettant d'identifier avec les collectivités territoriales des zones ou espaces de développement qui permettraient des attributions plus rationnelles, cohérentes, rapides.

En effet, si les Antilles bénéficient d'un plan cadastral exhaustif, quoiqu'imparfait, ce n'est pas le cas de la Guyane. Le cadastre y est né en 1976 86 ( * ) , mais hors de l'île de Cayenne et de la bande côtière, on ne fait qu'isoler de grandes parcelles sans continuum géographique. Tout en relevant que toute la Guyane est cartographiée précisément et susceptible d'être complètement cadastrée, l'Agence d'urbanisme et de développement de la Guyane (Audeg) indique que « les données graphiques et littérales du cadastre comportent de nombreuses imperfections participant aux difficultés de traitement et d'analyse de la situation foncière en Guyane » et que « des retards plus ou moins importants de mise à jour des données graphiques et littérales du cadastre sont à signaler ». 87 ( * ) D'après les services de la mairie de Saint-Laurent du Maroni, il est encore fait recours aux vieilles techniques de « parcelle fictive » : des mentions très vagues de type « près du puits X » ou « au bout du chemin Y » peuvent encore figurer dans les actes de vente, ce qui rend très difficile l'identification des parcelles sur les plans. 88 ( * ) L'ONF Guyane a fait observer pour sa part que le cadastre ne reprenait pas les limites du domaine forestier permanent, si bien que, par mégarde, des cessions de terrains inaliénables ont failli être autorisées par France Domaine. 89 ( * )

Enfin, le refus des paiements échelonnés par le comptable spécialisé des domaines au motif qu'ils ne sont pas explicitement prévus par les textes se révèle inadapté au contexte guyanais, puisque de nombreux occupants acquéreurs potentiels sont dans l'incapacité de payer en une fois. 90 ( * ) Il conviendrait donc de rationaliser les procédures, de les rendre plus publiques et plus lisibles, ainsi que plus justes socialement.

B. LES RÉGULARISATIONS DANS LA ZONE DES CINQUANTE PAS GÉOMÉTRIQUES, UNE QUESTION SOCIALE ÉPINEUSE ET LANCINANTE

La géographie et l'histoire ont conjugué leurs effets pour faire diverger la situation de la zone des cinquante pas géométriques (ZPG) dans les différentes collectivités ultramarines. Là où n'apparaissent pas de difficultés notables, la vigilance reste de mise. Aux Antilles, le règlement définitif attendu depuis des décennies n'est toujours pas atteint, malgré la mise en place d'agences spécialisées pour accélérer les régularisations.

1. Des différences administratives et matérielles notables entre les outre-mer

Les occupations sans titre anciennes dans la zone des pas géométriques constituent un cas particulier qui n'a jamais été considéré par la puissance publique uniquement sous l'angle de la sanction parce qu'elle ne pouvait pas l'être. Dans des outre-mer où la bande côtière rassemble de longue date l'essentiel des zones habitables, l'État ne pouvait opposer perpétuellement des droits tirés de la conquête coloniale aux légitimes aspirations de la population à disposer de logements. C'est pourquoi dès le XIX e siècle des mécanismes de régularisation ont été mis en place.

Les spécificités géographiques et sociales locales ont conjugué leurs effets avec l'histoire des régularisations propre à chaque territoire pour faire profondément diverger les outre-mer en matière de règlement de ce qu'on peut appeler « la question sociale » des cinquante pas géométriques.

a) Une vigilance nouvelle en raison de la pression démographique à La Réunion et en Guyane

La Réunion et la Guyane sont les départements d'outre-mer les moins touchés. Grâce à l'activation d'un dispositif propre à l'île permettant la prescription acquisitive sur la ZPG dès 1922 , La Réunion a largement réglé la question, l'État ayant octroyé massivement des titres de propriété aux occupants historiques. M. Dominique Sorain, préfet de La Réunion, a précisé que :

« La frange littorale a fait l'objet dans les années soixante d'un travail d'inventaire qui est en cours de réactualisation. Une particularité de La Réunion est de posséder très peu d'habitat informel ou insalubre. En dépit de quelques empiètements, il y a une réelle maîtrise de l'occupation des terrains. Nous ne sommes pas dans une logique de régularisation massive. Concernant les cessions de terrain dans cette ZPG, nous avons au maximum deux ou trois dossiers à instruire chaque année. [...] Si l'on n'en examine pas davantage, ce n'est pas faute de moyens ou de suivi, mais parce que cette problématique reste très largement marginale à La Réunion. » 91 ( * )

Toutefois, vos rapporteurs en appellent à la vigilance des services de l'État en raison de la pression démographique et de la rareté du foncier qui pourrait conduire à une résurgence anarchique de poches d'habitat spontané sur la côte Est de l'île. Notre collègue Michel Vergoz a d'ailleurs signalé à la délégation la constitution émergente de quasi-bidonvilles.

La géographie particulière de la Guyane a conduit la population à ne pas s'installer en masse immédiatement sur le rivage, à la différence des autres DOM. L'urbanisation de la bande côtière y étant moins forte, les installations d'habitat sans droit ni titre y sont plus faibles qu'ailleurs. Toutefois, la DEAL de Guyane estime que la question de la ZPG qui ne se posait pas il y a encore dix ou vingt ans, est en train d'émerger à cause de la pression démographique, de la disparition des mangroves et de l'érosion du littoral, notamment sous l'effet du changement climatique.

La délimitation exacte de la ZPG est difficile en Guyane à cause des fluctuations du trait de côte . La dernière délimitation du rivage date de 1983. Depuis, certains espaces naturels de la ZPG ont été submergés ; la DEAL a extrapolé le tracé en tenant compte des évolutions du rivage à titre exploratoire et considère qu'il y aura de nombreux points à régler en cas de redélimitation.

En outre, si la question sociale de la ZPG ne s'est pas manifestée en Guyane avec la même intensité qu'ailleurs, ce n'est pas uniquement pour des raisons de géographie ou de mode de vie. Il semble que soit aussi en cause les incertitudes dans l'identification des parcelles , dues une fois encore à l'absence de cadastre avant les années 1970 et aux lacunes notoires de la conservation des hypothèques. C'est un problème de fond : l'État n'est pas toujours en mesure d'identifier les terrains sur la ZPG et de déterminer s'ils relèvent de son domaine public maritime ou non. Tout aussi grave paraît le diagnostic de la DEAL d'une insuffisante application du droit existant par le passé tant par les notaires, que par l'administration.

L'installation d'une commission des cinquante pas géométriques 92 ( * ) , chargée de donner un avis sur les projets d'aliénation ou de transfert de gestion, par le décret n° 2014-930 du 19 août 2014, ne sera pas suffisante. Une prise en charge en amont et dans la concertation avec les collectivités territoriales paraît nécessaire.

b) Des régularisations embourbées à Mayotte, malgré l'urgence sociale

À Mayotte, les situations d'occupation coutumière des terrains de l'État sis dans la ZPG constituent un problème social encore plus sensible et épineux. Comme à La Réunion et en Guyane néanmoins, la zone a été jusqu'à présent de la responsabilité directe de la DEAL. La création d'un établissement public foncier d'État, chargé notamment des régularisations, est envisagée par le Gouvernement. 93 ( * )

Les occupations coutumières ont d'abord été gérées par les autorisations d'occupation temporaires (AOT) dont les dernières arrivent à échéance. Depuis 2011, elles ne sont plus renouvelées ; à la place, le rachat de la parcelle est proposé aux occupants. S'ils ne peuvent pas régulariser leur situation ils se retrouvent occupants sans titre d'un terrain de l'État. Les faibles moyens financiers des occupants les empêchent souvent de mener la procédure à son terme et peuvent même les dissuader de l'engager, d'autant que la régularisation foncière entraînera l'assujettissement à l'impôt. La DRFIP de Mayotte considère que « l'évaluation des parcelles au prix du marché, même avec une décote dite sociale, ne permet pas une régularisation efficace et cela bloque le fonctionnement des services concernés par la masse des dossiers et des demandes liées. » 94 ( * )

Une grande majorité des dossiers reste en instance . Cette situation précaire est personnellement difficile pour les habitants et collectivement préjudiciable car l'État et les communes ne recouvrent pas les taxes afférentes. Quantitativement, depuis trois ans, sur près de 400 dossiers instruits et ayant obtenu un avis favorable, moins de 60 actes de cessions ont pu être signés après règlement du principal et des frais d'enregistrement et de publication. Le service local de France Domaine doit accepter que les règlements s'échelonnent parfois sur plus de deux ans.

Les dossiers sont dans l'ensemble finalisés entre un et cinq ans après leur dépôt. Au 1 er mars 2015, environ 300 dossiers sont en cours de traitement :

- 50 dossiers sont en attente d'évaluation, parfois depuis plus d'un an ;

- 200 dossiers sont en attente de paiement, certains depuis 2012 ;

- 10 dossiers en attente ne sont que partiellement soldés ;

- 40 dossiers soldés suivent le processus de rédaction, enregistrement et publication. 95 ( * )

Ces chiffres sont, de toute évidence, faibles par rapport au stock potentiel de personnes à régulariser , dont un petit nombre seulement entreprend volontairement la démarche. La procédure de régularisation est qualifiée de « lourde et très formalisée » par la DRFIP de Mayotte. Le service local de France Domaine procède à la régularisation des occupants après une expertise de chaque dossier par une commission formée par la direction des relations avec les collectivités locales, l'unité de gestion foncière de la DEAL et le service local de France Domaine réunis dans une commission de gestion du domaine public maritime et du domaine privé de l'État. La commission émet notamment un avis défavorable à la cession lorsque la parcelle est soumise à des risques naturels (inondations, zones cycloniques). Une fois l'avis de la commission de cession acquis, le terrain est évalué par le service local du domaine et la somme réclamée à l'occupant.

Avant la cession, le terrain doit faire l'objet d'un déclassement et d'une procédure de réquisition d'immatriculation et de bornage, permettant ensuite d'enregistrer et de publier les actes à la conservation de la propriété immobilière de Mamoudzou, ce qui allonge la durée de la régularisation d'au moins quatre mois. En effet, le service de la conservation observe un délai de deux mois entre l'affichage en mairie de l'immatriculation pour permettre la revendication éventuelle de la parcelle et sa publication. Le meilleur des cas est celui où il peut être renoncé au bornage. Si les parcelles limitrophes de la parcelle occupée de la ZPG appartiennent à des propriétaires privés, alors il faut demander un bornage. Cette opération, d'après la DRFIP de Mayotte, peut prendre plusieurs mois voire quelquefois plusieurs années, selon qu'il est demandé à un géomètre privé ou au service topographique du conseil général.

Les régularisations sur le domaine des autres personnes publiques à Mayotte

Le conseil général et les communes de Mayotte ont également un lourd travail de régularisation des occupations sans titre à mener sur leur territoire.

Le service local du domaine donne un avis sur la valeur vénale de chaque terrain. Les collectivités se heurtent aux mêmes difficultés de concrétisation des actes de cession que France Domaine, mais subissent de surcroît les délais de réponse pour avis de France Domaine. Le conseil général a actuellement un stock de 6 000 demandes d'évaluation qui ne peut pas être absorbé par les deux évaluateurs de la DRFIP.

Par ailleurs, selon que la parcelle appartient à l'État ou au conseil général le prix de régularisation est différent, la décote appliquée par le conseil général étant supérieure à celle appliquée par l'État. Cette différence de traitement, soit entre deux parcelles d'une même commune, soit dans certains cas, entre deux portions d'une même parcelle qui empiète à la fois sur la ZPG et sur le domaine du conseil général, n'est pas comprise et nourrit le ressentiment des habitants.

Source : DRFIP de Mayotte, mars 2015.

c) Une situation gelée à Saint-Martin, conséquence de l'inaction passée de l'État

La collectivité de Saint-Martin présente le cas intéressant d'un territoire qui connaît des occupations sans titre très nombreuses et anciennes sur la ZPG comme les Antilles, qui n'a pas bénéficié de l'attention nécessaire de l'État pour apurer la situation et qui doit gérer elle-même les régularisations depuis le transfert de propriété de la partie urbanisée de la ZPG. Doivent aussi être traitées en même temps les occupations sur le domaine public lacustre, les étangs de Saint-Martin ayant été sujets à des remblais massifs depuis les années 1970. Actuellement, 30 % de la superficie du domaine lacustre de la collectivité font l'objet d'occupations.

Les dispositifs de régularisation prévus par le législateur en 1986 et 1996 demeurent en vigueur. La collectivité serait compétente pour produire de nouvelles règles, mais dans un souci de simplicité et d'équité dans le temps entre les occupants, elle a choisi d'en rester pour l'instant au droit commun.

Une seule personne est en charge des plus de mille dossiers de régularisation transmis par l'État après l'accession au statut d'autonomie en 2007. Aucun titre n'a été délivré depuis. La collectivité n'a en effet ni les moyens financiers, ni la capacité technique de traiter les dossiers qui ont été laissés en friche par l'État. La commission d'évaluation des charges a laissé de côté le coût de la prise en charge de la régularisation sur la ZPG, car l'État n'exerçait pas en fait sa compétence à la date du transfert.

Pour compliquer encore le problème, il n'a pas toujours été tenu compte de vieux titres de propriété, établis avant l'établissement du cadastre entre 1977 et 1979. L'État a ainsi vendu des terrains de grande valeur à des investisseurs américains dans les années 1950 sans mener toutes les vérifications. Des contentieux très sensibles socialement sont encore en cours, comme le cas de la succession Minville. 96 ( * )

2. Un règlement définitif pour les Antilles toujours annoncé et toujours repoussé, suscitant des interrogations
a) Une succession rapide de dispositions législatives pour ajuster l'intervention d'agences spécialisées

Tout en incorporant la ZPG dans le domaine public maritime et en supprimant les possibilités de cession ouvertes en 1955, la loi « littoral » du 3 janvier 1986 réservait les droits de propriété des personnes qui pouvaient en justifier par un titre valide ou par une vente ou une promesse de vente de l'État. Des régularisations d'occupation étaient donc possibles mais dans un cadre extrêmement rigide, trop rigoureux pour que l'État le fasse respecter et trop restreint pour lui permettre de répondre à la demande sociale.

C'est pourquoi, sans abroger les dispositions de 1986 - ce qui a pu être une source de complexité puisque deux voies de régularisation se sont chevauchées -, la loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996 relative à l'aménagement, la mise en valeur et la protection de la ZPG a élargi les mécanismes existants par :

- la réouverture de la procédure de validation des titres initiée par le décret de 1955, une commission de vérification étant instituée en Guadeloupe et en Martinique ;

- l'institution d'une possibilité de cession onéreuse de terrains situés dans les espaces urbains et d'urbanisation diffuse, pour les constructions à usage tant professionnel que d'habitation 97 ( * ) . Les terrains cédés doivent au préalable être délimités en précisant toutes les servitudes et droits d'usage ;

- la création d'une aide aux acquéreurs de terrains à usage d'habitation, placée sous conditions de ressources et modulée selon l'ancienneté de l'occupation ;

- l'établissement en Guadeloupe et en Martinique de deux agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la ZPG, à statut d'établissement public industriel et commercial (EPIC) de l'État.

Avec la création des agences, il était ainsi rompu aux Antilles avec la logique de la régie directe par les directions départementales de l'équipement, devenues DEAL, au profit du choix d'un opérateur spécialisé. Cette rupture s'est faite progressivement car les agences ont été initialement surtout chargées des relations entre l'État et les collectivités territoriales, avant de se voir reconnaître un rôle essentiel dans la régularisation à partir de 2010.

Leur conseil d'administration comprend des représentants des services de l'État dans le département, de représentants élus de la région, du département, des communes et des personnalités qualifiées dans le domaine de l'urbanisme et de leur connaissance du littoral. Elles sont dirigées par un directeur nommé par décret, après avis du conseil d'administration.

Leurs ressources proviennent :

- des subventions européennes, de l'État et des collectivités territoriales ;

- des redevances d'occupation du domaine public de l'État sur les espaces urbains ou d'urbanisation diffuse, pour lesquels elles sont compétentes ;

- du produit des cessions, ce qui pouvait être interprété soit comme une façon de couvrir leurs charges, soit comme une incitation à intervenir activement pour faciliter les cessions-régularisations ;

- d'une taxe spéciale d'équipement, instituée pour les agences par la loi du 30 décembre 1996 qui l'insère aux articles 1609 C et D du code général des impôts. Le montant de la taxe est arrêté par le conseil d'administration de chaque agence dans les limites d'un plafond fixé en loi de finances. Sont touchées toutes les personnes physiques ou morales assujetties aux taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties, à la taxe d'habitation et à la taxe professionnelle dans les communes dont une partie du territoire est comprise dans la zone de compétence de l'agence.

La loi du 30 décembre 1996 précitée a institué les agences à titre temporaire, pour dix ans . Elle leur a fixé comme mission d'établir des programmes d'équipement des terrains ressortissant aux espaces urbains et aux secteurs occupés par une urbanisation diffuse sous leur responsabilité, de rendre des avis sur la compatibilité des projets de cession avec les programmes d'équipement, mais aussi de réaliser des travaux de voies d'accès, de réseaux d'eau potable et d'assainissement.

Une procédure particulière est prévue pour les quartiers d'habitat spontané . Une convention passée entre l'agence et la commune précise le programme d'équipement en voies et réseaux divers des terrains situés dans ces quartiers, ainsi que les mesures techniques, juridiques et financières nécessaires pour rendre les opérations de cession et d'équipement possibles. Elle fixe les contributions financières respectives de l'agence et de la commune nécessaires à la réalisation des opérations.

La durée de vie des deux agences et le périmètre de leurs missions ont été régulièrement modifiés depuis leur création . En premier lieu, la loi de programme pour l'outre-mer de 2003 98 ( * ) étendit de dix à quinze ans leur durée, pour tenir compte notamment du fait que les directeurs d'agences avaient été nommés seulement en 2001, preuve supplémentaire d'une certaine indifférence des administrations centrales. Puis, la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) de 2009 99 ( * ) prévit qu'un décret pourrait prolonger la durée de vie des agences pour cinq ans, renouvelables deux fois.

La loi « Grenelle II » de 2010 100 ( * ) revint ensuite sur la mesure précédente pour permettre une prolongation par décret de la durée de vie des agences pour une durée maximale de deux ans. Un décret du 27 janvier 2011 l'étendit sur cette base jusqu'au 1 er janvier 2014. Surtout le Grenelle II élargit les missions des agences à l'instruction des demandes de régularisation des occupants sans titre, qui est devenue prioritaire au détriment de la fonction d'aménagement. Leur périmètre d'intervention fut étendu aux zones contiguës à leur territoire d'action normal. Pour accélérer le processus, la date limite de dépôt des demandes de cession fut fixée au 1 er janvier 2013. Pour élargir le dispositif, les résidences secondaires devinrent éligibles à la régularisation. Une nouvelle ressource fut affectée aux agences : la participation des personnes régularisées au financement des programmes d'équipement, une exonération sociale étant prévue pour les bénéficiaires de l'aide à la cession.

Enfin, la loi n° 2013-922 du 17 octobre 2013, issue d'une proposition de loi de notre collègue rapporteur Serge Larcher , a ouvert la possibilité de prolonger la durée de vie des agences de deux ans, jusqu'au 1 er janvier 2016 . Le dépôt des demandes de régularisation a été parallèlement repoussée jusqu'au 1 er janvier 2015.

Il est très probable, comme le soutiennent les inspecteurs généraux, que « ces aller-retour juridiques, loin d'accélérer les régularisations, ont contribué à un certain attentisme des habitants . » 101 ( * ) Les prolongations successives ne doivent pas être interprétées comme des marques de confiance appuyées du législateur ; elles reflètent plutôt le bilan en demi-teinte des agences et l'incapacité de l'État à envisager des alternatives satisfaisantes .

La loi « Grenelle II » avait certes prévu l'extinction des agences au bout des deux ans de prorogation et la constitution d'un établissement public foncier d'État à double compétence de portage foncier et d'aménagement pour reprendre leurs missions. Mais cette disposition ne fut pas appliquée. Dans l'intervalle, en Martinique et en Guadeloupe s'étaient en effet constitués des établissements publics fonciers locaux et le code de l'urbanisme distinguait plus nettement les établissements publics fonciers et les établissements publics d'aménagement. 102 ( * ) L'évolution envisagée en 2010 est donc devenue caduque avant même d'avoir été mise en oeuvre.

Dans l'esprit de notre collègue Serge Larcher, la loi du 17 octobre 2013 précitée s'apparentait à une mesure d'urgence afin de disposer d'un délai supplémentaire pour réfléchir à l'avenir de la gestion de la ZPG. C'est à regret que vos rapporteurs constatent que ce temps n'a pas été mis à profit pour définir une feuille de route claire, le projet de loi déposé par le Gouvernement se contentant de proposer une cinquième prolongation des agences, pour trois ans cette fois. 103 ( * ) Aucune avancée n'a été enregistrée vers un accord avec les collectivités territoriales sur un dispositif pérenne de gestion de la partie urbanisée et d'urbanisation diffuse de la ZPG.

b) Un bilan ambivalent des agences, qui invite à reconsidérer leur mission

Au vu du bilan assez contrasté de leur action depuis leur création, les agences de Guadeloupe et de Martinique ne méritent ni excès d'honneur, ni indignité.

Les agences ont certes traité l'essentiel des demandes de régularisation déposées au titre de la loi du 30 décembre 1996 précitée. D'après le ministère du développement durable, à la fin de l'année 2014, sur 5 661 dossiers reçus de demande de cession-régularisation, l'agence de Guadeloupe a transmis 5 038 avis aux services de l'État dont 2 103 avis favorables. L'agence de Martinique a instruit la totalité des 5 713 dossiers reçus et rendu 2 903 avis favorables.

Cependant, une faible proportion des demandes aboutit à des cessions effectives. 8,9% seulement des dossiers déposés en Guadeloupe, 13,4% à la Martinique. France Domaine a délivré seulement 504 titres de propriété en Guadeloupe et 765 en Martinique Aussi, les agences qui assurent l'accompagnement des procédures jusqu'à leur terme, restent en charge d'un stock de dossiers très important. La DEAL de Martinique estime le potentiel de régularisation à 44 % des constructions illicites sur les espaces urbanisés de la ZPG. 104 ( * )

La complexité et la lourdeur des procédures sont indéniablement des facteurs préjudiciables, surtout en Guadeloupe où l'instruction est longtemps demeurée très éclatée entre divers services. À la Martinique, l'agence sert de guichet unique. Elle contacte les occupants potentiellement éligibles à la régularisation. Elle assure l'instruction des demandes et vérifie que le dossier répond à l'ensemble des critères légaux et qu'il est compatible avec les éventuels aménagements prévus. Elle réalise les documents d'arpentage pour le compte des occupants et assure le suivi administratif des dossiers tout au long de la procédure. Les suites à donner à la demande du pétitionnaire sont décidées dans la collégialité d'une commission, où siègent la DEAL, la DRFIP et la commune.

En outre, quelle que soit l'organisation administrative, il faut tenir compte de la faiblesse des revenus des occupants , malgré les aides, et d'un certain attentisme, notamment chez les personnes âgées. Mme Nathalie Morin, chef du service France Domaine a particulièrement insisté sur ces facteurs :

« La constitution d'une agence dédiée qui rassemble les compétences, qui sert de guichet unique pour recevoir et instruire les demandes et qui fait de la pédagogie auprès de la population me semble relever d'une bonne organisation administrative. Pour autant, cela ne règle pas toutes les questions. La régularisation se déroule jusqu'à présent sur la base du volontariat, mais il n'y a pas d'incitation à régulariser. D'une part, les occupants peuvent toujours se dire qu'ils ont le temps. D'autre part, régulariser présente un coût économique. [...] Tout cela n'incite pas à déposer une demande de régularisation. Cette question est indépendante de celle de la qualité de l'organisation administrative qui traite la demande. » 105 ( * )

En matière d'aménagement, le bilan est très contrasté d'un territoire à l'autre. L'agence de Martinique a réalisé des études d'aménagement sur plus de 70% de son périmètre d'intervention et programmé une vingtaine d'opérations portant sur 2 250 logements pour 27 millions d'euros d'investissements. En déplacement en Martinique, vos rapporteurs ont pu visiter des sites où l'agence a mené des opérations très réussies sur les communes des Anses d'Arlet et du François. Ils ont pu apprécier la grande qualité de l'ingénierie technique et de l'expertise juridique et financière qu'ont développées ses équipes. En revanche, l'agence de Guadeloupe n'a pu conduire d'études que sur 54% de son périmètre. Elle n'a lancé que 14 opérations de moindre ampleur portant sur 300 logements concernés pour 11 millions d'euros d'investissements.

Cependant, au-delà des bilans quantitatifs, l'action des agences suscite de nombreuses interrogations qui font douter qu'elles puissent constituer une solution pérenne.

En premier lieu, l'enchevêtrement des opérations de régularisation-cession et d'aménagement ne peut que retarder l'apurement définitif de la ZPG. Les inspections générales notent avec impartialité et objectivité que « [L'Agence de Martinique] affiche des résultats très positifs, voire exemplaires en matière de mise à disposition du foncier pour le logement social, mais qui ne permet (sic) pas d'envisager l'aboutissement à court terme du processus de régularisation dans les conditions juridiques actuelles. En effet, le processus retenu d'aménagement/régularisation peut conduire à prolonger indéfiniment la situation, alors même que le traitement de certains grands quartiers n'est pas engagé . » 106 ( * )

L'implication des agences dans l'aménagement résulte d'une lecture très extensive de la lettre et de l'esprit des textes législatifs. La régularisation et les programmes d'équipements devraient être leurs tâches prioritaires . L'aménagement ne leur appartient pas en propre, au-delà des travaux d'équipement en voie d'accès, adduction d'eau et assainissement . La capacité d'aménagement des agences ne peut d'ailleurs qu'être limitée puisqu'elles ne disposent ni du statut, ni des ressources financières propres des aménageurs.

Il n'est pas rare d'observer une tendance à étendre progressivement leurs prérogatives chez des établissements très autonomes, surtout lorsqu'ils ont une vocation transitoire et cherchent un moyen de se pérenniser. Mme Sabine Baïetto-Beysson, inspectrice de l'administration du développement durable, est revenue sur l'engrenage qui permet, de prolongation en prolongation, aux agences de persévérer dans l'être : « Actuellement, l'aménagement précède la cession, ce qui génère un processus sans fin. En effet, l'aménagement dure plusieurs années et il suffit, huit jours avant la date de disparition programmée des agences, que l'on engage de nouveaux chantiers pour que le processus soit automatiquement reporté pour trois ans. » 107 ( * )

En outre, vos rapporteurs estiment que la pratique des régularisations sur le littoral martiniquais trahit parfois l'intention du législateur. Un certain nombre des occupants sans titre ne remplissent aucun des critères d'urgence sociale ou de résorption de l'insalubrité qui inspirent et justifient fondamentalement le processus de régularisation .

Certes les conditions légales sont remplies et la loi doit être appliquée de la même manière pour tous. Mais au vu des maisons bourgeoises, des résidences secondaires opulentes et des nobles appontements qui ont été régularisés, vos rapporteurs estiment que les conditions concrètes de cession sont parfois très contestables.

L'élargissement aux résidences secondaires des possibilités de cession dans la ZPG témoignait sans doute d'un réalisme inévitable, mais il ne justifie pas qu'on leur donne une quelconque priorité. Étant donné que les occupants concernés ne souffrent pas de difficultés sociales particulières et ont plutôt intérêt à régulariser au plus tôt leur situation, l'obstacle pécuniaire et la tentation de l'attentisme invoqués pour justifier la lenteur de l'apurement de la ZPG ne les concernent pas. Dès lors, vos rapporteurs craignent que l'accélération des cessions depuis 2010 ne soit due d'abord aux régularisations de résidences secondaires, avec l'inévitable biais social et l'inéquité que cela impliquerait.

Les cas de sous-évaluation des prix par les domaines sont patents : autour de 20 euros le m 2 pour des villas jouissant d'un emplacement idyllique dans une crique du littoral atlantique, qui pourraient être cédées le quintuple sur le marché immobilier. Rappelons que les occupants défavorisés bénéficient d'une aide exceptionnelle prévue par le législateur. Il ne convient donc pas d'abaisser artificiellement le prix de cession, ce qui profite surtout à ceux qui ne sont pas éligibles à cette aide. La DRFIP surestime la décote due au manque d'équipement et d'accès à la zone. C'est d'autant plus incompréhensible que, par exemple sur la commune du Vauclin dans le quartier de Pointe-Chaudière :

- les constructions en cause sont accessibles en voiture ;

- les occupants s'étaient équipés de panneaux photovoltaïques et de groupes électrogènes pour s'approvisionner en électricité de façon autonome ;

- l'agence des cinquante pas entreprend de son côté les travaux de voirie et de raccordement aux réseaux.

La réalisation d'un écoquartier avec des matériaux respectueux de l'environnement est certes un beau projet d'aménagement et les occupants régularisés y apportent leur contribution financière. Mais ces travaux sont aussi pour partie financés sur des fonds publics , en bénéficiant par exemple de subventions européennes, et bénéficient de l'ingénierie mise à disposition par des agents d'un établissement public de l'État. Comment ne pas y lire une prime à l'impunité ? Faut-il assurer aux occupants non seulement la jouissance paisible de biens publics qu'ils ont accaparés mais encore un surcroît de confort et de bonne conscience à peu de frais?

Outre l'objection éthique, s'ajoutent des considérations plus juridiques et très concrètes. D'une part, ces cessions pourraient se révéler fragiles au contentieux, si l'on invoquait devant le juge pour les contester le principe d'incessibilité à vil prix du domaine, aucun motif d'intérêt général ne permettant en l'espèce de l'écarter. D'autre part, elles pourraient alimenter encore la spéculation foncière, ce qui apporterait des plus-values très conséquentes aux occupants mais serait très préjudiciable à la collectivité.

Ces situations montrent toute l' ambiguïté de l'aménagement, dont on sent que les agences essaient de faire leur priorité pour montrer leur utilité . La démarche n'est pas toujours aussi vertueuse que sur l'Anse Dufour, où le projet a permis de consolider le soutien de la population et faire de la plage un site touristique très couru. Dans les autres cas, l'aménagement ne fait que valider la privatisation et le bétonnage du rivage. C'est pourquoi la régularisation doit rester l'absolue priorité en ciblant les personnes les plus précaires.

Vos rapporteurs ne négligent pas non plus les cas difficiles pour lesquels aucune solution facile ne se profile. C'est le cas des zones classées comme naturelles mais mitées par une urbanisation rampante . Elles n'ont pas été affectées au Conservatoire du littoral ou remises à l'ONF et ne peuvent donner lieu à une intervention des agences. Elles demeurent sous la régie directe de la DEAL , qui ne peut légalement régulariser et qui se garde d'expulser devant le risque de mobilisation sociale. C'est le cas également des zones de risques naturels , classées dans des plans de prévention, où de nouveau la régularisation est impossible et l'expulsion impraticable en l'absence de possibilités de relogement. Une partie du quartier Texaco à Fort-de-France est concerné à ce titre.

Même ces cas épineux montrent qu'au-delà de la technique administrative, la question de la ZPG est par essence politique et ne peut être résolue par l'État sans qu'il laisse les collectivités territoriales prendre des responsabilités plus importantes.

C. DES DÉSÉQUILIBRES PRÉJUDICIABLES AU DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES

1. Une tension entre logiques de protection et de développement

Faute de stratégie , de constance dans l'action et de coordination entre les services, l'État oscille dans la gestion de son domaine ultramarin entre la protection stricte de l'environnement et la mobilisation de ses ressources foncières.

Les parcs nationaux paraissent plutôt partisans d'une « mise sous cloche » pour reprendre l'expression employée par le préfet de La Réunion. S'appuyant sur l'exemple des projets du conseil régional en matière d'exploration minière, le directeur du parc amazonien de Guyane, M. Gilles Kleitz, est d'avis que « pour assurer la mission de conservation des écosystèmes, il est nécessaire de conserver un juge de paix » et que « l'État demeure incontournable pour garantir que la préservation des espaces naturels ne sera pas sacrifiée sur l'autel du développement. » 108 ( * ) De même, les DEAL insistent sur la richesse que représente la biodiversité ultramarine, sur l'adaptation au changement climatique et sur la nécessité de protéger des milieux sensibles, notamment les milieux de transition entre terre et mer comme les mangroves.

Pourtant, la pression démographique dans des départements comme la Guyane, Mayotte et La Réunion et les besoins qu'elles engendrent ne peuvent être ignorés. Les politiques environnementales elles-mêmes dépendent de la participation des habitants, qui ne peut être acquise sans leur tracer des perspectives d'amélioration de leur situation sociale et économique. Les dynamiques autonomes de développement local ne peuvent donc pas être systématiquement bridées dans les outre-mer.

C'est pourquoi l'État a progressivement ouvert des possibilités de cession de terrains domaniaux inconnues dans l'Hexagone . Il est regrettable cependant que ces procédures trop lourdes et complexes ne produisent pas d'effets à la hauteur des enjeux . La mobilisation du foncier d'État pour le logement et l'agriculture notamment reste encore trop lente.

Un régime de décote spécifique outre-mer s'applique dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de La Réunion. Il a été étendu à Mayotte et à l'ensemble des collectivités régies par l'article 74 de la Constitution. Sur la base de l'article L. 5151-1 du CG3P, il permet à l'État de céder des terrains situés sur son domaine privé à un prix inférieur à leur valeur vénale, en leur appliquant une décote pouvant aller jusqu'à la gratuité totale, lorsque ces terrains sont destinés à permettre la réalisation de programmes de construction comportant essentiellement des logements, dont 50 % au moins sont des logements sociaux . Ce dispositif permet aussi la cession de terrains domaniaux pouvant aller jusqu'à la gratuité lorsqu'il est prévu d'y construire des équipements collectifs.

Il faut également tenir compte de la loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public pour le logement qui est intervenue postérieurement à la décote outre-mer et qui est également applicable dans les DOM. Se superposent donc deux mécanismes distincts et deux procédures différentes pour le même objet.

En pratique, d'après France Domaine, le dispositif dit « Duflot » de 2013 n'est utilisé que si les conditions d'application du régime de décote spécifique outre-mer, plus favorable, ne sont pas réunies, notamment si le programme comprend moins de 50 % de logements sociaux Cette articulation entre les dispositifs est censée permettre d'éviter les chevauchements, mais il serait plus simple et plus lisible de refondre les deux dispositifs en un seul, en prévoyant une variation de la décote en fonction de l'intensité du projet de construction en logements sociaux. Cela fournirait également une opportunité d'y intégrer de façon cohérente les dispositifs de cession aux collectivités territoriales propres à la Guyane.

Les bilans régionaux demandés aux préfets par les ministres du logement et du budget en août 2014 montrent que la mobilisation du foncier public dans les DOM se heurte à des obstacles prononcés.

Entre 2012 et 2014, 16 cessions ont été réalisées à destination de la production de logements en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion et en Martinique en application du dispositif spécifique de décote « outre-mer ». Les services de l'État ont identifié pour les années à venir 31 biens potentiellement cessibles à destination de la production de logements.

Mobilisation du foncier d'État pour le logement outre-mer

Guadeloupe

Guyane

La Réunion

Martinique

Total

Nombre de cessions réalisées entre 2012 et 2014

0

5

4

7

16

Biens identifiés comme mobilisables

11

0

8

12

31

Source : France Domaine, janvier 2015.

Vos rapporteurs s'étonnent qu'aucune cession n'ait été encore réalisée en Guadeloupe alors que onze biens de l'État sont considérés comme cessibles à terme. Ils s'interrogent aussi sur la méthodologie des diagnostics qui aboutissent à ce qu'aucun bien de l'État ne soit identifié comme mobilisable pour la production de logements en Guyane. Cela pourrait être le signe que l'État préfère finalement vendre sans décote à des promoteurs privés. La DEAL de Guyane elle-même a mis en garde vos rapporteurs contre les effets pervers potentiels des décotes, si elles conduisent à la réduction drastique du budget du programme d'investissement pour le logement (PIL) permettant l'entretien du patrimoine immobilier. Il faut éviter les jeux de vase communicants entre le PIL et les décotes pour éviter un affaiblissement de l'effort de l'État en matière de logement.

Par ailleurs, la mobilisation du foncier d'État en faveur de l'agriculture n'est pas davantage couronnée de succès . En Guyane, les demandes de cessions gratuites de terrains du domaine privé pour la mise en valeur agricole, fondées sur l'article L. 5141-4 du CG3P, sont encore assez peu nombreuses (15 en moyenne par an). Elles s'adressent à des occupants sans titre d'emprises domaniales se livrant à une activité exclusivement agricole, qui sont installés depuis une période antérieure au 4 septembre 2008. Le dispositif demeure largement méconnu si l'on en juge par le flux de demandes de cession onéreuse qui pourrait sans doute être réorienté en partie vers le mécanisme à titre gratuit. À défaut de pouvoir bénéficier d'une cession gracieuse, nombre de demandes de cessions onéreuses sont formulées par des personnes qui se livrent à des cultures vivrières sur de petites surfaces, inférieures à cinq hectares, et ne peuvent se prévaloir de la professionnalisation agricole exigée par les textes. 109 ( * )

À défaut de pouvoir obtenir une cession à titre gratuit d'un terrain domanial, les agriculteurs peuvent bénéficier de titres d'occupation. Cette attribution foncière leur ouvre la faculté de pouvoir acquérir in fine, sous conditions, ces terrains à titre gratuit. Les concessions aux agriculteurs passent par des baux emphytéotiques ou des conventions d'occupation temporaire, sous réserve d'une mise en valeur agricole, attestée par la DAAF. Les baux emphytéotiques sont conclus pour trente ans, sans limite de surface mais en pratique, ne sont pas baillés plus de 300 hectares par agriculteur. Les concessions sont accordées pour cinq ans et limitées à cinq hectares. D'après les données de la DAAF de Guyane, 65 % des demandes reçoivent un avis favorable en commission d'attribution foncière, soit 914 sur 1390 dossiers entre 2000 et 2014. 110 ( * ) La mise à disposition est gratuite.

La conjonction de ces dispositifs de cession et de concession n'est pas assez efficace puisque la surface agricole utile (SAU) ne représente toujours que 0,3 % de la superficie de la Guyane et ne croît que faiblement. D'après la DRFIP, sur 75 000 hectares remis, tous mécanismes confondus, 17 000 hectares seulement ont été mis en valeur. 111 ( * ) Une conjonction de plusieurs facteurs ou raisons peut expliquer cet échec.

En premier lieu, la longueur des procédures est excessive : après 7 à 8 mois d'instruction du dossier, il faut attendre la réunion de la commission d'attribution, tous les trois ou quatre mois environ. Après un avis favorable, il reste à effectuer le bornage, puis à attendre la rédaction de l'acte par les services du domaine. Il n'est pas rare que les procédures durent entre 2 et 5 ans.

En second lieu, il faut tenir compte du coût à la charge de l'agriculteur. Le bornage peut être pris en charge par le conseil général sur des fonds européens, au prix de délais supplémentaires. En revanche, les parcelles remises sont couvertes de forêt brute et il faut donc que l'agriculteur déforeste lui-même. Le coût de la déforestation est d'environ 5 000 € par hectare et les dotations pour l'installation des jeunes agriculteurs versées par le fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) sont à peine suffisantes. 112 ( * ) Avant même d'avoir commencé à cultiver, la trésorerie de l'exploitation est déjà asséchée par la déforestation . Dès lors, on ne peut s'étonner de la faible capacité d'impulsion économique des concessions accordées aux agriculteurs.

De plus, la DAAF de Guyane admet elle-même qu'un agriculteur ne peut au mieux que valoriser 50 % de la surface qui lui est accordée, à cause de la faible productivité de terres, notamment dans des zones très humides et trop vallonnées. 113 ( * ) La valorisation de base dans le logiciel de gestion est d'un euro l'hectare. 114 ( * ) La DRFIP de Guyane note cependant que le contrôle de la réalité de la mise en valeur agricole, contrepartie du bail ou de la convention d'occupation temporaire, n'est pas correctement effectué, si bien qu'en moyenne la valorisation des terres est encore plus faible. Le défaut de mise en valeur entraîne en principe la caducité de la concession, mais l'État n'assume pas jusqu'à présent toutes ses responsabilités en la matière. Le préfet de Guyane, M. Éric Spitz, a indiqué que « depuis dix ans, l'évaluation de la surface agricole utile montre un faible taux de valorisation des terres attribuées en commission d'attribution foncière, sans que dans la pratique, il y ait retour à France Domaine des terres non mises en valeur. » 115 ( * )

Par ailleurs, la chambre d'agriculture, qui ne perçoit pas suffisamment de ressources propres de la contribution additionnelle à la taxe foncière sur les propriétés non bâties, souffre de graves difficultés financières qui l'empêchent de jouer à plein son rôle de moteur et d'accompagnateur.

Enfin, les réglementations environnementales européennes pèsent de tout leur poids. Elles sont beaucoup plus strictes que leurs homologues au Brésil et au Suriname, sans prendre en compte les spécificités de l'agriculture et surtout de l'élevage en zone équatoriale. Les maladies parasitaires qui affectent les animaux sont nombreuses et seuls sont autorisés certains produits de prévention et de traitement qui doivent être importés à des prix exorbitants pour de jeunes agriculteurs désireux de s'installer. De même, après déforestation, il faut replanter rapidement une herbe particulière à titre préventif ; son achat au Brésil coûte 300 euros les 20 kg, mais les agriculteurs doivent l'importer d'Europe à 1 200 euros pour la même quantité. Si l'État veut rester crédible dans son action de mobilisation de son foncier pour l'agriculture, il doit également créer et entretenir un environnement réglementaire et commercial propice à la production.

2. L'État réticent à laisser la maîtrise foncière aux collectivités territoriales

L'attitude de l'État à l'égard de son domaine ultramarin est profondément paradoxale .

En effet, l'État paraît dépourvu de stratégie et démembré en de multiples acteurs jouant leur propre partition. Il navigue à vue pour gérer tant bien que mal un domaine hérité de la période coloniale, sans parvenir à le protéger des occupations illicites, sans parvenir non plus à régulariser. La mobilisation des terres domaniales est contrariée par des logiques de conservation stricte des équilibres et ne sert pas suffisamment le développement économique des outre-mer.

Pourtant, si, tirant le constat de la légitimité et de l'efficacité fragile de sa gestion domaniale, on évoque la perspective d'un transfert de gestion et de propriété, organisé et significatif, aux collectivités territoriales, l'État sort de son indifférence pour repousser cette idée. À quelques exceptions près de services qui se montrent plus ouverts au transfert, les directions centrales et locales rejettent les demandes des collectivités, même lorsque les recommandations des inspections générales vont dans le même sens. 116 ( * )

Les arguments avancés contre la maîtrise du domaine par les collectivités territoriales que vos rapporteurs ont entendus sont de plusieurs ordres, sans qu'ils soient dirimants, ni isolément, ni pris tous ensemble. Certains pourraient même être considérés comme l'expression d'un paternalisme intempestif.

On peut laisser de côté les arguments tirés de l'absence de base légale : si un transfert de propriété sur le domaine devait intervenir, il va de soi qu'il reviendrait au législateur de se prononcer sur son principe comme sur ses modalités. De même, on ne peut voir un motif sérieux pour préserver le statu quo dans l'embarras causé par la nécessité de modifier de très nombreuses dispositions éparpillées dans le code général de la propriété des personnes publiques, le code forestier, le code de l'urbanisme et le code l'environnement.

Puisque le sujet a été soulevé par la DEAL de La Réunion, il importe de souligner qu'un transfert aux collectivités de la responsabilité du domaine n'empêchera pas de développer les « connaissances sur la dynamique littorale (phénomènes d'érosion) et la biodiversité, l'indispensable prévention des risques littoraux, les énergies nouvelles liées à la mer, le tourisme et aménités diverses » 117 ( * ) . Vos rapporteurs avouent ne pas voir comment la domanialité publique serait nécessaire ou même utile à la recherche scientifique, ni pourquoi des études de fond ne pourraient être réalisées sur le littoral, s'il était remis aux collectivités territoriales.

Plus sérieux est l'argument de la partialité. Plusieurs services de l'État outre-mer soupçonnent à mots couverts les collectivités territoriales de manquer de neutralité. Autrement dit, si ces dernières récupéraient la maîtrise du foncier, les cessions-régularisations ou les attributions de terrains à des fins économiques ne suivraient pas des procédures transparentes et ne répondraient pas à des critères objectifs. Seul l'État serait à même d'écarter l'avènement du règne de l'arbitraire !

Vos rapporteurs souhaitent répondre en deux temps. D'une part, s'il est un exemple où l'État depuis plus d'un siècle n'a su faire preuve ni de constance, ni de transparence, où il a multiplié les reniements et les décisions arbitraires, où il a démontré davantage son inertie et son immobilisme que son impartialité et sa neutralité, c'est bien celui de la gestion de son domaine outre-mer. L'État ne peut aussi simplement s'exonérer de sa part de responsabilité dans l'impasse actuelle.

D'autre part, il est vrai que les élus peuvent être soumis à de très fortes pressions et qu'un transfert de propriété pourrait raviver certains appétits. Cela ne démontre pas qu'un transfert serait illégitime ou inefficace en soi, mais cela incite à encadrer le transfert de garanties suffisantes et à déterminer avec soin le niveau de collectivité qui peut à la fois contenir les pressions, répondre à la demande sociale et replacer son action dans le cadre d'une stratégie de développement global . De ce point de vue, vos rapporteurs considère que l'exemple de Saint-Martin ne doit pas être reproduit et qu'il n'est pas question que l'État abandonne son domaine sans accompagnement et sans estimation correcte des charges afférentes.

Viennent ensuite deux arguments connexes avancés par certains services de l'État. Le premier se place sur le plan technique. Les collectivités ne disposeraient pas en interne des compétences très pointues nécessaires à la gestion domaniale. De ce point de vue, il faut noter que faute de ligne claire et de moyens suffisants, toute l'expertise technique de l'État est restée insuffisante. De plus, il faut aussi éviter l'écueil de s'enfermer dans la technique en perdant de vue les enjeux globaux et conjurer la tentation de se satisfaire de la complexité des dispositifs actuels parce qu'ils deviennent familiers. En revanche, il est certain que le transfert ne doit pas s'accompagner une perte nette d'expertise . En particulier, toute l'ingénierie conçue dans les agences des cinquante pas et les compétences qui y ont été développées doivent être préservées localement. Ceci plaide pour une période de transition permettant l'assimilation par les collectivités de leurs nouvelles missions.

Le second argument est d'ordre stratégique. Les collectivités ultramarines ne parviendraient pas à définir des projets de développement réalistes, concertés et équilibrés. Il est vrai que le transfert de parties du domaine doit répondre aux besoins planifiés et clairement identifiés sur le terrain et qu'il doit se décliner en projets d'action précis au service du développement des territoires. L'adoption des schémas d'aménagement régionaux est un premier pas pour y répondre.

En outre, comment reprocher aux collectivités de tarder à développer des instruments opérationnels de planification stratégique alors qu'elles ne disposent pas de la maîtrise du levier foncier, préempté par l'État ? Rappelons la situation particulière des communes de Guyane dont les maires ne disposent d'aucune réserve foncière significative 118 ( * ) et doivent faire une demande pour le moindre projet d'équipement, y compris de service public. Il leur est dans ces conditions très difficile de planifier l'urbanisme sur leur territoire de façon cohérente.

III. ORGANISER UN NOUVEAU PARTAGE DE LA RESPONSABILITÉ DU DOMAINE ENTRE L'ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS ULTRAMARINES

La doctrine nationale pour le domaine ultramarin, déclinée en stratégies régionales et dotée des moyens nécessaires à son application, doit organiser un nouveau partage de responsabilités entre les collectivités territoriales et l'État afin d'apurer la bande littorale et de refondre le système de gestion des forêts.

A. STABILISER ET APURER LA BANDE LITTORALE

La stabilisation de la bande littorale, apurée de ses difficultés récurrentes, passe par le recentrage de l'État sur la protection des espaces naturels et la définition d'un cadre de transfert des espaces urbanisés aux collectivités territoriales . C'est ainsi que la lutte contre le mitage et la privatisation du rivage pourra regagner en efficacité et que les procédures de régularisation des occupations sans titre dans la ZPG pourront être régénérées.

1. Recentrer l'État sur la protection du domaine naturel
a) Conforter les opérateurs d'État et unifier la gestion des espaces naturels littoraux

Les préoccupations de défense des territoires contre d'éventuelles agressions miliaires s'étant dissipées, elles ne peuvent plus servir à justifier le maintien de la propriété de l'État sur le littoral, hormis les bases militaires restantes. S'il est encore un intérêt national légitimant de placer certains espaces côtiers sous le contrôle de l'État, ce ne peut être que la préservation d'un patrimoine naturel commun. Vos rapporteurs souhaitent donc que soit recentrée la gestion du domaine de l'État outre-mer sur une mission quasi-régalienne de sauvegarde des espaces naturels du littoral, qui présentent une fragilité particulière et une richesse exceptionnelle. À l'inverse, la propriété de l'État sur les zones urbanisées ou à urbaniser n'a plus de légitimité évidente : ni le poids de l'histoire, ni l'efficacité contestable de son action ne lui apportent de justification suffisante.

La première tâche à mener à bien pour engager ce recentrage est la révision de la délimitation des espaces naturels et des zones urbanisées au sein de la ZPG qui pour l'instant demeure imparfaite. En effet, certaines zones naturelles sont trop mitées par l'urbanisation pour renverser le mouvement et certaines zones à urbaniser ont conservé une prédominance naturelle. Il faut précisément répertorier et identifier les parcelles naturelles qui pourront rester confiées à l'État. Il convient, le cas échéant, de procéder aux distractions nécessaires du régime forestier sur des terrains du domaine privé sur lesquels des poches d'habitat se sont cristallisées de longue date et appellent plutôt une régularisation. Sans ce travail de fond préalable, aucun partage de responsabilités équilibré et pérenne ne pourra avoir lieu.

Une fois délimitées les zones naturelles domaniales, vos rapporteurs considèrent qu'il est préférable d'éviter la régie directe par la DEAL . Celle-ci ne peut efficacement les protéger et les mettre en valeur parce qu'elle n'est plus un service de terrain. Il convient plutôt de confier l'intégralité des espaces naturels domaniaux du littoral à des opérateurs d'État spécialisés , essentiellement les établissements publics déjà bien implantés que sont le Conservatoire du littoral et l'ONF . C'était l'esprit de la loi du 30 décembre 1996 sur la ZPG, mais elle n'a pas été appliquée de manière suffisamment systématique, si bien que des zones naturelles, considérées comme moins prioritaires, sont demeurées dans le giron de la DEAL. Vos rapporteurs ont vu comment ces parcelles sont facilement occupées par des installations sauvages, faute de surveillance. Pour garantir la cohérence et l'efficience de la politique du littoral, il faut faire cesser ces exceptions.

Pour l'heure, existent différentes procédures visant à confier un bien de l'État au Conservatoire du littoral, à savoir la convention d'attribution pour une durée maximale de trente ans par arrêté préfectoral, l'affectation définitive par arrêté interministériel ou la remise en gestion spécifique des espaces naturels de la zone des 50 pas géométriques. Il paraît opportun d' unifier ces procédures qui n'ont pas de conséquences sur le régime juridique de protection des biens. C'est la voie sur laquelle s'est engagé le Conservatoire depuis 2010 en recourant à des conventions de gestion valant affectation. 119 ( * ) Il faut poursuivre le chemin en profitant de l'arrivée à échéance des dernières conventions à durée illimitée pour renouveler l'affectation sans limitation de durée.

Le Conservatoire agissant comme un opérateur foncier, il faut parallèlement étendre les modes de gestion actuels en développant les conventions avec les collectivités territoriales pour aménager, valoriser et mettre à la disposition du public les espaces naturels. Il n'est pas nécessaire de privilégier de façon rigide et uniforme un niveau de collectivités plutôt qu'un autre. Aujourd'hui, la gestion s'appuie davantage sur les communes en Guadeloupe, sur les communautés d'agglomération et le parc régional en Martinique et sur les conseils départementaux à La Réunion et à Mayotte. Cette souplesse doit être préservée afin de permettre aux collectivités qui le souhaitent et qui ont les moyens nécessaires porter un projet.

Dans certains cas, il est plus judicieux de s'appuyer pour la gestion des biens du Conservatoire sur l'ONF qui a déjà la charge de la forêt domaniale littorale et, celles des mangroves, conjointement avec la DEAL. En effet, les ressources financières des collectivités territoriales ne leur permettent pas toujours d'assumer cette charge, tandis que l'ONF est un acteur de terrain qui a montré son efficacité dans la protection des parcelles domaniales côtières qui lui sont confiées. L'Office exerce déjà une mission d'intérêt général comprenant des missions de surveillance, de police, d'expertise et d'appui technique auprès des collectivités, qui doit être confortée.

En outre, il faut éviter les effets en tâches de léopards avec trop de petites parcelles juxtaposées, confiées à la garde d'acteurs différents et soumis à divers régimes juridiques. Dans ce cadre, vos rapporteurs suggèrent d'étudier l'opportunité :

- d'une part, d'une affectation des forêts domaniales littorales au Conservatoire du littoral en conservant l'ONF comme gestionnaire . L'objectif à l'horizon est de ne plus conserver qu'un unique affectataire de biens du domaine naturel de l'État sur le littoral ;

- d'autre part, d'une extension du régime forestier pour unifier le statut juridique du littoral naturel, sur le modèle de ce qui se fait pour les mangroves du domaine public maritime aux Antilles. Le régime forestier offre en effet un bon niveau de protection en droit comme en fait.

Cette convergence devrait faciliter à la fois l'élaboration en amont et l'application en aval de stratégies cohérentes et partagées entre tous les acteurs de terrain pour la gestion des espaces naturels littoraux.

Il conviendrait de prévoir une augmentation en conséquence du budget de l'ONF pour lui permettre d'assumer ses missions particulières en outre-mer. Si les forêts et la biodiversité ultramarines sont une richesse et un patrimoine inestimable pour la Nation, elles sont aussi une charge et une responsabilité pour les territoires qui les portent ; la cohérence et l'efficacité demandent donc d'ajuster les moyens financiers aux ambitions.

b) Prévenir le mitage et l'urbanisation rampante

La régularisation des occupations sans titre historiques n'a de sens que si l'on empêche les nouvelles implantations sauvages. À défaut, le stock de dossiers se remplira de nouveau et le mouvement de privatisation et d'artificialisation du littoral se poursuivra indéfiniment, ce qui finirait par amputer les territoires, non seulement de la beauté de leurs paysages, mais surtout de leur attractivité touristique. Les ressources financières des communes déjà largement contraintes ne permettent pas d'absorber perpétuellement les sollicitations de raccordement aux réseaux d'équipement collectifs.

Une action résolue de protection des espaces naturels, après leur délimitation rigoureuse, est donc plus que jamais nécessaire. Les leviers existent et sont à la disposition des services de l'État qui doivent être remobilisés dans la durée, quelles que soient la fréquence des rotations de personnel.

Vos rapporteurs considèrent qu'il faut amplifier le recours aux procédures de contravention de grande voirie et les poursuivre jusqu'à leur exécution effective. Un travail avec le parquet doit être mené pour assurer la fluidité de la chaîne judiciaire. Les procédures contentieuses pourront être améliorées en sollicitant systématiquement des astreintes journalières contre l'occupant poursuivi et en s'assurant de leur liquidation effective.

Par souci de rapidité et d'efficacité, il conviendrait de se concentrer sur la possibilité ouverte par le CG3P de saisir et de détruire les matériaux servant à des constructions illégales sur le domaine public maritime, en s'assurant que tous les services préfectoraux disposent des moyens effectifs d'y procéder.

Les sanctions fondamentales sur le domaine public maritime restent la libération et la remise en état des terrains ; la mise en oeuvre de ces condamnations est un élément clef pour restaurer la crédibilité entamée des pouvoirs de police et de l'action répressive de l'État et retrouver une capacité de dissuasion préventive , qui serait encore la meilleure arme contre les occupations illégales. Vos rapporteurs recommandent de ne pas hésiter à aller jusqu'à la destruction d'immeubles ou d'installations symboliques, tout en mesurant les pressions sociales qui s'exercent.

Un ciblage des constructions les plus massives, en particulier, des résidences secondaires permettrait de maximiser l'impact en minimisant le risque. De même, le référé « mesures utiles » ouvert par l'article L. 521-3 du code de justice administrative qui permet de solliciter l'expulsion d'un occupant sans droit ni titre est insuffisamment utilisé , en raison des contraintes de relogement, mais pourrait lui aussi voir son utilisation concentrée sur les résidences secondaires, en écartant les habitations principales de personnes précaires. Tout ceci nécessite de se doter d'une politique de protection des espaces littoraux, articulant police du domaine, de l'urbanisme et de l'environnement en fixant des priorités et des objectifs précis au service d'une stratégie cohérente de long terme.

C'est uniquement lorsque la chaîne de surveillance et de répression, jusqu'aux services judiciaires, sera remise en ordre de marche que pourront, dans un second temps, être envisagée une élévation des niveaux de sanction et d'amende, si nécessaire. L'on sait, en effet, au moins depuis Montesquieu, que l'impunité fait plus de dégât que la légèreté des peines.

2. Donner la maîtrise des espaces urbanisés aux collectivités territoriales
a) Définir un cadre de transfert

Il est désormais grand temps de refermer la phase postcoloniale du traitement de la ZPG et de renverser la logique à laquelle elle obéissait. Il ne convient plus de considérer comme normale et nécessairement légitime l'appropriation de la bande côtière par l'État et comme dérogatoire et toujours en quête de justification les interventions des collectivités. Le principe directeur doit devenir l'autonomisation foncière des collectivités en leur garantissant la maîtrise des espaces urbains et urbanisables de la ZPG.

Le transfert de propriété au profit des collectivités territoriales ne peut s'envisager dans tous les outre-mer de la même façon . Il faut, en premier lieu, qu'il réponde à une demande explicite des collectivités territoriales. Il n'est pas question d'envisager que l'État, embarrassé de la gestion des régularisations, s'en décharge unilatéralement sur les collectivités. De ce point de vue, Mayotte, qui a connu autant que Saint-Martin une préjudiciable sous-administration, n'est sans doute pas aussi avancé dans sa réflexion que les Antilles.

Il conviendra néanmoins d'envisager une réponse commune à la Guadeloupe et à la Martinique, dont les différences de situation ne sont pas d'une ampleur suffisante pour justifier de recourir à des solutions divergentes. Le domaine ultramarin souffre déjà trop de la multiplication des dérogations et d'exceptions qui empêchent le partage d'expériences et de bonnes pratiques entre les territoires.

Vos rapporteurs considèrent que le bon niveau de transfert est l'échelon régional : c'est la région ou la collectivité unique qui doit se voir rétrocéder la ZPG. En effet, il faut éviter une multiplicité de transferts morcelés à des communes ou même des intercommunalités, parce que l'on ajoutera encore de la complexité et un risque de distorsion, parce que l'on empêchera la mise le oeuvre d'une politique cohérente sur tout le rivage et parce que l'on mettra les maires dans une position très inconfortable et difficile à tenir en rapprochant trop l'échelon de décision des demandes d'occupants auxquelles il faut parfois résister. Le triple souci de simplicité, de cohérence et de hauteur de vues pousse vos rapporteurs à recommander un transfert au niveau régional. La compétence de la région en matière de stratégie de développement économique et d'aménagement du territoire, inscrite notamment dans le schéma d'aménagement régional ( SAR ) conforte cette position.

En outre, il revient également à la collectivité de décider du rythme du transfert, une fois son principe acté. La phase transitoire est essentielle pour assurer le transfert d'expertise et d'ingénierie et pour préparer les services de la collectivité bénéficiaire. Elle devra être réglée dans un cadre conventionnel négocié entre l'État et les collectivités qui fixera les modalités opérationnelles et financières de la gestion du domaine pour l'avenir. Le contre-exemple du transfert inachevé et contesté du domaine à la collectivité de Saint-Martin ne doit pas être renouvelé. Une évaluation précise des charges doit permettre leur compensation effective. En particulier, en Guadeloupe et en Martinique, les ressources propres des agences devront être reprises par les collectivités.

Par ailleurs, la cartographie des risques naturels devra être affinée préalablement au transfert. Le modèle martiniquais mérite l'attention en distinguant entre trois zones à risques de statuts différents : la zone violette d'interdiction absolue, la zone rouge, d'interdiction sauf exceptions et la zone orange où la construction est autorisée après un aménagement de sécurisation. Il serait intéressant de déployer cet éventail dans les autres territoires, en particulier en Guadeloupe qui ne connaît que les zones rouges exposées à un fort aléa. 120 ( * )

Il convient en particulier de rappeler que l'identité du propriétaire n'entraîne pas de conséquences nécessaires ni en termes de régimes juridiques, ni en termes de mode de gestion. Les parties de la ZPG transférées seront incorporées au domaine public de la collectivité , à moins d'un déclassement. L'hypothèse d'un déclassement dans le domaine privé doit être envisagée sérieusement lorsque le stock de régularisation aura été absorbé car il permettra de faciliter la mise en valeur et l'aménagement des espaces urbanisés de la ZPG, sans recours à des artifices, des contorsions et des dérogations. De même, il est envisageable que la propriété soit transférée et que la gestion reste confiée, à titre transitoire, à un opérateur d'État contractant avec la collectivité propriétaire. C'est la solution qui prévaut mutatis mutandis pour les communes forestières avec l'ONF.

b) Renouveler les modes de gestion et de régularisation des occupations

Vos rapporteurs considèrent que le modèle des agences des cinquante pas aux Antilles n'a pas été inutile transitoirement, mais qu'il est désormais temps de franchir une nouvelle étape dans la gestion de la ZPG, au vu des ambivalences constatées et de la tentation de transformer le temporaire en une organisation permanente. Dans la mesure toutefois où cette nouvelle étape, qui comprend le transfert aux collectivités de la maîtrise des espaces urbanisés de la ZPG, n'a pas été préparée, le réalisme porte à recommander une ultime prolongation au maximum pour trois ans . Cependant, cette prorogation devra être accompagnée en contrepartie de la fixation d'une date ferme à laquelle devront être achevées les négociations de transfert avec l'État. Si les agences sont prorogées jusqu'au 1 er janvier 2018, alors il serait raisonnable qu'au 1 er janvier 2017 les négociations soient achevées pour rendre le transfert effectif avant le 31 décembre de la même année.

Avec ce calendrier s'écrit le premier paragraphe de la feuille de route qui doit aboutir au transfert des espaces urbanisés. Il doit être complété par une réorientation des missions des agences vers la préparation opérationnelle et matérielle du transfert. En partant donc de l'hypothèse d'une ultime prolongation de trois ans des agences de Martinique et de Guadeloupe, il conviendra de les recentrer sur la régularisation et le titrement , qui doivent devenir des priorités absolues, afin de transmettre la ZPG expurgée au maximum des sources de contentieux, dans des conditions optimales, pour les collectivités territoriales.

Vos rapporteurs demandent que, dès à présent, soient menée une action préventive contre une possible spéculation foncière née des cessions -régularisations. À cette fin, ils recommandent de revoir les modalités d'estimation du prix des cessions sur la ZPG , quitte à accroître le montant de l'aide exceptionnelle pour les ménages les plus modestes afin de garantir la neutralité de la révision à leur égard. En outre, il convient d'introduire un mécanisme de taxation exceptionnelle de la plus-value immobilière en cas de revente.

Actuellement, d'après la responsable du domaine à la DRFIP de Guadeloupe 121 ( * ) , dans les actes de vente, sont prévues des clauses d'interdiction de revente pendant dix ans, mais dans la mesure où est conféré un titre de propriété foncière au moment de la régularisation, cette clause est assez fragile juridiquement. Surtout, rien ne permet d'assurer que l'État parviendra à empêcher en fait le transfert de propriété en cas de cession de l'occupant régularisé à un tiers, étant donné qu'il n'est pas parvenu à empêcher la première occupation sans droit, ni titre. La vigilance du notaire peut être trompée et le fichier immobilier est notoirement imparfait, si bien que le transfert de propriété pourrait être finalisé malgré la clause d'interdiction de revente, ce qui génèrerait des imbroglios juridiques inextricables. C'est pourquoi ni les clauses d'interdiction de revente, ni de nullité de la cession postérieure ne paraissent adéquates . Une taxation exceptionnelle de la plus-value immobilière en cas de revente à des prix largement plus élevés que le prix de cession par l'État permettrait de freiner la spéculation avec moins d'effets pervers et au bénéfice des deniers publics. Si ce principe était retenu, il serait envisageable d'élaborer un mécanisme dégressif : le montant de taxation pourrait par exemple couvrir 100% de la plus-value dans les dix ans après la cession-régularisation, 50 % dans les vingt ans et au-delà, le régime de droit commun s'appliquerait. 122 ( * )

En ce qui concerne les équipements et l'aménagement , les agences devraient pendant la phase transitoire uniquement achever les opérations en cours . Une priorité devait être donnée à ceux des travaux d'aménagement qui permettent d'ouvrir de nouvelles possibilités de cession-régularisation en sécurisant les zones concernées contre les aléas naturels. À cet effet, autant que faire se peut, il faut tirer parti du fonds spécial, dit « Barnier » prévu à l'article L. 561-3 du code de l'environnement en matière de prévention des risques, qui en l'état demande que la maîtrise d'ouvrage des travaux revienne aux communes.

Après la disparition des agences, les compétences de portage foncier ont vocation à être confiées aux établissements publics fonciers locaux et les compétences d'aménagement aux communes et EPCI via des sociétés d'économie mixte. Ainsi le paysage foncier antillais se rapprochera-t-il du régime de droit commun, en mettant fin à des exceptions exorbitantes qui ne servent pas le développement des territoires ultramarins. Le partage de l'actif des agences et la mobilité des fonctionnaires d'État qui y travaillent et qui bénéficieront d`un droit d'option devra être réglé par la convention entre l'État et la collectivité bénéficiaire du transfert.

Après le transfert, l'État n'a pas vocation à sortir complètement du jeu. Il serait intéressant de maintenir les commissions consultatives des 50
pas créées en août 2014 qui peuvent jouer un rôle d'interface et d'échange avec l'État, tout en revoyant leur composition pour donner la majorité des voix aux représentants des collectivités territoriales.

Le cas de Mayotte est sensiblement différent. La création d'un établissement public foncier (EPF) d'État doit être envisagée avec prudence. Mmes Sabine Baïetto-Beysson (CGEDD) et Noémie Angel (IGA), en se fondant sur leur analyse du fonctionnement des agences aux Antilles, se sont même montrées sceptiques lors de leur audition du 12 mars 2015. Pour assurer le succès de cette solution, il conviendra de tirer les conséquences des lacunes des modèles déjà expérimentés dans les outre-mer pour ne pas mécaniquement les reproduire. En particulier, il semble nécessaire de :

- le mettre en place rapidement, dès que le législateur a sanctionné ce choix, alors que trop souvent des retards importants sont constatés ;

- le doter des moyens nécessaires, sans déplétion de la DEAL ou de l'ONF ;

- ne pas confondre les responsabilités foncières et d'aménagement. Tant les agences des cinquante pas que la première phase de l'EPAG montrent que ce modèle n'est pas équilibré et conduit toujours à privilégier l'aménagement. La situation foncière à Mayotte ne trouvera aucun règlement viable sans une politique de régularisation soutenue. Il faut préciser les conditions dans lesquelles l'EPF d'État y contribuera ;

- ne pas négliger la question coutumière et s'inspirer des expériences de titres simplifiés ou de concessions trentenaires, renouvelables, cessibles et transmissibles ;

- associer étroitement le Département de Mayotte à ses actions pour assurer une cohérence entre le traitement du domaine de l'État et du domaine de la collectivité.

B. REFONDRE LE SYSTÈME FORESTIER OUTRE-MER

La définition d'un nouveau partage entre l'État et les collectivités sur les forêts ultramarines doit comprendre la libération de terrains du domaine forestier permanent et l'accroissement des ressources que les communes peuvent tirer de la forêt.

1. Libérer des terrains sur le domaine privé en Guyane
a) Accélérer les procédures de cessions onéreuses aux particuliers

Une amélioration très significative de la gestion administrative des cessions gratuites et onéreuses est souhaitable et possible. En particulier, l'amélioration des délais de réponse dans les procédures d'attribution foncière est essentielle . Un des obstacles principaux vient du fait que, tout le long de la chaîne de traitement, plusieurs avis successifs des services et des collectivités sont sollicités et qu'en l'absence de réponse de l'un des acteurs concernés, la procédure se fige. Dans l'attribution foncière, le silence vaut pour l'instant attente. L 'engorgement des dossiers favorise les installations sauvages et les squats, si bien que le coût de l'inaction pour l'État et pour les collectivités territoriales est beaucoup plus important que le coût de l'action.

Vos rapporteurs considèrent que ce mode de fonctionnement est archaïque. Faut-il le remplacer par une règle de refus tacite en cas de silence prolongé ou par une règle d'accord tacite ? La DRFIP de Guyane penche pour la première solution et a entrepris récemment de la mettre en place pour les cessions onéreuses à des particuliers : sans réponse de la commune au bout de six mois, la demande sera rejetée.

La DEAL et l'ONF penchent pour la seconde option, celle de l'accord tacite, ainsi que vos rapporteurs. Certes la règle que le silence vaut accord tranche avec l'esprit d'un régime de domanialité, mais elle serait ici censée s'appliquer au domaine privé qui n'est pas intrinsèquement lié à la poursuite de fins d'intérêt général, comme le montre l'existence même de nombreux dispositifs de cessions pour des bénéficiaires variés, y compris des particuliers poursuivant leur intérêt privé. En outre, elle est plus conforme à l'esprit du mouvement historique de simplification des procédures administratives qui tend à favoriser les décisions tacites dans le sens le plus favorable aux citoyens à l'origine de la demande.

Ainsi, la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens dispose que le silence gardé pendant deux mois par l'autorité administrative sur une demande vaut décision d'acceptation. Le délai peut être modifié selon les autorités administratives sollicitées. Par dérogation, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet dans cinq cas :

- lorsque la demande ne tend pas à l'adoption d'une décision présentant le caractère d'une décision individuelle ;

- lorsque la demande ne s'inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d'une réclamation ou d'un recours administratif ;

- si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ;

- dans les cas, précisés par décret en Conseil d'État, où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l'ordre public ;

- dans les relations entre les autorités administratives et leurs agents.

Les demandes de cession de terrains du domaine ne paraissent pas correspondre à l'un de ces cinq cas si bien que devrait plutôt prévaloir la règle de l'accord tacite.

Il est vrai qu'il faut laisser le temps aux communes de rendre leur avis avant de considérer trop rapidement qu'il est réputé favorable. Les six mois envisagés par la DRFIP paraissent malgré tout assez longs, surtout si, au bout de six mois de silence, l'avis est réputé défavorable. Seule la règle de l'accord tacite est à même d'accélérer et de fluidifier systématiquement les procédures.

En revanche, une autre proposition d'amélioration de la procédure émise par la DRFIP en audition devant vos rapporteurs 123 ( * ) mérite d'être examinée : la création d'une commission d'attribution foncière (CAF) des particuliers , sur le modèle de celles qui existent pour les collectivités territoriales et pour l'agriculture. Elle assurerait la publicité et la centralisation des demandes pour permettre une mise en concurrence, comme le veut la réglementation qui n'est pas appliquée aujourd'hui. Le recours à une CAF permettrait aussi d'éviter le morcellement, l'éparpillement du traitement des dossiers et permettrait de disposer d'un panorama plus vaste. Si ces CAF voyaient le jour, vos rapporteurs recommanderaient d'y faire participer les différents niveaux de collectivités pour permettre de forger une doctrine commune entre l'État et les collectivités sur les cessions aux particuliers. On conviendrait en son sein d'un prix de cession, des finalités poursuivies et de la conformité au PLU. Cela éviterait les décisions au coup par coup, sans cohérence, et sans respect des documents de planification de l'aménagement, notamment des zones agricoles définies dans le SAR au niveau régional.

b) Préparer la réduction et la mutation du domaine forestier permanent

Au-delà du désengorgement des services confrontés à un afflux de demandes de cession onéreuse, il convient surtout de desserrer l'étau du foncier domanial qui enserre les collectivités guyanaises au service d'une stratégie de développement ambitieuse.

C'est pourquoi vos rapporteurs préconisent une refonte d'ampleur du système des forêts en Guyane. Le premier axe consiste à repousser vers l'intérieur des terres le domaine forestier permanent (DFP) pour libérer du foncier en élargissant la bande littorale qui n'est pas soumise au régime forestier et peut donc être entrer dans le commerce juridique beaucoup plus aisément à travers les différents régimes de concession et de cession qui existent. Pour maximiser les effets du recul du DFP, il faut lui donner plus d'ampleur au Nord-Ouest de la Guyane, qui est soumis à une intense pression démographique. C'était la préconisation de l'ancien directeur de l'ONF en Guyane, M. Nicolas Karr. 124 ( * )

Vos rapporteurs souhaitent aller plus loin en transférant le foncier ainsi libéré à la future collectivité unique , qui en a fait la demande et qui se dote d'un nouveau SAR. Il reviendra à la collectivité unique de Guyane de rétrocéder les terrains aux communes, aux acteurs économiques et aux particuliers en fonction de leurs demandes et des orientations du SAR . Elle pourra transposer les procédures existantes dans les commissions d'attribution foncière et continuer d'y associer l'État dans un rôle de conseil.

Transférer le foncier à la collectivité unique lui permettrait d'être dotée dès sa création d'une réserve foncière et de disposer d'un levier d'action au service de l'exercice de ses compétences très amples et de la réalisation de la planification stratégique inscrite dans le SAR. Vos rapporteurs considèrent que les quelques centaines de milliers d'hectares qui pourraient être cédés restent d'un ordre de grandeur très raisonnable par rapport aux 8,5 millions de km 2 de la Guyane. Cette réserve foncière d'amorçage pourrait servir de laboratoire pour démontrer la capacité de la collectivité unique à gérer efficacement le foncier. Cette gestion test en quelque sorte pourra être accompagnée d'une évaluation conjointe de l'État et de la collectivité unique, qui permettra à la collectivité de développer sa propre expertise et à l'État de piloter les libérations ultérieures de foncier. Sur les fonds européens dont la collectivité unique est gestionnaire, il pourrait être parallèlement envisagé de créer un opérateur foncier régional pour utiliser et mobiliser le foncier transféré.

En complément, vos rapporteurs proposent en matière forestière de rapprocher la Guyane des autres départements d'outre-mer qui bénéficient du régime des forêts départemento-domaniales. Tant que ne s'élève pas de revendication particulière dans les autres collectivités, il convient de préserver le régime départemento-domanial, notamment à La Réunion où sa disparition présenterait un coût financier et social pour le département. Il faut envisager, après transfert à la collectivité unique de terrains près du littoral, la transformation du DFP restant en forêt collectivo-domaniale avec nue-propriété à la collectivité unique et droit d'usage à l'État . De cette façon, hormis la zone du parc amazonien, la collectivité de Guyane exercerait des droits sur l'ensemble de la forêt guyanaise. L'ONF continuerait d'y assurer la gestion et pourrait développer une politique d'emplois aidés sur le modèle qui prévaut à La Réunion.

2. Renforcer les capacités de développement et d'aménagement des communes
a) Faciliter la constitution de forêts communales

Aucune forêt de collectivité n'est gérée par l'ONF en Guyane, qui est le seul département français à connaître une telle situation. Cet état de fait pose d'autant plus de questions que :

- d'une part, dans l'Hexagone, les deux tiers des forêts publiques environ sont des forêts communales ;

- d'autre part, l'exploitation du bois et des produits de la forêt, y compris indirectement pour alimenter des usines de biomasse, constitue une filière d'avenir pour la Guyane.

Il n'existe pourtant aucun obstacle juridique. Le code forestier permettant la création de forêts communales sous régime forestier sur demande de la commune et après arrêté préfectoral. En outre, cela irait dans le sens des dispositions du CG3P et du code forestier spécifiques à la Guyane qui permettent la cession gratuite de forêts qui continuent de relever du régime forestier. Rien n'empêche donc formellement de créer sur le domaine forestier permanent des forêts communales.

Pourtant, aucun projet ne s'est concrétisé d'après M. Nicolas Karr, ancien directeur de l'ONF en Guyane. 125 ( * ) Des discussions avec les communes de Régina et de Saint-Laurent-du-Maroni ont eu lieu sans aboutir. Les initiatives autour de Saül et Maripasoula peinent aussi à émerger. Le point d'achoppement fut notamment la participation financière des communes à la gestion de la forêt. En effet, dans le droit commun, la répartition des responsabilités est telle que :

- la commune propriétaire d'une forêt fixe les orientations stratégiques de la gestion, décide du programme des coupes de bois et de leurs modes de vente, décide du programme des travaux dont elle assure aussi la maîtrise d'ouvrage, accorde les concessions et encaisse les produits de sa forêt ;

- l'ONF assure la surveillance, élabore et applique les documents d'aménagement forestier, prépare les ventes, fixe les conditions techniques d'occupation et d'exploitation, propose le programme annuel des travaux en cohérence avec l'aménagement et émet les factures des ventes de bois. En contrepartie, l'ONF reçoit un versement compensateur de l'État et des frais de garde de la part de la commune.

C'est cette compensation financière à hauteur de deux euros l'hectare que ne peuvent assumer les communes, en particulier en Guyane, car elles sont victimes d'un effet de ciseau entre des ressources propres très faibles et des charges très lourdes dues à l'immensité de leur territoire et aux besoins d'équipement de la population. L'application du dispositif national de frais de garde n'est pas adaptée à l'outre-mer, et encore moins à la Guyane , alors que c'est précisément le territoire qui pourrait tirer le plus de parti d'une exploitation plus intense de sa forêt.

Vos rapporteurs proposent donc une exonération des frais de garde normalement dus à l'ONF pour l'outre-mer, au moins à titre temporaire pour enclencher la dynamique de création de forêts communales , le temps que les ressources tirées des ventes de bois et des concessions profitent aux communes. Ce ne serait que le juste pendant de l'exonération temporaire dont bénéficie l'ONF jusqu'en 2018. En effet, aux termes de l'article 1395 H du code général des impôts, dans les cinq départements d'outre-mer, les forêts d'État sont exonérées de la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB) perçue au profit des communes et de leurs EPCI à concurrence de 80 % pour les années 2009 à 2015 et respectivement à concurrence de 70 %, 60 % et 50 % pour les impositions établies au titre de 2016, 2017 et 2018.

b) Assurer la fiscalisation effective des forêts d'État exploitées outre-mer

L'existence d'une exonération temporaire prouve a contrario que l'État doit s'acquitter de la TFNB auprès des communes au titre des forêts de son domaine privé. Toutefois, l'administration conteste le principe même de cette fiscalisation pour le cas particulier de la Guyane.

Or, l'analyse des services de l'État, tant au niveau central qu'au niveau déconcentré 126 ( * ) est extrêmement contestable. Certes l'article 1394 du CGI prévoit une exonération totale de la TFNB pour les propriétés de l'État, lorsqu'elles sont affectées à un service public ou d'utilité générale et non productives de revenus. L'administration fiscale invoque alors l'improductivité générale de la forêt guyanaise pour lui étendre l'exonération.

Cette position ne paraît pas défendable pour des raisons matérielles et juridiques. D'abord, il est erroné de considérer la forêt guyanaise comme improductive de revenus puisqu'elle fait l'objet d'une exploitation et de concessions . La comparaison avec les landes bretonnes, utilisée en audition par M. Bruno Rousselet, chef du service de la gestion fiscale, 127 ( * ) n'est pas non plus juridiquement solide puisque les landes et les forêts appartiennent à des catégories différentes de propriétés non bâties au sens de l'article 18 de l'instruction ministérielle du 31 décembre 1908 et ne sont donc pas soumises au même régime de détermination de la valeur locative cadastrale.

Toutefois, le fait matériel de l'exploitation et de la concession ne serait pas suffisant pour lever l'exonération prévue à l'article 1394 du CGI. En effet, d'après la jurisprudence administrative, la condition de non production de revenus doit être appréciée au regard du propriétaire des biens et non de son gestionnaire ou emphytéote. 128 ( * ) Autrement dit, si le produit des ventes de bois et des concessions est affecté au budget de l'ONF et non de l'État, alors les forêts seraient considérées comme improductives pour l'État, donc comme bénéficiaires de l'exonération. 129 ( * ) En revanche, dès que la plus petite redevance est versée à l'État, l'exonération n'a plus cours mais dans ce cas ce n'est pas l'État qui est redevable mais le titulaire de bien réels ou le gestionnaire : pour les cas des forêts sous régime forestier, c'est alors l' ONF qui est redevable aux termes de l'article 1400 du CGI.

Pour autant, cette voie d'exonération ouverte par la jurisprudence administrative est expressément fermée par le législateur qui en loi de finances rectificative pour 2008 a complété les articles 1394 et 1400 du CGI pour exclure expressément du bénéfice de l'exonération les bois et les terrains visés à l'article L. 221-2 du code forestier, qui lui-même renvoie aux bois et forêts appartenant à l'État et gérées par l'ONF. Le double critère d'affectation au service public et d'improductivité est donc inopérant en l'espèce. Sans doute une correction rédactionnelle pourrait être apportée aux articles 1394 et 1400 du CGI, qui évoquent « forêts et terrains » pour la rendre parfaitement symétrique avec la formulation de l'article L. 221-2 du code forestier, qui mentionnent « bois et forêts » depuis sa recodification par l'ordonnance n° 2012-92 du 26 janvier 2012. Cela n'enlève rien au fait que le code général des impôts assujettit clairement les forêts appartenant à l'État soumises au régime forestier à la taxe foncière , l'ONF étant désigné expressément comme redevable.

Reste à réaliser l'évaluation cadastrale des forêts soumises à la TFNB. Il faut préciser que cette évaluation à but fiscal qui vise à déterminer la valeur locative cadastrale servant de base d'imposition n'a aucun rapport avec l'évaluation domaniale, qui vise l'établissement d'un prix d'achat ou de vente en fonction de l'état du marché immobilier. L'établissement de la valeur locative cadastrale des bois fait l'objet de dispositions spéciales inscrites dans l'article 26 de l'instruction ministérielle du 31 décembre 1908 précitée. On doit procéder schématiquement de cette manière dans chaque commune :

- calcul du rendement-matière, pour chaque nature de bois en distinguant plusieurs catégories (bois d'oeuvre, bois d'industrie, bois de feu), qui équivaut à la quantité de bois normalement produite par hectare et par an ;

- calcul du produit brut moyen annuel par nature de bois, en multipliant le rendement-matière par un prix moyen unitaire. Ce revenu brut ne prend en compte que les seules coupes de bois, à l'exclusion des autres produits (résines, fruits, etc.) qui sont soumis à l'impôt sur le revenu au titre du bénéfice agricole ;

- calcul du produit net réel en retranchant du produit brut moyen les frais d'entretien, de gestion, de garde, d'assurance et de repeuplement. Pour chaque type de forêts est fixée une fourchette de pourcentage de frais applicable au produit brut. Par exemple, pour les futaies résineuses, les frais déductibles doivent représenter au minimum 35 % et au maximum 60 % 130 ( * ) du produit brut ;

- calcul de la valeur locative cadastrale en opérant sur le produit net une déduction de 10 % représentative des éléments étrangers à la rente du sol.

Il est certain que l'instruction de 1908 n'avait pas complètement prévu le cas d'une forêt d'essences aussi variées que celle de la Guyane. En outre, ce n'est pas tout le domaine forestier qui est soumis à une exploitation forestière mais seulement une fraction, le front d'exploitation se déplaçant d'année en année. Néanmoins, les comptes de l'ONF sont suffisamment détaillés pour permettre de calculer les rendements et les frais déductibles. L'évaluation de la valeur locative cadastrale paraît donc constituer une tâche complexe mais certainement pas impossible.

La dernière ligne de défense de l'administration fiscale est d'invoquer les coûts extrêmement élevés de l'évaluation cadastrale pour un produit qui serait nul. 131 ( * ) Certes, on peut comprendre la motivation de l'article 333 J de l'annexe 2 du CGI, selon lequel en matière d'évaluation de la valeur locative des propriétés non bâties assujetties à l'impôt foncier « dans le département de la Guyane, les travaux d'évaluation ne sont pas effectués pour les propriétés domaniales qui ne sont ni concédées, ni exploitées. » En effet, les parties non exploitées et non concédées du domaine forestier ne produisant par définition aucun rendement, la valeur cadastrale serait nulle sans qu'il soit besoin de l'établir commune par commune, type de bois par type de bois, parcelle par parcelle. Cependant, l'administration fiscale ne peut s'appuyer sur cette disposition pour justifier de ne pas réaliser l'évaluation cadastrale des parcelles concédées ou exploitées. C'est même tout l'inverse, puisque l'article 333 J précité impose a contrario précisément ce travail d'évaluation cadastrale de toutes les parcelles de forêts concédées ou exploitées en Guyane.

Vos rapporteurs ne demandent donc que la simple et stricte application du droit existant, dont la complexité n'est pas telle qu'elle ne puisse être assimilée par les services fiscaux : en Guyane, l'ONF est redevable pour l'État de la TFNB sur les parties du domaine forestier qu'il exploite ; la détermination de la valeur locative cadastrale des parcelles exploitées doit être menée à bien pour calculer le montant dû aux communes.

Sans doute, la première phase d'évaluation cadastrale nécessitera-t-elle un effort pour établir des modalités de calcul adaptées aux spécificités de la forêt guyanaise, mais pour les années suivantes, il suffira de reprendre cette base. L'exonération temporaire prévue à l'article 1395 H du CGI précitée perdure jusqu'en 2018. Ce délai peut être mis à profit pour réaliser l'évaluation cadastrale et pour préparer l'ONF à assumer la charge financière supplémentaire qui en résultera.

Enfin, vos rapporteurs souhaitent soulever un point connexe. Les baux emphytéotiques sont créateurs de droits réels, si bien que le locataire est redevable de la TFNB sur les terrains baillés et non l'État propriétaire. En revanche, les concessions agricoles ne constituent pas des droits réels, mais peuvent produire des revenus pour l'État, dès lors qu'elles donnent lieu à versement d'une redevance. Si l'on suit la jurisprudence administrative, dans le cas des concessions, c'est l'État propriétaire qui devrait être imposé à la TFNB sur les terrains concédés. Par ricochet, la chambre d'agriculture verrait ces ressources s'accroître en même temps que celles des communes puisqu'elle reçoit le produit d'une contribution additionnelle à la taxe foncière.

c) Apaiser les tensions avec les parcs nationaux

Les parcs nationaux sont désormais implantés dans les outre-mer depuis plusieurs années, sans qu'ils soient toujours parvenus à tisser des liens de confiance avec l'ONF, les communes et la population. Les conflits tendent à s'envenimer, au préjudice de chacun. C'est pourquoi il faut prendre le chemin de l'apaisement en respectant toutes les parties prenantes qui défendent leurs intérêts légitimes.

Les relations entre l'ONF et les parcs nationaux, qui partagent une tutelle commune, doivent devenir plus harmonieuses. Cela passe par un schéma équilibré de partage géographique et fonctionnel des responsabilités entre les deux opérateurs. Les superpositions et les chevauchements doivent être limités le plus possible. Il faut viser au contraire la complémentarité entre les établissements, l'exploitation optimale des compétences disponibles de part et d'autre, la mutualisation des moyens et un mode de gouvernance commun, susceptible de désamorcer les conflits. La voie du conventionnement entre les parcs et l'ONF paraît la solution la plus souple et la plus efficace, dès lors que la tutelle la fait respecter.

La politique des parcs nationaux répond encore trop à une logique verticale imposée par un État toujours suspicieux de la capacité des collectivités territoriales à servir l'intérêt général. Entre les communes et les parcs nationaux, des tensions sont apparues au moment de signer les chartes de parcs qui régissent la zone de libre-adhésion. Les collectivités ont besoin d'être rassurées sur les intentions à long terme des parcs nationaux, qui ne doivent pas être instrumentalisés par l'État comme un moyen de garder la mainmise sur le foncier ultramarin par un nouveau biais. Elles craignent d'être soumises à toujours plus de restrictions dans leur politique d'aménagement et de développement au-delà même de la zone coeur qui leur échappe déjà.

De même, les habitants considèrent que certaines de leurs activités traditionnelles, comme la chasse au tangue à La Réunion, sont menacées par les parcs nationaux qui doivent éviter d'adopter une position maximaliste d'interdiction totale sans concertation avec la population. La garantie du maintien d'activités traditionnelles dans les zones gérées par les parcs nationaux est une condition nécessaire de l'appropriation de la politique de conservation de la biodiversité par la population.

Contre la tentation de la mise sous cloche , au nom d'un intérêt patrimonial national, il convient de préserver les capacités d'action des communes dont le territoire est compris dans les parcs nationaux. De ce point de vue, le développement de nouvelles mines en Guyane et de nouvelles carrières à La Réunion ne doit pas être freiné, dès lors qu'ils ne compromettent pas la vocation même des parcs.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

M. Michel Magras , président

Mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui sur le thème du foncier pour examiner le premier volet de notre étude triennale, centré sur la gestion du domaine de l'État, dont les rapporteurs sont Thani Mohamed Soilihi, à l'origine du choix de cette thématique et désigné comme coordonnateur, et nos collègues Joël Guerriau, Serge Larcher et Georges Patient.

Pour instruire ce premier volet, il leur a fallu récolter l'information, une information toujours éparse et difficile d'accès comme pour tous les sujets concernant les outre-mer. Outre les nombreux questionnaires adressés aux services déconcentrés et aux juridictions dans l'ensemble des outre-mer, 8 auditions plénières ont été organisées au Sénat au cours desquelles 16 personnes ont pu témoigner. Au nombre de ces auditions figure la visioconférence organisée avec la préfecture de La Réunion.

Les rapporteurs et moi-même nous sommes par ailleurs rendus sur le terrain, en Guyane, à la Martinique et à Saint-Martin du 13 au 19 avril : 30 auditions ont eu lieu sur le terrain qui ont permis d'entendre près de 70 témoignages. On peut donc affirmer que les analyses et conclusions de nos rapporteurs sont particulièrement étayées !

M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur coordonnateur

Monsieur le président, mes chers collègues, commencer par l'étude de la gestion du domaine s'imposait : d'une part, parce qu'elle recouvre des espaces à la fois très vastes et très stratégiques pour les outre-mer, d'autre part, parce que la légitimité comme l'efficacité de l'action de l'État sont contestées localement.

L'épineuse question des régularisations dans la zone des cinquante pas géométriques (ZPG) attend toujours sa solution définitive. Les occupations sans droit ni titre des espaces naturels et des immeubles désaffectés prospèrent inlassablement. La mobilisation du foncier d'État pour le logement, les grands équipements et l'agriculture tarde à produire des effets. Le point d'équilibre entre le développement économique et la protection de l'environnement, les deux objectifs souvent conflictuels auxquels la gestion du domaine de l'État doit tendre, n'est pas encore atteint et reste d'ailleurs difficile à définir.

Tous ces problèmes sont connus, mais demeurent sans solution. Ils n'ont jamais été analysés simultanément sur l'ensemble des collectivités ultramarines afin d'en discerner les causes profondes communes et de sérier les facteurs de différenciation propres à chaque territoire. C'est l'ambition de notre rapport de livrer la première radiographie transversale de la gestion domaniale dans les outre-mer et d'analyser ses failles et ses lacunes.

Le domaine ultramarin de l'État se laisse très difficilement appréhender car il présente une mosaïque de biens très divers, soumis à des régimes juridiques exorbitants du droit commun. Il manque encore un inventaire exhaustif des propriétés de l'État dans les outre-mer. Un principe général se dégage néanmoins : l'État conserve un patrimoine foncier considérable dans les départements d'outre-mer, alors qu'il en a transféré la plus grande partie dans les collectivités régies par l'article 74 de la Constitution. Le degré d'autonomie d'une collectivité ultramarine peut se lire directement dans la description des biens restant propriété de l'État.

Dans les départements d'outre-mer, aucune politique d'aménagement ou d'urbanisme, de développement économique ou environnementale ne peut se faire sans l'État, considéré non seulement comme la puissance publique régulatrice, mais surtout en tant que propriétaire foncier majeur.

Le domaine de l'État dans les départements d'outre-mer est sans commune mesure avec le patrimoine des autres personnes publiques ou privées. Selon les territoires, la répartition de la propriété foncière varie beaucoup, mais pour prendre des points de repère, le domaine de l'État représente environ 13,5 % de la superficie de la Martinique et 37,5 % de celle de La Réunion. Il couvre jusqu'à 95,2 % de celle de la Guyane, alors que les collectivités territoriales n'y possèdent que 0,3 % de la surface foncière et les personnes privées guère plus de 1,3 %.

L'hypertrophie du domaine de l'État résulte de l'incorporation de deux zones cruciales : d'une part, les forêts qui couvrent l'intérieur des terres, d'autre part, la bande littorale, où se concentrent la population, les activités économiques et les équipements structurants.

En effet, dans les départements d'outre-mer, le domaine public maritime s'étend au-delà du rivage pour englober une bande littorale s'enfonçant vers l'intérieur des terres. En fonction des fluctuations du trait de côte et des remblais successifs, cette bande censée mesurer 81,20 mètres peut s'élargir jusqu'à 600 mètres. La composition du domaine de l'État outre-mer garde fortement l'empreinte de la colonisation, dont la zone des cinquante pas géométriques constitue un vestige archaïque que la départementalisation n'a pas aboli.

En revanche, le domaine public maritime, très associé à la capacité de l'État à maîtriser un territoire, a été transféré aux collectivités d'outre-mer par les différentes lois organiques qui leur confèrent un statut autonome. C'est le cas en Nouvelle-Calédonie au profit des trois provinces, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin. De même, la Polynésie française est propriétaire du domaine public maritime.

Cependant, même dans les collectivités les plus autonomes, l'État conserve des propriétés abritant les services publics tels que palais de justice, bases militaires, ports autonomes ou encore les aéroports internationaux de Nouméa-La Tontouta et de Tahiti-Faa'a. Certaines font l'objet de demandes de revendication.

À l'hétérogénéité dans la composition matérielle du domaine s'ajoute l'éclatement extrême du droit domanial ultramarin. Les normes applicables sont éparpillées dans un grand nombre de textes différents : code général de la propriété des personnes publiques, code du domaine de l'État et sa version applicable à Mayotte, code forestier, code de l'environnement, code de l'urbanisme et lois non codifiées. Les dérogations sont devenues la règle au point de rendre les normes applicables particulièrement obscures et fluctuantes. Les grands principes du droit commun se retrouvent outre-mer criblés de mesures exorbitantes, de dispositifs d'exception et de solutions inédites dans l'Hexagone. Tant et si bien qu'aucune collectivité ultramarine n'est véritablement régie par le même droit domanial.

Le cas de Mayotte est le plus impressionnant : ni les baux emphytéotiques administratifs, ni les droits réels, ni les superpositions d'affectation, ni les mutations domaniales ne s'y appliquent ; le calcul des redevances domaniales n'est pas le même ; même chose pour la définition du régime des eaux et du domaine public fluvial. Il a fallu attendre 2010 pour découvrir la base légale applicable à Mayotte des contraventions de grande voirie, qui sanctionnent l'occupation sans droit ni titre du domaine public. Après une enquête archéologique serrée, le Conseil d'État est parvenu à conjuguer deux décrets sur Madagascar de 1902 et 1926 et trois arrêtés du gouverneur en 1911, 1914 et 1927, dont la cour administrative d'appel de Bordeaux avait pourtant jugé qu'ils étaient abrogés par l'ordonnance de 1992 codifiant le code du domaine de l'État applicable à Mayotte !

Morcèlement, éparpillement, complexité interne redoutable, toutes ces caractéristiques ne facilitent pas la compréhension, la maîtrise et la transposition de solutions pertinentes, y compris au sein des services de l'État.

Disons-le clairement, le droit du domaine de l'État outre-mer est totalement illisible, ce qui pose de graves problèmes d'accès au droit et de sécurité juridique. On peut comprendre le désarroi et l'attentisme de la population face à ce maquis inextricable.

Nous avons examiné les fondements de cette myriade de dérogations et d'exceptions pour en évaluer la pertinence. Notre conclusion est nette : elles sont moins la conséquence d'une juste appréciation des spécificités des territoires que le produit d'une pure sédimentation historique ; elles ne sont pas l'effet d'une volonté claire et constante, mais le reflet de l'indifférence d'une gestion au fil de l'eau et à la trajectoire incertaine.

Pour assumer la complexité juridique de la gestion domaniale, l'État a fait le choix de s'appuyer sur une multitude d'opérateurs, sans les doter des moyens nécessaires à leur action, sans s'assurer de l'efficacité de leur coordination et sans leur fixer de cap.

Une réévaluation des moyens humains mis à la disposition des services locaux du domaine en outre-mer paraît indispensable, ainsi qu'un audit de leurs systèmes d'information en vue de leur refonte et leur mise en cohérence.

La multiplicité des opérateurs intervenant sur des parcelles de statuts très divers, le fractionnement des procédures et l'exercice conjoint de compétences sur certains éléments du domaine rendent la coordination à la fois essentielle et complexe à mettre en place.

Or, sur plusieurs exemples, nous avons pu noter de sérieuses divergences d'approche et de méthode, des frictions et des tensions, entre les services déconcentrés et entre les établissements publics. Le cas du chevauchement conflictuel de l'ONF et du parc national de La Réunion en offre un exemple topique. Il faut y porter réponse sous peine de paralysie de l'action de l'État avec toutes les répercussions en chaîne que cela entraîne pour les collectivités territoriales et les particuliers.

Au fond, le domaine de l'État outre-mer reste dans l'angle mort de la politique immobilière nationale. De l'aveuglement naît le désintérêt, et bientôt le délaissement. C'est là que se trouve la racine du mal et c'est ce qui explique la prolifération des statuts fonciers dérogatoires, la fluctuation des normes sans horizon de long terme, le renvoi des difficultés à des facteurs extérieurs à l'administration et la compression des moyens humains et financiers.

Sans stratégie, il est impossible de repenser la gouvernance et les modes de gestion, d'affecter des moyens adéquats, de procéder à une libération encadrée et rationalisée du foncier. L'État ne semble pas savoir lui-même dans quel but il continue de garder tant de biens fonciers dans les outre-mer, au risque de maintenir une forme de tutelle sur les collectivités territoriales.

Nous souhaitons que soit élaboré un document d'orientation et de programmation à long terme de la politique domaniale dans les outre-mer qui devra ensuite être décliné dans des stratégies régionales compatibles avec les SAR. Cette feuille de route trouvera naturellement sa traduction dans les lettres de mission adressées aux préfets dans le souci d'assurer une double cohérence, territoriale et temporelle, à l'action de l'État. À défaut, persistera la tentation d'un immobilisme de fond, ponctué par à-coups d'interventions épisodiques et décousues.

Après ce panorama brossé à grands traits, je vais laisser mes collègues approfondir les points essentiels de notre rapport et présenter nos recommandations. Serge Larcher traitera la zone des cinquante pas géométriques, Joël Guerriau présentera les difficultés touchant le domaine privé de l'État et Georges Patient évoquera le cas particulier mais essentiel des forêts.

M. Serge Larcher , co-rapporteur

Monsieur le président, mes chers collègues, la géographie et l'histoire ont conjugué leurs effets pour faire diverger la situation de la zone des cinquante pas géométriques dans les différentes collectivités ultramarines. Nous évoquons les différents cas de figure dans notre rapport, mais je vais me concentrer sur le cas des Antilles, car le règlement définitif des occupations, attendu depuis des décennies n'y est toujours pas atteint.

Les agences des cinquante pas géométriques ont été instituées en Martinique et en Guadeloupe à titre temporaire. La durée de vie des deux agences et le périmètre de leurs missions ont été régulièrement modifiés depuis leur création en 1996. Depuis le Grenelle II en 2010, la régularisation des occupations sans titre historiques était censée devenir leur coeur de métier, mais elles conservent encore aujourd'hui la mission de concevoir et de mettre en oeuvre des programmes d'équipement. Elles se sont emparées de cette compétence d'aménagement, parce qu'il existait un vide, mais aussi pour se pérenniser.

La dernière prolongation des agences date d'octobre 2013, à la suite de la proposition de loi que j'avais déposée. Dans mon esprit, cette prolongation s'apparentait à une mesure d'urgence afin de disposer d'un délai supplémentaire, jusqu'au 1 er janvier 2016, pour réfléchir à l'avenir de la gestion de la zone des cinquante pas géométriques. Je regrette que ce temps n'ait pas été mis à profit pour définir une feuille de route claire. Alors que les agences présentent un bilan en demi-teinte, l'État semble incapable d'envisager des alternatives satisfaisantes.

Les agences ont certes traité l'essentiel des demandes de régularisation déposées. Cependant, une faible proportion des demandes aboutit à des cessions effectives : 8,9% seulement des dossiers déposés en Guadeloupe, 13,4% à la Martinique. Aussi, les agences restent en charge d'un stock de dossiers très important. On estime le potentiel de régularisation restant en Martinique à 44 % des constructions illicites sur les espaces urbanisés de la zone.

En matière d'aménagement, le bilan est très contrasté d'un territoire à l'autre. L'agence de Martinique a réalisé des études d'aménagement sur plus de 70% de son périmètre d'intervention et programmé une vingtaine d'opérations portant sur 2 250 logements pour 27 millions d'euros d'investissements. En déplacement en Martinique, vos rapporteurs ont pu visiter des sites où l'agence a mené des opérations très réussies sur les communes des Anses d'Arlet et du François. Ils ont pu apprécier la grande qualité de l'ingénierie technique et de l'expertise juridique et financière qu'ont développées ses équipes. En revanche, l'agence de Guadeloupe n'a pu conduire d'études que sur 54 % de son périmètre. Elle n'a lancé que quatorze opérations de moindre ampleur portant sur 300 logements pour 11 millions d'euros d'investissements.

Cependant, au-delà des bilans quantitatifs, l'action des agences suscite de nombreuses interrogations qui font douter qu'elles puissent constituer une solution pérenne.

En premier lieu, l'enchevêtrement des opérations de régularisation et d'aménagement ne peut que retarder l'apurement définitif de la bande littorale. Actuellement, l'aménagement précède la cession, ce qui génère un processus sans fin. En effet, l'aménagement dure plusieurs années, entre trois et cinq ans en moyenne. Il suffit alors, avant la date de disparition programmée des agences, d'engager de nouveaux chantiers pour que le dispositif soit mécaniquement prorogé.

Or, l'implication des agences dans l'aménagement résulte d'une lecture très extensive des textes. L'aménagement n'est pas inscrit parmi leurs compétences légales, au-delà des travaux d'équipement en voie d'accès, adduction d'eau et assainissement. Elles n'ont pas le statut d'aménageur avec les leviers financiers qui y sont associés. Il n'est pas rare d'observer cette tendance à étendre progressivement ses prérogatives chez des établissements très autonomes, surtout lorsqu'ils ont une vocation transitoire et cherchent un moyen de se pérenniser.

Outre la question du périmètre de la mission des agences, la pratique des régularisations trahit parfois l'intention du législateur. Un certain nombre des occupants sans titre ne remplissent aucun des critères d'urgence sociale qui inspirent et justifient fondamentalement le processus. Au vu des villas cossues et des résidences opulentes qui ont été régularisés et que nous avons vues sur place, les conditions concrètes de cession sont parfois très contestables.

On trouve des cas de sous-évaluation manifeste des prix par le service du domaine : autour de vingt euros le mètre carré pour des villas jouissant d'un emplacement idyllique dans une crique du littoral atlantique, alors qu'elles pourraient être cédées le quintuple sur le marché immobilier. Rappelons que les occupants défavorisés bénéficient d'une aide exceptionnelle prévue par le législateur. Des prix de cession bas profitent surtout à ceux qui ne sont pas éligibles à cette aide. France Domaine surestime la décote due au manque d'équipement et d'accès à la zone.

C'est d'autant plus incompréhensible que l'agence des cinquante pas entreprend de son côté les travaux de voirie et de raccordement aux réseaux. Et même davantage, puisqu'elle prévoit la réalisation d'écoquartiers avec des matériaux respectueux de l'environnement. Ce sont certes de beaux projets valorisants pour l'agence. Mais ces travaux sont en partie financés sur des fonds publics et bénéficient de l'ingénierie d'agents d'un établissement public d'État. Comment ne pas y lire une prime à l'impunité ?

Ces situations montrent toute l'ambiguïté de l'aménagement, dont on sent que les agences essaient de faire leur priorité pour montrer leur utilité. La démarche n'est pas toujours aussi vertueuse que sur l'Anse Dufour, où le projet a permis de consolider le soutien de la population et de faire de la plage un site touristique très couru. Dans les autres cas, l'aménagement ne fait que valider la privatisation et le bétonnage du rivage.

Au-delà de la gestion administrative, la question des cinquante pas est par essence politique ; elle ne peut pas être résolue par l'État sans qu'il laisse les collectivités territoriales prendre des responsabilités plus importantes. Il est désormais grand temps de refermer la phase postcoloniale du traitement de la zone des cinquante pas géométriques et de renverser la logique à laquelle elle obéissait. On ne peut plus considérer comme normale l'appropriation de la bande côtière par l'État et comme dérogatoire les interventions des collectivités.

Le principe directeur doit devenir l'autonomisation foncière des collectivités en leur garantissant la maîtrise des espaces urbanisés de la zone des cinquante pas.

Cependant, le transfert de propriété ne peut s'envisager dans tous les outre-mer de la même façon. Il doit tout d'abord répondre à une demande explicite des collectivités territoriales. Il n'est pas question d'envisager que l'État, embarrassé de la gestion des régularisations, s'en décharge unilatéralement sur les collectivités. De ce point de vue, Mayotte - qui connaît autant que Saint-Martin une sous-administration préjudiciable - n'est sans doute pas aussi avancé dans sa réflexion que les Antilles.

Le triple souci de simplicité, de cohérence et de hauteur de vues pousse à recommander un transfert au niveau régional. La compétence de la région ou de la collectivité unique en matière de stratégie de développement économique et d'aménagement du territoire, inscrite notamment dans le schéma d'aménagement régional (SAR), conforte cette position.

Une fois son principe acté, le transfert devra être réglé dans un cadre conventionnel négocié entre l'État et les collectivités qui fixera les modalités opérationnelles et financières de la gestion du domaine pour l'avenir. Le contre-exemple du transfert inachevé et contesté du domaine à la collectivité de Saint-Martin ne doit pas être renouvelé. Une évaluation précise des charges doit permettre leur compensation effective.

Dans la mesure où le transfert aux collectivités des espaces urbanisés de la zone des cinquante pas géométriques n'a pas été préparé au cours des années écoulées, le réalisme porte à recommander une ultime prolongation des agences au maximum pour trois ans. C'est ce que propose l'article 8 du projet de loi relatif à la modernisation de l'outre-mer que le Gouvernement a déposé au Sénat et que nous examinerons la semaine prochaine en séance publique.

Cependant, cette prorogation devra être accompagnée de la fixation d'une date ferme à laquelle devront être achevées les négociations de transfert avec l'État. Si les agences sont prorogées jusqu'au 1 er janvier 2018, alors il serait raisonnable qu'au 1 er janvier 2017 les négociations soient achevées pour rendre le transfert effectif avant le 31 décembre de la même année.

Cette feuille de route doit être complétée par une réorientation des missions des agences vers la préparation opérationnelle et matérielle du transfert. Il conviendra de les recentrer pendant la phase transitoire sur la régularisation et le titrement, afin de transmettre la zone des cinquante pas géométriques, expurgée au maximum des sources de contentieux, dans des conditions optimales pour les collectivités territoriales.

En ce qui concerne les équipements et l'aménagement, les agences devraient, pendant la phase transitoire, uniquement achever les opérations en cours. Une priorité devait être donnée à ceux des travaux d'aménagement qui permettent d'ouvrir de nouvelles possibilités de cession-régularisation en sécurisant les zones concernées contre les aléas naturels. À cet effet, autant que faire se peut, il faut tirer parti du fonds « Barnier » prévu par le code de l'environnement.

Après la disparition des agences, les compétences de portage foncier ont vocation à être confiées aux établissements publics fonciers locaux et les compétences d'aménagement aux communes et établissements publics de coopération intercommunale via des sociétés d'économie mixte. Ainsi le paysage foncier antillais se rapprochera-t-il du régime de droit commun, en mettant fin à des exceptions exorbitantes qui ne servent pas le développement des territoires ultramarins.

Après le transfert, l'État n'a pas vocation à sortir complètement du jeu. Il serait intéressant de maintenir les commissions consultatives des cinquante pas créées par décret en août 2014. Leur mission est de donner un avis sur les demandes de cession de parcelles du domaine. Si elles sont effectivement mises en place - ce que nous n'avons pas constatées sur le terrain -, elles pourraient jouer un rôle d'interface et d'échange avec l'État. Mais leur composition devrait être revue pour donner la majorité des voix aux représentants des collectivités territoriales.

Dès à présent, il faut mener une action préventive contre la spéculation foncière alimentée par les cessions - régularisations. À cette fin, les modalités d'estimation du prix des cessions sur la zone des cinquante pas géométriques doivent être revues, quitte à accroître le montant de l'aide exceptionnelle pour les ménages les plus modestes, afin de garantir la neutralité de la révision à leur égard. Nous proposons également d'introduire un mécanisme de taxation exceptionnelle de la plus-value immobilière en cas de revente de biens régularisés.

La régularisation des occupations historiques n'a de sens que si l'on empêche les nouvelles implantations sauvages. À défaut, le stock de dossiers se remplira de nouveau et le mouvement de privatisation du littoral se poursuivra indéfiniment, ce qui finirait par amputer les territoires, non seulement de la beauté de leurs paysages, mais aussi d'un atout stratégique, pour le développement du tourisme en particulier.

Une action résolue de protection des espaces naturels, après leur délimitation rigoureuse, est donc plus que jamais nécessaire. Les leviers existent et sont à la disposition des services de l'État qui doivent être remobilisés.

Il faut amplifier le recours aux procédures de contravention de grande voirie et les poursuivre jusqu'à leur exécution effective. Un travail avec le parquet doit être mené pour assurer la fluidité de la chaîne judiciaire. Les procédures contentieuses pourront être améliorées en sollicitant systématiquement des astreintes journalières et en s'assurant de leur liquidation effective.

Par souci de rapidité et d'efficacité, il conviendrait de se concentrer sur la possibilité de saisir et de détruire les matériaux servant à des constructions illégales sur le domaine public maritime.

Les sanctions fondamentales sur le domaine public maritime restent la libération et la remise en état des terrains : la mise en oeuvre de ces condamnations est un élément clef pour restaurer la crédibilité entamée de l'État et pour retrouver une capacité de dissuasion préventive. Ce serait encore la meilleure arme contre les occupations illégales. Il ne faut pas hésiter à aller jusqu'à la destruction d'immeubles ou d'installations symboliques. Un ciblage des résidences secondaires permettrait de maximiser l'impact en minimisant le risque.

C'est uniquement lorsque la chaîne de surveillance et de répression, jusqu'aux services judiciaires, sera remise en ordre de marche que pourra, dans un second temps, être envisagée une élévation des niveaux de sanction et d'amende, si nécessaire. L'on sait, en effet, au moins depuis Montesquieu, que l'impunité fait plus de dégât que la légèreté des peines.

M. Joël Guerriau , co-rapporteur

Monsieur le président, mes chers collègues, notre collègue Serge Larcher vient d'évoquer la question de la bande des cinquante pas géométriques qui appartient au domaine public. Les difficultés qui grèvent la gestion du domaine privé de l'État ne sont pas moins grandes ; je reviendrai dans mon intervention sur deux d'entre elles : les occupations sans droit ni titre et les mécanismes de cession du domaine privé à des fins agricoles.

Les cas de squats d'immeubles, de défrichement illégal et d'occupations de terrains du domaine privé se multiplient de façon incontrôlée en Guyane, à Mayotte et à Saint-Martin notamment.

Lorsque nous les avons rencontrés à Cayenne, le préfet de Guyane comme le conseil général les ont qualifiés de « v éritable fléau ». Tout immeuble désaffecté ou inoccupé est susceptible d'être rapidement capté, ce qui contribue à bloquer le marché foncier et certains programmes d'équipement ou de promotion immobilière. Les rumeurs se propagent très vite et, en vingt-quatre heures, des squats peuvent s'installer dans un bâtiment laissé vide, comme une caserne désaffectée. L'endiguement d'un squat à un endroit ne fait que déplacer le problème ailleurs. Les installations se produisent même sur des terrains classés zones à risque, comme des collines de l'île de Cayenne inscrite dans un programme de prévention des risques (PPR) de mouvement de terrain. On peut imaginer ce qui se passerait en cas de catastrophe naturelle... Nous ne pouvons pas rester sans réagir.

La protection du domaine public ne paraît pas nécessiter de modifications législatives ou réglementaires, mais l'application effective des sanctions. En revanche l'État pâtit de l'absence de dispositifs juridiques adaptés pour lutter contre les occupations de son domaine privé.

La presse s'est fait en 2015 l'écho d'affaires retentissantes de squats dont étaient victimes des particuliers, qui parvenaient très difficilement à retrouver la possession de leur bien. On peut comprendre dès lors l'impuissance relative de l'État. D'une part, il ne peut utiliser sur son domaine privé de prérogatives particulières de puissance publique, sous peine de voie de fait caractérisée. D'autre part, le domaine privé de l'État n'est, par définition, pas protégé contre les violations de domicile, qui est l'incrimination prévue par le code pénal pour protéger les particuliers. Cet article ne vise pas à garantir d'une manière générale la propriété immobilière contre une usurpation, mais à protéger le domicile comme lieu de vie privé.

L'enjeu essentiel pour l'État est de procéder à l'expulsion. Or, le recours à la procédure d'expulsion par référé « mesures utiles » est impossible sur le domaine privé. N'est pas ouverte non plus à l'État la procédure d'expulsion accélérée « anti-squatteurs » prévue par la loi de 2007 instituant le droit au logement opposable, qui ne bénéficie qu'aux particuliers, propriétaire ou locataire.

Il ne reste donc à l'État que la voie de droit commun du droit civil prévue par la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution. Dans ce cadre, l'expulsion ou l'évacuation d'un immeuble habité ne peut être poursuivie qu'en vertu d'une décision de justice et après signification d'un commandement de quitter les lieux. Une procédure longue et incertaine ne peut manquer de s'en suivre.

Les délais pourraient être drastiquement raccourcis si la procédure de flagrant délit était empruntée pour permettre aux forces de l'ordre d'intervenir sur le fondement de l'incrimination des articles du code pénal relatifs à la destruction, la dégradation et la détérioration du bien d'autrui. Or, le flagrant délit n'est pas utilisé.

Il semble que les services de l'État commettent ici une erreur de droit, qui les enferment dans une pratique plus restrictive que ce qu'imposent les textes. Il nous a été affirmé à de nombreuses reprises, y compris par des préfets, que, au bout de quarante-huit heures, il n'était plus possible d'agir contre les squats et les occupations du domaine privé car expirait alors le délai de flagrance.

Deux erreurs sont commises. En premier lieu, l'idée qu'il existe un délai maximal fixe pour engager une enquête de flagrance repose sur des bases très fragiles. L'article 53 du code de procédure pénale qui définit le flagrant délit ne prévoit aucun délai précis, fixe et uniforme, mais rapporte la flagrance à ce qui « se commet actuellement ou vient de se commettre », ainsi qu'à la découverte de traces et d'indices « dans un temps très voisin de l'action. » Il n'existe pas non plus de règles jurisprudentielles qui établiraient un délai ferme de quarante-huit heures. Tout dépend en réalité du cas d'espèce. Il semble que la règle des quarante-huit heures provienne d'une interprétation extensive et rigide d'arrêts de la Cour de cassation validant une enquête de flagrance engagée quarante-huit heures après la commission d'un viol, en estimant que ce délai était raisonnable pour laisser la victime porter plainte. La confusion est née de cette extrapolation.

En second lieu, même si l'on trouvait un fondement juridique à ce délai de quarante-huit heures, il serait inopérant dès lors que le délit est continu. C'est même l'interprétation donnée par la Chancellerie dans le cas de la violation d'un domicile privé : tant que la personne se maintient dans les lieux, les services de police et de gendarmerie peuvent diligenter une enquête dans le cadre de la flagrance.

En résumé, le cas de la violation de domicile est clair, avec une enquête de flagrance qui peut être diligentée à tout moment et une procédure administrative d'expulsion accélérée. La transposition de cet état du droit aux occupations illégales des immeubles privés de l'État est moins évidente. C'est ce qui explique une forme de paralysie de l'État et cela crée un effet d'aubaine : il est finalement plus sûr pour des squatteurs de s'attaquer aux propriétés de l'État ! C'est pourquoi il faudrait rapprocher le traitement de l'occupation du domaine privé de celui de la violation de domicile.

Nous proposons d'envisager la création d'un délit spécial d'occupation du domaine privé de l'État calqué sur l'article 226-4 du code pénal 132 ( * ) , ce qui permettrait de disposer à coup sûr d'un délit continu. Cela rapprocherait aussi les protections du domaine privé et du domaine public, sur lequel les occupations sans titre sont toujours des infractions continues aux termes du code général de la propriété des personnes publiques. Il faut faire bouger les lignes.

Il pourrait paraître excessif de protéger ainsi l'intégralité du domaine privé, en particulier les bois et forêts qui bénéficient déjà des protections spécifiques du régime forestier. Mais il faudrait au moins englober les occupations du bâti, en particulier les anciens biens du domaine public affectés à un service public et déclassés dans le domaine privé. À défaut, la désaffectation et le déclassement de bâtiments comme des casernes pour permettre des opérations immobilières, y compris au bénéfice des collectivités territoriales, continuera de donner lieu à des occupations sauvages incontrôlables.

Aux mêmes fins et pour les mêmes biens, il conviendrait également d'étudier la possibilité d'ouvrir une voie d'expulsion administrative simplifiée sur le modèle de la loi DALO de 2007 pour s'exonérer de la procédure civile, qui est trop lourde et trop lente, donc inefficace.

Si l'État peine à protéger son domaine privé des squatteurs, il ne parvient pas non plus à le mobiliser pour de la mise en valeur agricole.

En Guyane, les demandes de cession gratuite de terrains du domaine privé pour la mise en valeur agricole, autorisées par le législateur, sont peu nombreuses : quinze en moyenne par an. Elles s'adressent à des occupants sans titre d'emprises domaniales se livrant à une activité exclusivement agricole. Le dispositif demeure largement méconnu si l'on en juge par l'énorme flux de demandes de cession onéreuse, qui pourrait être partiellement réorienté vers le mécanisme à titre gratuit.

À défaut de pouvoir obtenir immédiatement la cession d'un terrain domanial, les agriculteurs peuvent bénéficier de titres d'occupation. Cette attribution foncière leur ouvre la faculté de pouvoir acquérir in fine ces terrains à titre gratuit , sous conditions. Les concessions aux agriculteurs passent par des baux emphytéotiques ou des conventions d'occupation temporaire, sous réserve d'une mise en valeur agricole, attestée par la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt.

Les baux emphytéotiques sont conclus pour trente ans, sans limite de surface mais, en pratique, ne sont pas baillés plus de trois cents hectares par agriculteur. Les concessions sont accordées pour cinq ans et limitées à cinq hectares. D'après les données de la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de Guyane, 65 % des demandes reçoivent un avis favorable en commission d'attribution foncière, soit 914 sur 1390 dossiers entre 2000 et 2014. La mise à disposition est gratuite.

La conjonction de ces dispositifs de cession et de concession n'est pas assez efficace puisque la surface agricole utile (SAU) ne représente toujours que 0,3 % de la superficie de la Guyane et ne croît que faiblement. Sur 75 000 hectares remis, tous mécanismes confondus, 17 000 hectares seulement ont été mis en valeur ! Une conjonction de plusieurs facteurs ou raisons peut expliquer cet échec grave.

En premier lieu, la longueur des procédures est excessive : après sept à huit mois d'instruction du dossier, il faut attendre la réunion de la commission d'attribution, tous les trois ou quatre mois environ. Après un avis favorable, il reste à effectuer le bornage, puis à attendre la rédaction de l'acte par les services du domaine. Il n'est pas rare que les procédures durent entre deux et cinq ans.

En second lieu, il faut tenir compte du coût qui pèse sur l'agriculteur. Le bornage peut être pris en charge par le conseil général sur des fonds européens, au prix de délais supplémentaires. En revanche, les parcelles remises sont couvertes de forêt brute et il faut donc que l'agriculteur déforeste lui-même. Le coût de la déforestation est d'environ 5 000 € par hectare et les dotations européennes pour l'installation des jeunes agriculteurs sont à peine suffisantes. Avant même d'avoir commencé à cultiver, la trésorerie de l'exploitation est déjà asséchée par la déforestation. On ne peut pas dès lors s'étonner de la faible capacité d'impulsion économique des concessions accordées aux agriculteurs.

De plus, un agriculteur ne peut, au mieux, que valoriser 50 % de la surface qui lui est accordée, à cause de la faible productivité de terres qui sont trop humides et trop vallonnées. La valorisation de base dans le logiciel de gestion est d'un euro l'hectare.

Le contrôle de la réalité de la mise en valeur agricole, contrepartie du bail, n'est pas non plus correctement effectué, si bien qu'en moyenne la valorisation des terres est encore plus faible. Le défaut de mise en valeur entraîne en principe la caducité de la concession, mais l'État n'assume pas jusqu'à présent toutes ses responsabilités en la matière. Le préfet de Guyane nous a indiqué que « depuis dix ans, l'évaluation de la surface agricole utile montre un faible taux de valorisation des terres attribuées en commission d'attribution foncière, sans que, dans la pratique, il y ait retour à France Domaine des terres non mises en valeur. »

Par ailleurs, la chambre d'agriculture souffre de graves difficultés financières qui l'empêchent de jouer à plein son rôle de moteur et d'accompagnateur. Elle ne perçoit en effet pas assez de ressources propres au titre de la contribution additionnelle à la taxe foncière sur les propriétés non bâties.

Les réglementations sociales ne paraissent pas adaptées au cas de la Guyane. Par exemple, du fait de son climat équatorial humide et chaud, les travaux d'agriculture sont automatiquement considérés comme pénibles au sens du droit du travail. Cela pénalise les exploitants en renchérissant le coût de la main d'oeuvre. Enfin, les réglementations environnementales européennes pèsent de tout leur poids. Elles sont beaucoup plus strictes que leurs homologues au Brésil et au Suriname, sans prendre en compte les spécificités de l'agriculture et surtout de l'élevage en zone équatoriale.

Les maladies parasitaires qui affectent les animaux sont nombreuses et seuls sont autorisés certains produits de prévention et de traitement qui doivent être importés à des prix exorbitants pour de jeunes agriculteurs désireux de s'installer. De même, après déforestation, il faut replanter rapidement une herbe particulière à titre préventif ; son achat au Brésil coûte 300 € les vingt kilogrammes pour traiter trois hectares, mais les agriculteurs doivent l'importer d'Europe à 1 200 € pour la même quantité.

Si l'État veut rester crédible dans son action de mobilisation de son foncier pour l'agriculture, il doit également créer et entretenir un environnement réglementaire et commercial propice à la production et tenant compte des spécificités locales.

M. Georges Patient , co-rapporteur

La Guyane est la terre d'exception parmi les exceptions ! Mon intervention prolonge celle de Joël Guerriau sur le domaine privé pour évoquer les forêts, un cas particulier mais capital.

Notre rapport préconise en effet une refonte d'ampleur du système des forêts qui recouvrent 96 % du territoire guyanais. Le but est de desserrer l'étau domanial pour des collectivités privées de réserves foncières si bien qu'elles doivent demander un terrain à l'État pour réaliser le moindre équipement collectif.

Le premier axe consiste à repousser vers l'intérieur des terres le domaine forestier permanent en élargissant la bande littorale qui n'est pas soumise au régime forestier et qui peut donc faire l'objet de transactions beaucoup plus aisément. Pour maximiser les effets, il faut donner plus d'ampleur à ce mouvement au nord-ouest de la Guyane, qui est soumis à une intense pression démographique. En vingt ans, Saint-Laurent-du-Maroni est passé de 6 000 à 50 000 habitants et dépassera dans les prochaines années la population de Cayenne.

Nous souhaitons aller plus loin en transférant le foncier ainsi libéré à la future collectivité unique, qui en a fait la demande. Il reviendra à la collectivité unique de Guyane de rétrocéder les terrains aux communes, aux acteurs économiques et aux particuliers en fonction de leurs demandes et des orientations du SAR. Elle pourra transposer les procédures existantes dans les commissions d'attribution foncière et continuer d'y associer l'État dans un rôle de conseil.

Transférer le foncier à la nouvelle collectivité unique lui permettrait d'être dotée dès sa création d'une réserve foncière. Elle disposerait ainsi d'un levier d'action au service de l'exercice de ses compétences très amples et de la réalisation de la planification stratégique inscrite dans le SAR. Les quelques centaines de milliers d'hectares qui pourraient être cédés restent d'un ordre de grandeur très raisonnable par rapport aux 8,5 millions de kilomètres carrés de la Guyane.

Cette réserve foncière d'amorçage pourrait servir de laboratoire pour démontrer la capacité de la collectivité unique à gérer efficacement le foncier. Ce transfert pourrait être accompagné d'une évaluation conjointe de l'État et de la collectivité unique, qui permettra à la collectivité de développer ses capacités d'expertise propres et à l'État de piloter les libérations ultérieures de foncier. Sur les fonds européens dont la collectivité unique est gestionnaire, il pourrait être parallèlement envisagé de créer un opérateur foncier régional pour utiliser et mobiliser le foncier transféré.

En complément, nous proposons de rapprocher la Guyane des autres départements d'outre-mer qui bénéficient du régime des forêts départemento-domaniales. Ce régime très particulier, qui donne la nue-propriété à la collectivité et accorde des droits d'usage permanents à l'État n'a pas été étendu à la Guyane en 1947. Les forêts qui appartenaient à la colonie ont été incorporées au domaine de l'État. Cette asymétrie avec les autres départements d'outre-mer, je dirais cette injustice historique, doit être gommée. Il faut donc envisager, après transfert à la collectivité unique de terrains proches du littoral, la transformation du reste du domaine forestier permanent en forêt collectivo-domaniale avec nue-propriété à la collectivité unique et usufruit, ce qui revient à une forme de droit d'usage, à l'État. De cette façon, hormis la zone du parc amazonien, la collectivité de Guyane exercerait des droits sur l'ensemble de la forêt guyanaise. L'Office national des forêts continuerait d'y assurer la gestion et pourrait développer une politique d'emplois aidés sur le modèle qui prévaut à La Réunion.

Par ailleurs, nous émettons plusieurs recommandations pour accroître les ressources financières revenant aux communes : il faut favoriser la constitution de forêts communales et garantir le paiement par l'État de la taxe sur le foncier non bâti au titre de ses forêts exploitées en outre-mer.

Aucune forêt de collectivité n'est gérée par l'Office national des forêts en Guyane, qui est le seul département français à connaître une telle situation. Cet état de fait pose d'autant plus de questions que : d'une part, dans l'Hexagone, les deux tiers des forêts publiques environ sont des forêts communales, d'autre part, l'exploitation du bois et des produits de la forêt, y compris indirectement pour alimenter des usines de biomasse, constitue une filière d'avenir pour la Guyane.

Il n'existe pourtant aucun obstacle juridique : le code forestier permet la création de forêts communales sous régime forestier sur demande de la commune et après arrêté préfectoral.

Cependant, aucun projet ne s'est concrétisé. Des discussions avec les communes de Régina et de Saint-Laurent-du-Maroni ont eu lieu sans aboutir. Les initiatives autour de Saül et Maripasoula peinent aussi à émerger. Le point d'achoppement réside dans la participation financière des communes à la gestion de la forêt. En effet, dans le droit commun, la répartition des responsabilités est telle que, d'un côté, la commune propriétaire d'une forêt fixe les orientations stratégiques de la gestion, décide du programme des coupes de bois et de leurs modes de vente, accorde les concessions et encaisse les produits de sa forêt ; de l'autre côté, l'Office national des forêts assure la surveillance et l'aménagement forestier, fixe les conditions techniques d'occupation et d'exploitation, propose le programme annuel des travaux. En contrepartie, l'Office national des forêts reçoit un versement compensateur de l'État et des frais de garde de la part de la commune.

Ces frais à hauteur de deux euros l'hectare ne peuvent être assumés par les communes, en particulier en Guyane, car elles sont victimes d'un effet de ciseau entre des ressources propres très faibles et des charges très lourdes dues à l'immensité de leur territoire et aux besoins d'équipement d'une population en forte croissance. Le dispositif national de frais de garde n'est pas adapté à l'outre-mer, et encore moins à la Guyane, alors que c'est précisément le territoire qui pourrait tirer le meilleur parti d'une exploitation plus intense de sa forêt.

Nous recommandons en conséquence une exonération des frais de garde normalement dus à l'Office national des forêts pour l'outre-mer, au moins à titre temporaire pour enclencher la dynamique de création de forêts communales, le temps que les ressources tirées des ventes de bois et des concessions profitent aux communes. Ce ne serait que le juste pendant de l'exonération temporaire dont bénéficie l'Office national des forêts jusqu'en 2018. En effet, aux termes de l'article 1395 H du code général des impôts, dans les cinq départements d'outre-mer, les forêts d'État sont exonérées de la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB) perçue auprès du gestionnaire-exploitant au profit des communes et de leurs établissements publics de coopération intercommunale. Cette exonération temporaire s'élève à 80 % pour les années 2009 à 2015 et respectivement à 70 %, 60 % et 50 % pour les impositions établies au titre de 2016, 2017 et 2018.

L'existence d'une exonération temporaire prouve a contrario que l'État doit s'acquitter de la TFNB auprès des communes au titre des forêts de son domaine privé. Toutefois, l'administration conteste le principe même de cette fiscalisation pour le cas particulier de la Guyane.

Or, l'analyse des services de l'État, tant au niveau central qu'au niveau déconcentré est extrêmement contestable. Certes l'article 1394 du code général des impôts prévoit une exonération totale de la TFNB pour les propriétés de l'État, lorsqu'elles sont affectées à un service public ou d'utilité générale et non productives de revenus. L'administration fiscale invoque alors l'improductivité générale de la forêt guyanaise pour lui étendre l'exonération.

Cette position ne paraît pas défendable pour des raisons matérielles et juridiques. D'abord, il est erroné de considérer la forêt guyanaise comme improductive de revenus puisqu'elle fait l'objet d'une exploitation et de concessions. Cependant, la jurisprudence administrative avait ouvert des voies d'exonération en considérant que le critère d'improductivité s'appréciait au regard du propriétaire et non du gestionnaire. Le Conseil d'État a considéré que si une forêt produit des revenus pour l'Office national des forêts mais pas pour l'État, alors elle est exonérée de TFNB. Ceci est désormais inopérant car la loi de finances rectificative pour 2008 a complété les articles 1394 et 1400 du code général des impôts pour exclure expressément du bénéfice de l'exonération les bois et forêts appartenant à l'État et gérés par l'Office national des forêts. Le code général des impôts assujettit clairement les forêts appartenant à l'État soumises au régime forestier à la taxe foncière, l'Office national des forêts étant désigné expressément comme redevable.

Reste à réaliser l'évaluation cadastrale des forêts soumises à la TFNB. Il est certain que l'instruction ministérielle de 1908, qui définit les règles de calcul, n'avait pas complètement prévu le cas d'une forêt d'essences aussi variées que celle de la Guyane. En outre, ce n'est pas tout le domaine forestier qui est soumis à une exploitation forestière mais seulement une fraction, le front d'exploitation se déplaçant d'année en année. Néanmoins, les comptes de l'Office national des forêts sont suffisamment détaillés pour permettre de calculer les rendements et les frais déductibles. L'évaluation de la valeur locative cadastrale paraît donc constituer une tâche complexe mais certainement pas impossible.

La dernière ligne de défense de l'administration fiscale est d'invoquer les coûts extrêmement élevés de l'évaluation cadastrale pour un produit qui serait nul. On peut comprendre la motivation de l'article 333 J de l'annexe 2 du code général des impôts, selon lequel en matière d'évaluation de la valeur locative des propriétés non bâties assujetties à l'impôt foncier « dans le département de la Guyane, les travaux d'évaluation ne sont pas effectués pour les propriétés domaniales qui ne sont ni concédées, ni exploitées ». Cependant, l'administration fiscale ne peut s'appuyer sur cette disposition pour justifier de ne pas réaliser l'évaluation cadastrale des parcelles concédées ou exploitées. C'est même tout l'inverse, puisque l'article 333 J précité impose a contrario précisément ce travail d'évaluation cadastrale de toutes les parcelles de forêts concédées ou exploitées en Guyane.

Nous ne demandons donc que la simple et stricte application du droit existant : en Guyane, l'Office national des forêts est redevable pour l'État de la TFNB sur les parties du domaine forestier qu'il exploite ; la détermination de la valeur locative cadastrale des parcelles exploitées doit être menée à bien pour calculer le montant dû aux communes.

Sans doute, la première phase d'évaluation cadastrale nécessitera-t-elle un effort pour établir des modalités de calcul adaptées aux spécificités de la forêt guyanaise, mais pour les années suivantes, il suffira de reprendre cette base. L'exonération temporaire que j'ai évoquée précédemment perdure jusqu'en 2018. Ce délai peut être mis à profit pour réaliser l'évaluation cadastrale et pour préparer l'Office national des forêts à assumer la charge financière supplémentaire qui en résultera.

Enfin, il nous semble nécessaire de redéfinir le positionnement des parcs nationaux. Les trois parcs nationaux de Guadeloupe, de La Réunion et de Guyane, ne sont pas toujours parvenus à tisser des liens de confiance avec l'Office national des forêts, les communes et la population. Les conflits tendent à s'envenimer, au préjudice de tous.

La politique des parcs nationaux répond encore trop à une logique verticale imposée par un État toujours suspicieux de la capacité des collectivités territoriales à servir l'intérêt général. Entre les communes et les parcs nationaux, des tensions sont apparues au moment de signer les chartes de parcs qui régissent la zone de libre adhésion. Les collectivités ont besoin d'être rassurées sur les intentions à long terme des parcs nationaux, qui ne doivent pas être instrumentalisés par l'État pour garder la mainmise sur le foncier ultramarin. Elles craignent d'être soumises à toujours plus de restrictions dans leur politique d'aménagement et de développement, au-delà même de la zone coeur qui leur échappe déjà.

De même, les habitants considèrent que certaines de leurs activités traditionnelles, comme la chasse au tangue à La Réunion, sont menacées par les parcs nationaux qui ne peuvent adopter une position maximaliste d'interdiction totale sans concertation avec la population. La garantie du maintien d'activités traditionnelles dans les zones gérées par les parcs nationaux est une condition nécessaire de l'adhésion de la population à la conservation de la biodiversité.

Contre la tentation de la mise sous cloche, au nom d'un intérêt patrimonial national, il convient de préserver les capacités d'action des communes dont le territoire est compris dans les parcs nationaux. De ce point de vue, le développement de nouvelles mines en Guyane et de nouvelles carrières à La Réunion ne doit pas être freiné, dès lors qu'ils ne compromettent pas la vocation même des parcs.

M. Michel Magras , président

Je remercie nos collègues pour la qualité et la profondeur de leurs investigations. Voilà une base solide sur laquelle pourra s'appuyer le deuxième volet de notre étude triennale qui sera consacré à la propriété foncière privée marquée par l'indivision généralisée et une superposition des régimes civil et coutumier. Je vous rappelle que Thani Mohamed Soilihi poursuit sa fonction de coordonnateur et que nous avons désigné MM. Jean-Jacques Hyest et Robert Laufoaulu comme rapporteurs sur ce deuxième volet.

La délégation sénatoriale à l'outre-mer a adopté le rapport à l'unanimité des présents.

ANNEXES

Pages

ANNEXE 1 : LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES 145

ANNEXE 2 : LISTE DES DÉPLACEMENTS 147

ANNEXE 1 : LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Administrations

- M. Éric SPITZ, préfet de la Guyane

- M. Seymour MORSY, préfet de Mayotte

- M. Philippe CHOPIN, préfet délégué auprès du représentant de l'État dans les communautés de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin

- M. Pierre SIMUNEK, secrétaire général de l'administration supérieure des îles Wallis et Futuna

- M. Jean-Claude HERNANDEZ, directeur régional des finances publiques de Guyane

- Mme Geneviève TREJAUT, directrice régionale des finances publiques de La Réunion

- M. Marc CARMONA, directeur du pôle Gestion publique à la direction régionale des finances publiques de Mayotte

- M. Pascal COEVOET, directeur régional des finances publiques de la Nouvelle-Calédonie

- M. Yann DE MOLLIENS, trésorerie générale de la Polynésie française

- M. Richard TUFFERY, directeur des finances publiques des îles Wallis et Futuna

- Direction régionale des finances publiques (DRFIP) de Martinique

- Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de la Guyane

- Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de la Martinique

- Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de La Réunion

- Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) de la Guyane

- M. Jean-Luc SIBILLE, responsable du service aménagement du territoire, direction régionale de Guyane de l'Office national des forêts

Juridictions

- M. Pierre GOUZENNE, premier président de la cour d'appel de Cayenne

- Mme Gracieuse LACOSTE, première présidente de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion

- M. Bruno STEINMANN, premier président de la cour d'appel de Fort-de-France

- M. Régis VOUAUX-MASSEL, premier président de la cour d'appel de Papeete

- M. Patrick FRYDMAN, conseiller d'État, président de la cour administrative d'appel de Paris

- Mme Anne GUÉRIN, conseiller d'État, président de la cour administrative d'appel de Bordeaux

- M. Bruno LAVIELLE, président du tribunal de grande instance de Cayenne

- M. Bruno MARCELIN, président du tribunal de première instance de Nouméa

- M. Pierre MAUREL, président du tribunal de grande instance de Saint-Pierre

- M. Gérard SARRAU, président du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre

- Mme Véronique VEILLARD, présidente du tribunal de première instance de Saint-Pierre-et-Miquelon

- Élodie GALLOT-LE GRAND, vice-présidente au tribunal d'instance de Pointe-à-Pitre, présidente du tribunal paritaire des baux ruraux de Pointe-à-Pitre

- M. Denis BESLE, président des tribunaux administratifs de Basse-Terre, Saint-Barthélemy et Saint-Martin

- Mme Bénédicte FOLSCHEID, présidente des tribunaux administratifs de Fort-de-France et de Saint-Pierre-et-Miquelon

- M. André LEVASSEUR, président des tribunaux administratifs de Nouvelle-Calédonie et de Mata-Utu

ANNEXE 2 : LISTE DES DÉPLACEMENTS

GUYANE - Dimanche 12, lundi 13 et mardi 14 avril 2015

Dimanche 12 avril 2015

- M. Claude VO DINH, sous-préfet de Saint-Laurent-du-Maroni

Lundi 13 avril 2015

- M. Pierre SIDA, chef coutumier

- M. Jean-Philippe DOLOR, directeur général des services de la mairie d'Apatou

- M. Denis GALIMOT, premier adjoint au maire d'Apatou

- M. Léon BERTRAND, maire de Saint-Laurent-du-Maroni

- Mme Marie-Anne MONTELEONE, services de la mairie de Saint-Laurent-du-Maroni

- M. Bernard SELLIER, adjoint au maire de Saint-Laurent-du-Maroni, chargé de l'urbanisme et du développement durable

- M. Jocelyn THÉRÈSE, président du Conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinenge (CCPAB)

- Mme Évelyne PÉRIGNY-BAUMANN, deuxième adjointe au maire d'Awala-Yalimapo

- M. Félix TIOUKA, premier adjoint au maire d'Awala-Yalimapo

- M. Éric SPITZ, préfet de la région Guyane, préfet de la Guyane

Mardi 14 avril 2015

- M. Jean-Claude HERNANDEZ, directeur régional des finances publiques de Guyane

- Mme Catherine CORBET, responsable de l'antenne Guyane du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres

- M. Denis GIROU, directeur de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Guyane

- M. Rodolphe ALEXANDRE, président du conseil régional de Guyane

- Mme Isabelle PATIENT, conseillère régionale de Guyane, chargée de la communication

- Mme Hélène SIRDER, deuxième vice-présidente du conseil régional de Guyane, chargée de l'environnement et du développement durable

- M. Xavier VANT, directeur de l'alimentation, de l'agriculteur et de la forêt de Guyane

- M. Gilles KLEITZ, directeur du Parc amazonien de Guyane

- M. Jean-Luc SIBILLE, office national des forêts de Guyane

- Mme Juliette GUIRADO, directrice par intérim de l'Agence d'urbanisme et de développement de la Guyane (AUDeG)

- M. Jocelyn HO TIN NOÉ, président de l'Agence d'urbanisme et de développement de la Guyane (AUDeG)

- M. Jack ARTHAUD, directeur général de l'Établissement public d'aménagement de la Guyane (Epag)

- M. Louis BIERGE, conseiller général de Guyane

- Mme Dominique BOUTIN, responsable du patrimoine au conseil général de Guyane

Mercredi 15 avril 2015

- M. François COLIN, conseiller municipal de Cayenne, délégué à l'urbanisme

- M. Éric LAFONTAINE, directeur de cabinet de la maire de Cayenne

- M. Gabriel SERVILLE, député de Guyane (1 re circonscription)

MARTINIQUE - Mercredi 15 et jeudi 16 avril 2015

Mercredi 15 avril 2015

- MM. MILLE, directeur adjoint, PUICHAUD, responsable de la division du domaine, et CHETIER, direction régionale des finances publiques de la Martinique

- Mme Marie-Michèle MOREAU, responsable de l'antenne Martinique du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres

- M. Sylvain LÉONARD, directeur régional de l'Office national des forêts de Martinique

- MM. Jacques HELPIN, directeur, Pierre GAUTHIER, directeur adjoint, et Emmanuel SUTTER, chef du pôle gestion des espaces ruraux et forestiers de la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de la Martinique

- MM. Patrick BOURVEN, directeur, et Jean-Louis VERRIER, directeur adjoint, direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Guyane

- MM. Joachim BOUQUETY, maire de Grand-Rivière, président, et Yves-Michel DAUNAR, directeur, Agence des cinquante pas géométriques de Guyane

- Mme Catherine CONCONNE, première vice-présidente du conseil régional de Martinique

Jeudi 16 avril 2015

- M. Maurice ANTISTE, sénateur-maire du François

- M. Fabrice RIGOULET-ROZE, préfet de la région Martinique, préfet de la Martinique

SAINT-MARTIN - Vendredi 17 avril 2015

- Mme Aline HANSON, présidente du conseil territorial de Saint-Martin

- MM. Philippe CHOPIN, préfet délégué auprès du représentant de l'État dans les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, Matthieu DOLIGEZ, secrétaire général des services de l'État, et Régis ARMENGAUD, chef du service des territoires de la mer et du développement durable

- MM. Pierre BRANGÉ, directeur de cabinet, José CARTI, directeur de l'aménagement du territoire et de l'urbanisation, Richard MALVASIO, directeur de la communication, Philippe MILLION, directeur général des services, Romain PERREAU, directeur général adjoint, responsable du pôle développement durable, et Mme Anne-Marie BOUILLE, directrice de l'environnement et du cadre de vie de la Collectivité de Saint-Martin

- M. Guillaume ARNELL, premier vice-président, Mme Ramona CONNOR, deuxième vice-présidente, M. Wendel COCKS, troisième vice-président, Mme Rosette GUMBS-LAKE, quatrième vice-présidente, et M. Pierre BRANGÉ, directeur de cabinet de la Collectivité de Saint-Martin

- Mme Patricia LÉPINE, chef du pôle domanial et politique immobilière de l'État

- MM. Vincent FAUCHER, directeur, et Thierry Jacquier, chef du service des territoires agricoles, ruraux et forestiers, direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de Guadeloupe

- MM. Évariste NICOLETIS, directeur régional, et Fabrice SIN, adjoint au directeur régional, Office national des forêts de Guadeloupe

- M. Olivier RAYNAUD, chargé de mission au Conservatoire du littoral et des rivages lacustres de Saint-Martin

- M. Nicolas MASLACH, directeur-conservateur de la Réserve naturelle nationale de Saint-Martin

COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

Pages

Mercredi 14 janvier 2015 153

Audition de M. Pascal Viné, directeur général de l'Office national des forêts (ONF), accompagné de Mme Geneviève Rey, directeur général adjoint en charge des relations institutionnelles et de la coordination du réseau territorial, et de MM. Sylvain Léonard, directeur régional de la Martinique, Olivier James, directeur régional de La Réunion, et Nicolas Karr, ancien directeur régional de Guyane 153

Mardi 20 janvier 2015 173

Audition de Mme Odile Gauthier, directrice du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres (« Conservatoire du littoral »), accompagnée de M. Alain Brondeau, délégué outre-mer 173

Audition de Mme Nathalie Morin, responsable du service France Domaine 190

Audition de Mme Caroline Chamard-Heim, professeur des universités en droit public 199

Jeudi 12 mars 2015 211

Audition de M. Bruno Rousselet, chef du service de la gestion fiscale à la direction générale des finances publiques, accompagné de M. Étienne Lepage, chef du bureau du cadastre 211

Audition de Mme Sabine Baïetto-Beysson du Conseil général de l'environnement et du développement durable et de Mme Noémie Angel de l'Inspection générale de l'administration 217

Audition de M. Jean-Marc Michel, directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature au ministère de l'écologie et du développement durable, accompagné de M. Alby Schmitt, Mme Hélène Montelly et M. Jan Niebudek 228

Jeudi 9 avril 2015 240

Audition par visioconférence de MM. Dominique Sorain, préfet de La Réunion, Louis-Olivier Roussel, directeur-adjoint de la DEAL, et Marc Van-Belle, directeur du pôle gestion de la DRFiP 240

Mercredi 14 janvier 2015

Audition de M. Pascal Viné, directeur général de l'Office national des forêts (ONF), accompagné de Mme Geneviève Rey, directeur général adjoint en charge des relations institutionnelles et de la coordination du réseau territorial, et de MM. Sylvain Léonard, directeur régional de la Martinique, Olivier James, directeur régional de La Réunion, et Nicolas Karr, ancien directeur régional de Guyane

M. Michel Magras , président. - Mes chers collègues,

De terribles drames ont endeuillé le début de l'année 2015, mais je veux retenir, à l'heure où nous nous retrouvons réunis, le formidable élan national et international en faveur de la défense des libertés que ces événements ont suscité, et vous présenter des voeux pour une nouvelle année riche de sens.

Avant d'entamer nos travaux, je tiens par ailleurs à excuser nos collègues de la Martinique, Maurice Antiste et Serge Larcher, retenus sur leur territoire par les obsèques de la jeune policière martiniquaise lâchement exécutée à Montrouge la semaine dernière.

En hommage aux victimes et en signe de solidarité, je vous propose une minute de recueillement.

Lors de notre dernière réunion, au mois de décembre, nous avons collectivement arrêté notre programme de travail et nous avons retenu la question foncière comme sujet d'étude transversal. Cette problématique concerne en effet l'ensemble des outre-mer et constitue un des verrous majeurs du développement économique et social de nos territoires. Si nous n'avançons pas sur le traitement de la question foncière, nous rencontrerons beaucoup de difficultés pour progresser dans nos politiques de logement, de transports, d'équipements collectifs, de soutien à l'agriculture et aux entreprises, puisque toutes ces politiques sont conditionnées par la disponibilité et l'aménagement du foncier.

Ce problème si aigu dans nos territoires est rendu particulièrement complexe par l'empilement de règles dérogatoires au droit commun, la prise en compte de la coutume, l'importance du rôle de l'État propriétaire, les insuffisances du cadastre et les carences du titrement. Les situations pratiques et le droit applicable diffèrent grandement d'une collectivité d'outre-mer à une autre. Nous avons besoin de démêler cet écheveau, d'apporter de la clarté et de dégager des solutions opérationnelles adaptées aux réalités diverses de l'outre-mer.

Pourtant, nous ne disposons d'aucune étude globale prenant en compte l'ensemble des aspects du problème dans tous nos territoires. Rares sont également les études ponctuelles sur le sujet. C'est pour combler cette lacune que le comité de suivi de la mission d'information de 2009 sur la situation des DOM, présidée par Serge Larcher, avait choisi le foncier comme thème de travail. L'étude n'a pu être menée à bien du fait de la transformation de ce comité de suivi en une nouvelle structure : notre délégation à l'outre-mer, qui s'est penchée sur d'autres questions. Nous reprenons aujourd'hui le fil.

Devant la complexité et l'ampleur de la tâche, nous avons décidé de la segmenter en trois volets qui donneront lieu à trois rapports successifs, la coordination globale étant assurée par Thani Mohamed Soilihi. Le premier volet qui nous occupera en 2015 est consacré à la gestion du domaine public et privé de l'État. Nous avons désigné comme rapporteurs sur ce volet Joël Guerriau, Serge Larcher et Georges Patient.

Pour ouvrir nos travaux, nous auditionnons aujourd'hui l'Office national des forêts, qui gère une part essentielle du domaine privé de l'État outre-mer.

À moins que l'un des rapporteurs souhaite formuler des observations liminaires, je cède la parole à M. Pascal Viné, directeur général, puis nous enchaînerons sur les questions. Une trame, qui est à votre disposition, mes chers collègues, a été communiquée aux personnes auditionnées.

M. Pascal Viné, directeur général de l'Office national des forêts (ONF) . - Je vous remercie de nous accueillir dans cette enceinte. Je suis accompagné par la directrice générale adjointe en charge des questions institutionnelles qui connaît très bien les problématiques ultramarines, et de trois directeurs ou ex-directeurs régionaux. M. Karr était directeur régional de la Guyane jusqu'en décembre 2014 et son successeur n'a pas encore été nommé. Les directeurs régionaux de la Martinique et de La Réunion sont également présents. Malheureusement, le directeur régional de la Guadeloupe n'a pas pu se joindre à nous, non plus que le directeur d'agence de Mayotte où l'ONF n'est installé que depuis deux ans.

L'ONF est le premier gestionnaire d'espace naturel en France. Il gère 4,5 millions d'hectares en métropole, il est présent dans tous les départements d'outre-mer mais pas dans les collectivités d'outre-mer à statut propre. Il est important de préciser que l'ONF gère le domaine de l'État et des collectivités territoriales pour le compte du propriétaire mais qu'il n'est pas lui-même propriétaire. Travaillent pour l'ONF 9000 personnes, dont 3000 ouvriers forestiers. Les 6000 autres agents, essentiellement fonctionnaires, sont chargés du pilotage et de la gestion du patrimoine forestier confié à l'ONF.

En Guyane, il assume la gestion de 5,3 millions d'hectares avec 83 personnes, soit fonctionnaires, soit salariés du droit privé, qui comportent des gestionnaires et des ouvriers forestiers. Ce sont 38 000 hectares qui sont gérés par 90 personnes en Guadeloupe et 16 000 hectares en Martinique par 89 personnes. Plus de 100 000 hectares sont gérés à La Réunion par de 270 personnes, avec la particularité de compter dans leurs rangs énormément d'ouvriers forestiers et de mener une action d'insertion avec le conseil général. L'installation de notre équipe à Mayotte est encore récente. Cinq personnes y sont attachées et bientôt sept. Globalement, l'ONF emploie environ 550 personnes outre-mer. Les ratios surfaces gérées/personnes varient de façon importante, ce qui traduit des différences d'intensité de gestion de la forêt selon les territoires.

En dehors de la Guyane, le foncier dont nous avons à connaître se divise essentiellement en deux régimes : celui de la forêt départemento-domaniale, la nue-propriété revenant au département et l'usufruit à l'État, et celui de la forêt domaniale proprement dite, en particulier dans la bande littorale. En Guyane, au sein de la forêt domaniale gérée par l'ONF, une moitié est placée sous le régime forestier et l'autre pas. Cependant, quelle que soit la nature du foncier, l'activité de l'ONF reste essentiellement la même.

Dans le contrat d'objectifs pour la période 2012-2016, un volet spécifique est consacré à la forêt ultra-marine qui recèle un patrimoine de biodiversité exceptionnellement riche. À quelques mois de la conférence de Paris sur le changement climatique, la préservation de ce qui constitue la forêt tropicale de l'Europe représente un enjeu particulièrement important. L'ONF exerce simultanément une fonction de protection, une fonction sociale, puisque les espaces forestiers contribuent fortement à l'attractivité touristique des territoires, et une fonction de production. Certes, la production est limitée, peut-être encore trop limitée, mais elle a le mérite d'exister et nous tentons de l'encourager. C'est le cas en particulier en Guyane qui connaît une activité soutenue : environ 80 000 mètres cubes de bois d'oeuvre et de bois « énergie » sont exploités selon les méthodes les plus respectueuses de l'environnement.

Le domaine forestier subit la pression forte des activités humaines. Il faut donc s'appuyer sur une forte volonté politique pour la protéger. C'est dans cet esprit que l'État a confié à l'ONF des missions d'intérêt général (MIG), par exemple sur les enjeux de défrichement et sur la protection de la bande des cinquante pas géométriques. L'ONF, en tant qu'établissement public national, joue pleinement son rôle de protection.

Nous avons travaillé, au cours des dernières années, au développement de structures de gouvernance locale mieux adaptées aux enjeux particulier de l'outre-mer. Nous essayons d'ouvrir les portes et fenêtres de l'établissement pour que l'action de l'ONF soit bien comprise et mieux partagée par les élus. En tant que directeur général, j'essaie de me rendre tous les trois ans dans les outre-mer ; il y a quelques semaines encore, je me trouvais à La Réunion et à Mayotte.

Je tiens à souligner que les territoires où est implanté l'ONF ne profitent pas que des personnels présents sur place mais aussi des compétences, des savoir-faire et des capacités d'action de l'ensemble de l'établissement. Par exemple, dans la lutte contre l'érosion, les départements d'outre-mer peuvent bénéficier des services très performants de restauration de terrains en montagne (RTM) mis au point par les services de l'ONF dans les Pyrénées et dans les Alpes. Ces derniers peuvent intervenir en quelques jours dans des zones d'éboulement ou frappées par des coulées boueuses. Le service de l'ONF va donc au-delà du service dispensé par ses personnels installés en outre-mer, c'est l'ensemble de l'ONF qui est au service de tous les territoires où il est implanté.

M. Michel Magras , président . - Je vous remercie de cet exposé. Les rapporteurs de notre étude sur la gestion du domaine de l'État vont vous poser leurs questions d'abord, puis l'ensemble de la délégation souhaitera sans doute obtenir des informations complémentaires.

M. Joël Guerriau , co-rapporteur . - Comment s'articule l'action de l'ONF avec celle des autres acteurs fonciers publics qui interviennent outre-mer ? Vous avez évoqué la production de bois d'oeuvre et du bois « énergie » en Guyane : qu'en est-il de la culture d'arbres fruitiers ?

Pendant la période coloniale, les planteurs ont eu tendance à repousser progressivement la forêt vers les collines et les parties montagneuses. Un mouvement analogue de déforestation  perdure-t-il aujourd'hui ? Quelle en est l'ampleur ?

Enfin, quels sont les moyens dont vous disposez pour lutter contre les feux de forêt ? Sommes-nous suffisamment efficaces ? À Mayotte, pour prendre cet exemple puisque je m'y suis rendu à l'invitation de notre collègue Thani Mohamed Soilihi, les puits de charbon de bois posent des problèmes. En 2013, trente hectares ont disparu dans des feux qui sont peut-être dus à ces puits. Or, l'accès y est très difficile, ce qui motive ma question sur vos capacités d'action.

M. Pascal Viné. - En ce qui concerne l'articulation avec les autres opérateurs, je tiens à souligner que l'ONF est uniquement gestionnaire. Les cessions de foncier sont opérées par France Domaine et les directions régionales des finances publiques. L'ONF donne, certes, un avis sur les enjeux forestiers des opérations, mais c'est bien France Domaine qui est chargé de la commercialisation. Si les parcelles dépendent du régime forestier, elles sont soumises à un encadrement strict des cessions ou des échanges, comprenant notamment des dispositifs d'ordre législatif spécifiques. Dans le cas contraire, France Domaine décide de la vente et opère.

Nous sommes souvent interrogés sur les différents statuts juridiques du foncier forestier, mais notre mission en tant qu'institution n'est pas tant de repenser le statut que de gérer opérationnellement la forêt. Il est vrai qu'on ne peut pas gérer totalement de la même façon la forêt qui fait partie du domaine, où nous pouvons intervenir en régie directe pour réaliser des travaux avec nos ouvriers forestiers, et le reste de la forêt hors du domaine, où nous devons respecter des procédures de mise en concurrence ce qui rend les choses un peu plus complexes. Les conséquences qu'entraînent les différences de régime foncier sur nos modes d'intervention ne nous autorisent pas pour autant à décider à la place du ministre ou de l'État en termes de foncier.

L'ONF gère souvent pour le compte du Conservatoire du littoral les terrains qu'il possède. C'est le cas, par exemple, en Guadeloupe ou en Martinique. D'une manière générale, le Conservatoire ne gère pas les espaces dont il a la charge mais les confie en gestion à d'autres acteurs.

Nous avons des relations avec les agences des cinquante pas géométriques mais celles-ci interviennent dans la partie urbanisée. C'est pourquoi nous avons développé une démarche indépendante de celle des agences parce que nous n'étions pas sur les mêmes enjeux. Le directeur régional de la Martinique pourra revenir plus en détail sur ce point.

En matière d'agroforesterie, c'est-à-dire la culture des arbres fruitiers, nous développons des projets en Martinique et en Guyane avec des partenaires agricoles. Les arbres fruitiers ne sont pas au coeur de notre métier.

Les enjeux de déforestation concernent essentiellement la Guyane, où, toutefois, ils ne prennent pas du tout la même ampleur que dans le reste de l'Amérique du Sud. Partout ailleurs, nous connaissons plutôt une stabilité, voire une croissance du domaine forestier de l'État mais il n'y a pas de crainte d'une destruction du patrimoine forestier de l'État.

La lutte contre les feux de forêt, en revanche, nous préoccupe. Elle peut s'appuyer sur une vraie expertise, tirée de l'expérience des feux en Méditerranée. Nous avons des structures spécifiques de protection que nous utilisons pour les départements d'outre-mer. L'expertise propre à l'outre-mer s'est développée notamment à La Réunion depuis le grand incendie du Maïdo de 2010. Les savoir-faire et les compétences accumulées sont mutualisés avec Mayotte, où cependant tout reste à faire. Nous y avons validé des orientations forestières départementales. Nous procédons maintenant aux aménagements nécessaires dans chaque forêt l'une après l'autre. Il reste toute une acculturation de la population à mener à bien. Le conseil général s'est engagé fortement : une convention est en cours de signature pour couvrir les 6000 hectares de forêts que possèdent l'État et le département de Mayotte.

M. Nicolas Karr, directeur régional de Guyane de 2010 à 2014. - La déforestation est un enjeu réel pour la Guyane. Nous avons récemment rendu une étude, réalisée avec l'Institut géographique national (IGN), à la demande des ministères de l'écologie et de l'agriculture sur le protocole de Kyoto. En particulier, elle opère la mise à jour de l'occupation du sol en Guyane entre 1990 et 2012. En comparant les surfaces, nous pouvons mesurer les flux de déforestation. Cette étude sera bientôt rendue publique. Hors effet du barrage de Petit-Saut, la déforestation touche environ 3000 hectares par an.

Le premier poste de déforestation, qui explique une diminution de 1500 à 2000 hectares par an, est l'agriculture et l'élevage. Viennent ensuite l'orpaillage, clandestin et légal, pour 800 à 1000 hectares par an et les travaux d'infrastructures, notamment urbaines et routières, pour moins de 400 hectares par an. Ces chiffres doivent être rapportés à la surface forestière globale, soit huit millions d'hectares, quel que soit le propriétaire et quel que soit le statut foncier. Les taux de déforestation sont donc faibles par rapport à l'Amérique du Sud.

M. Sylvain Léonard, directeur régional de la Martinique. - Le conseil général de Martinique a identifié l'agroforesterie comme un axe potentiel de développement. Nous travaillons avec lui pour étudier les possibilités de lancement de projets pilotes en forêt départementale, qui couvre 1400 hectares pour 16 000 hectares gérés par l'ONF sur l'île. Les cultures identifiées sont le cacao, la vanille, l'apiculture et le café. Ce dernier ne se cultivera pas directement en forêt, mais sera plutôt retenu dans le cadre de projets d'agriculture familiale. Les trois autres cultures peuvent être développées en forêt. J'ai pu, il y a trois semaines, participer à la semaine d'installation des jeunes agriculteurs pour exposer des projets et j'ai rencontré à cette occasion la présidente du conseil général pour échanger à ce sujet. Nous ne sommes qu'au début de la démarche, mais nous avons déjà réalisé un programme pilote de culture du cacao sur cinq hectares de forêt départementale. En outre, une concession d'exploitation de vanille dans la forêt départemento-domaniale va bientôt être actualisée. Le travail se poursuit également avec la chambre d'agriculture.

M. Olivier James, directeur régional de La Réunion. - En matière de lutte contre les incendies, nous travaillons en étroite collaboration, sous l'autorité du préfet, avec le service départemental d'incendie et de secours (SDIS), notamment en élaborant pour le compte de l'État les schémas départementaux de prévention. Ces derniers se déclinent ensuite en schémas forestiers, massif par massif. Nous avons presque terminé la dernière tranche.

Nous avons complété notre capacité d'intervention à la suite des incendies du Maïdo. Des véhicules complémentaires à quatre roues motrices équipés de citernes sont mis à disposition. Le système de surveillance est coordonné sous l'autorité du préfet. En 2014, un avion est resté à demeure pendant la période sensible pour la première fois. Nous n'avons pas connu de feu de forêt significatif cette année. Ce furent essentiellement des feux de canne qui se déclenchèrent.

À Mayotte, nous ne sommes présents que depuis deux ans. Nous avons surtout réalisé des opérations de défrichement, qui ont rendu possibles des projets d'agroforesterie. Un état des lieux de la propriété foncière, pour clarifier la situation, est en cours. Nous devons savoir précisément ce qui relève de la propriété domaniale de l'État, du Département et des communes. Nous passerons ensuite au plan d'aménagement et à la mise en place du plan de protection contre les incendies. L'incendie que vous avez mentionné et qui a ravagé trente hectares ne s'est pas produit dans la forêt gérée par l'ONF.

M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur coordonnateur. - Vous avez raison de rappeler que tout reste à faire à Mayotte. Cependant, la situation évolue très rapidement. Le défrichement et les constructions sauvages gagnent du terrain. D'année en année, la forêt recule. Il faudrait accélérer le pas.

J'aimerais aborder la protection de la bande des cinquante pas géométriques. La majeure partie de la population mahoraise vit sur les côtes, si bien que plusieurs villages sont construits directement dans la zone des cinquante pas géométriques. Or, ceux qui y vivent depuis des décennies ne s'estiment pas installés sur un terrain appartenant à l'État, conformément au régime légal. Avez-vous commencé à travailler sur cette question qui touche presque toutes les communes de Mayotte pour sortir de l'imbroglio ?

M. Pascal Viné. - Pour être très clairs, nous n'avons pas travaillé sur ce volet à Mayotte. La question des cinquante pas géométriques se pose dans tous les outre-mer où nous intervenons. Elle est plus ou moins sensible selon les territoires.

À Mayotte, nous devrons trouver des solutions mais, pour l'instant, devant l'ampleur des enjeux, nous avons hiérarchisé nos actions par ordre de priorité en fonction de nos moyens limités. Nous avons aussi besoin des services du conseil général pour assurer les actes de police nécessaires à la protection de ces espaces. Le ministère de l'agriculture nous a confié une mission d'intérêt général (MIG) pour mettre en place, dans la bande des cinquante pas géométriques, des mesures de protection des espaces de bord de mer. Historiquement, cette zone était destinée à protéger le territoire des invasions par voie de mer et permettait au roi d'intervenir facilement sur 80 mètres environ depuis le rivage en assurant à l'État un libre accès à tout moment. C'est ce qui explique l'intégration de cette zone dans le domaine de l'État. Aujourd'hui, cette zone ne présente plus d'enjeu de défense mais des enjeux de protection du rivage et de préservation de la biodiversité.

À la Martinique, nous avons engagé une procédure spécifique pour permettre aux habitants historiques installés dans la zone des cinquante pas géométriques de continuer à vivre là où ils sont, tout en empêchant de nouvelles installations. Ces dossiers délicats n'attirent, en général, pas de sympathie à l'ONF, puisqu'il est aussi chargé de la police administrative, mais sa position d'établissement public national lui permet de maintenir la protection de ces terrains. Aux Antilles, nous y parvenons plutôt bien.

M. Sylvain Léonard. - Cette question connaît une longue histoire en Martinique mais y demeure toujours d'actualité. La situation n'est pas similaire à Mayotte, mais des enseignements intéressants pourraient être tirés à partir de l'expérience antillaise.

En 1986, la zone des cinquante pas géométriques a été intégrée au domaine public maritime, tandis qu'une commission de validation des titres était installée pour organiser la régularisation des occupants sur présentation des titres dont ils disposaient. Certains sont devenus à cette occasion officiellement propriétaires des terrains qu'ils occupaient. Les autres ont été considérés comme des occupants illicites.

Puis, dans une deuxième étape, la zone des cinquante pas géométriques a été répartie entre deux institutions. Les espaces urbanisés ont été confiés à une agence spécialisée ayant pour objet de réguler l'urbanisation en réalisant des travaux de voiries et réseaux divers (VRD) pour procéder à des cessions de parcelles au bénéfice des occupants du domaine. Les espaces peu anthropisés avec une forte couverture forestière ont été confiés à l'ONF pour constituer la forêt domaniale littorale. Or, dans l'espace de la forêt domaniale littorale, nous rencontrons également des problèmes d'occupation sans titre sur lesquels les agences des cinquante pas géométriques n'ont aucune capacité d'action. Nous avons donc mis en place une procédure de régularisation propre. Nous distinguons trois cas :

- les occupants installés avant décembre 1984, date de dernière affectation du domaine public maritime à l'ONF, ce qui correspondait à un passage dans le domaine privé de l'État, sont considérés comme des occupants historiques de bonne foi ;

- les occupants installés entre janvier 1985 et 2005 : ce cas intermédiaire n'est pas encore résolu et nous sommes encore censés définir les modalités de traitement ;

- les occupants installés après 2005 sont considérés comme des occupants illicites en toute connaissance de cause. Dans ce cas, le droit commun s'applique : un procès-verbal est dressé et la démolition des constructions peut être ordonnée.

Pour régler les installations antérieures à 1984, un protocole d'accord a été négocié entre l'ONF, le préfet et les occupants réunis en association. Il permet d'accorder aux occupants une concession trentenaire renouvelable, transmissible et cessible. La propriété reste à l'État et l'usufruit revient aux occupants. Il n'y a donc pas de transfert de propriété. Compte tenu de la nature des occupants, souvent des pêcheurs et des familles aux ressources modestes, les concessions sont attribuées à titre quasiment gratuit. Le protocole a été mis en oeuvre à la satisfaction de toutes les parties.

Le règlement des cas transitoires, entre janvier 1985 et décembre 2005, est encore en cours de négociation avec l'association des occupants. Plusieurs cas de figure se rencontrent. Il y a des occupations de bâtis sur le domaine privé de l'État et des occupations par des riverains ayant installé une piscine ou un jardin sur le domaine privé de l'État. Certains sont des propriétaires de terrains non bâtis et sollicitent une concession sur le domaine privé de l'État.

M. Pascal Viné. - Il s'agit d'un sujet très complexe et d'une extrême sensibilité puisqu'il touche aux relations très intimes qu'entretiennent les occupants avec la terre qu'ils habitent. L'action de l'ONF, en protégeant les espaces naturels de la forêt littorale, doit aussi être perçue comme un moyen de les rendre accessibles aux citoyens, moyennant quelques aménagements de sentiers ou d'équipements. En Guadeloupe et à La Réunion, nous n'avons pas rencontré d'enjeux aussi sensibles. À Mayotte, cela risque d'être un sujet prégnant dans les mois qui viennent.

M. Michel Magras , président . - L'État adoptera-t-il à Mayotte une démarche similaire à celle qu'il a retenue en Guadeloupe et à la Martinique ? J'avais retenu que, dans ces deux départements, dans la zone urbanisée de la zone des cinquante pas géométriques, soit les occupants devenaient propriétaires, soit ils recevaient par convention la garantie de pouvoir rester sur place ainsi que leur descendance. Dans la partie non urbanisée, la totalité des espaces était réclamée par le Conservatoire du littoral, tout en réservant au conseil général un droit de préemption sur les espaces naturels sensibles dès lors que ceux-ci étaient mis à la vente. La politique poursuivie par l'État via l'ONF à Mayotte sera-t-elle du même ordre, en visant notamment la restitution de la propriété des terrains aux occupants historiques ?

M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur coordonnateur. - Ma réaction va dans le même sens. Je prends acte que vous n'avez pas encore engagé de processus de clarification de la situation foncière à Mayotte. Je l'appelle de mes voeux. Dans quelles conditions les diverses procédures de titrement mises en place aux Antilles pour régulariser les occupations sans titre peuvent-elles être transposées à Mayotte ? Vu la complexité de la question foncière à Mayotte, je pense que vous ne pourrez pas me dire quelle procédure plutôt que telle autre sera engagée pour régler le problème. Cette clarification juridique est pourtant indispensable au développement économique. Des constructions existent depuis des décennies dans les zones concernées. Si les occupants ont vocation à rester sur place, alors ils devront être assujettis aux taxes foncières afférentes, ce qui assurera de nouvelles rentrées fiscales aux collectivités territoriales.

M. Pascal Viné. - La politique de la zone des cinquante pas géométriques est une politique de l'État et pas une politique de l'ONF, qui n'est qu'un gestionnaire. Nous recevons de l'État un financement particulier pour mener l'action spécifique que nous vous avons présentée dans la zone des cinquante pas géométriques. En tant que praticiens, cependant, nous pouvons affirmer qu'existent des risques réels de voir ces espaces naturels menacés par des installations humaines, si la présence de l'État et des collectivités n'est pas suffisamment forte.

La régularisation sous forme d'occupations précaires en Martinique a permis de clarifier une situation ambiguë qui avait fait l'objet de nombreux contentieux, mais elle est accompagnée d'une position très stricte de l'État contre toute nouvelle implantation sur ces territoires. À Mayotte, il est évident que plus nous attendons, plus de nouveaux occupants s'installent et plus nous aurons de mal à gérer la situation.

Cette politique de l'État nécessite des moyens et une volonté constante pour aboutir. Nous avons vu certains contentieux remonter jusqu'au Conseil d'État. Je tiens à rendre hommage aux personnels de l'ONF qui s'investissent fortement dans des conditions parfois difficiles. Vous avez donc raison d'attirer notre attention sur Mayotte qui connaît, par ailleurs, une très forte croissance démographique.

M. Georges Patient , co-rapporteur . - Il nous faudrait presque consacrer une séance entière à la forêt guyanaise, qui couvre plus de 5,3 millions d'hectares. Comment arrivez-vous à gérer cette immensité avec seulement 83 personnes, le même nombre d'agents qu'en Guadeloupe où vous ne gérez que 16 000 hectares ? Cette question est d'autant plus pressante que vous avez la responsabilité de la forêt littorale (400 000 hectares), du domaine forestier permanent (DFP) (2,4 millions d'hectares), les forêts de l'intérieur avec une zone intermédiaire de 1,1 million d'hectares et la zone de libre adhésion au parc amazonien de Guyane. Je crois que vous gérez également le domaine forestier du Centre national d'études spatiales (CNES). Pourriez-vous nous expliquer les différences entre ces différents types de forêt et nous présenter les voies d'une augmentation de la forêt littorale en prenant sur le domaine forestier permanent ? La bande côtière devient en effet trop exiguë pour une population en forte croissance. Comment s'articule, en Guyane, votre action avec celles des autres opérateurs fonciers publics ?

Par ailleurs, quelles sont les possibilités d'acquérir ou de céder des terrains dans le domaine foncier en Guyane ? Cela semble très difficile pour les Guyanais eux-mêmes alors que, de l'extérieur, y compris par le biais d'annonces sur Internet, d'après mes informations, on y parvient.

Les forêts que vous gérez en métropole sont redevables de la taxe sur le foncier non bâti, que vous acquittez aux collectivités territoriales. Pourtant, en Guyane, l'État en est exonéré. Pourquoi cette différence, qui pèse sur les finances des collectivités guyanaises, alors que la forêt est exploitée ? Je vois apparaître dans vos comptes trois millions d'euros de recettes provenant de la vente de bois et des concessions-redevances, mais aucune dépense en face au titre d'une taxation. Gérez-vous également en Guyane les forêts appartenant à des collectivités ?

M. Nicolas Karr. - Pour faire face à l'immensité du domaine en Guyane, nous différencions l'intensité de notre gestion. Elle porte essentiellement sur le domaine forestier permanent (DFP), soit la partie de la forêt qui bénéficie du régime forestier. Nous y créons les pistes forestières qui permettent d'accéder aux massifs exploités, où nous faisons les inventaires et où sont réalisées les coupes de bois. Ce n'est pas l'intégralité du DFP mais seulement 6000 à 7000 hectares qui sont exploités chaque année, en sorte que le front d'exploitation varie et se déplace d'année en année. On passe dans une zone, on crée des pistes et on exploite pendant dix à vingt ans, puis on laisse en repos pendant soixante-cinq ans et on se déplace dans une autre zone. Notre activité est concentrée sur ces zones-là en ce qui concerne la gestion de production.

En outre, la gestion forestière comprend aussi la surveillance, l'accueil du public et la gestion de la biodiversité. Dans la bande littorale, nous exerçons une fonction de surveillance au travers de la mission d'intérêt général qui nous a été confiée outre-mer par l'État pour lutter contre la déforestation illégale. Nous y intervenons aussi un peu pour la filière du bois auprès de microacteurs qui ne sont pas encore en capacité d'assurer une gestion durable. Nous leur confions des coupes dans des zones qui vont devenir agricoles pour qu'ils montent en compétences et puissent ensuite accéder à des coupes dans des forêts gérées. Cela représente 5000 mètres cubes par an mais beaucoup de petits emplois en milieu rural.

Dans le grand sud, c'est-à-dire la forêt intérieure et la zone de libre adhésion du parc amazonien, nous ne faisons pas grand-chose hormis de la surveillance de l'orpaillage illégal. Nous effectuons des missions héliportées, parfois des missions terrestres avec les forces de l'ordre et nous utilisons la télédétection par images satellite. Dans la zone de libre adhésion intervient un autre acteur : le parc national. Nous avons signé une convention pour éviter tout doublon avec le parc amazonien de Guyane et nous répartir les rôles en privilégiant une logique de coopération. Très concrètement, certains de nos agents vont de temps en temps à Saül, Maripasoula et Papaïchton exercer leur métier de gestionnaire forestier et, le reste du temps, le parc exerce d'autres missions en coordination. Nous ne souhaitons pas, et nous ne pourrions pas d'ailleurs, poster des agents dans l'intérieur, puisque le parc a ses propres effectifs sur place.

Enfin, dans le cadre d'une convention passée en 1967 avec le Centre spatial guyanais, nous assumons également la gestion de la forêt du CNES. Nous effectuons de la surveillance et assurons l'accueil du public sur les sentiers que nous avons créés.

Comment faire varier la surface du DFP ? Les terrains du domaine forestier permanent appartiennent au domaine privé de l'État et jouissent de la protection du régime forestier. S'ils perdent la protection du régime forestier, ils deviennent plus facilement mobilisables pour des transferts fonciers. Un décret de 2008 fixe les limites du DFP, donc un autre décret peut les modifier. Cela nécessiterait l'instruction du dossier pour prendre en compte ce qui est fait en matière de gestion forestière et les réseaux de desserte qui sont déployés. Cette évolution est certainement devant nous, étant donné l'expansion démographique et la concentration de l'activité humaine sur le littoral. Dans certains endroits, il est sans doute vrai que le DFP est trop proche de la mer, notamment dans l'ouest guyanais. Des évolutions sont également à prévoir en lien avec la mise en place de grandes voies pénétrantes, non plus forestières mais servant d'axes de communication. Tous les impacts de cette évolution doivent être mesurés, mais c'est un choix qui appartient à l'État et pas à l'ONF.

Notre collaboration avec le principal acteur du foncier, France Domaine, c'est-à-dire localement avec la direction régionale des finances publiques, prend la forme de réunions très régulières - deux fois par mois - et de formations croisées. Elle est d'autant plus étroite que l'ONF dispose d'un système d'informations géographiques très développé, d'outils cartographiques numériques et d'une bonne connaissance des données du territoire guyanais. Tous les titres fonciers (concessions, baux emphytéotiques, etc.) sont signés par France Domaine. Lorsqu'ils touchent au domaine forestier, permanent ou pas, l'ONF cosigne mais c'est bien France Domaine qui est décisionnaire. L'ONF participe très fortement à l'instruction des dossiers qui concernent la forêt gérée.

Le Conservatoire du littoral mène en Guyane une action plus mesurée qu'aux Antilles. Il s'est vu remettre de mémoire neuf sites dans la zone des cinquante pas géométriques qui représentent cinquante hectares, soit un ordre de grandeur beaucoup plus faible qu'aux Antilles. Par ailleurs, il a ses propres propriétés, comme le bagne des Annamites par exemple, où il essaie de mettre en place une gestion avec les collectivités territoriales. Nous interagissons avec le Conservatoire dans le cadre de la mission d'intérêt général qui nous est confiée dans la zone des cinquante pas géométriques, principalement dans l'île de Cayenne. Cela comprend des actions de surveillance et la formation des gardes du littoral - personnels des communes qui ont mis en place des conventions avec le Conservatoire - à la botanique et à l'accueil du public. La coopération avec le Conservatoire est plus mesurée en Guyane qu'aux Antilles, ce qui reflète le fait qu'il reçoit moins de missions en Guyane.

L'Agence de services et de paiement (ASP) intervient dans le paiement des subventions au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) mais n'apparaît pas dans les dossiers fonciers en Guyane que l'ONF gère.

Le Parc national amazonien est gestionnaire de la zone coeur qui couvre 2,5 millions d'hectares. Son décret de création en 2007 a fait en sorte d'éviter toute superposition avec l'ONF, si bien que nous n'intervenons pas dans la zone coeur, sauf dans le cas de conventions spécifiques, typiquement pour traiter l'orpaillage clandestin ou pour réaliser des missions scientifiques.

En ce qui concerne les possibilités d'acquérir des terrains, je n'ai pas connaissance de la possibilité d'acheter de grandes surfaces foncières depuis l'extérieur. En revanche, la Guyane connaît des dispositifs spécifiques de transferts fonciers. Il existe ainsi des possibilités d'obtenir des concessions ou des baux d'occupation agricole sur le domaine, sous réserve d'une mise en valeur agricole et d'un maintien d'une activité agricole pendant dix ou trente ans. Il existe aussi des possibilités de cession. Ce dispositif est géré par la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt et par France Domaine. L'ONF émet seulement un avis sur la possibilité de bail. Le constat de la mise en valeur agricole n'est pas opéré par l'ONF. À partir du moment où existe un bail agricole, l'ONF ne s'en occupe plus. Je ne suis pas très bien placé pour apprécier la complexité du dispositif, même si je sais que ça peut prendre un peu de temps et qu'il y a pas mal de demandes. Un certain nombre de demandes sont faites à des fins de spéculation foncière par des personnes qui ont une double occupation et ne sont pas vraiment des agriculteurs. C'est un sujet délicat.

Des terrains du domaine peuvent être également cédés à des collectivités territoriales :

- pour constituer une réserve foncière, dans la limite de 10 % de la surface agglomérée de la commune à la date de la première cession. France Domaine gère le dispositif ;

- ou pour réaliser une opération d'intérêt public, par exemple un projet de création par une commune d'une zone d'aménagement concerté (ZAC). France Domaine instruit les dossiers. J'ai bien conscience que les délais sont assez importants et que la liste d'attente est longue, mais l'ONF se contente d'émettre un avis technique.

Un autre dispositif de cession existe au profit des communautés d'habitants de la forêt. Il est encore peu utilisé mais c'est un enjeu grandissant. Tous ces dispositifs passent devant une commission d'attribution foncière et sont gérés par France Domaine. Enfin, il existe, bien entendu, des possibilités de cession onéreuse sur décision du directeur régional des finances publiques, hors commission d'attribution foncière. L'ONF n'a aucune visibilité sur ces dossiers mais nous pensons qu'ils ont pu représenter des transferts importants par le passé.

Il est exact que l'ONF paie, depuis l'adoption de la loi de finances initiale pour 2008, la taxe sur le foncier non bâti en métropole, sur l'essentiel des surfaces de la forêt domaniale pour ne pas entrer dans le détail, mais pas en Guyane. Cette extension de l'assiette à la Guyane coûterait extrêmement cher. Tout dépend maintenant des discussions entre l'État et l'ONF sur les missions qui lui sont confiées, sur les forêts qu'il doit gérer ou pas en Guyane et sur les conditions financières d'exercice. C'est à l'État de décider en la matière mais l'ONF n'est pas demandeur.

M. Pascal Viné. - Nous n'étions pas demandeurs non plus sur la métropole.

M. Nicolas Karr. - Il existe bien une forêt départementale à Apatou de 3000 hectares, mais aucune forêt de collectivité n'est gérée par l'ONF en Guyane. C'est le seul département français qui connaît une telle situation. Une ordonnance de 2005 portant sur le code forestier permet assez facilement la création de forêts communales sous régime forestier sur demande de la commune et après arrêté préfectoral. Il est donc tout à fait possible de créer sur le domaine forestier permanent des forêts communales. Des discussions avec les communes de Régina et de Saint-Laurent-du-Maroni ont eu lieu sans aboutir. Le point d'achoppement fut notamment la participation financière des communes à la gestion de la forêt. L'application du dispositif national en Guyane sur ce point pose question. Il revient à l'État et aux collectivités territoriales de préciser leurs intentions, l'ONF étant gestionnaire des forêts publiques et, principalement pour près des deux tiers en métropole, gestionnaire des forêts des collectivités territoriales.

M. Michel Magras , président . - Vous avez beaucoup insisté sur le fait que l'ONF gérait la forêt. Qu'est-ce que ce terme recouvre précisément ? L'ONF a-t-elle une gestion purement axée sur la surveillance, l'entretien et le maintien en l'état de la forêt ou bien pratique-t-elle une gestion plus dynamique à des fins économiques ? On peut imaginer la richesse que peut représenter le bois d'oeuvre sur un territoire aussi étendu que la Guyane. Les collectivités ont-elles la volonté de miser sur la filière bois ?

Par ailleurs, je reviens sur l'articulation de votre action avec celle du Conservatoire du littoral, qui achète et aménage mais ne gère pas les terrains. Chronologiquement, cela est d'abord proposé aux collectivités territoriales, puis aux associations et enfin aux services déconcentrés de l'État, si personne n'a accepté en raison du coût. Certaines collectivités exploitent économiquement ces zones protégées pour développer leurs activités touristiques. Qu'en est-il outre-mer ? Les collectivités d'outre-mer affichent-elles la volonté de prendre à leur compte une partie des biens du Conservatoire ou la gestion vous retombe-t-elle systématiquement sur les épaules ?

Mme Odette Herviaux . - Je souhaite également savoir quelle est votre politique de gestion économique des forêts aux Antilles, au-delà de vos missions d'intérêt général. Mettez-vous en place des certifications pour structurer la filière bois ? Comment expliquer l'ampleur des importations, en provenance du Brésil notamment ? Cela semble paradoxal étant donné la richesse du patrimoine forestier. Est-ce lié à un problème de certification ou à l'inadaptation des essences locales à la construction ? Peut-on envisager un reboisement de parcelles défrichées avec des essences plus adaptées aux besoins de ces territoires ?

M. Pascal Viné. - L'ONF est un gestionnaire d'espaces naturels un peu particulier. En sylviculture, les prélèvements aident à la reconstitution et à la pérennisation du patrimoine forestier. Il est possible d'orienter la production en fonction du territoire et des besoins de la filière. La gestion sylvicole n'est pas la même lorsqu'on veut produire du chêne pour des tonneaux pour des grands vins au centre de la France ou lorsqu'on a besoin simplement de chêne de deuxième qualité en Lorraine par exemple.

Voici les chiffres de production de bois outre-mer. La Guyane produit 75 000 mètres cubes de bois par an, la Martinique 2 500 mètres cubes par an et la Guadeloupe 250 mètres cubes par an. À titre de comparaison, à l'échelle nationale, l'ONF est le premier producteur de bois et alimente à hauteur de 40 % la filière avec une production de quatorze millions de mètres cube par an. Cela représente 180 000 emplois directs et indirects, liés à la production de l'Office. Il existe donc de nombreuses marges de progression de la production outre-mer. J'ai demandé en particulier à ce qu'on travaille à une dynamisation de la filière en Guadeloupe.

Nous ne rencontrons pas de problèmes de certification mais un problème de carence d'entreprises d'exploitation et de manque de scieries et de transformateurs sur place. C'est pourquoi nous ne parvenons pas à exploiter 3000 hectares de mahogany en Guadeloupe. Sur 100 000 hectares de forêts, La Réunion produit 10 000 mètres cube de bois par an à destination de la scierie de Bourbon, dans laquelle l'ONF a des participations. Cette scierie tourne correctement, mais elle craint de manquer de bois pour travailler durablement. Un débat très complexe a lieu pour savoir s'il faut ou non planter du cryptoméria. Compte tenu des cycles de reproduction et de renouvellement et des difficultés d'accès sur des parcelles pentues, l'exploitation sylvicole demande des techniques particulières et des savoir-faire qui ne sont pas obligatoirement présents sur place. Nous sommes loin du tronçonnage !

Nous travaillons beaucoup avec les collectivités territoriales. Les situations sylvicoles diffèrent aussi selon la tradition historique du territoire. En Guyane, les savoir-faire sont là, les industriels sont reconnus et exploitent des bois souvent de grande valeur.

Outre son activité de préservation de la biodiversité et d'accueil du public, l'ONF a pour objectif d'encourager le développement des filières qui resteront modestes, mais qui seront génératrices d'emplois et peuvent participer au développement endogène des territoires. En Guyane, cependant, nous avons veillé à développer des méthodes de prélèvement à faible impact pour éviter toute maltraitance de la forêt primaire.

M. Joël Guerriau . - Dans les 180 000 emplois directs et indirects générés globalement par l'Office, que pèse l'outre-mer ? Les emplois sont-ils concentrés au plus près de la forêt ou bien la transformation du bois et la menuiserie sont-elles l'apanage de la métropole ?

M. Pascal Viné. - Nous vous donnerons les chiffres. En Martinique, par exemple, nous rencontrons des difficultés pour trouver des entrepreneurs capables d'exploiter les coupes. Une fois trouvées les personnes compétentes, encore faut-il disposer des financements bancaires. Tout cela s'apparente à un parcours du combattant.

Des possibilités d'emploi existent. Il faut travailler à développer les formations dans les lycées agricoles. L'ONF passe des contrats avec les opérateurs intéressés pour leur assurer des flux de matières premières pour deux ou trois années. Il contribue ainsi à sécuriser l'approvisionnement de la filière et à rentabiliser indirectement leurs investissements. À charge ensuite aux entreprises de transformer. En Martinique et en Guadeloupe, tout est absorbé par le marché de l'artisanat local.

M. Nicolas Karr. - L'avantage de la Guyane est de pouvoir disposer de bois d'oeuvre en quantité et mobilisable. L'exploitation du bois est dans l'ADN de l'ONF. Nous sommes des gestionnaires forestiers, et notamment des gestionnaires économiques. La filière bois est structurée en Guyane. Une interprofession du bois a été créée en 2009 représentant localement neuf cents emplois, qui comprennent la gestion forestière (prospecteurs), l'exploitation forestière, les scieries, la biomasse et la seconde transformation (charpentiers, ébénistes, architectes spécialisés). Il existe cinq scieries et une usine de biomasse en Guyane. La récolte connaît une croissance de 2 % à 3 % par an depuis quinze ans. Dix pour cent de la valeur des produits est exportée. Les imports de sciage valent à peu près autant. Tous les meubles sont importés, essentiellement de Chine et un peu du Brésil, comme en métropole. La balance commerciale est équilibrée si l'on ne prend pas en compte l'ameublement. En revanche, elle est déficitaire s'il est pris en compte. L'ONF accompagne fortement la filière bois sur les plans technologique (géolocalisation, technologies lasers) et commercial, avec la conclusion de contrats d'approvisionnement pour sécuriser les perspectives financières des acheteurs de bois comme les scieurs et l'usine de biomasse.

L'ONF s'investit également dans les projets de nouvelles usines de biomasse. C'est un des leviers de développement de la filière bois, y compris de bois d'oeuvre, par la valorisation des déchets d'exploitation. Depuis 2007, un agent à temps plein quasiment s'occupe du dossier. Nous avons fait des plans d'approvisionnement pour presque tous les projets d'usines biomasse qui veulent s'approvisionner en forêt gérée. Des projets de contrats sont prêts.

M. Michel Vergoz . - Je souhaite aborder les problèmes du Parc national de La Réunion, classé au patrimoine mondial de l'Unesco depuis août 2010. L'ONF gère 100 000 hectares de forêt à La Réunion, dont la superficie globale est d'environ 250 000 hectares. Le Parc dispose d'environ 190 000 hectares entre le coeur et les zones d'adhésion. L'ONF est un acteur majeur du patrimoine mondial à La Réunion. Je suis un farouche défenseur du Parc mais je dois dire que je suis attristé et surpris des soubresauts permanents de ces dernières années.

Avec la biodiversité et les sites exceptionnels des pitons, cirques et remparts que renferme le Parc, les Réunionnais ont la chance de leur vivant d'habiter au Paradis ! Et nous invitons tous ceux qui le veulent à descendre chez nous. Le Parc est une chance et une opportunité pour le développement économique du pays. Notre défi est que le Parc constitue presque 80 % de la surface de La Réunion : comment trouver l'équilibre entre le paradis et l'activité humaine, y compris l'urbanisation ?

Je suis encouragé par les fortes déclarations du président de la République du 21 août 2014 lors de l'inauguration de la Maison du Parc national : « Le Parc n'est pas un espace qui doit être privé de vie. Au contraire ! Ce n'est pas un territoire qu'on doit mettre sous cloche. Ce n'est pas un endroit où la nature mettrait en retrait les hommes, donc l'économie. » D'où l'importance de la charte qui va être adoptée.

Par soubresauts, j'entends la multitude de petits parasitages à propos des aires de pique-nique, des petits bars du dimanche sur la coulée de lave, des aires de chasse au tang, ce petit hérisson typique, ou de l'élevage agropastoral. Ces problèmes sont anciens mais nous devons en sortir. Pourquoi avons-nous perdu quatre années de désordre pour des éleveurs installés depuis cinquante ans avec un troupeau de cinquante vaches ? Tout cela fait partie de la culture réunionnaise. Nous devons adopter une attitude rassembleuse et travailler comme des partenaires avec la direction régionale.

Je suis d'autant plus à vos côtés que j'ai été ébranlé par l'anecdote de la réunion houleuse du 12 octobre dernier entre le Parc national et l'ONF, qui a été rapportée par la presse. Les désaccords entre deux opérateurs publics majeurs inquiètent la population. Le Parc national a même pris un arrêté contre vos rotations d'hélicoptères pour des travaux de réfection dans la plaine des Chicots. Les bras m'en sont tombés ! Cela ne peut pas continuer. Heureusement, vous êtes parvenus à un accord avec le Parc, si j'ai bien compris. Mais si vous-même ONF, en tant qu'établissement public national, avez dû batailler, quel espoir reste-t-il aux petits éleveurs agropastoraux, aux chasseurs de tang, aux petites entreprises touristiques sur la coulée de lave ? J'ai écrit au préfet le 20 décembre pour appeler son attention sur ces difficultés et sur le risque d'implosion.

Le vote des collectivités territoriales sur la charte du Parc national est édifiant. Comment se satisfaire que, au 12 janvier 2015, huit communes et deux intercommunalités aient demandé un report de la charte ou l'aient repoussée. En d'autres termes, 40 % du territoire du Parc s'oppose à la charte ou freine son adoption. C'est la preuve que nous avons des problèmes sérieux à surmonter et qu'il faut adopter une autre disposition d'esprit. Quel regard l'ONF porte-t-il sur ce dossier ?

M. Michel Magras , président . - Quelle passion mon cher collègue ! Même au paradis, on risquerait de s'ennuyer, si tout était trop lisse et uniforme.

M. Pascal Viné. - Je suis à votre disposition pour aborder ce sujet plus avant. Je me suis rendu à La Réunion fin octobre et j'ai rencontré, à cette occasion, le président du Parc, après m'être entretenu avec les ministères de l'agriculture et de l'écologie. Le directeur de l'eau et de la biodiversité et moi-même avons écrit respectivement à la directrice du Parc et au directeur régional de l'ONF pour leur demander de se mettre d'accord sur un plan d'action commun. Il est clairement inadmissible que deux établissements publics de l'État ne puissent travailler ensemble. Je ne peux me satisfaire d'une situation de tension entre deux établissements publics. Le paradis ne peut pas être transformé en enfer par l'État ! Nous avons eu un bon contact avec le président du Parc et nous avons travaillé à des solutions partagées.

Il faut reconnaître que la superposition des structures ne rend pas les choses faciles. L'inscription au patrimoine mondial de l'humanité est due à l'action continue de l'ONF depuis la fin du XIX e siècle. Cela doit être reconnu. Lorsque l'ONF emploie 80 fonctionnaires sur 100 000 hectares, que l'on crée un parc national avec 80 fonctionnaires sur les mêmes 100 000 hectares, les ressources sont là pour faire du bon travail. Il faut que nous allions plus loin dans l'articulation des deux établissements. Nous avons travaillé de façon approfondie à l'élaboration d'une convention, qui devrait être signée très bientôt. Ce point sera aussi inscrit dans le prochain contrat d'objectifs et de performance de l'ONF. Le Parc et l'Office n'ont ni le temps ni les moyens de superposer les structures et de continuer à s'observer en chiens de faïence. Nous partageons une tutelle commune avec le Parc, à savoir le ministère de l'écologie, nous devons trouver une voie pour sortir de cet imbroglio, à la hauteur de ce qu'attendent les Réunionnais.

Aujourd'hui, l'ensemble de l'activité dans les départements d'outre-mer présente comme bilan une contribution financière de l'ensemble de la structure de l'ONF à hauteur de dix millions d'euros. Autrement dit, nous enregistrons un déficit de dix millions d'euros sur nos activités outre-mer. Il nous est donc impossible d'engager des moyens supplémentaires sous prétexte que nous ne parvenons pas à nous entendre.

M. Michel Magras , président. - Vos propos sont d'une grande clarté et nous ne manquerons pas de les relayer.

M. Charles Revet . - Je suggère à notre collège Vergoz qu'il reprenne sa question en séance plénière du Sénat pour trouver encore plus d'écho. Il est inadmissible, partout sur le territoire national, que deux grands services de l'État ne parviennent pas à sortir d'une telle ornière.

J'ai été très intéressé par votre exposé et je n'ai que quelques informations complémentaires à vous demander. Quelles sont les essences de bois les plus intéressantes à exploiter dans chaque territoire ? Où pourraient-elles être utilisées, sur place ou à l'export ? Quel est le potentiel réel et quelles sont les perspectives de développement, notamment en Guyane ? C'est finalement le même problème que celui de la pêche, limitée par des quotas : il y a apparemment un potentiel énorme qui pourrait générer de l'activité et des emplois mais comment faire concrètement pour le valoriser ?

M. Guillaume Arnell . - Saint-Martin constitue une autre partie du paradis mais elle est aussi confrontée à de sérieux enjeux, y compris de subsistance. L'ONF n'est pas présent dans les collectivités d'outre-mer, mais son soutien serait utile. J'aurais quelques remarques sur la gestion de la zone des cinquante pas géométriques qui existe à Saint-Martin mais pas à Saint-Barthélemy. La collectivité territoriale de Saint-Martin en a reçu la gestion de la part de l'État au moment de l'adoption de son nouveau statut, mais nous avons hérité autant du patrimoine foncier que des problèmes qu'il pose. En particulier, il est difficile de régler l'accession à la propriété des occupants sans titres, car l'État a cédé par le passé certaines parcelles à titre quasi gracieux alors que, désormais, Saint-Martin ne peut proposer qu'une cession onéreuse aux occupants. Les évaluations du prix ont été faites par l'agence des cinquante pas géométriques. Ce changement de politique est difficile à faire comprendre et à faire accepter par les habitants. Ce n'est pas toutefois notre principal souci car je crois que nous parviendrons à trouver une solution par la pédagogie.

À Saint-Martin, nous connaissons deux propriétaires sur le domaine : la Réserve et le Conservatoire du littoral. La Réserve gère ses terrains propres et une partie de ceux du Conservatoire. Le littoral est bien pris en charge, mais personne ne s'occupe des hauteurs et des collines de Saint-Martin. On ne peut pas les qualifier, à proprement parler, de forêts mais il n'en reste pas moins que le défrichement y est excessif sans, pour autant, d'interventions pénales de l'État malgré mes demandes répétées en ce sens. Y aurait-il un moyen de solliciter l'intervention de l'ONF même à titre temporaire dans le cadre d'une convention spécifique, le temps d'enrayer le phénomène ? Se posent dans cette zone aussi bien des problèmes avec les propriétaires autochtones qu'avec les Haïtiens installés qui ne possèdent pas les terres mais les louent. Je vous invite à évaluer les possibilités d'intervention de l'ONF à Saint-Martin pour nous permettre de transmettre aux générations futures un patrimoine naturel préservé, qui fait la beauté et le rayonnement de notre territoire.

M. Jean-Marc Gabouty . - J'avais la même question que notre collègue Revet sur la destination du bois produit outre-mer. En outre, pourriez-vous me confirmer que toutes vos forêts sont certifiées Pan European Forest Certification (PEFC) ?

M. Pascal Viné. - Toutes les forêts gérées par l'ONF sont globalement certifiées PEFC et, en Guyane, notre gestion dispose du label Forest Stewardship Council (FSC).

Nous ne recevons pas de financement particulier pour intervenir à Saint-Martin. Cependant, nous avons des actions de coopération décentralisée, avec Saint-Barthélemy notamment. Nous pourrions travailler avec vous et le conseil territorial à des conventions qui nous permettraient d'y apporter nos compétences et nos savoir-faire.

Quant aux essences produites, les Antilles se concentrent sur le mahogany, petites et grandes feuilles, et La Réunion sur le cryptomeria et un peu le tamarin. En Guyane, soixante-dix essences sont cultivées mais ce sont essentiellement l'angélique, le grignon franc et le gonfolo qui sont majoritaires. L'utilisation du bois demeure très endogène. Le potentiel économique de la filière bois existe, mais il ne pourra être développé qu'avec le soutien des collectivités territoriales. Nous sommes prêts à nous impliquer, notamment en Guadeloupe où la production est encore très faible.

M. Michel Magras , président. - Je vous remercie pour cette audition très riche et très dense. D'ici à la fin de nos travaux, nous aurons sans doute besoin de vous poser de nouvelles questions pour approfondir encore le sujet.

M. Gilbert Roger . - J'aimerais ajouter une question diverse à l'ordre du jour. Nous sommes convoqués simultanément à plusieurs auditions ou réunions de commission et de délégation, sans parler même des contraintes de présence en séance publique. Comme je l'ai dit ce matin en commission des affaires étrangères, je souhaite que les différents organes du Sénat puissent mieux coordonner leurs travaux. Ce n'est pas une critique de la délégation, mais un constat de la difficulté que nous éprouvons à gérer nos emplois du temps et toutes les obligations qui s'y concentrent.

M. Michel Magras , président. - Vous soulevez une vraie difficulté qui ne peut être résolue qu'au niveau du Sénat tout entier. Mais il faudra que les nouvelles modalités d'organisation des travaux tiennent compte des contraintes spécifiques de déplacement de nos collègues ultramarins qui nous conduisent à concentrer nos réunions sur certaines semaines. Je peux, d'ores et déjà, vous indiquer que le Bureau mène une réflexion sur la réorganisation des méthodes de travail du Sénat.

Mardi 20 janvier 2015

Audition de Mme Odile Gauthier, directrice du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres (« Conservatoire du littoral »), accompagnée de M. Alain Brondeau, délégué outre-mer

M. Michel Magras, président . - Mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui pour poursuivre nos auditions sur la gestion du domaine de l'État dans le cadre de notre étude transversale sur les questions foncières outre-mer. Après avoir entendu l'Office national des forêts (ONF) la semaine dernière, nous recevons cet après-midi deux acteurs importants, le Conservatoire du littoral, puis France Domaine, le service du ministère des finances chargé de la gestion des propriétés de l'État. Nous terminerons par l'audition d'une universitaire, spécialiste du droit de la domanialité, en particulier dans sa dimension ultramarine.

Avant de céder la parole à Mme Odile Gauthier, directrice du Conservatoire du Littoral, accompagnée de M. Alain Brondeau, délégué outre-mer, je rappelle qu'en ma qualité de conseiller général de Guadeloupe puis de représentant de la collectivité de Saint-Barthélemy, j'ai été impliqué dans ce secteur pendant une douzaine d'années.

Mes chers collègues, le questionnaire qui a été communiqué aux personnes auditionnées est à votre disposition.

Mme Odile Gauthier, directrice du Conservatoire du littoral. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je souhaiterais tout d'abord resituer le rôle du Conservatoire dans son contexte historique et préciser les modalités pratiques d'exercice de sa mission.

Depuis la loi de 1975, le Conservatoire est chargé de mener une politique foncière de sauvegarde des espaces littoraux, en partenariat avec les collectivités. Les instances de gouvernance du Conservatoire que sont le conseil d'administration ou les conseils de rivage sont consultées sur toutes les grandes actions. Pour assurer la protection foncière des espaces naturels, le Conservatoire acquiert au fur et à mesure des terrains et crée des périmètres d'intervention, après avis des conseils municipaux. Ceux-ci sont donc consultés et associés. Il n'y a que deux ou trois cas dans l'histoire du Conservatoire où ces périmètres ont été définis sans l'accord des collectivités.

Ces zones d'intervention font systématiquement l'objet d'un avis du conseil de rivage concerné. Siègent dans les conseils de rivage des représentants des conseils régionaux et des conseils généraux. À tous niveaux, les collectivités sont associées à la définition des zones d'intervention du Conservatoire.

Le Conservatoire entretient également des relations de partenariat avec les collectivités pour ce qui a trait à la valorisation et à la gestion des sites. Quand un site, après un certain nombre d'acquisitions, a atteint une taille critique et est en mesure de remplir sa vocation première qui est d'accueillir du public, nous préparons et définissons un projet avec les collectivités. Ce projet peut être de réaliser des aménagements, de réinstaller des exploitations agricoles...

Le principe fixé par la loi est que la gestion pérenne, à long terme, est confiée par le Conservatoire aux collectivités. Celles-ci peuvent être de tous niveaux. 40 % des sites sont gérés par des conseils généraux ou des syndicats mixtes départementaux, 40 % le sont par des communes, des établissements publics intercommunaux ou des parcs naturels régionaux. Le reste est, de façon plus marginale, géré par des établissements publics de l'État - du type parcs nationaux - ou des associations, au titre, par exemple, de la gestion des réserves naturelles.

Depuis sa création, il y a quarante ans, ce dispositif fonctionne donc en étroite relation avec les collectivités.

Votre deuxième question concerne l'organisation interne du Conservatoire. Le Conservatoire est organisé autour d'un siège situé à Rochefort qui assure les fonctions de support, incluant les questions juridiques liées à l'action foncière, à la gestion des sites, aux relations avec la profession agricole et avec l'ONF.

Nous avons ensuite dix délégations de rivage, implantées sur les différentes façades littorales et lacustres, puisque notre compétence s'étend également aux lacs. Je citerai comme exemple le lac du barrage de Petit-Saut en Guyane.

En outre-mer, il y a un conseil de rivage atlantique et un conseil de rivage pour l'océan Indien. De manière spécifique, la délégation outre-mer est organisée autour de ces deux conseils. À l'inverse, en général, deux délégations ressortissent d'un même conseil de rivage. L'organisation de la délégation outre-mer est structurée en plusieurs antennes réparties sur l'ensemble du territoire. Elle comprend, selon les périodes, vingt à vingt-cinq personnes dont quinze ou seize permanents, les autres personnes étant des contractuels qui interviennent sur un projet ou des vacataires.

Une des caractéristiques importantes du Conservatoire est qu'il n'y a pas de déconcentration du budget. Nous avons une programmation à long terme et triennale pour le budget. Notre programmation interne consiste à faire une répartition qui ne constitue pas des dotations car, tant en ce qui concerne les aménagements que les acquisitions foncières, les aménagements de grande ampleur ou les opérations foncières lourdes s'appuient sur la solidarité nationale. Une année, nous aurons un gros projet sur un territoire, une autre année, un autre projet sur un autre territoire.

Très schématiquement, il n'y a pas de budget alloué à la délégation outre-mer. Pour autant, quelques chiffres peuvent être donnés : en moyenne, au cours des dernières années, un million d'euros pour les acquisitions et deux millions pour les travaux ont été mobilisés annuellement.

Pour financer les grosses opérations, le Conservatoire bénéficie depuis plusieurs années de nombreux concours extérieurs. Nous sommes financés par le droit de francisation des navires qui nous est affecté à hauteur de trente-sept millions d'euros, qui se transforment en cinquante-cinq millions pour le budget annuel grâce aux recettes issues principalement des cofinancements apportés soit par les crédits européens, soit par les crédits des agences de l'eau, des contrats de plan État-région et des crédits des collectivités régionales ou départementales. Celles-ci contribuent non seulement au travers de la gestion, mais aussi directement via des financements d'acquisitions ou de travaux, selon des modèles variables en fonction des partenariats conclus.

En résumé, pour un euro investi au titre du droit de francisation par le Conservatoire du littoral, au sens de la dotation, nous arrivons à mobiliser 1,6 euro.

En réponse à votre questionnaire, M. Brondeau va vous exposer notre stratégie en matière d'intervention foncière.

M. Alain Brondeau, délégué outre-mer. - Le Conservatoire a entamé l'année dernière la révision de sa stratégie d'intervention foncière. Elle devrait être approuvée par le conseil d'administration au milieu de cette année. Toutefois, elle est déjà suffisamment stabilisée pour me permettre de vous donner des ordres de grandeur.

En outre-mer, depuis sa création, le Conservatoire protège 42 000 hectares, composés pour 8 500 hectares de terrains acquis et pour 33 500 hectares de terrains de l'État. Pour ces derniers, 27 800 hectares appartiennent au domaine public maritime, 2 200 hectares relèvent de la zone dite des cinquante pas géométriques et 3 500 hectares correspondent au domaine privé de l'État en Guyane. Tel est le bilan de l'action du Conservatoire outre-mer au cours de ces vingt dernières années ; son action y est plus récente qu'en métropole. L'objectif à l'horizon 2050 serait d'arriver à environ 155 000 hectares protégés en outre-mer, ainsi répartis :

- 41 500 hectares d'acquisitions, soit 33 000 hectares de plus que ce qui a été acquis aujourd'hui ;

- 77 800 hectares de domaine public maritime, essentiellement de la mangrove en Guyane, un peu en Guadeloupe, en Martinique et à Mayotte. S'ajoute de manière très marginale du domaine privé maritime, au droit de certains sites du Conservatoire, pour pouvoir créer des sentiers marins ou travailler sur des accès aux sites lorsque l'accès principal se fait par la mer ;

- 2 400 hectares au titre de la zone des cinquante pas géométriques - quasiment la même chose qu'aujourd'hui -, le surplus pouvant essentiellement concerner Mayotte ;

- et 33 500 hectares de domaine privé de l'État qui ne concerne que la Guyane.

La difficulté majeure que nous rencontrons en outre-mer tient au prix du foncier qui est parfois très élevé sur certains territoires et notamment à Mayotte, à Saint-Martin sans même parler de Saint-Barthélemy. Ce prix n'est pas forcément corrélé au caractère constructible ou inconstructible du terrain. Il tient surtout à la spéculation foncière à plus ou moins long terme, ce qui réduit les capacités d'action du Conservatoire.

Notre politique d'espaces naturels sensibles est assez hétérogène, très développée à La Réunion, moins dans les autres territoires, et très peu en moyenne par rapport au territoire métropolitain. Or le Conservatoire essaie de s'appuyer, chaque fois que c'est possible, sur la politique des espaces naturels sensibles des conseils généraux. Ceci n'a pas encore été possible en outre-mer.

Je voudrais souligner une pratique plus fréquente en outre-mer qu'en métropole : le domaine public sert de réserve foncière pour les projets publics ou privés. Cette manière de percevoir la notion de domaine public peut entrer en contradiction avec les objectifs du Conservatoire.

En outre-mer, nous devons également tenir compte des situations foncières très complexes.

Plus spécifiquement, pour Mayotte, la mise en place très récente du cadastre n'a pas permis de remédier aux nombreuses imprécisions de certains découpages. La régularisation foncière par le conseil général est en cours. Toutefois, les choses évoluent très rapidement. L'absence d'actes de propriété à Mayotte rend plus difficiles les interventions du Conservatoire.

Il y a enfin les difficultés liées à la gestion des terrains par les collectivités. En outre-mer, la prise en compte de cette dimension est plus récente, pour des raisons financières ou pour des raisons de développement des compétences. Je relève toutefois quelques exceptions notables, notamment en Martinique avec le parc régional.

En ce qui concerne la répartition des surfaces par territoire, le département sur lequel le Conservatoire intervient le plus en matière foncière est, sans surprise, la Guyane, avec près de 27 000 hectares dont 20 000 hectares de domaine public maritime (constitués par la mangrove), 3 400 hectares d'acquisitions et 3 000 hectares de domaine privé de l'État qui ont été affectés au Conservatoire.

Vient ensuite la Guadeloupe, pour près de 8 000 hectares, avec là aussi une grosse proportion de domaine public maritime (plus de 5 700 hectares de mangrove), 1 200 hectares au titre de la zone des cinquante pas géométriques. En Guadeloupe, en application de la loi de 1996 et contrairement aux autres départements d'outre-mer, le Conservatoire est affectataire d'une grande partie de la zone des cinquante pas géométriques, à linéaire ou à surface égale avec celle de l'ONF.

À parts égales, viennent enfin La Réunion, Mayotte et la Martinique, avec 1 500 à 2 000 hectares pour chaque territoire, essentiellement constitués de terrains privés acquis, sauf à Mayotte où la répartition est équilibrée entre le domaine public maritime et les acquisitions.

Mme Odile Gauthier. - Votre question suivante portait sur les critères qui fondent l'intervention du Conservatoire pour gérer les éléments du domaine public de l'État. Qu'il s'agisse du domaine public ou privé de l'État, ou de terrains privés, la stratégie d'intervention du Conservatoire est identique. C'était déjà le cas en 2005, lors de la stratégie précédente.

En concertation avec ses partenaires et les collectivités, le Conservatoire s'intéresse en premier lieu à la question de savoir si les espaces sont menacés d'artificialisation ou d'urbanisation, même s'il ne s'agit pas de tout empêcher.

Le Conservatoire s'intéresse ensuite à la préservation des milieux naturels de qualité remarquable, dont il faut une gestion active pour maintenir les écosystèmes ou les paysages. Il s'agit finalement de faire de la gestion écologique.

Le Conservatoire est attentif à tout ce qui concerne l'ouverture au public, la création d'accès pouvant permettre notamment un appui au développement touristique par la mise en valeur d'espaces naturels de qualité accessibles au public.

Un quatrième critère d'intervention est le maintien ou la réhabilitation d'usages traditionnels qui participent à l'identité du site ou au maintien de celui-ci dans sa qualité existante. À titre d'exemple, je citerai la remise en service des salines de la Pointe aux Sels.

Ces critères d'intervention président à la définition des zones d'intervention.

La compétence du Conservatoire a été étendue plus récemment au domaine public maritime. Une première stratégie du domaine public maritime avait été définie en 2008. Dans la nouvelle stratégie que nous finalisons et qui sera publiée en 2015, le domaine public maritime sera pleinement intégré dans la mesure où ces quatre critères sont déterminants pour l'intervention du Conservatoire, quelle que soit la nature du terrain.

En effet, que celui-ci appartienne au domaine public de l'État ou corresponde à un terrain privé acheté à l'amiable, le processus est le même. Il faut créer un périmètre d'intervention, présenté en conseil de rivage et au conseil d'administration. La seule différence est que nous avons soit une acquisition, notamment par substitution du droit de préemption des conseils généraux lorsque ceux-ci ont mis en place les zones de préemption au titre des espaces naturels sensibles, soit un dispositif d'affectation ou d'attribution lorsque c'est l'État. Pour nous, l'essentiel est de respecter la mission fondamentale du Conservatoire de préserver, de façon inaliénable, l'ensemble des terrains achetés ou affectés par l'État. S'il y a eu, pour des raisons administratives un peu compliquées, des conventions d'attribution trentenaire, le principe que nous favorisons, dans le cadre de nos discussions avec les préfets, est une affectation définitive ou une remise spécifique pour les espaces naturels de la zone des cinquante pas géométriques.

C'est le même dispositif qui s'applique ensuite. Il faut trouver une collectivité locale gestionnaire. Même si cela peut sembler paradoxal, on part d'un terrain qui appartient à l'État, on passe par le Conservatoire pour arriver finalement à une gestion patrimoniale partagée du projet et de sa mise en oeuvre, au travers de financements communs au Conservatoire et à la collectivité.

C'est la même intervention dans l'esprit. J'en veux pour preuve la réflexion que nous avions eue en 2005 et que nous poursuivons en ce moment. Lorsque nous ne disposons que de la zone des cinquante pas géométriques, nous cherchons à faire l'acquisition de terrains privés situés en bordure pour constituer un site d'une taille suffisante.

M. Alain Brondeau. - Depuis la réforme du code du domaine de l'État de 2010, les procédures ont été unifiées. Nous sommes sur des conventions de gestion valant affectation. Que l'on soit sur le domaine public maritime ou sur la zone des cinquante pas géométriques, il n'y a plus qu'une seule procédure, un seul modèle, et sans durée limitée. Nous laisserons arriver à leur terme les échéances qui courent encore et nous les renouvellerons par des conventions à durée illimitée. Il n'y en a que deux ou trois outre-mer.

En ce qui concerne la gestion des terrains du Conservatoire, qu'ils relèvent du domaine public de l'État ou pas, nous nous appuyons en priorité sur les collectivités. En Guadeloupe, nous nous appuyons beaucoup sur les communes, en Martinique sur les communautés d'agglomération, le parc régional et certaines communes. Dans l'océan Indien, nous travaillons essentiellement avec les conseils généraux de La Réunion et de Mayotte, avec la réserve naturelle de Saint-Martin à Saint-Martin, avec l'agence territoriale de l'environnement à Saint-Barthélemy. À Saint-Pierre-et-Miquelon, nous nous appuyions sur une commune qui, malheureusement, a dû renoncer pour des raisons financières et nous sommes à la recherche d'un autre gestionnaire.

À ces gestionnaires de terrain, pour la zone des cinquante pas géométriques aux Antilles, en Guyane et à La Réunion, s'ajoute l'ONF qui exerce une mission d'intérêt général comprenant des missions de surveillance, de police, d'expertise et d'appui technique auprès des collectivités.

Nous avons également une convention avec le Parc national de Guadeloupe pour la partie des terrains appartenant à l'État et qui sont affectés au Conservatoire.

En Guyane, nous travaillons avec les communes. Nous n'avons pas, pour l'instant, de convention avec un autre échelon mais des discussions sont en cours avec le parc régional de Guyane pour mettre en place une convention de gestion sur un des sites du département.

Mme Odile Gauthier. - Nous vous enverrons la liste détaillée des projets d'aménagement.

M. Alain Brondeau. - Nous pouvons toutefois vous citer quelques exemples d'aménagement qui visent soit à l'accueil du public, soit à la restauration écologique des sites, les deux pouvant être liés. Nous avons réalisé toute une série d'observatoires en outre-mer : sur le marais de Port-Louis en Guadeloupe, sur l'étang des Salines en Martinique, sur le marais de Vieux-Fort à Marie-Galante et à Saint-Pierre-et-Miquelon, sur un terrain qui n'appartient pas à l'observatoire. Sur le Diamant, un site ne permettait pas le débarquement des personnes. Nous avons donc réalisé un aménagement un peu atypique, avec des caméras qui retransmettent des images en direct sur Internet et permettent ainsi une visite virtuelle.

Nous avons également réalisé une série de sentiers de découverte, nautiques ou terrestres - comme à Montabo - en Guyane, autour du marais du Vieux-Fort en Guadeloupe ou à la vasière des Badamiers qui est une zone de mangrove à Mayotte.

D'autres projets sont en cours, notamment sur le domaine public maritime ou la zone des cinquante pas géométriques. Je pense notamment au sentier du littoral du sud-ouest à La Réunion qui, sur une quinzaine de kilomètres de linéaire intégralement compris dans la zone des cinquante pas géométriques affectés au Conservatoire, va entrer en phase de réalisation cette année.

Nous réalisons des aires d'accueil comme à Bois Jolan en Guadeloupe ou à Saint-Sauveur à Miquelon ; des projets très importants sont envisagés pour la baie de l'embouchure dans l'île de Saint-Martin.

Nous réalisons des maisons de site, à Sinnamary en Guyane, aux Abymes en Guadeloupe, à La Réunion pour le musée du Sel qui a été complétement rénové par le Conservatoire, pour l'observatoire de l'Isthme de Miquelon.

Nous procédons à des aménagements pour améliorer le stationnement qui est un des points-clefs pour la gestion des sites. Ainsi, à Bois Jolan en Guadeloupe, nous réduisons l'impact sur la zone de plage et d'arrière plage sans nuire à la fréquentation. Un projet de même nature est en cours sur la plage des Salines de Saint-Anne en Martinique. Nous menons enfin des travaux de restauration écologique qui ne sont pas forcément sur le domaine public maritime. C'est le cas majoritairement à La Réunion, avec des projets de plusieurs millions d'euros financés par l'Europe.

Nous travaillons sur la restauration de forêts sèches, la restauration d'habitats pour des espèces en danger, la dératisation d'îlots comme cela s'est fait à Mayotte. Ces projets sont liés en général à une action d'aménagement pour l'accueil du public.

Ces travaux permettent d'augmenter l'attractivité touristique des territoires. Les sentiers sur les sites du Conservatoire du littoral sont de plus en plus connus et très fréquentés. Les guides Dakota ont publié il y a quelques années deux éditions spéciales consacrées aux balades sur le littoral pour la Guadeloupe et la Martinique qui ont connu un fort succès. Les sentiers nautiques sont aussi des produits touristiques assez intéressants. Ils permettent - comme cela se fait à Marie-Galante en Guadeloupe ou en Guyane - que se greffent des prestations complémentaires de location de matériel. Les maisons de site participent beaucoup à l'attractivité touristique puisqu'elles permettent de retenir les visiteurs sur une certaine durée.

Mme Odile Gauthier. - Vous nous avez interrogés sur l'articulation de l'action du Conservatoire avec d'autres acteurs publics.

Avec France Domaine, nous sommes en relation principalement pour tout ce qui concerne l'estimation de la valeur des terrains. En principe, le Conservatoire achète à la valeur fixée par France Domaine, à plus ou moins dix pour cent près. Sur les affectations des terrains de l'État, France Domaine donne son avis et instruit les procédures.

Nous avons peu de liens directs avec l'Agence des cinquante pas géométriques. Les territoires sur lesquels nous intervenons sont distincts. Ils ont été délimités par des arrêtés préfectoraux.

L'ONF est un partenaire de longue date et le partenariat fonctionne bien. Il est, la plupart du temps, et nous nous en félicitons tous collectivement, gestionnaire des terrains au titre de la surveillance, de la police qui, outre-mer, est très peu faite par les collectivités gestionnaires. Il est également, par des procédures d'appel d'offre de marchés publics, opérateur de travaux sur les sites, notamment quand il n'y a pas de gestionnaire.

Avec l'Établissement public d'aménagement en Guyane (EPAG), notre partenariat s'organise dans le cadre des rachats de terrains à vocation naturelle, identifiés dans le cadre de la stratégie du Conservatoire et dans les schémas d'aménagement régionaux (SAR). Nous travaillons avec l'EPAG dans les zones d'intervention qu'il maîtrise déjà mais qui n'ont pas vocation à être urbanisées.

À Mayotte, l'Agence de services et de paiement (ASP) fait office de société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER). Nous travaillons avec elle sur les terrains du Conservatoire pour la définition et l'établissement des cahiers des charges agricoles. Nous travaillons également avec elle sur de la veille foncière. Globalement, nos relations sont identiques à celles que nous entretenons avec les SAFER dans les autres départements d'outre-mer. Elles portent sur la veille foncière, voire sur des missions d'appui à la demande du Conservatoire lorsque nous souhaitons intervenir dans une zone d'intervention sur des terrains agricoles pour lesquels nous n'avons pas vocation à supprimer l'activité agricole. Si les propriétaires sont intéressés au maintien d'une activité agricole qui convient au site, nous n'achetons pas. S'il n'y a pas de reprise, pour éviter une déprise ou si nous souhaitons maintenir un cahier des charges de qualité, nous intervenons pour racheter les terrains.

Les occupations et constructions illicites sur le domaine public remis en gestion au Conservatoire concernent essentiellement la zone des cinquante pas géométriques en Guadeloupe, soit une vingtaine de parcelles comprenant des habitations diffuses. Lorsque ces parcelles ont été transférées au Conservatoire, aucun travail précis n'avait pas pu être fait. Les arrêtés mentionnent que la délimitation nécessite une exclusion « au plus près des bâtiments existants ». Un état complet des lieux a été entrepris en 2010, repris en 2014 et se poursuivra jusqu'à fin 2015. Des propositions précises seront remises au préfet, avec des divisions parcellaires. Les parties de parcelles exclues retourneront à la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) qui aura à se prononcer sur leur destination finale, en sachant que certaines de ces parcelles n'ont déjà plus d'occupants.

M. Alain Brondeau. - Ces parcelles concernent une cinquantaine d'habitations. Leur destination finale ne sera pas uniforme. Pour certaines, notamment les parcelles isolées, sans accès ni réseau ou en zone à risques, et qui n'ont pas vocation à être urbanisées, il y aura des autorisations d'occupation temporaire du vivant de l'occupant actuel, sans transmission possible. Pour les parcelles situées en continuité avec un espace déjà urbanisé ou en cours d'urbanisation, une régularisation pourra être envisagée, sans que cela soit du ressort du Conservatoire. La parcelle sera d'abord « désaffectée » au Conservatoire puis traitée par l'État ou les agences des cinquante pas géométriques, si elles existent encore à ce moment-là.

Mme Odile Gauthier. - Nous devons parvenir à une vision commune avec les collectivités chargées de l'aménagement du territoire. En outre-mer, la stratégie d'intervention foncière du Conservatoire s'appuie beaucoup sur les SAR mais nous souhaitons également travailler de façon plus approfondie, notamment avec les communautés de communes, lorsqu'elles développent un projet de Schéma de cohérence territoriale (SCOT) intercommunal.

La maîtrise foncière par le Conservatoire doit être équilibrée. Il ne s'agit pas de tout mettre sous cloche dès lors que nous avons réalisé une acquisition, d'empêcher toute urbanisation. Il s'agit de faire en sorte que les volets de protection et de valorisation des espaces naturels qui existent dans les documents de planification soient pris en compte, permettant ainsi aux Français de les visiter. Une étude récente avance le chiffre de trente-huit millions de visiteurs sur les sites du Conservatoire. Depuis le début de cette année, un atelier du Conservatoire mène une réflexion collective sur la contribution à l'attractivité des sites naturels en général - il n'y a pas que le Conservatoire, mais également les forêts domaniales ou les réserves - et à l'attractivité économique en particulier. Vous remarquerez que de nombreuses communes disposant d'espaces naturels de qualité mettent ceux-ci en avant sur la première page de leur site Internet.

M. Michel Magras, président. - Madame la directrice, monsieur le délégué outre-mer, je voudrais tout d'abord vous remercier pour la qualité de vos exposés. Mes collègues ont un certain nombre de questions à vous poser et je cède la parole à Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, et rapporteur coordonnateur de notre étude.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur coordonnateur . - Madame la directrice, vous avez évoqué la problématique de la régularisation foncière à Mayotte, la réforme en cours du cadastre, et souligné qu'il était difficile de s'appuyer sur les collectivités. Je voudrais rappeler qu'en une ou deux décennies Mayotte a absorbé de nombreuses réformes d'envergure : la réforme fiscale, la réforme de la départementalisation, celle de la décentralisation qui date de 2004 pour le conseil général et de 2008 pour les communes. Vous faites bien de souligner cette difficulté d'une manière générale mais, à Mayotte, elle est encore accentuée par le choc institutionnel de ces dernières années. Avant d'arriver à des stades aussi cruciaux que la départementalisation ou la réforme de la fiscalité, cette réforme aurait dû être réalisée.

Aujourd'hui, pour ne pas continuer à piétiner, quelles méthodes préconisez-vous pour clarifier les choses, définir ce qui est du ressort du domaine de l'État, du domaine privé, de votre domaine ?

Nous n'avons pas d'agence des cinquante pas géométriques alors que nous disposons de la zone correspondante, occupée par plusieurs villages. Comment parvenir à une solution, ne serait-ce que pour dégager des moyens fiscaux ou parvenir à une libération de ces zones ?

Mme Odile Gauthier. - Je ne connais pas personnellement Mayotte mais nous sommes très heureux d'y travailler. Le Conservatoire est à Mayotte depuis plusieurs années et les choses avancent très vite. Avec les élus, nous sommes arrivés à développer une véritable stratégie d'intervention. Nous sommes d'autant plus optimistes que, si le moment est complexe, avec notamment une démographie très dynamique, une véritable réflexion sur l'aménagement du territoire est engagée. C'est une excellente opportunité pour le département de Mayotte et ses habitants de mettre en place un modèle de développement durable.

M. Alain Brondeau. - Par rapport à l'ensemble des départements ou collectivités d'outre-mer sur lesquels le Conservatoire intervient, c'est certainement à Mayotte que les choses évoluent le plus rapidement. Depuis la départementalisation, on rentre dans le droit commun à très grande vitesse. En dix ans, on est en train de faire à Mayotte ce qui a été fait dans les autres départements en soixante ou soixante-dix années.

En réponse à votre question sur la zone des cinquante pas géométriques, je rappelle que, dans notre stratégie foncière, nous n'avons pas retenu les zones habitées. Nous estimons que ces zones n'ont pas vocation à nous être affectées. Nous avons gardé les zones naturelles et qui ont vocation à le rester, en croisant les deux documents de planification importants que sont le Projet d'aménagement et de développement durable (PADD) et le SAR, même si ce dernier n'est pas encore approuvé.

Dans les parties habitées, la difficulté est accrue par le fait que le droit était plutôt un droit oral ou coutumier. Les occupants de ces villages n'ont pas de titre de propriété. Un travail massif de régularisation et d'octroi de titres est donc à réaliser. Il ne relève pas du Conservatoire mais de l'État ou de structures spécifiques telles que les agences des cinquante pas géométriques. La priorité pourrait consister à établir, comme aux Antilles après la loi de 1996, une délimitation claire sur les vocations des zones afin de pouvoir travailler, pour la partie naturelle, sur l'affectation du Conservatoire et, pour les parties urbanisées ou à vocation urbaine, sur les régularisations de titres des occupants ou les cessions aux collectivités pour l'aménagement. Pour la régularisation, il pourrait être envisagé de s'inspirer de ce qui a été fait par le conseil général à l'intérieur de l'île et d'appliquer la même méthode sur la zone des cinquante pas géométriques, mais en zone urbaine.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur . - Je vous remercie pour cette présentation intéressante.

Vous avez évoqué un budget de 54 millions d'euros dont 17 millions d'euros proviennent des régions, des départements ou de cofinanceurs comme l'Agence de l'eau ou les fonds européens. Ces partenaires vous apportent un complément substantiel, égal au tiers de vos recettes. Comment priorisez-vous vos interventions sur l'outre-mer ? Sont-elles dépendantes de ces cofinancements des régions ou des départements qui ont les moyens de vous suivre ? Sur quels critères établissez-vous vos interventions et comment peuvent-ils garantir une équité sur l'ensemble du territoire ?

J'ai compris que vous n'écrêtiez pas ce budget, ce qui veut dire que vous pouvez avoir une orientation spécifique sur un projet dans un département donné en mobilisant une masse financière importante. Comment établissez-vous cette planification et comment effectuez-vous des arbitrages budgétaires ?

Mme Odile Gauthier. - De façon globale, la programmation que l'on fait est en fonction notamment des prévisions de réalisations, tant dans le domaine foncier qu'en matière d'aménagements.

Il y a une différence essentielle dans le domaine foncier, c'est qu'il est extrêmement difficile de prévoir des opérations foncières, sauf si ce sont des déclarations d'utilité publique (DUP).

Par contre, pour tout ce qui concerne les zones de préemption, nous avons en moyenne tous les ans x centaines d'hectares qui vont s'inscrire dans tel ou tel département. Nous faisons en sorte d'avoir un financement qui différencie les opérations dites « courantes » des opérations plus stratégiques. Ces opérations pourront être, une année, un dossier qui se débloque en Aquitaine, une autre année, à Mayotte ou dans le Gard. Il n'y a pas de stratégie à court terme consistant à dire : « Je mets telle masse financière à tel endroit. »

Dans la stratégie en matière d'intervention foncière, le Conservatoire se donne un objectif en termes d'acquisitions qui, évidemment, dépend de la situation dans laquelle il se trouve. Un certain nombre de régions en France ont déjà fait l'objet de nombreuses acquisitions - je pense aux régions du Nord, de la Picardie ou de la Corse, où nous avons déjà 25 % du linéaire côtier - et pour celles-ci le nombre d'hectares restant à acquérir n'est pas très considérable. Par contre, il y a d'autres régions, en métropole ou en outre-mer, où un effort particulier devra être réalisé dans les dix ou vingt ans à venir. Elles se retrouveront dans une programmation à trois ou cinq ans. Pour l'outre-mer notamment, des surfaces significatives du domaine de l'État nous ont été affectées et nous devrons faire un effort particulier pour acquérir des terrains privés.

Pour ce qui concerne l'influence des cofinancements dans les décisions, en dehors des opérations vraiment exceptionnelles - c'est-à-dire de plus de cinq cent mille ou un million d'euros - le Conservatoire ne subordonne pas les acquisitions à l'existence de cofinancements. Ainsi, une très grosse opération à six millions d'euros a eu lieu en 2013 en Aquitaine. Nous aurions souhaité avoir un cofinancement à hauteur de 50 %. Nous ne l'avons pas obtenu mais nous avons malgré tout réalisé l'acquisition. Cela étant, dans quasiment toutes les régions de métropole, des conventions passées avec elles précisent qu'elles nous financent les grosses opérations.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Vous nous avez indiqué que le Conservatoire protège 42 000 hectares en outre-mer. Comment cette gestion se fait-elle ?

Mme Odile Gauthier. - Elle se fait avec les gestionnaires. C'est le principe de la loi de 1975. Les questions sont les mêmes, en métropole ou en outre-mer. Elles portent sur les moyens que les collectivités peuvent mettre en place pour la gestion des espaces du Conservatoire. Ce qui est important, c'est que pour tout ce qui concerne l'aménagement, la programmation se fait sur plusieurs années et tient compte des cofinancements. Le fait qu'il n'y ait pas forcément de financement des collectivités d'outre-mer est largement compensé par l'abondance des fonds européens. Le cofinancement des opérations d'aménagement fonctionne de façon plus régulière que sur les acquisitions car même les grandes collectivités peuvent avoir des difficultés à mobiliser les fonds nécessaires pour les grosses opérations.

M. Alain Brondeau. - Les aides extérieures que l'on peut obtenir sur les acquisitions foncières outre-mer proviennent essentiellement de l'office de l'eau de Martinique. Dans les autres collectivités, le Conservatoire achète sans cofinancements avec elles, alors que, par ailleurs, il est très aidé sur les aménagements. Aujourd'hui, le principal facteur limitant l'intervention du Conservatoire en matière d'acquisitions en outre-mer tient moins au manque de cofinancement qu'au manque de moyens humains pour réaliser la prospection et la négociation. Cela a été dit précédemment, le Conservatoire mobilise en outre-mer une vingtaine de personnes. Le tiers des effectifs est consacré au foncier, tandis que les autres personnes s'occupent de l'aménagement ou de la gestion. Cela fait peu de monde pour aller rencontrer les propriétaires, négocier ou mettre en place des zones de préemption, voire des expropriations.

Les priorités qui peuvent nous amener à intervenir à plus court terme que l'horizon 2050 sont établies selon deux critères : ce sont soit un risque bien identifié d'artificialisation, d'urbanisation ou de mitage qui peuvent nous inciter à intervenir assez vite, y compris en préemption voire en expropriation, soit un projet particulier d'aménagement, d'accueil du public qui nécessite une maîtrise foncière. C'est le cas de la baie de l'embouchure à Saint-Martin et des Salines en Martinique. Les enjeux en matière d'accueil du public étaient extrêmement forts et nous ont poussés à utiliser des procédures d'expropriation pour ne pas attendre une opportunité qui aurait pu prendre des dizaines d'années.

Mme Odile Gauthier. - Comme nous vous l'avons précisé précédemment, nous avons peu de zones de préemption en outre-mer. Il nous faudra donc accélérer sur ce point pour améliorer l'acquisition foncière.

M. Michel Magras, président. - Outre-mer, à une époque, l'arrivée du Conservatoire du littoral était un peu perçue comme celle d'un usurpateur venant s'approprier les biens que nous utilisions tous pour les redonner à l'État. Pour nous, ultramarins, tous les biens acquis doivent être restitués aux collectivités qui le souhaitent. Bien évidemment, je ne parle pas des biens de l'État. Il faut que les personnes sachent que les biens acquis et qui deviennent ceux du Conservatoire resteront accessibles au public, librement et de façon permanente, que les activités qu'ils mènent pourront être continuées s'il s'agit d'une activité agricole et que personne ne viendra, à terme, les priver de leurs biens.

Les départements ont un droit de préemption qui leur est propre sur les espaces naturels sensibles. Concrètement, est-ce qu'ils exercent leurs droits propres ou est-ce qu'ils vous les confient facilement par convention ? Si tel est le cas, pourriez-vous nous apporter des précisions ?

Vous avez évoqué les aides européennes. Pourriez-vous nous préciser si c'est le Conservatoire qui est éligible et récupère une part de fonds européens ou les aides sont-elles prélevées sur les enveloppes affectées à chacun des territoires ? Je me fais l'avocat du diable pour que nous puissions détenir une réponse officielle.

Mme Odile Gauthier. - Le législateur a prévu que la gestion par les collectivités était une condition sine qua non de l'acquisition. Pour autant, il est difficile de considérer que cette gestion est attribuée ad vitam æternam à la collectivité. La gestion n'est pas inaliénable au sens juridique du terme. Il arrive, très rarement - nous avons quelques cas -, que les objectifs définis en commun dans la convention de gestion ne soient pas respectés par la collectivité. En général, la convention est conclue pour une durée de six ans et reconductible. Si les choses se passent très mal, par exemple si une collectivité veut installer n'importe quoi sur le territoire, nous devons pouvoir réagir. La convention fixe les objectifs de gestion. C'est une convention de gestion que nous appliquons ensemble. S'il n'y a pas de difficulté, il n'y a aucune raison de changer de dispositif.

M. Michel Magras, président. - Comprenez notre sensibilité d'ultramarins. Si le Conservatoire intervient en précisant que, si les contrats sont respectés, les collectivités conserveront définitivement la gestion des territoires, il sera bien accueilli et j'adhère à cette politique. Par contre, s'il annonce qu'une convention peut être dénoncée à tout moment, il lui sera difficile d'acheter un centimètre carré de terrain dans les collectivités d'outre-mer.

Mme Odile Gauthier. - L'ONF est en général présent avant le Conservatoire. Il est composé de personnes compétentes qui assurent la police des lieux, ce qui n'est pas forcément la première appétence des collectivités. Quand l'ONF intervient, il y a un accord définissant ce qu'il fait et ce que fait la commune.

En ce qui concerne les financements européens, je précise que ce sont les opérations qui sont éligibles, ce n'est pas la structure. Les conditions d'éligibilité sont identiques qu'il s'agisse d'une opération sur un site du Conservatoire et portée par lui ou d'une opération réalisée dans le cadre de l'article L.322-10 du code de l'environnement qui prévoit une maîtrise d'ouvrage assurée par la collectivité gestionnaire en lieu et place du Conservatoire mais en accord avec lui. Le département récupère même dans ce cas la taxe sur la valeur ajoutée, ce qui n'est pas notre cas.

M. Michel Magras, président. - Sur quelle enveloppe est prélevée l'aide européenne ?

M. Alain Brondeau. - Il n'y a pas d'enveloppe européenne consacrée au Conservatoire pour réaliser des aménagements. Elle fait partie des programmes opérationnels de chaque collectivité. Nous sommes un des maîtres d'ouvrage possibles - pas le seul - pour mettre en oeuvre des programmes d'action.

La question des conventions de gestion est un point important. À ce jour, nous n'avons dénoncé qu'une seule convention de gestion, à Miquelon, à la demande du gestionnaire qui n'avait plus les moyens de maintenir les effectifs et la garde. Nous ne demandions qu'à poursuivre cette convention.

En ce qui concerne les zones de préemption outre-mer, le conseil général de La Réunion s'était engagé dans une politique d'espaces naturels sensibles. Il avait mis en place des zones de préemption, pas forcément sur le littoral. Depuis quelque temps, il a mis de côté cette politique foncière. Sur l'outre-mer, nous n'avons que deux zones de préemption : une en Guyane, sur le secteur de Remire-Montjoly, par le conseil général avec une délégation au Conservatoire du littoral, et une zone propre de préemption du Conservatoire - puisque la loi le permet -, mise en place en avril 2014 sur le site de La Caravelle en Martinique, sur la commune de La Trinité. Nous avons l'intention de mettre en place d'autres zones de préemption en accord avec les conseils généraux.

M. Michel Magras, président. - S'il s'agit d'un espace naturel sensible, le conseil général est-il prioritaire ?

M. Alain Brondeau. - Tout à fait. C'est lui qui peut décider de déléguer la préemption. Dans le cadre de la révision de notre stratégie foncière, nous nous sommes posé la question de ce que souhaitaient acquérir ou réaliser les collectivités en matière d'espaces naturels pour nous inscrire en complémentarité. Mais aujourd'hui, les conseils généraux en outre-mer n'ont pas - ou plus - de politique foncière en matière d'espaces naturels. Même La Réunion, qui avait mené cette politique pendant une quinzaine d'années, l'a mise de côté. Saint-Barthélemy est un peu à part. À Saint-Pierre-et-Miquelon, le foncier est très maîtrisé par la collectivité territoriale.

M. Michel Magras, président. - C'est un choix délibéré de notre collectivité.

Mme Odile Gauthier. - En métropole, dans le passé, les conseils généraux ont été nombreux à mettre en place des politiques d'espaces naturels sensibles. Dans ce cadre, deux cas de figures peuvent se présenter :

- nous nous organisons avec le conseil général et convenons ensemble qu'il assure la politique rétro-littorale et nous la politique littorale ;

- nous définissons ensemble les zones que le conseil général achète en faisant appel à son droit de préemption, et celles qu'il n'achète pas, voire nous rétrocède, en s'en remettant à nous. Globalement, nous souhaitons avoir une politique partagée avec les conseils généraux. Mais s'ils ne le souhaitent pas ou ne veulent pas avoir cette politique, nous réalisons nous-mêmes des zones de préemption.

M. Michel Magras, président . - C'est le message que nous avons toujours voulu faire passer en outre-mer. Lorsque le Conservatoire du littoral acquiert, son objectif est d'aménager. Lorsqu'il a aménagé, son objectif est de restituer. Son statut prévoit qu'il ne gère pas et c'est à ce moment-là que les collectivités ou les associations locales reprennent en main la gestion d'un bien dont elles n'ont pas la propriété mais qui a été aménagé et qui leur est confié pour longtemps.

M. Gilbert Roger . - Existe-t-il une politique de création d'agences de développement foncier régionales ou départementales ? Quel avantage y a-t-il à travailler avec elles sur ces espaces que l'on considère comme à préserver ou sensibles ? S'il n'y a pas d'agences, est-ce que c'est parce que les élus ne l'ont pas voulu ou n'y ont pas trouvé d'avantages ?

Mme Odile Gauthier. - Le Conservatoire entretient d'étroites relations avec les SAFER pour tout ce qui concerne la propriété foncière agricole. Comme les SAFER sont en général très étroitement associées aux zones de préemption, nous avons de nombreuses conventions avec elles. Nous faisons appel à elles pour, notamment, nous aider à mobiliser du foncier là où il y a de la déprise agricole. De facto , les établissements fonciers avec lesquels nous travaillons le plus sont les SAFER.

Il y a ensuite les nouveaux établissements publics fonciers (EPF) qui ont pour vocation principale de développer du logement social mais qui ont aussi, parfois, la mission de développer des actions portant sur l'environnement. Récemment, nous avons signé avec l'établissement public foncier de Bretagne une convention sur l'identification des biens sans maître.

Je crois toutefois qu'il y a certains endroits outre-mer où il serait utile de pouvoir s'appuyer un peu plus sur les établissements fonciers, mais il n'y en a pas toujours.

M. Alain Brondeau. - Naturellement nous sommes plutôt associés aux SAFER, présents sur les espaces naturels ou agricoles qu'avec les EPF plutôt actifs en zones urbaines, sur des zones à vocation d'aménagement, pour créer du logement ou d'autres activités. Ils interviennent sur le foncier, mais en dehors des objectifs d'intervention foncière du Conservatoire.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Grâce à vos interventions, nous avons mieux compris le fonctionnement du Conservatoire du littoral.

Quelles seraient les pistes de progrès que vous nous conseilleriez dans le domaine des interventions en outre-mer ?

M. Alain Brondeau. - Parmi les pistes de progrès, il y a le travail avec les collectivités, et en particulier les grandes collectivités, en matière d'aménagement.

Nous travaillons beaucoup avec les communes au moment de l'acquisition foncière puis pour la gestion, mais les conseils régionaux et généraux ou les collectivités territoriales ne sont pas encore assez associés aux choix que nous faisons en matière d'aménagement. Nous en parlons bien évidemment lors des conseils de rivages mais, au quotidien, il faudrait peut-être envisager une sorte de conventionnement sur les choix d'aménagement, les programmes d'actions, d'investissements, des sites du Conservatoire. Le foncier est notre coeur de métier mais, sur l'aménagement, la responsabilité devrait être plus partagée entre le Conservatoire et les collectivités d'outre-mer.

En matière de gestion, la situation est assez hétérogène. Elle va de l'échelle communale à l'échelle du conseil général. Nous croyons beaucoup à l'intercommunalité qui nous semble un échelon pertinent. Nous avons un exemple de réussite avec la communauté d'agglomérations de l'Espace Sud Martinique. Nous souhaiterions qu'elle fasse tache d'huile dans d'autres collectivités.

Mme Odile Gauthier. - Nous ne savons pas ce que sera l'avenir mais il me semble qu'il faudrait arriver à convaincre les conseils généraux de mobiliser la taxe d'aménagement, avec son ancienne part au titre de la taxe départementale des espaces naturels et sensibles (TDENS) pour aider les collectivités, et notamment les intercommunalités, à la gestion. Globalement, en métropole, les conseils généraux ou les syndicats mixtes gèrent en direct. En général, cela marche très bien mais, selon le territoire, cela peut ne pas être l'échelle adaptée. Lorsque les conseils généraux ne souhaitent pas s'impliquer dans ce genre de mission, il est important de pouvoir continuer à mobiliser ces moyens qui permettent d'aider une communauté de communes à financer, par exemple, un garde du littoral ou des dépenses récurrentes.

Globalement, le Conservatoire et les grandes collectivités, avec l'appui des crédits européens, font face aux dépenses courantes d'aménagement. Il nous faut veiller à maintenir une gestion pérenne, avec la mise en place d'agents dans les territoires, assurée grâce à la TDENS.

M. Michel Magras, président. - Vous avez évoqué les difficultés liées à la DUP. Il me semblait que, compte tenu de son savoir-faire, il était plus facile au Conservatoire du littoral qu'à une collectivité de faire aboutir cette procédure.

Pour nous, ultramarins, la donnée à ne jamais perdre du vue dans notre relation avec le Conservatoire du littoral est qu'elle commence toujours par une délibération de la collectivité concernée. Tant que politiquement la collectivité concernée n'a pas donné son aval pour aller dans une direction, nul ne peut s'y engager. Une collectivité délibère si elle a la certitude que le bien acquis aménagé reviendra dans le patrimoine public.

Mme Odile Gauthier. - Si vous le permettez, je dirais que la DUP est une arme lourde. Nous ne souhaitons pas, par principe, recourir à la DUP. Nous préférons passer par les zones de préemption qui permettent des acquisitions au fur et à mesure des mouvements fonciers. Nous n'obligeons pas les gens à vendre leurs parcelles. Parfois, pour réaliser certains aménagements ou ouvrir au public des espaces qui sont devenus privés, nous sommes obligés de passer par la DUP. Nous n'y avons recours qu'avec l'accord des collectivités. Je suis d'accord avec vous. C'est peut-être plus facile politiquement pour le Conservatoire que pour la collectivité.

Ce que vous dites sur la création des périmètres d'intervention est ressenti de la même façon en métropole qu'en outre-mer, avec peut-être une sensibilité accrue outre-mer. Si on ne convainc pas collectivement les élus - pas seulement le maire, mais aussi le conseil municipal et donc les habitants - qu'effectivement il y aura une plus-value, alors ça ne marche pas.

M. Michel Magras, président . - Madame la directrice, monsieur le délégué outre-mer, il me reste, au nom de tous mes collègues, à vous remercier pour la qualité de vos interventions. Tous les documents que vous voudrez bien nous transmettre seront les bienvenus. Nous serons peut-être amenés à nous revoir avant la fin du rapport pour avoir des compléments d'information.

Audition de Mme Nathalie Morin, responsable du service France Domaine

M. Michel Magras , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions sur la situation du foncier en outre-mer avec France Domaine, qui va nous présenter la politique domaniale spécifique que l'État poursuit dans les collectivités ultramarines.

Mme Nathalie Morin, responsable du service France Domaine. - Je vous remercie de cette invitation à présenter les problématiques domaniales outre-mer. France Domaine, service de la direction générale des finances publiques, a été créé en 2006 au moment où s'est mise en place une nouvelle politique immobilière de l'État, plus dynamique. Il assure des missions très diversifiées. La représentation de l'État propriétaire et la mise en oeuvre de la politique immobilière de l'État ont monopolisé une grande partie de son activité, en particulier en métropole, d'autres problématiques étant prioritaires en outre-mer. France Domaine assure également la gestion domaniale qui comprend l'évaluation des biens de l'État ou des collectivités territoriales, le calcul des redevances pour occupation temporaire du domaine, le suivi des procédures et la rédaction des actes de cession et d'acquisition, ainsi que de prise à bail.

Le terme de gestion peut prêter à ambiguïté. La délivrance des titres d'occupation incombe au gestionnaire du bien, c'est-à-dire l'occupant, et non à France Domaine. Par exemple, en Guyane, la gestion, y compris administrative, de cette partie du domaine privé de l'État que sont les forêts incombe à l'ONF. De la même façon, la gestion de la zone des cinquante pas géométriques incombe, selon les cas, soit au Conservatoire du littoral, soit encore aux services déconcentrés compétents, de fait les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).

Une autre activité importante de France Domaine réside dans l'élaboration de la législation domaniale et le suivi du contentieux. Le bureau de la réglementation domaniale est très occupé par l'outre-mer, qui représente jusqu'à 40 % de son activité. France Domaine assure également la tenue de l'inventaire physique et comptable des propriétés de l'État qui sert à alimenter le bilan de l'État. Sur nomination du juge judiciaire, il gère les successions vacantes. Enfin, il assure la cession des biens mobiliers dont l'État n'a plus l'utilité. Cette palette d'activités est, ainsi que vous pouvez le constater, très large et ne présente pas beaucoup de synergies entre elles.

Notre organisation suit un modèle classique pour une direction à réseau. Un service central, au sein de la direction générale des finances publiques, qui vient de se réorganiser, rassemble soixante-quinze personnes. Il existe des services locaux du domaine dans toutes les directions départementales des finances publiques, ainsi que des responsables de la politique immobilière de l'État aux niveaux départemental et régional. Nous avons également un service à compétence nationale, la direction nationale d'intervention domaniale, qui est spécialisée dans les évaluations complexes et atypiques, mais qui gère également un pôle de soutien au réseau en matière de gestion des patrimoines privés, c'est-à-dire des successions en déshérence. Cette direction est également compétente pour piloter la totalité de l'activité de vente de valeurs mobilières. Enfin, il existe un comptable spécialisé du domaine qui tient le compte d'affectation spéciale et le compte de commerce dédiés.

L'organisation outre-mer décalque celle de la métropole. 48 équivalents-temps-plein y sont consacrés. Dans un contexte de forte réduction des effectifs, la ressource humaine pour les outre-mer reste stable depuis trois ans et même connaît une légère augmentation. Cela répond à une logique de sanctuarisation de la gestion outre-mer. Il convient de souligner que ce sont les directions régionales des finances publiques qui ont la maîtrise de la répartition des effectifs. Ce sont donc eux qui, au vu des enjeux liés à la gestion du domaine outre-mer, ont le choix de ne pas faire porter les suppressions de postes sur les services qui y sont affectés.

Les outre-mer offrent un contexte radicalement différent de la métropole pour l'exercice des mêmes missions avec une organisation analogue. Premièrement, le foncier y est atypique par rapport à ce que l'on connaît en métropole. D'une part, il peut être très étendu. C'est le cas de la forêt du domaine privé en Guyane, par exemple. D'autre part, il présente des caractéristiques naturelles qui en compliquent la valorisation. En particulier, le foncier outre-mer est fortement exposé aux risques naturels, notamment les bandes littorales exposées à des risques de submersion et d'inondation. En Guyane, en particulier, il faut aussi tenir compte de la géotechnique et de la faible portance des sols. Le foncier présente outre-mer un fort besoin de viabilisation et d'aménagement. Deuxièmement, il ne peut être fait abstraction de l'histoire qui a produit un certain nombre de régimes juridiques très particuliers, comme celui de la zone des cinquante pas géométriques et celui des biens départemento-domaniaux. Troisièmement, le foncier outre-mer est mal identifié. La documentation cadastrale et foncière est récente et fragmentaire. Par conséquent, les titres sont fragiles et les fichiers immobiliers incomplets. Cela complique beaucoup l'action des services locaux du domaine.

Autour du foncier d'État gravitent des enjeux sociaux et politiques qu'on ne retrouve pas en métropole et qui peuvent placer les services outre-mer dans une relation inédite avec les collectivités territoriales et les particuliers. Ainsi, la problématique lancinante de régularisation des occupants sans titre dans la zone des cinquante pas géométriques se heurte-t-elle à de nombreuses difficultés. On ne peut ignorer la portée symbolique du problème, ni la situation économique des occupants qui ne sont pas forcément capables de racheter les biens, puis de s'acquitter des taxes foncières. À Mayotte, se posent également des problèmes d'état civil. Partout, les services constatent les difficultés qu'éprouvent les occupants à apporter les justificatifs nécessaires à l'appui de leurs dossiers. Enfin, dans les zones de risque naturel, les régularisations sont impossibles, ce qui exacerbe les tensions.

Par ailleurs, la pression démographique et les besoins croissants en logements et en développement d'activités économiques aiguisent les demandes de dévolution du foncier. Les services déconcentrés doivent donc répondre à des attentes fortes, tant des collectivités territoriales que des particuliers. Certains sujets ne contribuent pas forcément à la sérénité des relations. Je pense aux biens départemento-domaniaux qui font l'objet parfois de revendications de propriété ou de demandes de paiement par l'État d'indemnité d'occupation. En Guyane, s'expriment également des revendications d'acquittement par l'État de la taxe foncière. Il peut aussi y avoir des désaccords sur la valeur du foncier, lorsqu'on se place hors des dispositifs de cession à titre gracieux. Ainsi, à La Réunion, le déclassement de parties urbanisées de la zone des cinquante pas dans le domaine privé pose problème car les prix des terrains ne sont pas compatibles avec les capacités financières des collectivités. Cela crée des tensions.

Quant aux particuliers, en dehors des dispositifs spéciaux prévus par le code général de la propriété des personnes publiques, les services reçoivent une grande quantité de demandes spontanées d'acquisition onéreuse de foncier d'État. Peu d'entre elles aboutissent, pour des raisons qui ne sont objectivement pas imputables aux services locaux du domaine. L'une de ces raisons est que les services du domaine ne veulent pas consentir la cession, sans disposer, au préalable, d'un avis favorable de la collectivité territoriale sur laquelle se trouve le bien. Cette approche est tout à fait logique et indispensable, puisque ce sont les collectivités qui maîtrisent les documents d'urbanisme et qu'elles disposent d'un droit de préemption qu'il faut leur laisser le temps d'utiliser. Ce sont aussi les collectivités qui connaissent le mieux le terrain, qui savent s'il y a occupation illégale ou incompatibilité avec l'activité du demandeur en fonction de la topographie des lieux. Mais les collectivités sont dans le même temps en train de réfléchir à leur politique d'aménagement, de la traduire dans des documents d'urbanisme, qui ne sont pas toujours complètement prêts, et de constituer des réserves foncières. Les calendriers ne peuvent donc pas complètement correspondre, ce qui aboutit à un embouteillage dans le service local du domaine qui sert de guichet et, par conséquent, à des tensions. Les événements de l'année 2000 en Guyane ont très fortement marqués les esprits.

Les services locaux du domaine sont donc placés tant vis-à-vis des collectivités que des particuliers dans une relation inédite. Il faut en plus compter avec la volumétrie d'actes en cession et en occupation qui est beaucoup plus forte en outre-mer qu'en métropole. Toutes ces demandes sont difficiles à satisfaire pour des raisons exogènes à la compétence de France Domaine.

Une multiplicité d'acteurs intervient dans le traitement des dossiers fonciers, bien que France Domaine soit le plus visible parce que c'est lui qui délivre in fine les titres de cession ou d'occupation. Parmi ces acteurs de l'État, outre le préfet, il faut mentionner les DREAL et les directeurs régionaux de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt (DRAAF). Leur rôle est essentiel dans l'instruction des dossiers. Ce sont bien les services gestionnaires occupants qui procèdent au déclassement les parcelles du domaine public. Interviennent également des opérateurs fonciers locaux et nationaux. Toute coordination entre de nombreux acteurs apporte son lot de difficultés. La concertation avec les collectivités territoriales est indispensable par définition, mais elle est un peu plus compliquée à cause de l'importance des enjeux d'aménagement outre-mer. Les processus sont plus longs en raison de l'intervention de tous ces acteurs et du besoin de chacun d'entre eux de stabiliser sa position et ses projets.

Autre particularité, il existe de très nombreux dispositifs législatifs destinés à faciliter la cession du foncier du domaine. Certains visent les particuliers, d'autres les collectivités, d'autres encore des professionnels en fonction de leur activité. Il existe des dispositifs pour favoriser la mise en valeur agricole, le logement social ou les équipements publics. Il y a des dispositifs à titre gratuit, avec décote, ou à titre onéreux. Ces dispositifs sont évidemment nécessaires et servent des objectifs compréhensibles, mais comme souvent dans le monde de l'administration, le mieux est l'ennemi du bien. Le succès parfois un peu inégal de ces dispositifs peut s'expliquer par leur complexité. En recevant vos questions, j'ai pris conscience du très grand nombre de mesures existantes et j'avoue que je ne les maîtrise pas. Cette complexité se traduit par des difficultés d'appropriation, y compris par les services eux-mêmes. Nombre de bénéficiaires potentiels ne sont pas conscients de leur existence ou n'en comprennent pas toute la subtilité et toutes les conditions. Le directeur régional des finances publiques de la Guyane regrettait de ne pas même pouvoir parvenir à réorienter vers le dispositif adéquat les demandes de cession onéreuse qu'il recevait, faute de pouvoir bien cerner la situation des demandeurs qui présentent des dossiers souvent incomplets. Nous rencontrons de grandes difficultés à promouvoir ces dispositifs. La situation est à peine plus simple pour les dispositifs dont les collectivités territoriales sont bénéficiaires. Par exemple, coexistent deux dispositifs outre-mer en faveur du logement social, la décote outre-mer, d'une part, la loi « Duflot » du 18 janvier 2013, d'autre part. Les conditions d'éligibilité sont un peu différentes, de même que les modalités de calcul. Toute cette complexité pèse sur des équipes qui ne sont pas pléthoriques.

Les bénéficiaires rencontrent beaucoup de difficultés pratiques à rassembler les justificatifs et à constituer les dossiers. Le processus est long et composé de multiples étapes (constitution du dossier, passage devant différentes commissions, proposition, acceptation), ce qui peut être un facteur de découragement. L'empilement des dispositifs renvoie une image brouillée des priorités de l'État et complique l'action des services pour répondre à un dossier qui leur est déposé. Les services qui reçoivent une demande de cession onéreuse doivent, en effet, vérifier que cette demande ne se superpose pas à d'autres demandes émanant d'autres bénéficiaires, sur le fondement de tel ou tel dispositif spécifique, qu'il s'agisse de collectivités ou de personnes privées.

En conclusion, ces sujets mobilisent beaucoup les directions régionales et départementales, qui font souvent part de leur frustration, car elles ont le sentiment que leur mission excède les compétences qui leur sont dévolues. C'est pourquoi nous disposons d'une cellule en centrale pour répondre aux questions du réseau déconcentré. Nous organisons également une journée d'études le 4 février spécialement dédiée aux problématiques ultramarines. Enfin, dans l'expérimentation des nouveaux outils stratégiques de la politique immobilière de l'État, les schémas directeurs immobiliers régionaux, nous n'oublions pas l'outre-mer. Ainsi la circulaire du Premier ministre du 16 décembre 2014 a-t-elle lancée une expérimentation dans cinq régions, dont une outre-mer, La Réunion. Nous souhaitons ainsi montrer que l'intégralité des départements sont traités de la même façon, même si les problématiques sont plus complexes dans certains que dans d'autres.

M. Michel Magras , président . - Je vous remercie de vos propos qui nous aident à appréhender toute la complexité du système dans la perspective de rechercher les voies de son amélioration. Je cède la parole aux rapporteurs.

M. Georges Patient , co-rapporteur. - En ma qualité de sénateur de Guyane, j'ai beaucoup à dire. La question foncière en Guyane repose sur une situation unique et inique : dans ce pays de 83 500 km², l'État, pour des raisons historiques, dispose de la quasi-totalité des terres, 90 %, alors que les collectivités n'en possèdent que 0,2 % et les personnes privées un peu moins de 10 %. Cette situation est consacrée par l'article D. 33 du code du domaine de l'État, qui dispose que « les terres vacantes et sans maître du département de la Guyane, ainsi que celles qui n'ont pas été reconnues comme étant propriétés privées individuelles ou collectives en vertu des dispositions du décret n° 46-80 du 16 janvier 1946 font partie du domaine de l'État. » Une disposition qui remonte à la période coloniale, un décret de 1898, qui rend l'État propriétaire de tous les biens domaniaux de la colonie.

Une disposition qui sera maintenue après la départementalisation. En effet, au lendemain de la départementalisation, la nouvelle collectivité départementale, successeur de la colonie, aurait dû hériter, en principe, des biens de cette dernière, mais le décret du 6 mars 1947 suspend son droit de propriété sur tous les biens qui sont alors affectés à l'État. Pour les communes, aucun patrimoine foncier ne leur est attribué lors de leur création. Même les terrains d'implantation de leurs bourgs ne leur appartiennent pas et relèvent de la propriété étatique.

Comment expliquer cette confiscation « coloniale » du sol guyanais par l'État en dépit de la départementalisation et des lois de décentralisation ?

En dépit de quelques modifications apportées au code du domaine, l'État reste toujours propriétaire de la quasi-totalité du foncier rural et de nombreux terrains dans ou en limite des agglomérations : le problème foncier demeure en tout cas un facteur de tensions graves entre l'État, les collectivités locales, le monde agricole et la population. Ne doit-il pas être traité de façon définitive au plus vite d'autant plus que ce dossier représenterait incontestablement, dans l'ordre symbolique et social, une avancée considérable aux yeux des Guyanais ?

Cette situation a une autre conséquence très négative sur les ressources fiscales des collectivités de Guyane en raison d'une disposition de l'article 333 J du code général des impôts qui précise : « Dans le département de la Guyane, les travaux d'évaluation ne sont pas effectués pour les propriétés domaniales qui ne sont ni concédées, ni exploitées. » Cet article a pour conséquence d'éviter toute évaluation foncière et, donc, toute fiscalisation des propriétés domaniales non concédées et non exploitées, c'est-à-dire la quasi-totalité du territoire guyanais. Ce choix a été motivé par le fait que le territoire guyanais est couvert de forêts domaniales improductives de revenus et qui, de ce fait, ne rentraient pas dans le champ de l'application de l'impôt. Non seulement on aboutit à une remise en cause « discriminatoire » par rapport à un principe fiscal appliqué sur tout le reste du territoire, mais cette propriété de l'État est en réalité exploitée par des orpailleurs, par des crédits carbone attribués à la France. Elle est également concédée à l'ONF qui tire des produits de son exploitation (coupes de forêts, redevances), en 2013, plus de trois millions d'euros, mais pourtant l'État n'acquitte pas la taxe sur le foncier bâti.

Quand l'État acceptera-t-il de payer aux collectivités de Guyane et à la chambre d'agriculture la taxe foncière non bâtie sur ce patrimoine qu'il tient à conserver malgré sa marque coloniale ?

Dernière question : les services de France Domaine, qui gèrent le domaine privé de l'État, doivent instaurer de nombreuses demandes de foncier et ne disposent pas des moyens adéquats pour y faire face. Actuellement, les services de France Domaine doivent, chaque jour, accueillir vingt personnes en moyenne et répondre à plus de trois cents appels téléphoniques. Pour cela, France Domaine ne dispose que d'un effectif de dix personnes... À ce jour, plus de cinq cents dossiers sont en attente de traitement...

Quelles mesures comptez-vous mettre en oeuvre pour permettre au service local de France Domaine de disposer des ressources indispensables à l'accomplissement de ses missions de service public attendues par les Guyanais ?

Mme Nathalie Morin. - J'aurais beaucoup de mal à répondre à ces questions politiques qui relèvent du législateur. En ma qualité de fonctionnaire, je ne saurais prendre position sur ces questions que je relayerai au cabinet du ministre. Je connais le constat et l'état de fait que vous décrivez, sans reprendre vos qualifications, mais je n'ai pas l'autorité pour vous répondre.

S'agissant des moyens des services locaux du domaine, il est certain que le directeur régional des finances publiques ne se plaindrait pas de disposer d'un peu plus d'effectifs. Toutefois, je pense que leur augmentation ne suffirait pas à résoudre l'engorgement que nous connaissons. Même en doublant les effectifs de France Domaine, nous ne parviendrions pas à résoudre cette question. Ce sont, en effet, les demandes de cession à titre onéreux qui bloquent. Ce n'est pas le manque d'effectifs qui est la cause essentielle de l'embouteillage, mais l'attente de l'avis formel des collectivités territoriales en la matière. Ma remarque ne doit pas s'entendre comme une stigmatisation de quiconque, ni comme un moyen de rejeter notre responsabilité sur un tiers. Il est compréhensible que les collectivités aient besoin de temps et de réflexion pour élaborer leurs documents d'urbanisme, préparer la constitution de réserves foncières et réaliser des aménagements. Néanmoins, c'est bien là un facteur substantiel de ralentissement du traitement des demandes. Les autres facteurs, comme je l'évoquais, sont les lacunes constatées dans la constitution des dossiers reçus et le mauvais état du cadastre. Les moyens ne sont pas au coeur du sujet.

M. Georges Patient , co-rapporteur. - Je suis également maire d'une commune et, pour avoir adressé des demandes à France Domaine, je crois que les ralentissements viennent en grande partie d'un problème d'effectifs au niveau de la direction des finances publiques.

M. Michel Magras , président. - Notre collègue vous a posé des questions d'ordre certes politique, mais elles touchent directement aux raisons qui motivent notre travail. Je comprends bien évidemment les réserves qu'impose votre fonction.

Nous avons beaucoup évoqué les difficultés que vous rencontrez en Guyane. Qu'en est-il dans les autres collectivités ultramarines ? Pouvez-vous préciser davantage les relations que vous entretenez avec les collectivités territoriales ? Quelle est la proportion de satisfaction des demandes des particuliers ? Dans quels territoires ultramarins pensez-vous travailler à un niveau d'efficacité proche de celui de la métropole ? Si les moyens ne constituent pas le facteur déterminant, quelles seraient vos propositions d'amélioration ?

Mme Nathalie Morin. - La situation est à peu près comparable dans les cinq départements d'outre-mer, même s'il est vrai qu'elle est sans doute la plus difficile en Guyane et à Mayotte. Dans ce dernier territoire, se cumulent les difficultés de traçabilité des titres, d'identification des personnes et d'insuffisance du cadastre. La gestion de la zone des cinquante pas géométriques, en l'absence d'agence dédiée, y est rendue d'autant plus difficile. En Guadeloupe, le contexte me paraît moins tendu. L'agence des cinquante pas géométriques y a été plutôt efficace, même si le taux maximal de régularisations est loin d'avoir été atteint. Le processus fonctionne assez bien et un bon quart des régularisations potentielles ont été réalisées. C'est un peu plus compliqué en Martinique, où l'agence a été moins efficace. À La Réunion, la configuration particulière de la côte n'a pas conduit à l'installation de personnes. La problématique y est donc un peu différente. Les collectivités territoriales de La Réunion souhaitent acquérir des terrains dans la part urbanisée de la zone des cinquante pas géométriques pour y implanter des zones d'activité économique. Le désaccord avec l'État porte sur le prix de cession du foncier. L'exercice de la fonction domaniale outre-mer est globalement très compliqué et expose beaucoup les services locaux du domaine.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Je vous remercie de vos observations qui rendent assez bien compte de la situation que nous connaissons. Néanmoins, à Mayotte, les difficultés ne sont pas essentiellement liées à l'état civil. Il y a d'autres facteurs de blocage. L'enjeu principal réside dans la clarification des limites entre les propriétés de l'État et les autres propriétés. La superposition de deux régimes de propriété, le régime coutumier et le régime de droit commun, exacerbe les difficultés. Tout cela contribue au blocage du mouvement de régularisation foncière. Ne serait-il pas temps de trouver un outil adéquat pour Mayotte sur le modèle des agences des cinquante pas géométriques aux Antilles ?

Mme Nathalie Morin. - Je ne sais pas ce qu'il faut penser des agences des cinquante pas géométriques. Leur devenir n'est pas encore tranché à ce stade. Faut-il encore prolonger leur existence au-delà du 31 décembre 2015 ? Faut-il trouver d'autres options ? La constitution d'une agence dédiée qui rassemble les compétences, qui sert de guichet unique pour recevoir et instruire les demandes et qui fait de la pédagogie auprès de la population me semble relever d'une bonne organisation administrative. Pour autant, cela ne règle pas toutes les questions. La régularisation se déroule jusqu'à présent sur la base du volontariat, mais il n'y a pas d'incitation à régulariser. D'une part, les occupants peuvent toujours se dire qu'ils ont le temps. D'autre part, régulariser présente un coût économique. Il faut d'abord racheter le bien. Il existe certes des dispositifs d'aide, plus importants d'ailleurs, je crois, à Mayotte. Mais ensuite, il reste encore à s'acquitter de la taxe foncière. Tout cela n'incite pas à déposer une demande de régularisation. Cette question est indépendante de celle de la qualité de l'organisation administrative qui traite la demande.

M. Georges Patient , co-rapporteur. - Une de mes questions peut recevoir une réponse technique et non politique : celle de la non-fiscalisation du domaine privé de l'État, sous prétexte de ne pas pouvoir évaluer la valeur de la forêt primaire. L'État réalise pourtant des cessions sur ce domaine, y compris à des particuliers, ce qui implique bien de disposer d'une évaluation préalable. J'ai avec moi un acte de vente sur une parcelle cédée pour 14 000 euros. Comment expliquer que l'on ne puisse évaluer pour fiscaliser mais que l'on puisse évaluer lorsqu'il s'agit de vendre ?

M. Michel Magras , président. - Je complète cette question pour vous demander quelles sont les modalités d'évaluation des biens. Par ailleurs, vous avez évoqué la question de la gestion des risques naturels. L'État met-il les moyens nécessaires en oeuvre pour prévenir les risques susceptibles de frapper ses biens ?

Mme Nathalie Morin. - France Domaine n'est pas compétent pour parler de fiscalité. Mon homologue en charge de la fiscalité au sein de la direction générale des finances publiques pourra vous renseigner. Il faut distinguer deux catégories d'évaluation bien différentes : l'évaluation domaniale, qui vise à l'inscription comptable à l'actif du bilan de l'État ou sert à la préparation d'une cession ou à l'appréciation d'une redevance d'occupation, et l'évaluation fiscale, qui ne répond ni à la même finalité ni à la même logique. Le même terme recouvre deux concepts bien différents. L'évaluation domaniale à laquelle nous procédons ne diffère pas dans ses modalités de celles que réalise les acteurs privés du secteur. Une agence immobilière utilise les mêmes méthodes que nous. Quant à la prévention des risques, je ne peux que vous renvoyer au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, ainsi qu'aux DREAL qui gèrent ce dossier.

Audition de Mme Caroline Chamard-Heim, professeur des universités en droit public

M. Michel Magras , président. - Dans le cadre de nos auditions sur le foncier outre-mer, nous accueillons Mme Chamard-Heim, professeur de droit public à l'Université de Lyon III, spécialiste du droit de la propriété publique. Vous allez tenter, madame, d'enrichir nos connaissances pour nous aider à élaborer des solutions à des problèmes dont France Domaine vient de nous rappeler la complexité.

Mme Caroline Chamard-Heim, professeur des universités en droit public. - Je vous remercie de m'avoir invitée à m'exprimer sur une question qui, en effet, est très complexe et très technique. Vous avez raison de souligner que je suis une spécialiste de la propriété publique et je dois vous avouer qu'il n'y a pas à ma connaissance, en France, de juristes spécialisés qui disposent d'une vision globale à la fois du droit de l'outre-mer et du droit de la domanialité. La complexité est encore renforcée par l'hétérogénéité des situations entre les différents territoires ultramarins, ce qui rend périlleuse toute tentative de tirer des conclusions générales. Le défi est néanmoins intéressant et je vais essayer de le relever.

En quoi le régime de la domanialité outre-mer est-il spécifique ? Cette spécificité est indéniable sur le plan patrimonial. On peut distinguer plusieurs blocs de collectivités : les quatre départements d'outre-mer « historiques », qui forment un ensemble assez homogène ; Saint-Pierre-et-Miquelon qui forme une catégorie à lui tout seul ; Mayotte, qui est systématiquement distingué des autres départements ; la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, collectivités très autonomes ; enfin, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Wallis-et-Futuna, qui sont moins visés par ces dispositions patrimoniales.

Je recense quatre grandes catégories de spécificités de la domanialité ultramarine. Auparavant, permettez-moi de rappeler quelques éléments de base qui définissent les traits essentiels du régime de droit commun. Le domaine public est une propriété publique qui est affectée soit à un service public, soit à l'usage du public. Il comprend notamment les rivages, les routes, les palais de justice, les casernes de gendarmerie, les écoles... Les biens du domaine public sont censés incarner au plus haut point la poursuite de l'intérêt général et sont, à ce titre, protégés par un régime très exorbitant qui assure leur inaliénabilité, leur imprescriptibilité et la précarité des occupations privatives.

La première spécificité du régime de la domanialité publique ultramarine est normative ou textuelle. Il n'existe pas de texte unique ou de code unique qui s'appliquerait à l'ensemble des biens publics outre-mer. Les cinq départements d'outre-mer et Saint-Pierre-et-Miquelon sont assujettis au code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) et, marginalement, au code du domaine de l'État. Il convient de relever qu'il existe un code du domaine de l'État spécifique pour Mayotte. Dans les autres collectivités d'outre-mer, le CG3P ne s'applique pas et l'on recourt soit à des législations métropolitaines spécifiques, soit à des législations locales propres, des lois de pays typiquement. Par exemple, la Polynésie française a le projet de rédiger un code de la propriété publique spécifique. Si l'on considère non plus uniquement les propriétés de l'État outre-mer mais également les propriétés des communes, alors il faut soit marier les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques et celles du code général des collectivités territoriales, soit recourir à une autre loi locale. Cet enchevêtrement de textes est très caractéristique de l'outre-mer et très compliqué à démêler. Il ne facilite pas du tout la lecture des règles de droit applicable.

La deuxième spécificité renvoie aux catégories de propriétaires. En métropole, les biens sont répartis selon des catégories définies de propriétaires sans chevauchement. Telle catégorie de route appartient à telle catégorie de personnes publiques. Outre-mer, on constate l'existence de chevauchements : les mêmes biens appartiennent, selon le cas, à des personnes publiques différentes. Autrement dit, il existe des biens qui, dans certaines collectivités ultramarines, appartiennent à l'État et, dans d'autres collectivités ultramarines, appartiennent au DOM ou à la COM. On peut prendre l'exemple du domaine public maritime naturel, qui forme la partie la plus protégée du domaine, parce qu'il est particulièrement fragile et constitue une cible potentielle d'appétits privés et économiques. En France métropolitaine, il est la propriété exclusive de l'État. Outre-mer, la même solution prévaut dans les départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon. En revanche, dans les collectivités d'outre-mer relevant de l'article 74 de la Constitution, ce sont les collectivités elles-mêmes qui possèdent le domaine public maritime. Il s'agit d'une véritable exception au droit commun de la propriété publique, puisque le domaine public maritime naturel incarne au plus haut point la souveraineté de l'État dans la mesure où il marque les limites extérieures du territoire national et où il présente des enjeux nationaux de protection de l'environnement et de sauvegarde des ressources marines. Ce n'est que dans les collectivités d'outre-mer à statut d'autonomie que l'État a accepté le transfert de ce bien très particulier et très sensible.

Pour d'autres biens, on retrouve une ventilation assez classique outre-mer. L'État reste ainsi propriétaire, même dans des collectivités autonomes comme la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, des ports autonomes, des bases militaires et des palais de justice, même s'il leur a transféré le domaine public maritime. Il conserve également en outre-mer des biens appartenant à son domaine privé. Celui-ci se définit par opposition au domaine public et rassemble des biens qui véhiculent un intérêt général moins important et à ce titre ne bénéficie pas des protections attachées au domaine public. En particulier, les biens du domaine privé ne sont pas inaliénables et par conséquent, entrent plus facilement dans le commerce juridique.

Troisième spécificité de l'outre-mer dans la matière qui nous occupe : au-delà des dépendances habituelles, comme les écoles et les hôtels de ville, le domaine public présente une composition particulière en outre-mer. Certains biens classiques ne se retrouvent pas dans le domaine public outre-mer car les circonstances géographiques font qu'ils n'existent tout simplement pas. C'est le cas du domaine public ferroviaire. Deux catégories de biens, à l'inverse, n'existent pas en France métropolitaine : la zone des cinquante pas géométriques et les eaux ultramarines.

La zone des cinquante pas géométriques est constituée par une bande large de 81,20 mètres comptés à partir de la limite haute du rivage de la mer. Elle fait partie du domaine public maritime. Elle trouve son origine dans l'époque coloniale où elle était destinée à assurer la défense et l'approvisionnement du territoire en garantissant un accès permanent de l'État au rivage. Depuis le XVII e siècle, elle n'a pas été remise en cause, bien que son régime juridique ait beaucoup varié selon les périodes. Elle a historiquement connu deux allers-retours entre la domanialité publique et la domanialité privée. En 1955, la zone des cinquante pas géométriques fut classée dans le domaine privée de l'État afin d'en faciliter l'exploitation économique et de régulariser les occupations sans titre. L'inaliénabilité du domaine public y faisait obstacle. En 1986, elle a été rebasculée dans le domaine public maritime, régime qui persiste jusqu'à aujourd'hui. Il convient de souligner que ce n'est pas une loi domaniale mais une loi environnementale et urbanistique, à savoir la loi « Littoral » qui a opéré ce dernier changement de régime. La zone des cinquante pas géométriques existe dans les quatre départements initiaux, à Mayotte, à Saint-Martin, en Nouvelle-Calédonie et dans les Marquises, à l'exception du reste de la Polynésie française.

Le régime juridique retenu n'est pas exempt d'un certain paradoxe et ne cadre pas tout à fait avec l'état du droit public. L'intégration de la zone des cinquante pas géométriques dans le domaine public aurait dû se justifier en droit par une affectation à un service public ou à l'usage du public. Or, dans ce cas précis, on ne respecte aucun de ces critères d'affectation, même si la démarche n'est pas contestée du point de vue de l'intérêt général. C'est la préservation de l'environnement, l'aménagement du territoire et les régularisations qui justifient l'intégration dans le domaine public, sans qu'il y ait à proprement parler d'affectation domaniale. On s'est donc un peu arrangé avec les règles de la domanialité publique. Le législateur en a eu tellement conscience qu'il a prévu de réserver les titres de propriété existants dans la zone des cinquante pas géométriques. Les personnes publiques et privées en mesure de justifier de leur propriété sur une parcelle pouvaient ainsi faire obstacle à son intégration dans le domaine public. Il est apparu un contentieux très important et encore actuel sur la validité des titres de propriété invoqués. En outre, il a pu également être fait obstacle à l'intégration dans le domaine public maritime de parties de la zone des cinquante pas, dès lors qu'elles étaient affectées à un autre domaine public, non maritime. Enfin, il reste le cas des forêts littorales qui sont intégrées dans le domaine privé et gérées par l'ONF : elles n'appartiennent donc pas au domaine public.

Par ailleurs, le législateur a prévu des possibilités de déclassement de parcelles de la zone des cinquante pas géométriques pour être cédées aux communes pour la construction de logements sociaux ou la réalisation d'équipements publics. La gratuité de la cession est possible en Martinique et en Guadeloupe. D'autres possibilités de cession après déclassement sont ouvertes au bénéfice de personnes privées pour régulariser leur activité professionnelle ou pour un usage d'habitation. Le législateur a ainsi montré qu'il avait parfaitement conscience que la zone des cinquante pas n'était pas du tout inhabitée et qu'il fallait impérativement tenir compte des occupations, en dépit du régime très strict de la domanialité.

Le régime des eaux ultramarines concerne essentiellement les sources et les eaux souterraines qui sont des propriétés de l'État et font partie de son domaine public. Les motifs invoqués à l'appui de ce rattachement, dès la conquête, sont la rareté de la ressource, la sécheresse des sols et le caractère irrégulier des cours d'eau qui rendaient nécessaire de protéger particulièrement les eaux ultramarines. À Mayotte, exceptionnellement, la propriété en revient à la collectivité départementale et non à l'État. Il me semble que ce régime de domanialité publique des eaux ultramarines devrait être maintenu pour obliger ceux qui réalisent des prélèvements d'eau à demander une autorisation et à s'acquitter d'une redevance. Ce type de mécanisme devrait même être transposé en France métropolitaine, dès lors que l'eau y deviendra de plus en plus une ressource rare.

M. Gilbert Roger . - En Inde aussi, Coca Cola prélève de l'eau, ce qui pénalise l'agriculture.

Mme Caroline Chamard-Heim. - C'est bien pourquoi nous devons protéger les eaux souterraines et les sources pour contrôler les prélèvements. Dans ce cas, le régime strict de la domanialité publique cadre bien avec la rareté de la ressource. L'outre-mer peut ici faire office de précurseur.

J'en viens à la dernière spécificité du droit du domaine en outre-mer. Fondamentalement, le régime juridique de la domanialité outre-mer diverge sur certains points de celui qui est en vigueur en métropole. Je pourrais relever l'absence de règles classiques outre-mer, mais cela peut se justifier et je préfère me concentrer sur certains points plus importants. Dans la zone des cinquante pas géométriques, l'État peut céder, après déclassement, des terrains soit aux communes soit aux particuliers. En droit commun, il faudrait d'abord procéder à la désaffectation, avant tout déclassement. Par exemple, pour céder une route, il faut la fermer, puis prendre une délibération qui la fait rentrer dans le domaine privé et enfin la mettre en vente.

En outre, il existe beaucoup de mécanismes de concession et de cession de biens du domaine privé de l'État, le plus souvent à titre gratuit. En droit commun, jamais l'État ne peut céder à titre gratuit ses propriétés, qu'elles appartiennent au domaine public ou au domaine privé, même au bénéfice d'autres personnes publiques. Parmi les mécanismes prévus en outre-mer, il faut citer les quatre cas de concession ou de cession gratuite du domaine privé prévus spécifiquement pour la Guyane, en fonction de leur destination : pour la mise en valeur agricole, pour réaliser des logements sociaux, pour les communautés d'habitants tirant leur subsistance de la forêt et pour la construction d'habitations privées. On retrouve certains mécanismes analogues dans les autres départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il existe ainsi un dispositif en faveur du logement social et des équipements collectifs dans ces territoires. Mayotte connaît, de plus, un dispositif de cession gratuite pour la mise en valeur agricole.

Cela varie selon les territoires mais on retrouve globalement les mêmes priorités, notamment en faveur du logement social. Je remarque cependant que Mayotte connaît un régime extrêmement dérogatoire qui détonne par rapport au reste de l'outre-mer. Les biens sans maître y reviennent à l'État et non aux communes comme le veut le code civil.

M. Georges Patient , co-rapporteur. - C'est le cas en Guyane, également.

Mme Caroline Chamard-Heim. - Je vérifierai ce point. En France métropolitaine, l'affectation aux communes est elle-même récente. Sans doute pour Mayotte, dans la période incertaine qui a débouché sur la départementalisation, l'État a-t-il souhaité préservé le mécanisme antérieur à titre conservatoire.

De plus, le mécanisme des droits réels ne s'applique pas à Mayotte. En France métropolitaine, un occupant privatif peut construire un immeuble sur le domaine public de l'État, qui lui délivre alors un droit réel sur le terrain qu'il occupe. Ce droit le rend propriétaire de la construction réalisée. Ce mécanisme ouvre à l'occupant la capacité d'hypothéquer et d'obtenir des financements en offrant l'immeuble en garantie. Un tel dispositif est exclu à Mayotte. De même, ce territoire ne connaît pas de possibilité de superposition d'affectation dans le domaine public. En métropole, par exemple un pilier de pont construit sur la mer possède une double affectation au domaine public maritime en dessous et au domaine public routier au-dessus. Autre particularité mahoraise, l'occupation du domaine ne donne pas uniquement lieu au paiement d'une redevance domaniale : il faut encore acquitter un droit fixe au Département, qui correspond aux frais fixes exposés par la collectivité. Enfin, on n'y retrouve pas non plus le droit commun du domaine public fluvial. On ne retrouve pas à Mayotte les critères de classement dans ce domaine spécifique.

Tous ces éléments rendent globalement le régime de la propriété publique beaucoup plus strict à Mayotte qu'ailleurs. L'État y est très présent par ses propriétés publiques et laisse moins de marges de manoeuvre à la collectivité qu'ailleurs, comme s'il voulait tenir son patrimoine à Mayotte. Il me paraît possible d'identifier deux raisons à cela, sans vouloir trop m'avancer alors que je ne me suis jamais rendue sur place. D'une part, devant la contestation récurrente des Comores, l'État entend maintenir sa souveraineté sur l'île et utilise peut-être à cette fin la domanialité publique. D'autre part, l'histoire et la tradition mahoraise peuvent également jouer. Les règles d'urbanisme sont manifestement anciennes. Jusqu'en 2008, les transactions foncières étaient réalisées selon le droit coutumier ou par actes sous seing privé, sans toujours nécessiter d'ailleurs l'intervention d'un notaire. Le cadastre n'est pas fiable. Le déficit d'information sur le bâti peut expliquer la volonté de l'État de tenir les propriétés publiques dans cette collectivité.

Pour aborder le problème de façon synoptique et transversale, il me semble vraiment que l'État instrumentalise son patrimoine outre-mer. J'entends par là qu'en France métropolitaine, l'État est en principe propriétaire pour le public. Certes c'est aussi le cas outre-mer, mais le domaine y prend néanmoins une dimension supplémentaire : l'État se sert de ses propriétés outre-mer de manière complètement dérogatoire comme d'un relais de ses politiques nationales. Cette utilisation de son patrimoine comme d'un instrument d'impulsion politique s'inscrit de plus dans une relation entre l'État et les collectivités plutôt que dans une relation entre l'État et les usagers. La domanialité publique ne me semble donc pas du tout conçue de la même façon en France métropolitaine et en outre-mer.

Comment dans ce cadre envisager des évolutions du régime de la zone des cinquante pas géométriques ? On ne peut ignorer les contraintes structurelles qui rendent difficile la mobilisation du foncier ultramarin pour le logement : il faut tenir compte des espaces réglementés tels que les parcs naturels, des risques sismiques avérés, de la concurrence de l'usage agricole, de l'ampleur des zones marécageuses inconstructibles et de la forêt, notamment en Guyane. À cela s'ajoutent les contraintes foncières, comme l'insuffisance du cadastre. En Guyane, seuls 5 % des terres sont convenablement cadastrées. Les réserves foncières manquent, alors même qu'elles constituent la base de toute politique d'aménagement et de logement. Assez peu d'opérateurs publics fonciers fonctionnent bien outre-mer. En Guyane, manifestement, ce n'est pas tout à fait le cas. À Mayotte, il manque aussi un tel opérateur. En outre, le prix des terrains est très élevé, ce qui rend les opérations de construction très onéreuses. J'ai eu vent de prix en Guyane qui avoisinaient ceux de la côte d'Azur. Le manque d'outils de planification foncière et le défaut de zones d'aménagement différé sont le signe que les outils du droit de l'urbanisme demeurent sous-utilisés outre-mer.

En définitive, les zones constructibles sont limitées et très onéreuses. C'est ce qui rend l'enjeu de la zone des cinquante pas géométriques si lourd, puisqu'elle couvre des terrains plus facilement occupables, comme le démontrent d'ailleurs les nombreuses occupations sans titre. Le basculement de la zone dans le domaine public en 1986 n'a pas facilité les régularisations. C'est pourquoi une nouvelle loi est intervenue en 1996 pour permettre la régularisation en dépit de la domanialité publique.

Le manque impressionnant de logements outre-mer est un élément de constat unanimement partagé. En Guyane, 80 % de la population est éligible à un logement social. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française présentent la densité la plus faible de parc social en France. À cela, s'ajoute le problème de l'habitat insalubre. De toute évidence, il faut régler la question de la zone des cinquante pas géométriques pour résoudre la question du logement. Comment résoudre la quadrature du cercle en régularisant des occupations précaires sur du foncier inaliénable ? Faut-il maintenir la domanialité publique sur la zone des cinquante pas ? Oui, à titre transitoire selon moi, jusqu'à l'achèvement des régularisations des occupations sans titre. Si l'on basculait la zone dans le domaine privé, on la rendrait prescriptible et aliénable selon le droit commun. Dès lors pourrait jouer la prescription acquisitive en faveur de tous les occupants sans titre, qui deviendraient potentiellement tous propriétaires. L'inconvénient est que l'on risque de régulariser plus que l'on ne voudrait. Un mécanisme de régularisation automatique et tacite ne me paraît pas souhaitable. Il y a des cas où l'on veut pouvoir ne pas faire jouer la prescription.

Le seul avantage de la domanialité publique n'est pas d'ordre environnemental sur cette zone-là, ni relatif à l'aménagement du territoire ou à l'urbanisme. Je fais une incise pour préciser qu'à mon avis, la domanialité publique n'est pas un bon outil de préservation de l'environnement, ni d'aménagement urbanistique. Ne nous trompons pas d'outils. Les solutions à ces questions doivent être plutôt trouvées dans le droit de l'environnement et le droit de l'urbanisme, et non en utilisant le droit du domaine public.

L'intérêt de la domanialité publique sur la zone des cinquante pas géométriques réside dans le maintien de l'imprescriptibilité. Cela permet de continuer à considérer les occupants comme des occupants précaires tant qu'ils n'ont pas été régularisés. Autrement dit, cela permet de suspendre la situation. Une fois achevée la régularisation, il sera possible d'abandonner la domanialité publique, qui n'est pas appropriée dans ce cas. Je verrais assez bien le transfert de la zone des cinquante pas géométriques dans le domaine privé. Une partie pourrait ensuite être remise par exemple au Conservatoire du littoral qui pourrait utilement l'entretenir et l'ouvrir au public. L'autre partie pourrait être utilisée pour développer une activité économique comme le tourisme.

Ma solution consisterait donc à raisonner en deux temps en commençant par une phase transitoire ou « suspendue » qui bloque la prescription acquisitive et garantit un contrôle de validité des titres.

M. Gilbert Roger . - Pourquoi ne pas recourir à la solution du bail emphytéotique ?

M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur coordonnateur. - Ou travailler à partir d'autorisations temporaires d'occupation (AOT) ?

M. Gilbert Roger . - On veut pouvoir assurer une occupation dans la longue durée, d'où l'idée du bail emphytéotique.

Mme Caroline Chamard-Heim. - Une AOT peut être de longue durée. Le terme « temporaire » renvoie moins à la durée qu'à la précarité de l'occupation, le bien pouvant être à tout moment repris par le propriétaire public. Le bail emphytéotique administratif (BEA) n'est en principe pas autorisé sur le domaine public maritime. En outre, ce régime n'existe pas dans certains territoires ultramarins. Il ne me semble donc pas que le BEA puisse constituer une réponse globale au problème.

M. Gilbert Roger . - Ne pourrions-nous pas le faire exister ?

Mme Caroline Chamard-Heim. - Ce n'est pas l'objet du BEA qui vise à permettre des réalisations sur le domaine public dans un but d'intérêt général. Par exemple, l'État consent un BEA à un opérateur qui veut construire une station d'épuration. En l'espèce, les occupations de la zone des cinquante pas sont purement privatives.

Nous sommes confrontés à une tension permanente entre la maîtrise de l'urbanisme et la protection de l'environnement, d'un côté, et la régularisation des occupations, voire le développement économique, qui milite pour la commercialité de la zone et sa bascule vers le domaine privé, de l'autre. C'est pourquoi il faut travailler à l'enchaînement des régimes juridiques pour pouvoir basculer dès que la régularisation est achevée. Le passage dans le domaine privé après la régularisation des occupants sans titre laisse tout à fait ouverte la faculté de remettre les espaces naturels qu'on veut préserver au Conservatoire du littoral.

Mme Gisèle Jourda. - La zone des cinquante pas a connu historiquement des régimes juridiques à géométrie variable. N'est-t-il pas temps de sortir des solutions provisoires ? Que faire quand la transition dure sans que les problèmes ne se règlent ? Il faut sortir de la perspective historique et adapter nos solutions en fonction des cas concrets dans chaque territoire. J'avoue être une néophyte sur cette question très complexe que je découvre mais il me semble que cela doit être du ressort des collectivités ultramarines elles-mêmes. Nous devons leur faire confiance et entendre ce qu'elles souhaitent faire des terrains de la zone des cinquante pas, qu'ils soient naturels ou urbanisés. Le législateur ne peut pas décider seul en la matière.

Mme Caroline Chamard-Heim. - Je serais assez encline à vous rejoindre.

M. Michel Magras , président. - Cette question touche, en effet, directement les relations entre les collectivités territoriales situées outre-mer et la République. Des lois organiques peuvent prévoir le transfert des propriétés de l'État nécessaires pour exercer les compétences confiées aux collectivités d'outre-mer dont le statut constitutionnel le permet. C'est ainsi que la collectivité de Saint-Barthélemy gère et exploite les ressources du sol, du sous-sol, des eaux intérieures et surjacentes, ainsi que le domaine public maritime, qui lui ont été dévolus par l'État. La seule contrainte est le respect des engagements déjà pris par l'État. Des possibilités existent donc mais il revient aux ultramarins pour les activer de faire le choix de demander de l'autonomie. Se pose en filigrane l'éternelle question du cadre constitutionnel : article 73 ou 74 ? Si l'on ne veut pas recourir à des procédures très lourdes d'habilitation, le cadre de l'article 74 reste, à mes yeux, le seul choix adapté pour permettre des évolutions.

Mme Caroline Chamard-Heim. - Il est bien évident que le problème se pose de façon différente dans les départements d'outre-mer et dans les collectivités d'outre-mer dans lesquelles l'autonomie est allée logiquement de pair avec le transfert de la zone des cinquante pas aux collectivités.

M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur coordonnateur. - Je vous remercie de votre intervention. Venez à Mayotte et vous verrez combien vos analyses sont justes. Ne pensez-vous pas que l'entrée en vigueur du régime de la zone des cinquante pas géométriques aurait dû nécessiter un acte formel propre pour chaque collectivité ultramarine concernée ? Vous comprendrez mieux le sens exact de ma question si je précise que le régime de la zone des cinquante pas géométriques entre en conflit avec un texte fondamental qui marque l'entrée de Mayotte dans la France. Contrairement à d'autres colonies, Mayotte est en effet cédée à la France en 1841 par un sultan parti chercher sa protection à l'île Bourbon. Certains comportements mahorais, qui paraissent difficiles à comprendre de l'extérieur, s'expliquent par cette histoire particulière. Aux termes de l'article 5 du traité de cession, « toutes les propriétés des habitants sont inviolables » et en particulier « les terres cultivées par les autochtones continuent leur appartenir ». C'est sur cette base que certains occupants s'opposent à l'incorporation postérieure des terres dans le domaine de l'État. Qu'en pensez-vous ?

Mme Caroline Chamard-Heim. - Je ne peux vous répondre dans l'instant mais je vous propose de regarder à quelle date remonte la reconnaissance du domaine public maritime à Mayotte. Je ne suis pas sûr que cela soit très ancien. Il est possible que le traité garantissant l'inviolabilité des terres puisse être valablement opposé à l'application par l'État du régime de la zone des cinquante pas géométriques, mais un tel recours ne serait pas facile à mener.

Ce que vous évoquez me rappelle la question des terres coutumières en Nouvelle-Calédonie, ainsi que certaines revendications en Polynésie française. On retrouve dans ces territoires la volonté des habitants de s'opposer partiellement à la conception civiliste de la propriété promue par l'État depuis la colonisation. Selon cette conception, l'absence de titre entraîne une présomption d'absence de maître et par suite l'attribution de la propriété à l'État.

M. Georges Patient , co-rapporteur. - Quel regard portez-vous sur la complexité des différents régimes applicables aux forêts et la multiplicité des dispositifs de cession ou concession, notamment en Guyane ? Que pensez-vous de la décision prise en 1946 au moment de la départementalisation de la Guyane de rétrocéder les biens de la colonie à l'État et non au nouveau département ?

Mme Caroline Chamard-Heim. - Il existe quatre différents types de forêts en Guyane. La forêt littorale est intégrée au domaine privé de l'État géré par l'ONF, bien qu'elle se situe géographiquement davantage dans le domaine public maritime. Le domaine forestier permanent est assujetti au régime forestier et exploité par l'ONF. En avançant plus profondément dans les terres, on trouve ensuite la forêt intermédiaire, qui n'est pas exploitée mais surveillée par l'ONF, et le parc amazonien de Guyane.

Il existe deux possibilités de cession gratuite de ces forêts. La première d'entre elles est destinée aux collectivités territoriales en raison du rôle social ou environnemental que ces forêts jouent. Il est considéré par ce biais que les collectivités sont plus proches des populations locales que l'État et plus à même que lui de prendre en compte leurs besoins. La seconde possibilité est offerte directement aux communautés d'habitant, c'est-à-dire aux populations amérindiennes, si celles-ci parviennent à apporter la preuve d'un droit d'usage préexistant.

Je crois qu'il serait difficile de simplifier ce schéma. La forêt littorale présente des caractéristiques très particulières, si bien qu'une fusion avec le domaine forestier permanent paraît malaisée.

M. Georges Patient , co-rapporteur. - Ne pourrait-on pas faciliter les cessions aux collectivités territoriales dans la perspective de stimuler la construction de logement ou la réalisation d'aménagements ?

Mme Caroline Chamard-Heim. - Les régimes de cession de forêts me paraissent assez souples.

M. Georges Patient , co-rapporteur. - Mais si l'on considère plutôt la bande littorale et les terrains situés à proximité des agglomérations ?

Mme Caroline Chamard-Heim. - Vous visez donc la cession de terrains du domaine privé de l'État et non pas les deux dispositifs de cession de forêt. Serait-il possible de simplifier ce régime à quatre hypothèses ? Il faut creuser davantage en fonction de leur évaluation sur le terrain.

M. Georges Patient , co-rapporteur. - C'est bien ma question.

M. Michel Magras , président. - Je suis surpris qu'une collectivité territoriale qui en fait la demande ne puisse pas gérer un bien tel que la forêt, alors qu'elle peut représenter une source très rentable d'activité économique. Vous avez pris une position courageuse en affirmant que l'État veut garder son bien simplement parce que c'est le sien.

Mme Caroline Chamard-Heim. - Je pense que c'est en effet le cas.

M. Michel Magras , président. - Il faudra bien qu'un jour l'État comprenne qu'il doit céder ses forêts et ses biens aux collectivités qui le demandent pour développer leur économie et faire travailler leur population.

M. Georges Patient , co-rapporteur. - Pouvez-vous répondre à ma seconde question sur les effets de la départementalisation en 1946 ?

Mme Caroline Chamard-Heim. - Malheureusement, je n'ai pas de réponse immédiate à vous apporter mais je me propose de faire une recherche et de vous apporter ensuite des éléments.

De manière générale, l'État est assez omnipotent en matière de propriété publique en métropole comme outre-mer. Jusqu'au début du XX e siècle, on considérait que les communes n'étaient pas propriétaires de leurs biens. Encore aujourd'hui, la propriété privée et la propriété des personnes publiques autres que l'État ne bénéficient pas des mêmes protections. Ainsi, l'État ne peut pas exproprier une personne privée sans suivre une procédure très lourde qui demande l'intervention du juge judiciaire, la démonstration de l'utilité publique de l'opération et le versement d'une indemnité juste et préalable. C'est parfaitement cadré par le juge constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme. Ce n'est absolument pas le cas pour les propriétés publiques. L'État peut à tout moment, par arrêté, prendre l'usage du bien de n'importe quelle commune, construire dessus, décider d'un transfert de propriété d'une commune à une personne physique, sans aucune indemnité. La patrimonialité publique est marquée du sceau de la toute-puissance de l'État, qui est placé au-dessus de toutes les personnes publiques. Le juge constitutionnel a validé ce régime qui ravale la propriété des collectivités à un rang inférieur à celui de la propriété privée. Je le regrette.

M. Félix Desplan . - Pourriez-vous préciser dans la catégorie des eaux ultramarines ce que recouvre la notion de « sources » ?

Mme Caroline Chamard-Heim. - Il s'agit de toutes les eaux stagnantes par opposition aux cours d'eau, qui sont traités à part. Je profite de votre question pour pointer une particularité du domaine public fluvial outre-mer : en France métropolitaine, l'État est propriétaire du lit des fleuves mais pas de l'eau, alors qu'il est propriétaire des deux en outre-mer. C'est cette propriété sur l'eau qui est très originale.

M. Félix Desplan . - Ma question vous a amenée à relever encore une spécificité du domaine public en outre-mer par rapport à l'Hexagone. Je ne suis pas sûr qu'elles soient toutes à notre avantage.

Mme Caroline Chamard-Heim. - Certaines spécificités se justifient. C'est le cas selon moi des eaux ultramarines. D'autres ne me paraissent pas justifiées comme le régime de la zone des cinquante pas : qu'il y ait propriété publique dessus pourquoi pas, mais pourquoi devrait-elle être celle de l'État ?

M. Félix Desplan . - Qu'allons-nous faire à la fin de l'année quand interviendra la disparition des agences des cinquante pas géométriques, si toutes les régularisations ne sont pas achevées ?

Mme Caroline Chamard-Heim. - Je ne m'avancerai pas beaucoup en pensant que les agences seront alors prorogées une fois encore. Chaque année, les lois de finances prorogent bien des dispositions temporaires qui n'ont pas réussi à produire tous leurs effets dans le délai initialement prévu.

M. Félix Desplan . - Peut-être qu'un établissement public foncier pourrait prendre le relais des agences.

Mme Caroline Chamard-Heim. - C'est envisageable si cet établissement est solide et dispose des outils nécessaires à la mission qui lui est confiée.

M. Michel Magras , président. - Nous vous remercions pour l'éclairage très utile que vous nous avez apporté. Il me semble que vous avez déjà fait un pas considérable vers la double spécialisation en droit de l'outre-mer et en droit du domaine, que vous appeliez de vos voeux au début de votre audition.

Jeudi 12 mars 2015

Audition de M. Bruno Rousselet, chef du service de la gestion fiscale à la direction générale des finances publiques, accompagné de M. Étienne Lepage, chef du bureau du cadastre

M. Michel Magras , président . - Mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui pour poursuivre nos auditions sur la gestion du domaine de l'État outre-mer. Je vous rappelle que nous avons déjà entendu l'Office national des forêts (ONF), le Conservatoire du littoral, France Domaine et Mme Chamard-Heim, professeur de droit à l'université de Lyon III.

Nous commencerons notre matinée par une audition du service de la gestion fiscale au ministère des finances. Notre collègue rapporteur Georges Patient avait interrogé France Domaine sur les raisons de l'absence d'assujettissement à la taxe foncière des propriétés non bâties de la forêt guyanaise. France Domaine ayant décliné sa compétence et précisé que l'évaluation fiscale différait de l'évaluation domaniale, nous nous tournons vers la direction générale des finances publiques (DGFiP) pour obtenir des éclaircissements.

Nous entendrons ensuite les membres de l'Inspection générale de l'administration (IGA) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) qui ont rédigé en 2013 un rapport sur les questions foncières en Martinique et en Guadeloupe, puis le directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature au ministère de l'écologie et du développement durable.

À moins que l'un des rapporteurs souhaite formuler des observations liminaires, je cède la parole à M. Bruno Rousselet, chef du service de la gestion fiscale. Nous enchaînerons sur les questions.

M. Bruno Rousselet, chef du service de la gestion fiscale à la direction générale des finances publiques. - Je suis venu à votre rencontre, accompagné de M. Étienne Lepage, chef du bureau du cadastre et très bon connaisseur du cadastre outre-mer.

M. Jean-Jacques Hyest . - Lorsqu'il existe !

M. Bruno Rousselet. - En effet. La situation de la forêt guyanaise du point de vue cadastrale est d'ailleurs très particulière.

J'ai lu le rapport qui indiquait qu'un assujettissement à la taxe foncière de la forêt guyanaise, qui appartient au domaine privé de l'État, serait particulièrement adapté aux réalités de la fiscalité locale. Voici comment nous déclinons cette proposition à droit constant. Supposons que la forêt guyanaise soit cadastrée et qu'elle fasse l'objet d'une évaluation cadastrale. La forêt non exploitée ne produisant aucun revenu, elle bénéficie d'une exonération permanente, dont bénéficient aussi, en vertu du droit commun, toutes les parcelles du même type en France. Dès lors, le produit de l'impôt serait nul. Le travail de titan que demanderaient le cadastrage et l'évaluation cadastrale de la forêt guyanaise aboutirait donc à un résultat nul, ce qui nous fait regarder avec appréhension la perspective de devoir mener à bien cette tâche.

À la lecture du rapport, je me suis interrogé pour savoir s'il existait un authentique particularisme guyanais ou si des situations semblables se retrouvaient en métropole. Certes, grâce à l'impulsion napoléonienne, il n'existe pas de parcelles non cadastrées en France métropolitaine. En revanche, il existe des parcelles laissées à l'état de nature, ne produisant aucun revenu - remises d'ailleurs en gestion à un établissement public - et bénéficiant à ce titre d'une exonération permanente. Il en existe même beaucoup. Par exemple, les landes du Finistère remises en gestion au Conservatoire du littoral bénéficient de la même exonération permanente que la forêt guyanaise.

Notre démarche renverse en quelque sorte la perspective. Nous partons de l'hypothèse, qui n'est pas réalisée aujourd'hui, d'un cadastrage complet de la forêt guyanaise, en laissant de côté les difficultés purement techniques bien réelles qu'il faudrait surmonter pour y parvenir. Nous constatons que l'application de la législation aboutit à un résultat fiscal nul. En conséquence, nous ne considérons pas le cadastrage comme une opération qui devrait mobiliser les ressources déjà tendues de la direction générale des finances publiques. Cet exercice pourrait certes être utile en termes de géodésie du territoire. J'ai eu sur ce point une conversation avec l'Institut géographique national (IGN) pour lequel la forêt guyanaise et les limites du territoire présentent un intérêt très fort.

À droit constant, s'il y a bien un intérêt géodésique, il n'y a strictement aucun intérêt fiscal en la matière. Si l'on se place à droit non constant et si l'on décide que la forêt guyanaise, bien que bénéficiant en principe d'une exonération permanente, est relevée de cette exonération et que, en conséquence, l'État doit payer un impôt foncier, la donne est évidemment rebattue. Cependant, cela poserait des problèmes en France métropolitaine et probablement en Guyane. Quant à l'installation d'un transfert financier de l'État vers les collectivités guyanaises, après avoir décliné à mon tour ma compétence pour apprécier ce point, je ferais simplement remarquer que cela serait nettement plus simple que d'aller cadastrer la forêt.

M. Michel Magras , président . - Vous nous avez fait part de votre point de vue avec beaucoup de clarté mais je ne peux m'empêcher de remarquer que certaines parties de la forêt guyanaise sont exploitées. Notre collègue rapporteur Georges Patient ne manquera pas de revenir sur les produits générés par la forêt guyanaise. Je lui cède immédiatement la parole.

M. Georges Patient , co-rapporteur . - J'avoue une certaine perplexité. On ne peut pas assimiler le domaine privé de l'État simplement à la forêt primaire. La forêt guyanaise est gérée par l'ONF qui déclare dans son bilan 3 millions d'euros de recettes de ventes de bois. Il y a donc bien exploitation de la forêt et production de revenus. En outre, des parcelles du domaine privé de l'État peuvent être vendues. J'ai sous les yeux un acte de vente pour un prix de 15 000 euros. Il faut, de plus, tenir compte des diverses concessions, de l'installation de mines pour apprécier l'étendue des activités économiques réalisées dans la forêt guyanaise.

Par ailleurs, vous soutenez qu'il n'y aurait pas d'intérêt à cadastrer la forêt guyanaise. Je vous avoue ma surprise. Tous les territoires français sont cadastrés. La Guyane est un territoire français. Elle doit donc être cadastrée comme les autres.

M. Jean-Jacques Hyest . - Je ne comprends pas non plus cette exonération systématique dans la mesure où des produits sont tirés de la forêt guyanaise. Dès lors que s'y déroulent des activités économiques et que des concessions y sont accordées, la comparaison avec les landes bretonnes, qui bénéficient d'une exonération parce qu'elle ne génère aucun revenu, ne paraît plus pertinente. Les forêts domaniales de métropole qui sont le siège d'une activité économique sont taxées. L'ONF s'acquitte de la taxe foncière sur les propriétés non bâties au titre par exemple de la forêt de Fontainebleau, qui est exploitée.

Il ne fait pas de doute que certaines parties de la forêt guyanaise sont protégées au nom de la préservation de la biodiversité et ne sont pas exploitées, mais ce n'est pas le cas de la forêt tout entière. Ce serait tout l'intérêt d'un cadastre de faire précisément la part entre les surfaces exploitées et celles qui ne le sont pas.

M. Georges Patient , co-rapporteur . - Pour la construction du cadastre, il ne faut pas négliger le recours à la cartographie aérienne. Il n'est pas nécessaire d'envoyer un géomètre sur les 53 000 km² de forêt. Pour des raisons de sécurité, on a su photographier tout le territoire. On pourra aussi utiliser ces ressources pour cadastrer.

M. Bruno Rousselet. - J'ai été imprécis dans mon propos introductif. Je reconnais qu'il y a de l'exploitation forestière, des concessions et des cessions sur le domaine privé de l'État en Guyane. Pour être vendue, la parcelle que vous mentionnez a dû être désignée au cadastre. C'est le principe : toute vente implique le cadastrage de la parcelle et l'assujettissement à la taxe foncière. S'il n'a pas été suivi, alors cela relève d'un dysfonctionnement qui devra être réglé.

M. Georges Patient , co-rapporteur . - Ne faut-il pas distinguer entre le bornage, nécessaire pour la cession, et le cadastrage pour la fiscalité ? Dans le cas d'espèce que je mentionnais, la parcelle vendue à un particulier se trouvait dans une zone du domaine privé de l'État qui n'était pas cadastrée. C'est un cas parmi beaucoup d'autres.

M. Bruno Rousselet. - Hors dysfonctionnement, l'enregistrement à la publicité foncière se fait à partir de la référence cadastrale.

Le directeur régional des finances publiques me confirmait, alors que je l'interrogeais pour préparer cette audition, que toute activité notamment liée à une concession et à l'exploitation de la forêt entraînait cadastre, suivi cadastral, évaluation cadastrale et imposition. L'exonération permanente appuyée, d'après les textes, sur l'absence de revenus tombe. À rebours, s'il y a imposition, c'est que l'on dispose d'une valeur locative et donc que l'on a cadastré.

M. Georges Patient , co-rapporteur . - Pourtant, l'ONF n'acquitte aucune taxe foncière en Guyane, alors qu'il vend des parcelles de bois.

M. Michel Magras , président . - Peut-être devrions-nous nous entendre sur le sens précis du terme de parcelle.

M. Bruno Rousselet. - En effet, il faut distinguer la parcelle au sens du décret de 1955 sur le cadastre et la publicité foncière, et au sens commun de lopin de terre. En réalité, dans le cas de cession d'immeuble du domaine privé de l'État qu'évoque le sénateur Patient, à la lecture de l'acte, il apparaît que le terrain n'a été cadastré qu'à l'occasion de la vente et en vue de celle-ci. C'est la logique même des instructions que nous donnons à nos services sur le fondement de la réglementation. Dès lors que l'on décide de faire quelque chose d'un terrain non exploité, on le cadastre avant de le céder ou de le concéder, on détermine sa valeur locative et, sur cette base, le terrain est soumis à l'imposition pour le futur.

M. Georges Patient , co-rapporteur . - Il faut apporter quelques précisions. La parcelle cédée par l'État était préalablement non cadastrée et occupée par l'acquéreur, qui ne s'acquittait d'aucune taxe locale. Pourquoi le travail cadastral n'a-t-il pas été réalisé bien avant pour permettre à la commune de récupérer la fiscalité directe qui lui revenait ?

M. Bruno Rousselet. - Il s'agissait donc d'une occupation sans titre. Dans ce type de situations, deux voies peuvent être empruntées, soit celle de l'expulsion qui provoque souvent des troubles et que l'on évite, soit celle difficile à pratiquer de la prise de possession légale après octroi d'un titre de propriété. C'est ce chemin pour rentrer dans le droit qui a été emprunté dans le cas dont nous discutons. La difficulté, avant la cession, est que l'on était confronté à proprement parler à une situation de non-droit, où l'occupant n'a pas à être installé là où il se trouve. S'il avait possédé un titre, la parcelle aurait été cadastrée, dotée d'une valeur locative et imposée.

M. Georges Patient , co-rapporteur . - Vous omettez un aspect du problème. L'occupant sans titre est installé sur le domaine privé de l'État et ne s'acquitte d'aucune taxe locale. Pour régler la situation tout en obtenant une certaine compensation financière, l'État décide de cadastrer, puis de vendre la parcelle occupée. Toutefois, la parcelle est cédée sans avoir été viabilisée et le désormais propriétaire se retourne alors vers la commune pour demander la viabilisation de sa parcelle. La commune est donc contrainte à des dépenses sans avoir bénéficié de la fiscalité foncière à laquelle elle pouvait prétendre.

M. Bruno Rousselet. - Le prix de la cession tenait compte de l'absence de viabilisation et de raccordement à l'eau et à l'électricité.

M. Georges Patient , co-rapporteur . - Il n'empêche que l'État finit par récupérer des fonds pour l'occupation illégale d'un terrain domanial, tandis que les communes supportent les charges d'un habitat illégal sans en percevoir les recettes fiscales !

M. Bruno Rousselet. - Les communes recevront normalement les produits de la fiscalité après la régularisation, ce qui leur permettra de faire face aux charges qui leur incombent.

M. Georges Patient , co-rapporteur . - Il n'en reste pas moins qu'il n'est pas normal que l'État conserve en sa possession 90 % du territoire de la Guyane en prévenant toute fiscalisation.

M. Michel Magras , président . - Peut-on envisager une solution à droit constant ou moyennant des aménagements législatifs qui permettrait aux communes ou à la collectivité nouvelle de Guyane de récupérer la part de taxe qui leur revient dans des situations similaires en lisière de forêt ?

M. Bruno Rousselet. - Dans la limite de mes compétences, je ne vois malheureusement pas de solution, puisque nous ne pouvons qu'envisager des solutions pour sortir d'une situation illégale. Nous ne pouvons agir ni pour le passé, ni au titre des parcelles qui sont voisines d'une parcelle régularisée mais qui ne sont pas encore cadastrées et soumises à fiscalité.

M. Serge Larcher , co-rapporteur . - J'aimerais évoquer la situation antillaise. Dans la bande des cinquante pas géométriques, on rencontre bon nombre de maisons qui ont été construites sans permis et parfois même sur des zones à risques non constructibles. Les parcelles sur lesquelles elles ont été bâties ne sont ni bornées, ni cadastrées, et pourtant les occupants sont assujettis à la taxe d'habitation et à la taxe foncière sur le bâti. Comment expliquez-vous cet état de fait ?

M. Étienne Lepage, chef du bureau du cadastre. - Dans le cas que vous évoquez, l'administration fiscale taxe uniquement la construction sur terrain d'autrui, en l'occurrence sur le domaine de l'État mais cela pourrait être du département ou d'une autre personne. En revanche, le sol n'est pas taxé. L'absence de référence cadastrale directe sur le sol ne fait pas forcément obstacle.

M. Serge Larcher , co-rapporteur . - Ce qui est possible en Martinique ne pourrait-il pas l'être aussi en Guyane ?

M. Étienne Lepage. - À dire vrai, ces pratiques sont historiques mais n'ont pas vocation à perdurer.

M. Serge Larcher , co-rapporteur . - Comment l'État peut-il prendre le risque de fiscaliser des constructions soumises aux risques naturels ? L'imposition entraîne en quelque sorte une régularisation par l'État, comme si l'on reconnaissait que l'occupant avait le droit d'habiter là où il se trouve.

M. Bruno Rousselet. - Non, cela ne constitue pas une régularisation.

M. Serge Larcher , co-rapporteur . - La diversité d'approche par l'État de la même problématique entre la Guyane, les Antilles, Mayotte et La Réunion me semble incompréhensible. La France est une et l'on devrait traiter de la même façon les territoires qui se trouvent dans des situations semblables. Les différences de traitement doivent se justifier au regard d'une différence de situation.

M. Gilbert Roger . - Ce type de différence de traitement existe malheureusement aussi en métropole, ne serait-ce qu'entre la Seine-Saint-Denis et Paris !

M. Jean-Jacques Hyest . - Prenons garde à ne pas confondre ce qui relève du droit fiscal et ce qui appartient au droit de l'urbanisme. Il est tout à fait possible de taxer un habitant qui a construit sur une parcelle non cadastrée, à la taxe d'habitation et à la taxe foncière sur le bâti. Le cas guyanais que nous évoquions concerne la cession d'une parcelle de cinq hectares. Il s'agit de foncier non bâti.

En outre, les communes n'ont pas l'obligation d'amener de l'eau partout. Lorsqu'elle alimente la population en eau, celle-ci doit être potable ! Il n'y a d'ailleurs pas besoin d'aller en Guyane pour rencontrer des problèmes similaires. Il n'est pas rare que des gens du voyage achètent des terrains ou bénéficient de donations, s'y installent parfois au mépris de tous les documents d'urbanisme (PLU, SCOT, SDRIF...) et demandent ensuite le raccordement aux réseaux d'eau et d'électricité.

Pour revenir au noeud de notre problème outre-mer, il est impératif de respecter le principe qui veut que, à partir du moment où un terrain est cédé ou concédé, il doit avoir été cadastré. Je comprends parfaitement qu'il ne soit pas nécessaire de cadastrer toute la forêt guyanaise, en particulier les zones protégées, mais la situation mériterait un effort particulier de cadastrage périphérique, pour ainsi dire, en ciblant les parcelles adjacentes des parcelles qui ont fait l'objet de cession ou de concession. Dans les zones où une activité économique a vocation à s'exercer, le cadastre doit être à jour.

M. Georges Patient , co-rapporteur . - Autour des parcelles cédées, il n'existe pas en effet de cadastre. C'est une vraie difficulté.

M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur coordonnateur . - Je ne peux pas passer sous silence le cas de Mayotte, où se pose le même type de problèmes avec une acuité particulière, notre fiscalité étant très récente. La situation mahoraise doit être impérativement clarifiée. De fait, de nombreux villages se trouvent dans la zone des cinquante pas géométriques. Nous ne pouvons pas rester au milieu du gué : soit on procède à des régularisations, ce qui procurera des ressources fiscales supplémentaires à la collectivité, soit l'État tranche pour dire clairement aux habitants qu'ils ne peuvent pas rester sur place. Mayotte souffre aussi du piétinement de la réforme du cadastre depuis plusieurs années. Des évolutions sont nécessaires pour garantir les ressources fiscales et assurer aux habitants la paix et la tranquillité auxquelles ils peuvent légitimement prétendre.

Audition de Mme Sabine Baïetto-Beysson du Conseil général de l'environnement et du développement durable et de Mme Noémie Angel de l'Inspection générale de l'administration

M. Michel Magras , président . - Pour poursuivre nos travaux sur la gestion du domaine public et privé de l'État, nous entendons à présent les auteurs du rapport remis conjointement en 2013 par l'Inspection générale de l'administration et le Conseil général de l'environnement et du développement durable sur les problématiques foncières et le rôle des différents opérateurs aux Antilles.

Mme Sabine Baïetto-Beysson. - Nous avons remis ce rapport il y a un peu plus d'un an au moment où le Parlement adoptait la proposition de loi du sénateur Larcher qui visait à prolonger la durée de vie des agences des pas géométriques. Le cadre de notre mission était un peu plus large afin de nous permettre de resituer la problématique de la zone des cinquante pas géométriques (ZPG) dans le contexte foncier général des Antilles, à l'exclusion des autres départements et collectivités d'outre-mer. L'objectif était de dégager les voies et les moyens d'une action foncière soutenue alors que ces territoires connaissent une pression foncière très forte. Cette pression est due à la topographie du littoral, à la prise en compte des risques naturels et à la demande de logements face à un parc manifestement inadapté en qualité et en prix.

Nous avons rapidement pris le parti de nous extraire de la problématique des outils pour nous concentrer sur les grands enjeux. Nous avons constaté que la gestion spécifique de la ZPG était source de complexité, nuisait à la cohérence de l'aménagement du littoral et n'avait pas apporté la preuve de son efficacité en tant qu'instrument de protection. Une certaine confusion des responsabilités perdure. Il est particulièrement frappant, lorsqu'on se déplace en Guadeloupe et en Martinique, de voir que la limite de la ZPG présente souvent un caractère arbitraire. Elle peut passer au milieu du village et, pour une commune qui doit penser un aménagement cohérent en termes d'assainissement, de réseaux et de voirie, le fait d'être confrontée à des gestions du foncier complètement disparates des deux côtés de la limite n'est évidemment pas satisfaisant.

Nous avons voulu faire passer un double message : d'une part, une clarification des responsabilités est nécessaire, d'autre part, il faut parvenir à s'émanciper du mode de gestion actuel qui paraît hérité du passé colonial et exorbitant du droit commun. Notre travail prend la suite d'une série de rapports sur le sujet. Le rapport de la mission interministérielle Rosier qui précédait la réforme de 1996 recommandait un transfert du foncier aux collectivités. Nous ne brillons pas tant par originalité que par constance ! Devant les louvoiements du passé, nous avons considéré que notre devoir était de faire passer ce message.

Le rapport comprend deux grandes familles de recommandations. Avant de les aborder, je précise que nous nous sommes penchées sur le schéma d'aménagement régional (SAR) qui nous paraît un outil fondamental mais qui conserve une certaine ambiguïté juridique. Chacun s'accorde à vouloir faire du SAR un instrument majeur d'aménagement et de protection du littoral, mais il nous semble qu'il faudrait le renforcer pour lui donner le statut des anciennes directives littoral. Nous avons le sentiment qu'il a été un peu affaibli.

Le transfert du foncier aux collectivités constitue notre première grande recommandation générale, ce qui signifie aussi un transfert du processus de régularisation. C'est le propriétaire du foncier qui doit décider à qui il l'attribue et dans quelles conditions juridiques. Ce processus doit respecter un principe de neutralité financière. Le transfert du foncier nécessite un redécoupage du foncier. L'idée est de transférer autant que possible un foncier résiduel, apuré des demandes de régularisation. Nous recommandons une accélération des régularisations et la gratuité des cessions pour simplifier le mécanisme. La gratuité s'accompagnerait d'une captation des plus-values, si elles se réalisent, afin d'éviter que la cession entraîne, le lendemain, des reventes spéculatives. Il faut à la fois afficher la gratuité dans un souci de lisibilité pour la population tout en assurant un retour à l'État ou aux collectivités selon le cas. Il conviendrait également, avant d'organiser le transfert du foncier aux collectivités, de transférer des terrains préalablement listés aux organismes de logement social et de délimiter soigneusement les espaces naturels soumis à une protection renforcée, ainsi que les espaces exposés à des risques naturels. Il est important de transférer aux collectivités des terrains sur lesquels le risque a été, sinon totalement éliminé, du moins géré le mieux possible et sur lesquels les travaux d'aménagement ont été chiffrés.

Notre deuxième série de recommandations intervient dans la foulée de la décision de transfert aux collectivités territoriales. Elle porte sur la redéfinition du rôle des différents intervenants. Les agences de la ZPG n'ont plus en tant que tel de raison d'être, même si elles pourront être confrontées à un surcroît de travail dans une phase transitoire. Leur liquidation doit être engagée à terme après avoir affiché une feuille de route claire, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il faut leur prescrire de ne plus entamer de nouveaux travaux d'aménagement. Actuellement, l'aménagement précède la cession, ce qui génère un processus sans fin. En effet, l'aménagement dure plusieurs années et il suffit, huit jours avant la date de disparition programmée des agences, que l'on engage de nouveaux chantiers pour que le processus soit automatiquement reporté pour trois ans. Le rapport précédent de l'inspection le montrait bien. Les activités d'aménagement doivent être portées par des aménageurs.

À l'époque du rapport existait un obstacle juridique dans l'ordonnance de 2011 qui prévoyait que les établissements publics fonciers locaux (EPFL) ne pouvaient pas réaliser d'aménagement, contrairement à ce qui se passe en Guyane. Nous estimions qu'en Guadeloupe comme en Martinique existaient ou pouvaient exister des outils d'aménagement clairement portés par les collectivités, qui assumeraient ces missions d'aménagement comme partout ailleurs. Il n'était donc plus d'actualité de disposer d'un aménageur d'État pour gérer une série de lotissements ou de grandes opérations, sur lesquelles les collectivités étaient légitimes pour agir. Nous proposions que les EPFL soient centrés sur la gestion foncière, la collectivité propriétaire pouvant lui confier la gestion de ses terrains. On pouvait imaginer transférer l'activité des agences et leurs actifs financiers à des EPF d'État. Désormais, les collectivités ont pris la main et constitué des EPFL. La mission de ces établissements publics doit maintenant se concentrer sur le développement d'une action foncière, la saisie des opportunités, l'approvisionnement en foncier des collectivités et des opérateurs publics. Cela nous a paru suffire à leur bonheur, sans leur ajouter l'aménagement, d'autant que les aménageurs existent et ont montré leur appétit.

Mme Noémie Angel. - La question du titrement figurait également dans notre lettre de mission. Elle nous éloigne un peu de la zone des cinquante pas géométriques car il s'agit d'un problème général aux Antilles. L'absence de titres de propriété ou bien l'existence de titres qui n'ont pas donné lieu à succession pose de sérieuses difficultés. Il était de tradition de dire oralement à tel enfant ou petit-enfant que tel terrain lui revenait, plutôt que de recourir à un notaire pour assurer la réalisation des opérations permettant de disposer d'un titre et de le transmettre en bonne et due forme. La situation est devenue très complexe. Certains terrains font l'objet de titres en bonne et due forme. D'autres renvoient à des titres anciens qui n'ont absolument connu aucune dévolution successorale, souvent depuis plus d'un siècle, ce qui a pour conséquence la multiplication des indivisaires, alors même qu'une famille habite sur le terrain. Il faut aussi prendre en compte les terrains qui autrefois appartenaient à des collectivités ou à l'État et où sont installés des occupants qui en ont « hérité » oralement parfois depuis le XIX e siècle. Partout le titre de propriété prend une grande force symbolique.

Initialement, au moment où notre lettre de mission fut rédigée, il était envisagé que les agences soient reprises par les EPF d'État qui devaient être créés. Ces derniers n'ont finalement pas vu le jour parce qu'on leur a préféré la solution des EPFL. Il était aussi prévu de confier aux EPF d'État les activités d'un groupement d'intérêt public (GIP) en charge du titrement sur le modèle corse. L'idée était de tirer parti des similitudes entre les situations foncières corse et antillaise, marquée toutes les deux par l'absence de titres de propriété et de transposer la solution mise en oeuvre en Méditerranée. Les EPF aurait donc à la fois la charge de la régularisation des occupations sans titre dans la ZPG et la clarification générale des titres de propriété sur l'ensemble du territoire des îles.

La reconstitution des titres de propriété est essentielle pour soigner ce qui représente une véritable plaie économique. Sans titre, il n'existe pas de possibilité d'emprunter. L'absence de titre présente beaucoup d'incidences sociales et économiques concrètes pour les familles.

Pour préparer le rapport, nous nous sommes penchés sur le modèle du GIP de titrement et nous nous sommes même rendus en Corse pour apprécier directement sa pertinence. Nous avons dressé un état des lieux assez prudent car nous nous sommes rendu compte que, malgré son aspect séduisant, le modèle corse ne pouvait pas aisément être adapté à la Guadeloupe et à la Martinique. En effet, en Corse, existe un cadastre très performant d'origine napoléonienne qui permet d'identifier historiquement les propriétaires. Comme il était, de plus, possible de bénéficier jusqu'à récemment d'une exonération de frais de successions, le GIP fonctionne relativement bien. Aux Antilles, la situation est beaucoup plus complexe : certains titres en bonne et due forme ont plus d'un siècle mais certaines familles n'en disposent pas, tout en occupant le terrain et en s'en sentant propriétaire. Dès lors, avant même que les nouveaux EPF puissent se saisir du titrement, il fallait impérativement un état des lieux nettement plus précis, notamment pour les archives afin de s'assurer de la qualité des données. D'autres expériences, notamment au Brésil, pourraient de ce point de vue se révéler plus pertinentes, car appliquer simplement les règles de dévolution successorale en remontant jusqu'au propriétaire initial au XIX e siècle ne suffira pas à régler les problèmes fonciers aux Antilles.

Tout ceci explique que nous ayons émis des recommandations plus prudentes en demandant avant toute chose un audit précis. Il convient de nous assurer de la faisabilité du projet avant de se doter de nouveaux outils. Il nous a semblé que, sur la question du titrement, on avait eu tendance à mettre l'outil avant le bilan.

M. Michel Magras , président . - Les questions foncières outre-mer couvrent un champ d'investigation très vaste. C'est pourquoi nous avons segmenté notre étude en trois volets. Le second volet traitera à fond de la question du titrement. Dans le premier volet qui nous occupe actuellement et qui est consacré à la gestion du domaine de l'État outre-mer, nous n'aborderons la question du titrement qu'incidemment, dès lors qu'il s'agit de traiter les occupations sans titre du domaine.

M. Serge Larcher , co-rapporteur . - Pour revenir sur le cas corse, j'aimerais rappeler que tout est venu d'un cavalier sur le titrement inséré dans la loi « littoral » en 1986. À l'époque, j'avais tenté de sous-amender pour aller au-delà de la création d'un GIP chargé du titrement en Corse mais je n'avais pas été suivi car la spécificité antillaise n'était pas bien comprise. Je comparerais la question foncière en Martinique à une bombe à fragmentation qui menace d'exploser tant la situation devient intenable à force de s'être complexifiée au fil des années. Par exemple, souvenons-nous que la Guadeloupe et la Martinique ont été des terres d'émigration vers l'hexagone. Beaucoup de familles ont laissé en partant leurs terrains. Ils se sont installés durablement en métropole et leurs enfants y sont restés. Pendant ce temps, des gens ont occupé aux Antilles les terrains laissés vides et ont bénéficié de la prescription trentenaire. De nombreux contentieux sont renvoyés devant le juge pour trancher entre deux titres, l'un issu d'une succession en bonne et due forme, l'autre fruit de la prescription acquisitive.

Un autre problème majeur réside dans l'élaboration du cadastre. Dans les années 1950, les Antilles ont été cadastrées mais l'action des géomètres-experts chargés de délimiter les parcelles a été mal interprétée, dans la mesure où elle a été assimilée à tort à la délivrance d'un titre aux personnes qui étaient réputées propriétaires. La confusion s'est installée dans les zones rurales entre un titre de propriété et une pièce cadastrale. Cette situation très complexe est un frein majeur au développement et à la construction de logements sociaux puisqu'elle bloque les mutations. L'urgence est là.

M. Jean-Jacques Hyest . - C'est le cadastre napoléonien qui fait toute la différence dans le cas corse. La superposition des problèmes de titrement, d'indivision successorale non résolue, d'imperfection du cadastre et de recours à la prescription acquisitive rend le cas antillais particulièrement épineux à résoudre.

M. Guillaume Arnell . - La question du titrement ne peut pas être complètement absente de nos travaux, même si nous nous concentrons sur la gestion du domaine de l'État pour le moment. La collectivité de Saint-Martin a en effet hérité de la compétence de l'État sur la ZPG et est engagée dans une campagne de régularisation des occupants sans titre.

Mme Sabine Baïetto-Beysson. - En ce qui concerne la suite donnée à nos travaux, il me semble qu'il vous faut interroger les diverses autorités en charge qui pourront mieux vous répondre que vous. C'est un sujet qui les a bien mobilisées et a donné de nombreuses discussions.

Dans notre rapport, nous exprimions notre préférence pour un transfert du foncier d'État aux intercommunalités et, à défaut, à la région Guadeloupe et à la collectivité unique de Martinique. Les deux solutions présentent des avantages et des inconvénients.

Mme Noémie Angel. - Nous avons tout d'abord écarté le scénario d'un transfert aux communes, bien qu'elles constituent l'échelon de proximité et travaillent étroitement avec les agences, car leur situation financière est très dégradée et leurs capacités d'investissement insuffisantes.

De constitution récente, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) nous semblaient représenter un échelon de cohérence et de mutualisation très intéressant. Je préfère parler à l'imparfait car la carte intercommunale a dû évoluer depuis et nous n'en avons pas suivi les derniers développements, ce qui nous incite à la prudence. Il n'en reste pas moins que les ECI ont vocation aux termes du code général des collectivités territoriales (CGCT) à gérer les politiques d'aménagement, d'assainissement et d'habitat. En outre, et à ce titre elles offrent un exemple pour les autres territoires de la République, les intercommunalités aux Antilles présentent une taille relativement importante car il n'existe pas de toutes petites communes.

En revanche, il nous a paru qu'en Guadeloupe les EPCI n'avaient pas complètement pris toute leur dimension et que certaines communautés d'agglomérations ou de communes n'étaient pas encore opérationnelles à la date du rapport. En Martinique, la situation était différente : l'intercommunalité était plus ancienne et les deux communautés d'agglomération rencontrées s'étaient déjà engagées dans des diagnostics fonciers, tout en finalisant leurs schémas de cohérence territoriale (SCOT) et leurs programmes locaux de l'habitat. Cet état de fait nous conduisait à une préconisation différenciée entre la Guadeloupe et la Martinique : un transfert de propriété vers les intercommunalités en Martinique et une possibilité de transfert plutôt vers le conseil régional en Guadeloupe. Bien qu'elle ne dispose pas en tant que telle de compétences opérationnelles d'aménagement, la région Guadeloupe s'était positionnée activement sur la définition d'une politique d'aménagement territoriale dans le SAR et était en mesure de monter des dossiers de subventions avec l'expérience du transfert de gestion du Feder et du Feader. Le rapport avait donc laissé ouvert le choix entre les deux échelons de collectivités. Mais si la région se voit attribuer des parts du domaine, il faut qu'elle réunisse les compétences nécessaires à la gestion de la domanialité et insister sur la conclusion de conventions avec les communes pour garantir un traitement de proximité.

M. Serge Larcher , co-rapporteur . - C'est un ancien maire qui vous parle. Rien n'a évolué depuis votre rapport et l'adoption de ma proposition de loi. Le délai de deux ans supplémentaires accordé aux agences n'a pas été mis à profit. Pourquoi aujourd'hui les constructions continuent-elles à s'élever sur la ZPG ? On peut dire que l'État, la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement en l'espèce, ne fait pas son travail alors qu'il est chargé de la police de la ZPG. On peut dire aussi que certains poussent à la construction. Il faut les nommer : ce sont les maires. Or qui rencontre-t-on dans les EPCI ? Des maires et représentants des communes qui siégent dans l'EPCI. Si l'on transfère la ZPG aux intercommunalités, on sera donc confronté aux mêmes pesanteurs. Il faut éviter cela. En tant qu'ancien président de l'association des maires de Martinique, je préconise un transfert à un échelon supérieur.

En outre, la Guadeloupe et la Martinique connaissent des difficultés analogues. Ne traitons pas différemment deux îles distantes de deux cents kilomètres qui rencontrent des problèmes semblables. N'oublions pas, par ailleurs, que le mouvement de l'histoire entraîne les départements d'outre-mer vers plus d'autonomie, en-dehors même de la question du statut. Les populations demandent un peu plus de pouvoir local et surtout une action locale plus claire, plus lisible et plus cohérente. La collectivité unique va apporter la clarification nécessaire dans l'enchevêtrement actuel entre département et région.

L'échelon régional ou de la collectivité unique paraît le plus pertinent. Il ne faut pas surcharger les EPCI de missions supplémentaires alors qu'ils connaissent de très sérieuses difficultés financières. Enfin, il faut garder une cohérence entre le niveau de collectivité propriétaire et le niveau de collectivité gestionnaire : si l'on crée des EPFL régionaux qui se substitueront aux agences, il convient de transférer la propriété de la ZPG à l'échelon régional.

M. Joël Guerriau , co-rapporteur . - Je partage tout à fait les arguments de notre collègue Serge Larcher. L'avantage de la région réside dans le fait qu'elle soit pour ainsi dire figée dans le temps, ce qui garantit l'identité pérenne du propriétaire et une politique d'aménagement à long terme. En revanche, par définition, un EPCI a vocation à se transformer. Son périmètre est mouvant, ce qui va créer des difficultés majeures pour gérer la propriété de la bande côtière. La gestion de la ZPG doit être cohérente et unifiée, sans que d'un point à un autre les politiques divergent tant en termes de stratégie que de moyens. Je pense donc qu'il faut totalement exclure le scénario du transfert aux EPCI pour garantir la cohérence et l'unicité de l'action publique dans ces espaces.

M. Guillaume Arnell . - La collectivité de Saint-Martin a hérité en 2007 de la gestion de la ZPG. Des parcelles dans cette zone ont été vendues par l'État sans que les « propriétaires » aient eu connaissance de la disponibilité du foncier. Or, les familles qui ont occupé depuis plus de cent ans parfois ces parcelles se sentent complètement dépossédées de leur bien. Lorsque l'acheteur est un particulier, cas le moins compliqué, on parvient à trouver des solutions, y compris judiciaires. Mais, parfois, les acheteurs sont de grands groupes hôteliers qui ont acquis des dizaines d'hectares occupés par de l'habitat incontrôlé. Il est alors impossible de régulariser, d'autant que les « propriétaires » originels ont disparu et que leurs héritiers occupants se veulent intransigeants. En récupérant la ZPG et sa gestion, la collectivité de Saint-Martin a beaucoup de difficultés à trouver une solution convenable pour les deux parties. À cela s'ajoute l'impossibilité de réaliser des opérations d'aménagement alors que ce sont presque des villages entiers qui se sont construits.

La collectivité de Saint-Barthélemy n'est pas concernée par le régime de la ZPG pour des raisons historiques, mais cette différence entre les collectivités n'est pas toujours bien comprise par la population. Les incompréhensions du citoyen ordinaire sont renforcées par l'activité d'avocats, qui profitent de la question, en contestant la longueur des pas, la limite de la ZPG, etc. Tout ceci nourrit le refus obstiné de toute régularisation chez certains habitants qui considèrent que ni l'État, ni la collectivité ne sont réellement propriétaires.

M. Serge Larcher , co-rapporteur . - Je me permets d'apporter une précision à caractère historique. Les 81,20 m de la ZPG ont été calculés à partir de l'étalon du pas allemand.

M. Joël Guerriau , co-rapporteur . - Pour revenir sur mon propos précédent, j'aimerais ajouter que certains départements d'outre-mer n'ont pas d'EPCI sur leur territoire. C'est le cas de Mayotte. Un transfert aux Antilles de la ZPG aux EPCI ajouterait une hétérogénéité supplémentaire entre les collectivités ultramarines.

Mme Odette Herviaux . - Je partage totalement l'opinion de notre collègue Serge Larcher. Nous devons éviter de mettre les maires en difficulté en les exposant à des pressions trop fortes. Il faut remonter plus haut, à l'échelon régional, pour prendre des décisions validées collectivement. Je suis favorable à l'intervention d'un EPF régional, qui tiendra compte des politiques des EPCI, pour régler ce problème très complexe.

M. Jean-Jacques Hyest . - Nous ne pouvons pas reprocher aux auteurs du rapport d'avoir évoqué plusieurs options. C'est bien en examinant ces options que nous nous rendons compte que l'échelon régional est le plus pertinent. Parfois, il est bon d'éviter trop de proximité pour traiter certains sujets.

M. Michel Magras , président . - Le gouvernement prépare un projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer qui devrait traiter certains aspects de la question foncière.

M. Serge Larcher , co-rapporteur . - Pour l'instant, il semble que le projet de loi se contente de prévoir la prolongation pour trois nouvelles années des agences des cinquante pas. Cela n'interdit pas d'aller plus loin au cours du débat parlementaire.

M. Michel Magras , président . - Permettez-moi une brève évocation du cas particulier de Saint-Barthélemy. Il n'y existe pas de ZPG. Tous les biens jusqu'à la limite des côtes ont toujours eu un propriétaire détenant un titre de propriété. Il n'y a pas de biens sans maîtres sur le territoire de la collectivité.

Mme Sabine Baïetto-Beysson. - Pour clarifier, nous avons effectivement étudié plusieurs options. Le choix d'un transfert aux EPCI paraissait la solution la plus logique sur le plan théorique et la plus cohérente avec le mouvement de décentralisation de l'urbanisme. Nous avions néanmoins pondéré pragmatiquement cette proposition, dès lors que la région montrait une certaine appétence, très claire dans le cas de la Guadeloupe, pour gérer la ZPG. Nous avions simplement exclu d'en rester au plan strictement communal.

Il faut distinguer le propriétaire du foncier qui est l'État et les opérateurs que sont les agences. Nous préconisions le transfert de propriété du foncier, une fois purgé autant que possible des régularisations en cours. Nous faisions également des propositions pour accélérer les régularisations pendant une période transitoire. Par exemple, les compteurs de la régularisation sont arrêtés à la date de la loi de 1996, alors que la loi Letchimy organise une forme de régularisation d'habitat informel dès lors que l'occupation dure depuis 10 ans. Cela paraît un peu contradictoire. Nous proposions de ne transférer qu'un foncier expurgé d'un certain nombre de situations difficiles qu'on pouvait régler rapidement. De même, le foncier devait être purgé du problème des risques et du patrimoine naturel. Le foncier transféré à la région ou à la collectivité unique ne devrait couvrir que des terrains aménageables. Ce qui nous paraît avoir bloqué le processus de régularisation, c'est d'avoir fait de l'aménagement un préalable à la cession. Notre position est de renverser les termes : les collectivités sont responsables de l'aménagement, qu'on les rende aussi responsables de la délivrance des titres de propriété.

Les agences, ou leurs successeurs, ont un rôle d'opérateur. Nous avons constaté deux situations contrastées. En Martinique, l'aménagement a été affiché comme une priorité et a mobilisé des budgets importants du Feder. Des opérations ont été réalisées, à l'exception de certaines d'entre-elles, de très grande ampleur comme Volga, qui à l'époque du rapport n'étaient pas véritablement engagées, faute d'un accord clair entre l'aménageur et la collectivité-support. En Guadeloupe, le bilan des régularisations est comparable mais avec beaucoup moins de travaux d'aménagement ce qui avait conduit à générer une trésorerie relativement abondante.

Évaluer l'activité d'un aménageur est très difficile, car les comptes révèlent un instantané, alors que l'activité est pluriannuelle. Une appréhension juste nécessiterait de pouvoir dérouler les opérations dans le temps jusqu'à leur terme en tenant compte des aléas correspondants. Nous avons été frappé de constater que, depuis leur création en 2000, la loi datant de 1996, les agences n'ont été soumises à aucun audit extérieur de leur activité. C'est ce qui avait motivé notre recommandation de lancer un audit externe, non pas dans un souci de répression, mais tout simplement en conformité avec les bonnes pratiques de gestion administrative. Il n'est pas normal de ne pas disposer d'un regard extérieur approfondi sur un établissement public d'État, quand bien même il collecterait des sommes relativement faibles. Cet audit, programmé pour 2015, sera particulièrement utile au moment de transférer l'actif des agences.

Pour engager la transition, il est nécessaire que soit envoyé un signal clair. Il revient à l'État, et aux parlementaires, de dire maintenant que le processus de liquidation est lancé. Tant que cela n'est pas le cas, il est difficile de donner une feuille de route précise aux agences. Il faut absolument fixer un cap et s'y tenir. L'horizon a été tantôt raccourci, tantôt rallongé, puis encore prolongé. Maintenant il faut se déterminer, se tenir aux décisions prises et toujours considérer la logique globale du processus en dépassant le problème de la date de péremption des agences, si je puis dire. Une fois que le cap sera clairement défini, il sera possible de demander aux agences d'accélérer le processus de régularisation pendant la période transitoire.

Nous ne nous sommes pas prononcés sur les autres départements d'outre-mer qui étaient hors du champ de notre mission.

M. Michel Magras , président . - En dehors des zones urbanisées ou urbanisables que nous avons évoquées, nous ne devons pas ignorer que, sur les espaces naturels sensibles, existe un droit de préemption des départements. Ceux d'entre eux qui ne souhaitent pas l'exercer peuvent laisser agir le Conservatoire du littoral.

M. Serge Larcher , co-rapporteur . - Nous devons nous entendre sur la définition du foncier qui serait transféré. Si l'on décide de transférer les terrains gérés par la DEAL, on peut entendre par cela que l'on transférera des terrains urbanisés ou semi-urbanisés. Or, la DEAL gère aussi un domaine naturel. En 1986, le découpage a été mal fait entre les zones gérées par la direction de l'équipement à l'époque et l'ONF. Le partage a en fait conduit à ce que la DEAL gère les zones urbanisées des centres-bourgs, les zones d'habitat diffus des banlieues et certains espaces naturels. Le transfert doit-il concerner en bloc tout le domaine géré par la DEAL ? Faut-il redécouper ?

Mme Sabine Baïetto-Beysson. - Nous nous sommes prononcés pour un redécoupage, sanctionné par un décret en Conseil d'État au même titre que le SAR. Cela nous a paru de nature à graver dans le marbre le nouveau partage pour ne plus avoir à y revenir. La redélimitation demandera en particulier un travail d'extraction des zones à risques qu'il faudra gérer préalablement. Les espaces naturels ont vocation à rester naturels, ce qui n'empêchera pas dans certains cas de retrancher ou de rajouter certaines zones au domaine naturel.

M. Serge Larcher , co-rapporteur . - Il faudrait pouvoir dans certains cas remettre dans la partie urbanisée des espaces considérés aujourd'hui comme naturels mais qui jouxtent les zones urbanisées et sont en réalité urbanisés eux-mêmes. C'est toute la découpe qui devrait être reprise.

Mme Noémie Angel. - Entre les deux îles, nous avons pu constater d'importantes différences dans la cartographie initiale.

M. Michel Magras , président . - La problématique que nous étudions est à la fois complexe et importante. Elle se situe au croisement d'une quantité de domaines, l'urbanisme, l'environnement, la fiscalité, etc. Pour gérer tous ces aspects de manière claire et précise sur la longue durée, l'échelon de la collectivité globale, quel qu'en soit le statut, me paraît le plus pertinent. Saint-Barthélemy tire un grand parti de disposer de la compétence en matière d'urbanisme, qui n'est plus une matière d'État. Je reconnais que c'est un cas particulier.

M. Jean-Jacques Hyest . - On ne peut pas ignorer les différences de statut entre collectivités.

Mme Vivette Lopez . - Les zones à risque sont imposées par l'État ! Leur cartographie ne relève pas des collectivités.

M. Jean-Jacques Hyest . - Certes, Saint-Barthélemy dispose de son propre code de l'urbanisme. Il n'en reste pas moins que lorsqu'une collectivité prépare ses documents d'urbanisme, beaucoup de normes supérieures s'imposent à elle. L'État intervient largement mais ce n'est pas le problème. Admettons que la zone urbanisée soit gérée par un EPFL de la collectivité. Qui gère le reste du domaine ?

Mme Sabine Baïetto-Beysson. - De notre point de vue, la domanialité a été perçue comme un instrument de protection. Cette solution a montré ses limites : à force, la domanialité est devenue un instrument de protection aux mailles trop larges. En outre, à quoi sert le régime de la domanialité dès lorsqu'il pèse sur des terrains qui ont vocation à être régularisés, cédés à leurs occupants et urbanisés ? Il y a là une antinomie qui est source de toutes sortes de lourdeurs : vingt-deux étapes de procédures sur trois ans. La domanialité n'est pas le bon outil. En revanche, que l'État se réserve de rectifier le périmètre des terrains du domaine public au profit de l'ONF et du Conservatoire du littoral, nous n'y voyons rien que de normal.

M. Jean-Jacques Hyest . - L'État doit donc garder la main sur les espaces naturels qui n'ont pas vocation à être urbanisés. Cela me paraît clair.

Mme Noémie Angel. - Une des spécificités par rapport au droit métropolitain réside dans l'opposabilité du SAR aux SCOT. La collectivité unique dispose d'un outil d'urbanisme, négocié avec l'État, particulièrement fort.

M. Jean-Jacques Hyest . - La compétence régionale sur les zones urbanisées paraît dans ce cas encore plus logique !

M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur coordonnateur . - Toutes les collectivités ne sont pas logées à la même enseigne. Je fais allusion au Département de Mayotte qui, coup sur coup en un temps très réduit, a dû absorber la décentralisation, la départementalisation, la RUPisation et la réforme fiscale. Ces chantiers monumentaux ont commencé il y a moins de dix ans. Notre souci majeur demeure la déficience des moyens alloués pour exercer ces compétences. Lorsqu'on parle de nouvelles charges sur les collectivités, je ne peux manquer de réagir. Aujourd'hui, l'élaboration du cadastre est au point mort. La ministre de l'outre-mer a annoncé la création d'un EPF d'État. Nous le demandions parce que la collectivité ne pouvait pas gérer le foncier sans disposer des moyens et des compétences en ingénierie idoines. Mayotte doit être soutenue à la hauteur des difficultés qu'elle rencontre et mérite des solutions adaptées. De ce point de vue, pensez-vous qu'il serait utile de s'inspirer de l'expérience antillaise de gestion de la ZPG et de transposer vos préconisations au cas mahorais.

Mme Sabine Baïetto-Beysson. - Nous serions ravies d'étudier le problème sur place. Il serait un peu superficiel pour nous de vouloir prendre position sans une connaissance approfondie et documentée de la situation foncière de Mayotte. Néanmoins, on pourrait difficilement recommander de créer un outil spécifique pour gérer la ZPG à Mayotte sur le modèle des agences, alors que cela n'a pas été la solution aux Antilles. Le sujet du transfert de propriété de la ZPG est distinct et ne doit pas être confondu avec celui de sa gestion. Le nouvel EPF d'État devrait pouvoir porter la gestion foncière sur le territoire de Mayotte. Inventer un outil supplémentaire, qui risquerait de s'y superposer et de brouiller le partage de compétences, ne paraît pas a priori de bon aloi. Il ne s'agit que d'une réponse personnelle qui semble de bon sens mais qui n'est pas appuyée sur une étude précise.

M. Michel Magras , président . - Nous vous remercions pour vos interventions et nous ne manquerons pas de faire à nouveau appel à vous lorsque nous approfondirons la question de la reconstitution des titres de propriété.

Audition de M. Jean-Marc Michel, directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature au ministère de l'écologie et du développement durable, accompagné de M. Alby Schmitt, Mme Hélène Montelly et M. Jan Niebudek

M. Michel Magras , président . - Monsieur le directeur général, je vous remercie d'avoir répondu positivement à notre invitation.

La délégation à l'outre-mer travaille sur la problématique complexe du foncier. Cette étude se déclinera sur trois années, avec des thèmes annuels spécifiques. Cette année, le premier volet est axé sur la gestion du domaine public et privé de l'État en outre-mer, étant entendu que d'autres problématiques, comme le titrement, seront étudiées dans le volet suivant.

À mes côtés, se tiennent M. Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, rapporteur chargé de coordonner l'ensemble des travaux sur la période des trois ans, et les trois rapporteurs de ce volet : MM. Georges Patient, sénateur de la Guyane, Joël Guerriau, sénateur de la Loire-Atlantique, et Serge Larcher, sénateur de la Martinique, particulièrement impliqué sur ces questions depuis de nombreuses années.

Nous avons précédemment reçu l'Office national des forêts (ONF), le Conservatoire du littoral, France domaine, une professeure de droit, la direction générale des finances publiques, et nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir.

M. Jean-Marc Michel, directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature . - Je vous remercie d'associer ma direction générale à vos travaux.

Sous l'autorité de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, et de la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité, la direction générale a en charge plusieurs familles de politiques publiques. Elle élabore, anime et évalue les politiques de l'urbanisme, du logement, de la construction, de la protection des ressources naturelles, de l'eau, de la nature et des ressources minérales non énergétiques. C'est une direction qui contribue à la conservation de la qualité des territoires. Elle est organisée autour d'une direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, et d'une direction de l'eau et de la biodiversité.

Sur les territoires ultramarins, cette direction a une forte culture d'entreprise dans la mesure où une sous-direction est en charge des milieux marins et trois autres de la qualité des ressources naturelles, en particulier de la biodiversité. Vous avez devant vous des personnes qui ont toutes servi dans les outre-mer et connaissent l'importance de leurs milieux naturels terrestres et marins.

Si les crédits de soutien au logement sont portés par la ligne budgétaire unique gérée par la direction générale des outre-mer, nous jouons, au titre de la réglementation de la construction, un rôle important en matière de logement, d'urbanisme et de construction ultramarine.

Notre direction met les territoires ultramarins au coeur de ses politiques publiques.

En réponse aux questions que vous nous avez adressées, je souhaite vous donner quelques précisions sur les effectifs. La direction générale fait travailler, en métropole et dans les outre-mer, quinze mille agents dans les services déconcentrés, dont environ six cents dans nos directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) et de la mer (DM) dans les cinq départements d'outre-mer, ainsi qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous avons la tutelle de plus de cinquante établissements publics qui représentent, sur l'ensemble du territoire national, à peu près sept mille agents.

Les départements d'outre-mer hébergent les parcs nationaux, des agences, des établissements publics. Pour ce qui concerne les territoires ultramarins, le Conservatoire du littoral, l'Office de l'eau, l'Office de la chasse, l'ONF et les agences des cinquante pas géométriques représentent environ un millier d'agents. À travers ce millier d'agents - 600 dans les services déconcentrés et 400 pour les établissements publics -, nous sommes en capacité d'être au service des territoires ultramarins.

Ces éléments quantitatifs sont de nature à éclairer vos réflexions et vos conclusions de telle sorte que l'on puisse améliorer sensiblement la manière d'intervenir de nos établissements publics sous tutelle, et contribuer, au travers du pilotage de nos services déconcentrés avec les préfets, à la parfaite mobilisation du foncier public et privé de l'État, à la fois en valorisation du patrimoine mais aussi en programmes et en politique de développement, avec une logique d'économie de l'espace.

Les établissements les plus « impactants » pour le territoire sont les trois parcs nationaux dans lesquels travaillent près de 250 personnes ; au travers des hectares de coeur de parcs ou des chartes, ils sont en relations quotidiennes avec les collectivités.

Divers dispositifs nous permettent d'exercer notre tutelle sur les établissements publics, tout en respectant leur autonomie. Nous sommes en capacité, au travers des contrats d'objectifs ou des lettres annuelles de mission, de leur demander de prendre en compte un certain nombre de sujets, dont les préoccupations foncières.

Les relations entre les établissements publics sous tutelle du ministère de l'écologie et ceux sous tutelle du ministère de l'agriculture, comme par exemple l'ONF, sont harmonieuses lorsqu'elles sont bien cadrées et qu'il n'y a pas de chevauchement dans les missions. C'est ce qu'a permis le décret de création du Parc national amazonien de Guyane. Le décret pour le parc de La Réunion a été moins bien cadré, et cela se ressent dans les relations entre agents des différents établissements.

Les établissements publics nationaux ne sont pas les seuls établissements qui sont importants pour nous. Le Conservatoire du littoral a également réussi à trouver sa place aussi bien dans les départements d'outre-mer que dans le Pacifique. À travers le contrat d'objectifs, il est en permanence en relation avec les collectivités. Il n'y a pas pour nous de gestion autonome du patrimoine public ou privé de l'État, qu'il s'agisse de l'État tout seul ou des établissements publics tout seuls. Il y a forcément une vision partenariale dans la gestion et dans la définition finalisée de l'utilisation de ces espaces. On le voit sur un certain nombre d'opérations fortes dans les parcs nationaux. Le rôle du Parc national de La Réunion, par exemple, a joué un rôle fédérateur dans l'obtention du label « patrimoine mondial de l'Unesco ». Il a montré à la collectivité internationale que, en protégeant 40 % du territoire, on avait l'assurance qu'un bien confié au territoire de La Réunion serait encore dans l'état dans lequel il lui a été confié - voire amélioré - cinquante ans plus tard. Au point que les services du patrimoine mondial de l'Unesco ont demandé aux Réunionnais et au Parc national d'être les fers de lance de la politique patrimoniale mondiale dans l'océan Indien.

Une maîtrise du foncier et des valeurs patrimoniales greffées sur ce foncier peut donner au territoire une image internationale positive. C'est ce que fait le Parc national de la Guadeloupe en Caraïbe. Je pourrais citer également, puisque nous sommes dans l'année de la Conférence internationale de Paris, ce que le Parc amazonien de Guyane réalise avec son voisin le Parc national brésilien des Tumucumaques. Leur action permettra de démontrer que, pour les cinquante prochaines années, une sorte de relique planétaire de forêt amazonienne pourrait être conservée, tout en poursuivant une logique de territoire habité, avec les composantes culturelles et identitaires qui sont installées sur ces territoires.

Notre souhait est de démontrer que, au travers du foncier, nos établissements publics peuvent apporter à l'image et à l'avenir d'un territoire. La valorisation des espaces publics et privés est pour nous une préoccupation permanente.

Il y a aussi des espaces publics et privés de l'État qui n'ont pas seulement des composantes naturelles mais également des composantes urbaines, en particulier sur le littoral. Dans ce cas, le pilotage du partage de destinations est plus compliqué. Les schémas d'aménagements régionaux (SAR) définissent des objectifs et déterminent des destinations à ces unités foncières.

Nous ne sommes pas au bout de nos peines pour ce qui concerne les cinquante pas géométriques. Si le sujet macro-zonage espace naturel / espace urbain est à peu près défini, dès lors que l'on descend à l'intérieur des espaces urbains, des difficultés apparaissent, surtout quand on essaie de faire se croiser plusieurs politiques publiques comme celle de l'accompagnement des ménages installés sur ces territoires - notamment au travers la résorption de l'insalubrité de l'habitat -, celle de l'aménagement d'équipements publics pour qu'il y ait une sorte d'équité d'accès aux services essentiels, et celle de l'analyse des risques de submersion marine sur laquelle l'État n'a pas fini de travailler. Les problèmes ne sont pas identiques sur tous les littoraux. En espace montagneux peu bâti sur le littoral, on n'a pas le même risque qu'à Mayotte !

Nous considérons que l'État et les collectivités doivent, notamment au travers de l'agence des cinquante pas géométriques, quand elle existe, réussir à faire se combiner des visions stratégiques d'aménagement, des analyses de risques et d'aléas, notamment liés au changement climatique, et des conduites de politiques publiques d'accès aux services essentiels.

Si le projet de nouvelle organisation territoriale de la République donne aux régions des compétences supplémentaires pour bâtir un schéma régional d'aménagement et de développement durable et d'égalité des territoires en en exemptant les outre-mer, c'est parce que ceux-ci ont déjà leur SAR. En logique de miroir, quand nous regardons ce que les SAR avaient déjà prévu sur cette prise en compte des risques, la résorption de l'habitat indigne, la valorisation des patrimoines naturels, les relations avec les PLU, le rôle des sociétés publiques d'aménagement ou celui des SEM d'aménagement, nous nous interrogeons sur les nouvelles dispositions qui pourraient les enrichir.

Nous considérons qu'une vision partagée doit s'imposer d'abord à l'échelle des SAR puis, ensuite, zone par zone.

Les agences des cinquante pas fonctionnent plus ou moins de la même manière. À La Réunion, en Guyane où il n'y en a pas, ce sont les DEAL qui exercent leurs prérogatives. Le titrement et le transfert de propriété se font au fil de l'eau. Dans mon raisonnement, en faisant entrer d'autres politiques publiques que celle du seul transfert de propriété, je ne cherche pas à complexifier l'équation, mais j'essaie d'anticiper sur un futur qui pourrait nuire à nos concitoyens si on les laissait sur les emplacements sur lesquels ils se sont installés.

La question de l'avenir des deux agences de Guadeloupe et de Martinique se pose. Que faudra-t-il faire au 1 er janvier 2016 ? Faudra-t-il les proroger de deux ou trois ans, mais pour quoi faire et que devront-elles faire d'ici-là ? Faut-il envisager une suspension d'activité ? Mais alors, entre collectivités et État, qui reprend quelles compétences et pour quoi faire ? Au-delà de la compétence de planification, d'ores et déjà attribuée aux collectivités, au-delà de la compétence du « notaire » qui rédige les actes, comment réussit-on à structurer des logiques d'urbanisation nouvelle, comment résout-on un certain nombre de transferts ?

Sur la mobilisation du foncier privé de l'État, il y a superposition de deux dispositifs. Le premier était dédié aux outre-mer. On pouvait, sous prétexte de construction de logements, obtenir une décote de 100 % du prix du foncier privé de l'État. Le récent dispositif de la loi « Duflot » permet, sous condition d'avoir au moins 75 % de logements sociaux dans le programme d'aménagement, d'avoir une décote déterminée en fonction du nombre de logements sociaux. J'ai tendance à dire que ces deux dispositifs se complètent plus qu'ils ne s'opposent. Tous deux peuvent être utilisés, ce qui donne une souplesse supplémentaire. Il me semble que M. Thierry Repentin, qui préside la Commission nationale « aménagement, urbanisme et foncier », a indiqué qu'en Guyane le dispositif de la loi « Duflot » avait déjà été utilisé sur une ou deux opérations.

Au plan national, les vingt dossiers complexes examinés en un an d'activité par la commission nationale - qui a eu un effet déclencheur - représentent un flux de 4000 logements, dont 2000 à 2200 logements locatifs sociaux qui sont entrés en aménagement. Les terrains ne sont pas aménagés pour être construits tout de suite mais cette commission est au service du foncier ultramarin. Elle peut être fortement mobilisée. Son président ne demande que cela.

Je voudrais enfin aborder un sujet qui touche au domaine public maritime : le régime des contraventions. La contravention de grande voirie apparaît complexe, désuète, mais elle donne du pouvoir aux autorités publiques. Le fait que les jugements soient concentrés en appel dans une juridiction spécialisée, à Bordeaux, ne m'inquiète pas car les magistrats sont des spécialistes qui comprennent le dispositif. Depuis 2010, les contentieux ouverts en appel sont au nombre d'une quinzaine en Guadeloupe, d'une petite vingtaine en Martinique. Il faut mettre ces chiffres en perspective avec ceux de métropole : une trentaine dans le Var, une vingtaine dans les Alpes-Maritimes.

Nos outils de gestion des propriétés domaniales sont pertinents et montrent leur efficacité. Avec ces instruments, nous pouvons faire respecter le droit et donner une autre vision de l'avenir de ces territoires en montrant qu'ils sont placés sous l'autorité publique et non sous une forme d'abandon ou de laisser faire. Ils permettent d'afficher une certaine équité entre celui qui respecte le droit et celui qui ne le respecte pas.

Monsieur le président, vous nous aviez posé une quinzaine de questions. Je suis tout à fait disposé à vous communiquer par écrit les réponses que j'ai résumées dans mon exposé.

M. Michel Magras , président . - Monsieur le directeur général, au cours de votre exposé, vous avez en effet balayé la majeure partie des questions qui vous avaient été posées. Bien entendu, nous sommes preneurs de tout document que vous voudrez bien nous transmettre.

Avant de passer la parole à mes collègues rapporteurs, puis-je demander aux personnes qui vous accompagnent de se présenter et, si elles le souhaitent, d'apporter des compléments à votre exposé ?

M. Alby Schmitt . - Je suis directeur adjoint de l'eau et de la biodiversité. Je m'intéresse en particulier au domaine public maritime naturel.

Mme Hélène Montelly . - Je suis chef du bureau du littoral et du domaine public maritime naturel, à la direction de la biodiversité. Mon bureau a, d'une part, la charge de la tutelle du Conservatoire du littoral, de la politique de protection et de gestion intégrée du trait de côte, avec notamment les problématiques de l'érosion côtière et, d'autre part, la gestion de la règlementation du domaine public naturel.

M. Michel Magras , président . - C'est une belle responsabilité ! Les évolutions du trait de côte et la position des territoires face aux changements climatiques sont des problèmes d'avenir intéressants.

M. Jan Niebudek . - je suis chargé de mission pour l'outre-mer auprès du directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et référent outre-mer sur les champs d'action de la direction.

M. Serge Larcher , co-rapporteur . - Depuis une cinquantaine d'années, nous constatons un fort recul des plages martiniquaises. Autrefois, ce recul pouvait être expliqué par les prélèvements de sable à proximité des rivages pour les besoins du bâtiment. Ce n'est plus le cas depuis plus de vingt ans. À chaque cyclone, la mer rentre puis se retire en emportant une partie de plage et les cocotiers. On voit bien ce que peuvent être les conséquences pour l'industrie touristique.

Ce que j'ai observé en Martinique, je l'ai observé sur toutes les îles de la région, et même à Cuba. L'explication dominante actuelle consiste à dire que cela est dû au réchauffement climatique. Certains disent qu'il conviendrait de prélever du matériau dans les terres et de le rejeter en mer pour faire remonter le fond marin. Cela me semble être des élucubrations.

Désormais, quand il y a un cyclone, la mer couvre la route principale. Sans nous fixer d'horizon précis, des experts nous disent que les îles de la Caraïbe sont condamnées à disparaître. Beaucoup de gens sont inquiets. Nous avons un problème de foncier car désormais les gens rechignent à acheter à proximité de la mer. Autrefois, tout le monde voulait avoir les pieds dans l'eau !

Auriez-vous une explication à ce phénomène ?

Mme Hélène Montelly. - Cette préoccupation est de plus en plus prégnante sur les territoires littoraux. Elle se retrouve également en métropole. Lors des dernières tempêtes hivernales, il a été également constaté de forts reculs des plages, voire des disparitions de celles-ci, en Aquitaine notamment. Pour étudier cette problématique, le comité national pour le suivi du trait de côte a été mis en place le 22 janvier dernier, en présence de la ministre. Il est coprésidé par Chantal Berthelot, députée de Guyane, et Pascale Got, députée de Gironde. Ce comité a pour mission, d'ici à la fin de l'année, de conduire quatre chantiers prioritaires. Ces travaux contribueront aux propositions de la France lors de la COP 21 sur l'élaboration de la première cartographie nationale de l'érosion côtière. Ils couvriront également les territoires ultramarins. Cette cartographie a été élaborée de façon à pouvoir être facilement reproductible sur tous les territoires à l'échelle nationale. Il s'agit de disposer d'une vision globale, à l'échelon national, des littoraux exposés à ce phénomène, sur la base d'un indicateur national qui permettra d'obtenir un taux d'évolution historique de l'érosion. On a repris les photos les plus anciennes qui ont pu être trouvées afin de pouvoir établir des comparaisons, de mesurer les disparitions d'un certain nombre de mètres de territoire et parfois, du fait de la sédimentation, la création de dépôts de sable. Les territoires pourront affiner cette cartographie nationale et, en utilisant des échelles plus précises, définir une stratégie pertinente pour régler les problèmes de court terme - type tempêtes, cyclones qui arrivent désormais quasiment tous les ans - et se situer dans des perspectives de moyen et long terme pour anticiper les conséquences du changement climatique et trouver des solutions permettant de prioriser les actions de l'État et des collectivités. Les solutions adaptées doivent être recherchées à l'échelon territorial et local. Il ne saurait y avoir de solution globale et uniforme. On ne peut comparer les situations de la Guyane et de Saint-Pierre-et-Miquelon car les situations et les enjeux sont très différents.

Les réflexions de ce groupe à l'échelon national se poursuivent. Un atelier particulier étudiera prochainement avec Mme Berthelot les problématiques de l'outre-mer. Le comité national fera des propositions sur ce sujet.

M. Jean-Marc Michel . - Je complète en insistant sur l'aspect local. Nous avons essayé, sur l'ensemble du territoire français au complet et en partenariat avec des collectivités, d'insérer des territoires d'expérimentation pour la relocalisation des activités et des biens. L'agence des cinquante pas de Guadeloupe et la commune de Petit-Bourg ont accepté d'être des territoires d'expérimentation sur l'évolution du trait de côte et d'imaginer un repli stratégique des installations humaines en arrière des zones qui s'effondraient. Je vous laisserai, monsieur le président, le petit document qui retrace cela. Ces mesures visent à atténuer les causes mais nous n'avons pas travaillé sur une meilleure définition de celles-ci. Les scientifiques nous disent que lorsque des territoires insulaires tropicaux perdent l'équilibre récif / mangrove, ils perdent une force de protection, à la fois dans les espaces couverts de mangrove et dans les espaces de récifs qui peuvent intervenir comme briseurs de houle. Certains scientifiques disent même que l'équilibre éco-chimique des espaces insulaires doit impliquer la ravine, la mangrove et le récif. D'où l'idée de pousser la future agence française de la biodiversité à travailler sur cet équilibre. La conférence de septembre 2013 incitait déjà le Conservatoire du littoral à devenir détenteur de 35 000 hectares de mangrove pour les protéger.

M. Serge Larcher , co-rapporteur . - En Martinique, la mangrove est assez protégée grâce à l'intervention d'une association écologiste très active.

Je pourrais aussi évoquer les problèmes liés à l'effondrement des cimetières marins des communes du littoral.

Les cyclones se produisent en juillet/août et la saison touristique commence en décembre. Le tourisme fait vivre la population. Pour reconstituer les plages, une des solutions que nous avons trouvées consiste à pomper du sable au large pour pouvoir reconstituer la plage. Mais pour pomper ce sable, il faut des autorisations d'État, ce qui est très compliqué alors que nous sommes pris par le temps.

Pourquoi cette avancée de la mer dans la Caraïbe en général ? Que faire pour sauvegarder l'intégrité de nos territoires ?

M. Joël Guerriau , co-rapporteur . - Je voudrais poser une question sur la biodiversité. Ce qui fait aussi l'intérêt de votre direction générale, c'est qu'elle aborde beaucoup de domaines et en particulier tout ce qui touche au développement durable.

Quelles sont les conséquences sur les barrières de corail des problématiques d'assainissement, de traitement des ordures ménagères, de tout ce qui peut contribuer à la pollution marine ? Quelles sont les conséquences sur l'immersion des terres ? Par rapport à ces conséquences, quelles sont les actions qui seraient à mener ?

En Chine, on fait des îles artificielles, quel est votre point de vue sur ce sujet ?

M. Jean-Marc Michel . - Merci, monsieur le sénateur, d'aborder ce sujet du monde du vivant sauvage.

Je reconnais la forte capacité qu'ont les habitants à accéder à la connaissance des écosystèmes, en dépit de leur complexité. Pour avoir été jeune forestier en Guadeloupe, j'ai pu mesurer que les personnes qui nous accompagnaient, qu'elles soient fonctionnaires forestiers ou simples ouvriers, étaient de très bons connaisseurs des écosystèmes. Si j'avais travaillé sur les fonds marins, j'aurais assurément constaté que les pêcheurs travaillant sur de petites embarcations étaient aussi très bons connaisseurs de leur écosystème. Les collègues du Parc national amazonien de Guyane nous disent que les amérindiens peuvent avoir des connaissances plus fines de la manière dont une valeur patrimoniale végétale peut aider à la protection sanitaire. Quelques grands groupes pharmaceutiques ne se privent pas d'utiliser ces savoirs naturalistes populaires. Outre-mer, compte tenu de la forte richesse de la biodiversité, il faut associer les habitants à la construction des dispositifs de protection ou d'amélioration des écosystèmes.

Les territoires ultramarins ne sont pas dépourvus de savoir naturaliste. Ils ont également des capacités universitaires. Nos établissements publics peuvent participer à la conduite d'expérimentations.

On ne trouvera pas immédiatement la solution. Mais quand, par exemple, on va enfin au terme de l'interdiction de l'utilisation du chlordécone dans les bananeraies, on prépare un avenir meilleur au récif car ce produit est amené à son contact par les ravines.

Quand on reconquiert des fonds de ravines - et là il s'agit de la responsabilité de l'État parce que les ravines sèches appartiennent au domaine privé de l'État - et qu'on tend vers le zéro déchet dans ces espaces-là, on part en même temps vers une reconquête de la qualité du déversoir du bord de côte, voire du récif.

La corrélation terre-mer est une des solutions pour la reconquête de la qualité de nos espaces maritimes car la pollution d'origine tellurique est forte.

La trilogie ravine/mangrove/récif est un écosystème sur lequel les scientifiques nous disent que si nous ne traitons pas à la fois les trois aspects, nous n'avancerons pas vers la solution.

L'idée d'expérimenter des restaurations de qualité de milieu n'est pas à rejeter sans examen. Pourquoi pas un récif artificiel si on peut le combiner avec de l'éolien en mer ? C'est ce que nous avons demandé à tous ceux qui souhaitent installer des fermes éoliennes maritimes en Normandie. Nous leur disons que puisqu'ils confisquent des espaces pour la pêche, ils auraient intérêt à ce que leurs pieds de mats soient de futurs récifs ou de futures nurseries pour les mollusques ou les poissons.

Avec le savoir local, les connaissances scientifiques des universités, avec la volonté politique des collectivités et le support de nos établissements publics, on peut améliorer le dispositif en menant des expérimentations, des restaurations de milieu. On peut être bon sur la protection des tortues, la réintroduction du lamantin, et donner une image de la France très positive.

M. Alby Schmitt. - Sur ce point, il faut insister sur le rôle que pourra jouer l'Agence française pour la biodiversité (AFB). Indépendamment de son accompagnement financier, elle pourra mettre en place une force de frappe, favoriser la mutualisation entre différents organismes. La mutualisation profitera aux secteurs les plus délaissés ou orphelins que sont notamment les secteurs marins dont les crédits et les moyens humains ne sont pas à la hauteur des besoins. On dit que 80 % de la biodiversité française se trouve en outre-mer. Je ne suis pas sûr qu'en termes de moyens humains et financiers cet équilibre soit forcément respecté. La mutualisation qui accompagnera l'AFB, le simple fait que ce soit un seul outil, permettra des arbitrages, des reconfigurations, au profit des enjeux les plus importants que sont les zones littorales et terrestres ultramarines.

À travers cette agence, on crée un lien fort entre l'eau et la biodiversité et pour la protection des coraux. Que ce soit à La Réunion, à Mayotte ou ailleurs, la destruction des coraux provient en grande partie de la pollution des rivières et des ravines. L'AFB sera un outil très performant de ce point de vue-là.

M. Michel Magras , président . - Je voudrais donner mon sentiment sur cette question. Je suis de formation scientifique dans le domaine des sciences de la vie et de la terre et un grand militant au niveau du territoire dont je suis issu. Je suis également à l'origine de la protection environnementale dans ma collectivité, de la création de la réserve marine, de l'agence territoriale de l'environnement. Je suis aussi de ceux qui parfois émettent des avis qui gênent beaucoup, comme lorsque je dis que la nature ne fait pas toujours bien les choses et que l'intelligence de l'homme permet de corriger certaines erreurs de la nature.

Nos parents, nos grands-parents avaient un sens de la gestion de la pérennité de leur territoire qui peut surprendre aujourd'hui. Sur une île pauvre où il y avait peu de choses à faire, nos parents passaient leur temps à construire des murets qui empêchaient l'érosion, obligeaient l'eau à s'infiltrer, permettant ainsi aux plantes de se nourrir, de favoriser l'humidité, maintenant ainsi un climat sur une île qui avait la réputation d'être particulièrement aride.

Au-delà de cet aspect, sur la problématique du trait de côte. La première vérité est qu'il y a un grand nombre de causes différentes que l'on peut classer entre les causes locales et les causes mondiales. Il y a une réalité : le développement de nos îles, l'aménagement du territoire ont accéléré l'érosion, ont diminué le rôle des zones tampons qui arrêtaient le transport des sédiments entre la terre et la mer. Dès lors que les sédiments d'origine terrestre arrivent dans le milieu marin, ils modifient la constitution de ce milieu, transforment nos plages en herbiers, les herbiers en vasières et détruisent les coraux. Or, les coraux sont à la base de la biodiversité dans le milieu marin. C'est là que naissent la majeure partie des espèces qui sont sur le plateau continental. C'est aussi un atout majeur de l'économie touristique qui est en péril.

Aujourd'hui, dans la problématique des plages, la mangrove joue son rôle tampon pour ce qui vient de la terre. Pour ce qui vient de la mer, le corail est l'élément qui contribue à ralentir l'énergie marine et l'érosion des plages.

Aujourd'hui, on sait agir sur le corail. Même si c'est encore au stade expérimental, dans des îles au sud de l'arc antillais on plante des champs de coraux par bouturage. Ceux-ci poussent de 2,5 centimètres par mois. Toutefois, comme le corail est sensible à son environnement, il faut être attentif aux conditions de sa réintroduction.

De la même manière, sur la problématique des plages, autrefois les ingénieurs disaient qu'il fallait affronter la mer. Aujourd'hui, tous les scientifiques sont unanimes, on ne cherche plus à affronter la mer. On comprend comment elle fonctionne et on va dans son sens, en atténuant ses effets sans vouloir les empêcher.

Les États-Unis, qui ne sont pourtant pas une référence en matière d'environnement, évaluent les plages comme un bien économique. Une plage a une valeur par le tourisme qu'elle amène, joue un rôle dans l'économie, et cette valeur justifie que les collectivités ou l'État investissent des fonds annuels pour sa gestion.

L'idée consiste à dire que ce que la mer défait lors d'un cyclone, il faut le reconstruire immédiatement. Nous le faisons chez nous depuis 1995, mais ce sont des opérations qui coûtent particulièrement cher et qui sont sensibles d'un point vue biologique car il faut reconstruire une plage avec un sable identique. Bien stabilisé, le sable ne repart pas.

On sait transformer les plages, on sait installer des plantations. Sur une de nos plages détruite par un cyclone, j'ai confié ce travail à une collègue américaine. Le résultat a été spectaculaire.

Enfin, l'Union européenne a pris en considération ces réalités. Le programme des régions ultramarines périphériques (RUP) pour 2014-2020, celui des pays et territoires d'outre-mer (PTOM), vont dans le sens de ces sensibilités aux modifications climatiques, aux énergies renouvelables. Il y a un important travail de coopération régionale à mettre en place entre nous. Et si nous associons en plus les pays ACP qui disposent de moyens nettement supérieurs aux nôtres, nous pourrons faire de grandes réalisations. Je suis content que cette idée ait été reprise dans le Programme Opérationnel (PO) de la Guadeloupe, de Saint-Martin et des RUP. Je me félicite qu'à l'issue des réunions que nous venons de tenir au niveau de la coopération régionale, ce soit le thème de la biodiversité, de la lutte contre le changement climatique et des énergies renouvelables qui ait été reconnu prioritaire jusqu'en 2020. Compte tenu de l'étendue géographique, les choses sont plus complexes dans le Pacifique. Il y a une sensibilité de l'Europe et je ne doute pas que l'État mettra la main à la poche.

Monsieur le directeur général, madame et messieurs, il me reste, en mon nom et en celui de mes collègues, à vous remercier pour vos interventions.

Jeudi 9 avril 2015

Audition par visioconférence de MM. Dominique Sorain, préfet de La Réunion, Louis-Olivier Roussel, directeur-adjoint de la DEAL, et Marc Van-Belle, directeur du pôle gestion de la DRFiP

M. Michel Magras , président . - Mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui pour poursuivre nos auditions sur la gestion du domaine foncier de l'État outre-mer. Nous avons déjà entendu les services ministériels concernés, aussi bien France Domaine que le service de la gestion fiscale et la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature. Les grands opérateurs fonciers en outre-mer que sont l'Office national des forêts et le Conservatoire du littoral ont été aussi entendus pour comprendre leur gestion des espaces naturels.

Nous avons également reçu des experts comme Mme Chamard-Heim, professeur de droit pour une audition générale sur la domanialité outre-mer, et comme Mmes Angel et Baïetto-Beysson, de l'Inspection générale de l'administration et du conseil général du développement durable, qui avaient produit un rapport sur les questions foncières aux Antilles, ciblé sur la zone des cinquante pas géométriques (ZPG).

Avant notre déplacement la semaine prochaine en Guyane, en Martinique et à Saint-Martin, afin de poursuivre notre exploration des situations concrètes dans les territoires ultramarins, nous nous pencherons aujourd'hui sur la gestion du domaine de l'État et les questions foncières à La Réunion en auditionnant par visioconférence M. Dominique Sorain, préfet de La Réunion, accompagné de M. Louis-Olivier Roussel, directeur-adjoint de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL), et de M. Marc Van-Belle, directeur du pôle gestion de la direction régionale des finances publiques (DRFiP).

À moins que l'un des rapporteurs souhaite formuler des observations liminaires, je cède la parole au préfet Dominique Sorain.

M. Dominique Sorain, préfet de La Réunion. - Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous prie d'excuser les absences de Mme Geneviève Tréjaut, directrice de la DRFiP, et de M. Daniel Fauvre, directeur de la DEAL, qui n'ont pu être présents aujourd'hui. Je suis cependant entouré de leurs collaborateurs.

Compte tenu de l'étroitesse de son territoire, la problématique du foncier est centrale pour La Réunion. Pour vous permettre de mesurer les enjeux, je souhaiterais rappeler quelques chiffres. Le linéaire de côte de La Réunion mesure environ 250 kilomètres. Comme le coeur de l'île, inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco, est sanctuarisé au sein du Parc national, l'essentiel de l'activité économique et de la population est installé sur ce linéaire qui fait l'objet de pressions très importantes. Les 24 communes de La Réunion sont inscrites dans cette zone. Seules quatre communes ne sont pas bordées par la mer et l'importance de la population dans le coeur de l'île est marginale.

La problématique du domaine public maritime est donc essentielle. La ZPG de La Réunion couvre un linéaire de 212 kilomètres sur une largeur variable, entre 80 mètres et 200 mètres. Elle représente une superficie d'environ 20 kilomètres carrés, sous réserve des droits des tiers et de quelques ajustements en cours. À la différence des Antilles, cette zone a été clairement définie par une succession de textes depuis le début du vingtième siècle.

Le domaine public fluvial représente environ 1 800 kilomètres. Ce chiffre, qui peut paraître important, est lié à la géographie de l'île et au fait que les ravines rayonnent sur tout le pourtour à partir de l'intérieur.

Ces dossiers sont suivis par les services de l'État. Les moyens mobilisés, tant à la DEAL qu'à France Domaine, couvrent un ensemble d'activités qui vont de la comptabilité au suivi des actes réglementaires et qui comprennent également les évaluations et la gestion domaniales.

La gestion de la ZPG est bien bordée à La Réunion, avec deux sous-ensembles distincts : les zones urbaines et les zones non urbanisées.

La Réunion est une île de 2 500 kilomètres carrés sur laquelle vivent aujourd'hui 850 000 habitants. Les projections donnent une population d'un million d'habitants à l'horizon 2030. Si vous enlevez le coeur de l'île qui est sauvegardé, l'essentiel de la population se retrouve sur une zone de 1 000 kilomètres carrés. La densité est donc très importante.

Une partie de la ZPG se retrouve inscrite dans la zone urbanisée. Compte tenu de la très forte pression foncière, il est absolument essentiel pour nous de conserver la maîtrise de cette zone. C'est le principal problème que nous avons à traiter. L'État et les élus de la région, des communes et des intercommunalités souhaitent parvenir à organiser cette pression foncière, qui est couplée avec les phénomènes naturels inhérents à l'île que sont les risques d'inondation, de glissement de terrain et de submersion du rivage.

Conserver la maîtrise du linéaire littoral permet, dans un contexte réglementaire qui n'est pas totalement stabilisé, de disposer d'un moyen de maîtriser l'évolution des aménagements réalisés. Le contexte n'est pas tout à fait stabilisé dans la mesure où, historiquement, les différents documents et notamment ceux qui portent sur la prévention des risques, quels qu'ils soient, n'ont pas été finalisés. En fin d'année dernière, j'ai fixé un objectif de parvenir à une couverture complète de ces zones d'ici trois ans.

La frange littorale a fait l'objet dans les années soixante d'un travail d'inventaire qui est en cours de réactualisation. Une particularité de La Réunion est de posséder très peu d'habitat informel ou insalubre. En dépit de quelques empiètements, il y a une réelle maîtrise de l'occupation des terrains. Nous ne sommes pas dans une logique de régularisation massive. Concernant les cessions de terrain dans cette ZPG, nous avons au maximum deux ou trois dossiers à instruire chaque année.

Il est important que nous gardions la maîtrise de ces zones pour garantir l'application des règles tendant à un aménagement cohérent et sécurisé du littoral. En revanche, il faut aussi évoluer et être ouvert à des cessions d'emprises foncières sur la zone urbanisée. Ainsi, nous avons récemment, sur la commune de Saint-Denis, réalisé des opérations foncières d'échanges, dans l'intérêt de l'État et de la commune. Des aménagements routiers étaient nécessaires pour la traversée de la ville et un réaménagement du front de mer est en cours. De même, sur la commune de Saint-Paul, qui compte plus de 100 000 habitants, nous avons cédé des terrains pour favoriser la réalisation de logements sociaux. Nous sommes là dans une toute autre logique. La ZPG en pleine zone urbaine est une problématique spécifique.

Telle est la logique que nous suivons pour ce qui concerne la ZPG. Les services de France Domaine s'assurent par ailleurs que les échanges sont équilibrés. Je laisse le soin à l'équipe qui m'entoure d'apporter quelques précisions.

M. Louis-Olivier ROUSSEL, directeur-adjoint de la DEAL. - Je souhaiterais apporter quelques précisions sur le devenir de la ZPG et, plus particulièrement, sur notre capacité à céder du terrain du domaine public dans les zones urbanisées.

Au sein de la ZPG, il faut également distinguer non seulement les zones naturelles, avec des enjeux de conservation des paysages et de la biodiversité, mais aussi les zones intermédiaires comme, par exemple, les zones balnéaires situées à l'ouest de l'île, qui représentent de forts enjeux. Dans ces dernières zones, des terrains du domaine ont fait l'objet de cessions dans le passé et le territoire est devenu semi-urbanisé. On peut même utiliser le terme de « gruyère ». L'État ne dispose pas actuellement des moyens financiers pour assurer la protection des espaces qu'il conserve en gestion et nous nous interrogeons sur la façon dont nous pouvons continuer à les gérer. On peut citer en exemple sur ce sujet trois conventions de gestion, qui ont été signées avec les communes de Saint-Paul, de Saint-Pierre et de Saint-Leu. Nous avons une façon assez particulière de gérer ces espaces qui pose des questions mais apporte aussi quelques réponses. Cela mérite réflexion. Dans le cadre d'un diagnostic global, il serait intéressant d'y revenir.

Monsieur le préfet a rappelé l'importance du domaine public maritime, mais je souhaite également souligner celle du domaine privé de l'État qui correspond à des ravines sèches, qui représentent un linéaire de 1 700 kilomètres et qui constituent un enjeu important pour la préservation de la biodiversité.

La DEAL dispose de moyens humains qui représentent environ onze équivalents temps plein en charge des dossiers. Les moyens financiers sont limités. Les moyens attribués à la gestion du domaine public fluvial représentent en moyenne 150 000 € par an. Les moyens financiers affectés au domaine privé de l'État - et notamment les ravines sèches - et au domaine public maritime sont inexistants.

M. Marc Van-Belle, directeur du pôle gestion publique à la DRFiP . - Dans notre direction, le domaine est géré par une équipe de quatorze personnes. Vous nous avez interrogés sur les cessions de terrain. Nous en avons identifié quatre entre 2012 et 2014 dont l'objet était de permettre la construction de logements sociaux. Ces biens avaient été déclarés inutiles pour l'État et étaient susceptibles d'être donnés pour la réalisation de constructions. Une première opération porte, dans la commune de La Possession, sur la reprise d'un projet routier abandonné et permettra la construction de 81 logements sociaux. Actuellement, cette opération est suspendue du fait d'une contestation du permis de construire. Une deuxième opération sur le terrain d'une ancienne gendarmerie de Sainte-Marie est en cours de réalisation. Une troisième est envisagée au Tampon.

M. Dominique Sorain. - Compte tenu du questionnaire que vous nous avez adressé, je vous propose de rester pour l'instant sur la problématique du domaine public maritime, de passer ensuite au sujet des biens immobiliers de l'État cédés pour les opérations de logement et de terminer sur les questions forestières.

M. Michel Magras , président . - J'ai bien compris que, au sein de la ZPG, il y a des zones urbanisées et des zones qui ne le sont pas et que vous souhaitez garder à l'état naturel. Quelles sont les proportions de ces deux zones ? Dans la partie urbanisée, pourriez-vous nous dire à qui appartiennent les terrains ? Sont-ils tous publics ou des personnes privées possèdent-elles des titres de propriété, votre intervention se réduisant à veiller au respect des règles d'urbanisme ?

M. Dominique Sorain. - Je ne connais pas précisément les proportions mais, très approximativement, on peut estimer que les terrains non urbanisés représentent les deux tiers de la surface totale et les terrains urbanisés le tiers restant. Les données varient selon les communes. Les parties nord et ouest de l'île sont très urbanisées, le littoral y est très occupé, et c'est là que se fait l'essentiel des cessions de terrains. La partie sud de l'île est en grande partie naturelle. J'insiste sur le fait que les occupations sans titre ne constituent pas du tout un phénomène massif.

Les opérations qui ont été évoquées précédemment dans le cadre d'aménagements urbains sont réalisées avec des opérateurs publics, et notamment les communes dans le cadre de l'aménagement de leur centre-ville, dans le cadre de l'évolution de leurs documents d'urbanisme.

M. Michel Magras , président . - Vous avez dit que l'intérieur des terres est entièrement protégé. La bande littorale l'est en partie et doit rester à l'état naturel. Comment conciliez-vous la protection des espaces protégés et l'augmentation de la population ? Y aura-t-il de la place pour tout le monde ?

M. Dominique Sorain. - Il s'agit là d'une problématique d'aménagement du territoire que connaissent bien les élus. Notre objectif est de réaménager les centres-villes afin de les densifier, soit en termes d'habitations, soit en termes d'aménagements économiques pour développer l'emploi. Or, la population augmente et, dans le même temps, les habitudes de vie évoluent. La décohabitation s'accélère. Nous devons faire face à l'augmentation de la population, aux risques naturels, tout en préservant l'environnement et en favorisant les opérations menées par les communes.

M. Charles Revet . - Merci pour toutes les informations très intéressantes que vous nous avez apportées.

Nous serons amenés à nous prononcer sur le projet de loi relatif à la biodiversité. Un inventaire de la biodiversité existe-t-il pour le département de La Réunion ?

En 2008, à la suite de la loi portant réforme portuaire dont j'avais été le rapporteur, il avait été prévu que tout le long du littoral soit établi, dans tous les départements et territoires, un schéma déterminant les zones à protéger strictement compte tenu de la l'intérêt de la faune et de la flore, et celles qui seraient ouvertes à l'économie et à l'habitat. Disposez-vous de ce type de document à La Réunion ?

Mme Vivette Lopez . - Le Conservatoire du littoral intervient-il chez vous ? Si c'est le cas, de quelle manière ?

M. Dominique Sorain . - L'aménagement du territoire se fait dans le cadre d'un schéma d'aménagement régional (SAR), élaboré par le conseil régional, qui permet d'encadrer les utilisations du territoire en prenant acte des aspects de protection de l'environnement.

J'ai évoqué le rôle du Parc national. Une partie de l'île est inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, mais nous avons également différentes réserves biologiques qui ont pour objectif de préserver des habitats ou des espèces représentatives d'un certain nombre de milieux forestiers, d'espaces vulnérables. Nous disposons également de réserves naturelles.

Il y a des arrêtés de protection des biotopes. À l'ouest, nous avons une réserve naturelle marine qui s'étend sur 40 kilomètres de côte. Le Conservatoire du littoral a dans son portefeuille une surface de 1 500 hectares, ce qui permet également de mettre en place une politique foncière de protection du littoral. Il a la volonté d'acquérir de nouvelles parcelles. Nous utilisons toute une panoplie d'outils pour préserver l'environnement dans les espaces les plus sensibles.

Il faut également tenir compte du risque d'étalement de l'habitat, que ce soit sur le littoral ou sur les pentes de l'île. Les Réunionnais privilégient l'habitat individuel et préfèrent les « cases à terre » aux « cases en l'air ».

M. Michel Magras , président . - Pour répondre précisément à la question de notre collègue Charles Revet, il existe bien formellement une schématisation de la protection de l'environnement.

M. Dominique Sorain. - Un schéma existe et s'applique et nous avons déjà des réalisations. Je pense au dossier sensible de la réserve marine, située sur l'unique lagon de l'île en face de l'une des zones les plus urbanisées du littoral. Il faut perpétuellement préciser les règles de gestion pour faire en sorte que tout ceci soit acceptable et applicable. On retrouve la même problématique dans le cas du Parc national.

M. Michel Vergoz . - Pourriez-vous préciser la distinction entre les cinquante pas géométriques et le domaine public maritime ?

Vous dites que les régularisations en cours sur les zones urbanisées ne concernent que deux ou trois dossiers par an. Ce chiffre me semble très faible. Vous soulignez à juste titre que les zones hyper-densifiées de Saint-Denis, Saint-Paul, voire Saint-Pierre, sont des zones sur lesquelles vous vous penchez prioritairement, mais bien d'autres communes sont concernées par l'urbanisation de ces cinquante pas géométriques. Mon collègue Serge Larcher a commis à ce sujet un rapport en 2013. Il en est ressorti l'idée de faire procéder à des opérations de titrement des occupants sans titre. Cette opération a-t-elle été lancée à La Réunion ? En vous focalisant sur les grandes zones urbaines, ne prenez-vous pas le risque de passer à côté de conflits latents dans les autres zones ? Le littoral Est est urbanisé et des poches de bidonvilles se constituent et ne peuvent pas être aménagées par les intéressés du fait du problème de propriété foncière. Ne faudrait-il pas accélérer ces régularisations éventuelles afin d'apporter des réponses aux personnes qui vivent dans des zones défavorisées qui constituent autant de foyers potentiels de tension ?

M. Michel Magras , président . - Comme notre collègue a cité le rapport de M. Serge Larcher qui est aussi co-rapporteur sur ce dossier, je lui cède la parole.

M. Serge Larcher , co-rapporteur . - Monsieur le préfet, j'ai entendu que vous vouliez que l'État garde la maîtrise de la ZPG. Pour autant, notre collègue vient de parler de poches de bidonvilles. Il y a des risques d'occupation sans titre du fait même de la pression sur la ZPG née de la forte poussée démographique que connaît La Réunion. Comment quantifiez-vous cette pression ? S'il y a occupation, se situe-t-elle dans la zone densifiée urbanisée, dans la zone semi-urbanisée ou dans celle qui est dite naturelle, gérée par la DEAL ou l'ONF ?

Vous dites que deux dossiers sont traités par an. Est-ce parce que vous n'avez pas les moyens, comme semble l'indiquer le représentant de la DEAL, d'en traiter davantage ou est-ce parce que l'État laisse faire et se retrouve ensuite confronté à une hémorragie ? Autrement dit, directement mais sans arrière-pensée, est-ce une question de moyens ou de volonté ?

La ZPG est une zone stratégique pour nos îles. Elle doit rester naturelle pour leur permettre de garder tout leur potentiel pour l'avenir. Le Sénat, au travers de la délégation à l'outre-mer, est attentif à ce que ces zones restent protégées, non seulement pour éviter les occupations sans titre, les bidonvilles, les habitats insalubres ou informels, mais aussi parce que beaucoup de potentialités sont hypothéquées du fait de l'anarchie résultant d'une carence dans la maîtrise de cette zone.

Nous souhaitons que des dispositions soient prises pour que les choses soient sauvegardées. Bien sûr, le Conservatoire procède à l'acquisition de biens, mais encore faut-il qu'il ait les moyens de police de veiller à ce que ces biens restent en bon état et soient mis à disposition du public, conformément à sa vocation.

M. Dominique Sorain. - Je ne crois pas que le représentant de la DEAL ait dit qu'il manquait de moyens. Je sais qu'en ce moment la réduction de nos moyens nous conduit à en demander un petit peu plus. Nous n'avons pas de problèmes de moyens à ce sujet.

Je voudrais insister sur un point. La situation à La Réunion n'est en aucun cas comparable à ce qui se passe aux Antilles. Nous ne connaissons aucun débordement d'occupations sans titre. Depuis le début du XX e siècle, précisément à partir de 1922, une série de lois ont permis de réaliser des cessions de parcelles de terrains occupés à des personnes privées. J'ai indiqué que, tous les ans, on procède à l'examen de deux ou trois dossiers litigieux. Si l'on n'en examine pas davantage, ce n'est pas faute de moyens ou de suivi, mais parce que cette problématique reste très largement marginale à La Réunion.

Pour revenir à ce que disait le sénateur Vergoz, nous ne faisons pas de fixation sur les grandes villes. J'ai cité des opérations d'ampleur sur certaines villes, et notamment l'aménagement du front de mer de Saint-Denis, mais cela concerne bien sûr toutes les communes du littoral. Notre souhait aujourd'hui est de pouvoir conserver la maîtrise en distinguant ce qui relève des aménagements nécessaires des centres urbains et ce qu'exigent la préservation du littoral et la prévention des risques. Je rejoins les observations que vous avez faites sur l'importance de garder la maîtrise du foncier correspondant à ces cinquante pas géométriques. Il y a une véritable prise de conscience à La Réunion sur les questions de biodiversité et de risques naturels. Nous ne subissons pas la pression que connaissent les Antilles sur la ZPG et qui a donné lieu à une masse d'occupations sans titres. Nos objectifs sont communs mais la situation est différente.

M. Joël Guerriau , co-rapporteur . - À travers vos interventions, nous mesurons la spécificité de La Réunion en termes de topographie et d'organisation de l'île. Je voudrais revenir sur la question de notre président, relative à l'évolution de la population. Quelles mesures particulières faudrait-il prendre pour anticiper l'augmentation de la population de l'île ? La pression foncière donne-t-elle lieu à de la spéculation ?

On ne peut évoquer l'augmentation de la population sans tenir compte des infrastructures, des équipements et du logement. Je pense à tout ce qui peut toucher les déplacements. Connaissez-vous des difficultés de circulation sur l'île ? Y a-t-il une anticipation pour accompagner l'évolution de la population ? Qu'en est-il de la situation de l'emploi ?

M. Jean-Jacques Hyest . - Je crois qu'il faut insister sur le fait que, pour la ZGP, La Réunion n'est pas comparable aux Antilles. Pour autant, l'augmentation de la population demandera nécessairement une densification de l'habitat. Il faudra développer les infrastructures, l'activité économique tout en protégeant certaines zones naturelles. Tout cela demande de l'espace. Que va-t-on sacrifier, si ce n'est l'économie agricole ? C'est un risque dont il faut prendre la mesure.

M. Dominique Sorain. - Nous sommes au coeur des politiques menées dans l'île. L'augmentation de la population tient au dynamisme démographique. Nous observons une tendance lourde de croissance naturelle de la population. Il y a peu d'immigration à La Réunion.

Comment préserver les équilibres territoriaux ? La satisfaction des besoins de la population passe par une densification de l'espace bâti. Il y a des dents creuses très importantes. Par exemple, à Saint-Paul, le site de l'ancienne antenne Oméga - un système de navigation - avait une emprise très importante. Nous avons la possibilité, à cet emplacement, de construire des logements pour 50 000 habitants. Ce serait une véritable ville nouvelle. La zone ne présente pas beaucoup d'intérêt en termes de biodiversité, mais elle est essentielle en termes d'enjeux fonciers. Il y a également des terrains disponibles dans l'arrière-port du Port. Cela permettrait également de développer l'activité économique.

La densification permet de protéger l'espace agricole. C'est une priorité que je me suis fixée. Une spécificité ultramarine nous y aide : la Commission départementale de consommation d'espace agricole (CDCEA) doit rendre un avis conforme pour qu'une opération foncière soit possible. Je partage les préoccupations qui ont été exprimées, il faut être vigilant pour éviter un grignotage des terres, et notamment des terres à canne là où elles sont les plus productives, en zone littorale. Nous disposons des outils pour préserver les équilibres territoriaux. Il est vrai que cela n'est pas toujours facile, que nous devons faire face à des pressions pour créer tel ou tel équipement, ou urbaniser telle ou telle zone. Nous faisons en sorte que la logique de préservation et de maintien de l'espace agricole l'emporte. Nous essayons de maintenir la surface agricole utile (SAU) à son niveau actuel. Parfois, nous réalisons des opérations d'épierrement, en enlevant les andains quand la présence de roches empêche la bonne culture d'un terrain.

Nous sommes en train de travailler sur la mise en oeuvre du plan « Logement » annoncé par le Gouvernement. L'État apporte sa contribution en mettant à disposition ou en cédant des terrains qui lui appartiennent. Nous l'avons fait de manière très significative en rendant disponible le site d'une ancienne prison ou encore, très récemment, plusieurs milliers de mètres carrés.

Pour assurer la maîtrise du foncier, dans le cadre de la négociation du contrat de plan État-région, nous avons proposé à la région d'inscrire des crédits pour alimenter le Fonds régional d'aménagement foncier et urbain (FRAFU).

En effet, le foncier est l'une des sources de l'augmentation des coûts pour la réalisation de logements sociaux. Un objectif ambitieux de création de logements a été fixé. Nous sommes aujourd'hui à 5 000 logements sociaux neufs ou réhabilités par an. Il en faudrait environ 7 000. Globalement, 9 000 logements environ sont construits chaque année à La Réunion. C'est à peu près la moitié des constructions qui sont réalisées outre-mer. Les mesures de défiscalisation, de crédits d'impôts devraient jouer un rôle moteur dans le cadre d'opérations qui répondent à un besoin réel de la population.

Nous avons aussi besoin de logements intermédiaires. L'augmentation du plafond de crédit d'impôt, de 10 000 € à 18 000 €, est un outil supplémentaire pour cette politique. Il faut faire en sorte que l'on apporte des logements à la population, en prenant en compte l'évolution des comportements. Alors qu'autrefois plusieurs générations cohabitaient, s'est amorcé aujourd'hui un phénomène de décohabitation.

Les aménagements urbains ne se résument pas aux seuls logements. Il faut prévoir des services, des dessertes en transports collectifs, des écoles. Des opérations ont été lancées. La nouvelle route du littoral, en cours de réalisation, améliorera les liaisons nord-sud. C'est un projet sur douze kilomètres, avec des viaducs et des digues. Mais c'est insuffisant. Il faudra aménager la nouvelle entrée ouest de Saint-Denis pour éviter que la nouvelle route ne débouche sur un goulet d'étranglement.

Par ailleurs, l'un des grands enjeux des années à venir pour l'État, la région, le département et les communes, porte sur le développement des transports en commun. L'île compte entre 370 000 et 380 000 véhicules qui circulent essentiellement sur le pourtour de l'île et dans quelques communes. Nous atteindrons bientôt la saturation.

Nous avons également besoin d'espaces pour le traitement urbain des déchets, question qui doit être analysée d'ici quatre à cinq ans.

M. Michel Magras , président . - Votre réponse comme la question posée par le président Hyest font la transition avec les autres sujets que nous souhaitions aborder, et notamment les aspects liés à la forêt et au cadastre.

M. Dominique Sorain. - La forêt réunionnaise a la particularité d'être une forêt essentiellement départementale. Elle recouvre la plus grande partie de l'île et se trouve aussi dans le Parc national. Nous avons donc une situation très spécifique entre la forêt départementale, le Parc et ce qui est géré par l'ONF. Cet opérateur est très important car il emploie une centaine d'agents, 200 ouvriers forestiers et 500 contrats aidés ou d'insertion.

La forêt primaire n'existe quasiment plus à La Réunion. On trouve essentiellement des cryptomerias, qui sont des résineux, et des tamarins, qui ont besoin de quatre-vingt-dix années pour arriver à maturité. Il nous faut arbitrer entre le Parc national, qui souhaite laisser le plus possible ces forêts en l'état, quitte à les mettre sous cloche pour protéger totalement la nature, et l'ONF, qui souhaite viabiliser une partie de cette forêt pour l'exploiter. La filière bois n'est pas négligeable mais il faut trouver un équilibre en tenant aussi compte des intérêts du Parc.

Une autre question se pose sur la création de pistes de défense de la forêt contre l'incendie (DFCI).

Nous nous sommes efforcés avec le département et la région de mettre en place des instances de dialogue. Le commissaire des Hauts qui existait autrefois a été remplacé par un secrétaire général qui a pour vocation de jouer le rôle de « tampon » entre le Parc national, les collectivités et les acteurs économiques, de concilier la protection du Parc et l'activité économique traditionnelle. Il faut aussi préserver les activités agricoles d'élevage, les activités touristiques de randonnée.

Cette situation spécifique de la forêt départementale a un avantage : il y a un interlocuteur unique. Dans l'Hexagone, les situations sont différentes. Par exemple, dans le sud-ouest, des communes ont de très grandes emprises foncières et forestières qui sont confiées à l'ONF. À La Réunion, le conseil départemental joue ce rôle. Un équilibre a été trouvé avec l'ONF qui est un opérateur historiquement très engagé.

M. Michel Magras , président . - Monsieur le préfet, nous attendons avec grand intérêt les réponses écrites à la trame qui vous avait été transmise.

M. Jean-Jacques Hyest . - Pourriez-vous nous apporter des précisions sur la qualité du cadastre ? C'est une question essentielle, ne serait-ce que pour déterminer la fiscalité. La fiabilité du cadastre est-elle la même partout sur le territoire de La Réunion ?

M. Marc Van-Belle. - Le cadastre a une vocation fiscale. Il date des années 1970. Il n'a pas été réalisé à partir des actes de propriétés mais au moyen de photographies aériennes. Il identifie les parcelles essentiellement à partir de leurs limites physiques. Il ne correspond donc pas nécessairement aux propriétés juridiques.

C'est un plan qui vise à identifier les immeubles et à établir les bases pour les impôts locaux, qui peuvent être contestés si les personnes estiment ne pas être les propriétaires juridiques. Nous connaissons des cas où les occupants d'emprises dont le propriétaire n'est pas identifié paient des taxes foncières dans la perspective de bénéficier de la prescription trentenaire. Il faut garder à l'esprit que le cadastre n'a pas pour finalité d'être un outil de propriété juridique.

Mme Vivette Lopez . - J'ai reçu un témoignage d'une personne qui travaille depuis treize ans dans la même société à La Réunion et n'est toujours pas titulaire. Est-ce normal ? Je vous écrirai à ce sujet.

M. Dominique Sorain. - Le droit national s'applique totalement à La Réunion. Je prendrai connaissance de votre dossier.

M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur coordonnateur . - Pourriez-vous faire le point sur l'exploitation des carrières ?

M. Dominique Sorain. - C'est une question très sensible car la route du littoral nécessite la mise à disposition massive d'enrochements. Dix-huit millions de tonnes de remblais seront nécessaires d'ici à 2019. Le schéma départemental des carrières a été mis à jour l'année dernière et est opérationnel. Nous instruisions un certain nombre de dossiers pour la mise en exploitation de carrières destinées à faire face aux grands chantiers lancés. On exploite actuellement les andains, c'est-à-dire les enrochements qui gênent les agriculteurs et sont enlevés des terres agricoles. Depuis un mois et demi, nous avons mis en place une procédure qui donne satisfaction à tout le monde, y compris les entreprises de travaux publics, tout en respectant les normes environnementales. Des dossiers de carrières sont en cours d'instruction : un site sur la commune de Saint-André et deux sur la commune de Saint-Paul. Un projet existe aussi à Saint-Leu.

Vous aviez cité dans votre trame le dossier du site des Lataniers, terrain qui se situe sur la commune de La Possession. Ce terrain appartient à l'État, il est en cours de cession à la commune. La question est de savoir s'il sera exploité comme carrière. Cela suppose une modification du schéma départemental des carrières. J'en ai discuté avec la maire de la commune, qui n'exclut pas une exploitation restreinte sans empiéter en aucun cas sur la zone de protection de la faune et de la flore.

Nous faisons face aux pressions croisées des opérateurs économiques et des défenseurs de l'environnement. Compte tenu de l'extrême sensibilité du dossier, l'ouverture des carrières se fait dans le strict respect du schéma départemental des carrières.

M. Michel Magras , président . - Monsieur le préfet, messieurs, il me reste à vous remercier pour la qualité des échanges et la précision des réponses que vous nous avez apportées. Nous espérons avoir la chance de pouvoir nous rendre compte sur place mais les informations que vous nous avez données sont particulièrement intéressantes.

M. Dominique Sorain. - Nous serons heureux de vous accueillir à La Réunion et vous faisons parvenir des réponses écrites très rapidement.


* 1 « Å? ì?íôïé êáèåäå?óèå, ?÷ñé ôï? èïñõâ?óáé êá? ?ðáéí?óáé óðïõä?æïíôåò, ??í ä? ä?? ôé ðïéå?í ?íáäõ?ìåíïé, ï?÷ ?ñ? ë?ãïí ?óôéò ?íåõ ôï? ðïéå?í ?ì?ò ? ðñïó?êåé äõí?óåôáé ô?í ð?ëéí ó?óáé. » Démosthène, Sur les affaires de Chersonèse, - 341 av. JC (notre traduction).

* 2 Source : France Domaine, 2015.

* 3 Ces logements de fonction sont prévus par le décret n°67-1039 du 29 novembre 1967 portant réglementation des magistrats et des fonctionnaires de l'État en service dans les territoires d'outre-mer. Le logement et l'ameublement incombent au service qui emploie les magistrats et fonctionnaires concernés. Faute de logement ou d'ameublement administratif mis à leur disposition, un remboursement des frais engagés par ces personnels est prévu.

* 4 Réponse écrite au questionnaire de la délégation en vue de l'audition de France Domaine le 20 janvier 2015.

* 5 Communauté de communes du Nord de la Martinique

* 6 Communauté d'agglomération Centre Martinique

* 7 Communauté d'agglomération Espace Sud Martinique

* 8 Pour être exhaustif, il faudrait également tenir compte du foncier détenu par les bailleurs/aménageurs, l'EPAG, le CNES et le Conservatoire du littoral.

* 9 Agence d'urbanisme et de développement de la Guyane

* 10 Article L. 5331-4 CG3P

* 11 Article L. 5111-2 CG3P. Les remblais le long des côtes qui ont permis au fil du temps de gagner sur la mer ont aussi accru la surface de la ZPG. En Martinique, dans la commune du Robert, l'arrêté de délimitation fixe une limite supérieure à plus de 200 m du rivage vers l'intérieur des terres.

* 12 Article L. 5121-2 CG3P

* 13 Audition de Caroline Chamard-Heim du 20 janvier 2015.

* 14 Le critère de navigabilité des cours d'eau pour le classement dans le domaine public n'existe plus que pour Mayotte.

* 15 Art. L. 5331-8 CG3P

* 16 Art. L. 5261-1 CG3P

* 17 Art. 45 de la loi organique du 19 mars 1999

* 18 Art. LO. 6214-6 du code général des collectivités territoriales (CGCT)

* 19 Art. LO 6314-6 CGCT

* 20 Art. 7 de la loi organique du 12 avril 1996, confirmé par les articles 46 et 47 de la loi organique du 27 février 2004.

* 21 Réponse écrite de M. Patrick Frydman, président de la CAA, aux questions de la délégation du 26 février 2015.

* 22 D'après la direction régionale des affaires culturelles, la présence avérée d'ossements de rats géants, rongeur endémique de l'ancien banc d'Anguille, et de nombreux fossiles datant du pléistocène ou de l'holocène, c'est-à-dire, de l'arrivée de l'espèce humaine, en fait un site de premier plan.

* 23 Le cadastre qui relève de la compétence de la collectivité de Saint-Martin a été confié par convention à la direction des finances publiques de Guadeloupe.

* 24 Audition de l'ONF du 14 janvier 2015.

* 25 Audition de Caroline Chamard-Heim du 20 janvier 2015.

* 26 B. Cazalet, Droit des lagons en Polynésie française, RJE 4/2008, p. 396

* 27 Réponse parue au JO Sénat du 22 janvier 2009 du ministre de l'intérieur à la question écrite n° 5763 de M. Jean Louis Masson.

* 28 Sont concernés les articles L. 5111-5 (ensemble des DOM sauf Mayotte ; bénéficiaires : les communes, à titre onéreux pour de l'aménagement), L. 5112-4 (en Guadeloupe et en Martinique ; bénéficiaires : communes et HLM, à titre gratuit pour de l'habitat social), L. 5112-5 (en Guadeloupe et en Martinique ; bénéficiaires : particuliers, à titre onéreux pour régulariser une activité professionnelle), L. 5112-6 (en Guadeloupe et en Martinique ; bénéficiaires : particuliers, à titre onéreux pour régulariser une habitation), L. 5331-6-2 (à Mayotte, bénéficiaires : communes et HLM, à titre gratuit pour de l'habitat social), L. 5331-6-3 (à Mayotte, bénéficiaires : particuliers, à titre onéreux pour régulariser une habitation) et L. 5331-6-4 (à Mayotte, bénéficiaires : particuliers, à titre onéreux pour régulariser une activité professionnelle).

* 29 Cf. la deuxième partie du présent rapport.

* 30 Art. L. 5341-1 CG3P

* 31 Art. L. 5331-17 CG3P

* 32 Réponse écrite aux questions adressées à France Domaine en préparation de son audition du 20 janvier 2015.

* 33 Art. L. 5143-1 CG3P

* 34 Avis du Conseil d'État du 17 décembre 1885.

* 35 CGEDD-IGA, Rapport relatif aux problématiques foncières et au rôle des différents opérateurs aux Antilles , novembre 2013, p. 32. En conséquence, le juge administratif rejette les demandes de reconnaissance d'acquisition par prescription trentenaire aux Antilles (CAA Bordeaux, M. Honoré , 1 er octobre 2009).

* 36 Entre 1981 et 1984 pour la Martinique par exemple.

* 37 Conformément à la loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone des cinquante pas géométriques.

* 38 S. Caudal, « La domanialité publique comme instrument de protection de l'environnement » , AJDA 42/2009, p. 2329.

* 39 Réponse écrite de la DGALN au questionnaire de la délégation en préparation de l'audition du 12 mars 2015.

* 40 Réponse écrite de la DGALN aux questions de la délégation en préparation de l'audition du 12 mars 2015.

* 41 Source : SALSA, système d'agrégation en ligne du suivi d'activité MEDDE-MLETR-MAAF

* 42 Effectifs MAAF et MEDDE positionnés sur les missions du programme PEB

* 43 Les emplois des agents positionnés sur l'île de Saint-Martin sont comptabilisés parmi les emplois de la DEAL Guadeloupe.

* 44 Sans compter les contrats aidés (500 à La Réunion).

* 45 Réponse écrite du 27 février 2015 de la DRFIP de Guyane aux questions de la délégation.

* 46 Réponse écrite aux questions adressées à la DEAL de La Réunion en préparation de son audition du 9 avril 2015.

* 47 Audition des services préfectoraux de La Réunion du 9 avril 2015.

* 48 Audition de M. Pascal Viné, directeur général de l'ONF du 14 janvier 2015.

* 49 Réponse écrite de la DFIP de Nouvelle-Calédonie aux questions de la délégation, mars 2015.

* 50 À la date du 4 septembre 1998

* 51 Si ces personnes ne sont pas déjà, directement ou par personne interposée, propriétaires d'un bien immobilier ou titulaires d'un droit réel immobilier.

* 52 Audition du 14 avril 2015 à la préfecture de Cayenne.

* 53 En poste jusqu'au 31 décembre 2014.

* 54 Audition de l'ONF du 14 janvier 2015.

* 55 Réponse écrite aux questions adressées à la DGALN en préparation de son audition du 12 mars 2015.

* 56 Audition du 9 avril 2015.

* 57 Réponse écrite aux questions adressées à la DEAL de La Réunion en préparation de son audition du 9 avril 2015

* 58 Océans Atlantique et Indien

* 59 Réponse écrite du 20 février 2015de Mme Annie Guérin, présidente de la CAA de Bordeaux, aux questions de la délégation.

* 60 Réponse écrite du 25 février 2015 de M. Denis Besle, président du TA de Basse-Terre, aux questions de la délégation.

* 61 CGEDD-IGA, Rapport relatif aux problématiques foncières et au rôle des différents opérateurs aux Antilles , novembre 2013, p. 34.

* 62 CGEDD, Audit thématique sur l'application de la loi Littoral par les services de l'État dans les départements d'outre-mer , avril 2014, p.4

* 63 Ibid. p. 3 et 56

* 64 Ibid., p. 45

* 65 Ibid., annexe : monographies départementales, p. 13.

* 66 Audition du 17 avril 2015 de M. Philippe Chopin, préfet délégué de Saint-Martin et
Saint-Barthélemy.

* 67 Réponse écrite du 11 mars 2015 de M. Éric Spitz, préfet de Guyane, aux questions de la délégation.

* 68 Audition du Conseil général de Guyane à Cayenne du 14 avril 2015.

* 69 Audition de l'ONF Martinique à Fort-de-France le 16 avril 2015.

* 70 Réponse écrite de la DGALN pour son audition du 12 mars 2015.

* 71 Audition de la DEAL de Martinique à Fort-de-France du jeudi 16 avril 2015.

* 72 Seulement 7 depuis cinq ans en Martinique d'après la DEAL.

* 73 CGEDD, Audit thématique sur l'application de la loi Littoral par les services de l'État dans les départements d'outre-mer , avril 2014, p. 63 & CGEDD-IGA, Rapport relatif aux problématiques foncières et au rôle des différents opérateurs aux Antilles , novembre 2013, p. 51 (même citation).

* 74 Par exemple, CAA Bordeaux, Mme Avrila , 24 juin 2010 et Mme Hallynck , 28 octobre 2010.

* 75 Audition de l'agence des 50 pas de Martinique à Fort-de-France du jeudi 16 avril 2015.

* 76 CAA Bordeaux, M. Daquin , 31 décembre 2007. La convention remettant à une commune la gestion de terrains du domaine public de l'État est prévue à l'article L. 2123-2 du CG3P.

* 77 CE, sect., SA Victor Delforge , 27 mai 1977 ; CE, Société Sealink UK , 22 juin 1984 ; CE, M. Moulin , 5 juillet 1993.

* 78 CAA Bordeaux, M. Jaar , 12 novembre 2009.

* 79 Cour de Cassation, chambre criminelle, 22 janvier 1997. Réponse du Garde des Sceaux parue dans le JO Sénat du 27 décembre 2012 à la question écrite n° 01067 de M. Jean-Marie Bockel.

* 80 Cour de Cassation, chambre criminelle, 8 avril 1998.

* 81 Réponse du Garde des Sceaux parue dans le JO Sénat du 27 décembre 2012 à la question écrite n° 01067 de M. Jean-Marie Bockel.

* 82 « L'introduction ou le maintien dans le domicile d'autrui à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. »

* 83 CAA Bordeaux, M. Cailliot , 16 septembre 2010 sur l'interprétation de l'article L. 2123-27 du CG3P : « Les contraventions [...] qui sanctionnent les occupants sans titre d'une dépendance du domaine public se commettent chaque journée ».

* 84 Réponse écrite de la DRFIP de Guyane aux questions de la délégation du 27 février 2015.

* 85 Aux termes du premier alinéa de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme : « Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. »

* 86 Pour mémoire, le cadastre métropolitain date de 1816.

* 87 Audition de l'Audeg à Cayenne du 14 avril 2015.

* 88 Audition de M. Léon Bertrand, maire de Saint-Laurent-du-Maroni du 13 avril 2015.

* 89 Audition de l'ONF Guyane à Cayenne du 14 avril 2015.

* 90 Réponse écrite de la DRFIP de Guyane aux questions de la délégation du 27 février 2015.

* 91 Audition de M. Dominique Sorain, préfet, accompagné de la DEAL et de la DRFIP de La Réunion du 9 avril 2015.

* 92 Inscrite désormais aux articles R. 5111-5 et D. 5111-6 du CG3P, cette commission, prévue aussi en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, est présidée par le préfet et comprend quatre représentants de l'État désignés par le préfet, un représentant du conseil régional, un représentant du conseil général, ainsi que le maire de la commune concernée.

* 93 Projet de loi n°422 (2014-2015) relatif à la modernisation du droit de l'outre-mer, déposé au Sénat le 29 avril 2015.

* 94 Réponse écrite de la DRFIP de Mayotte aux questions de la délégation du 5 mars 2015.

* 95 Ibid.

* 96 Audition de Mme Aline Hanson, présidente de la collectivité, et de ses services à Marigot le 17 avril 2015.

* 97 Les constructions à usage d'habitation doivent être occupées à titre principal ou données à bail en vue d'une occupation principale.

* 98 Article 52 de la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003.

* 99 Article 45 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009.

* 100 Article 32 de la loi n° 2010 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.

* 101 CGEDD-IGA, Rapport relatif aux problématiques foncières et au rôle des différents opérateurs aux Antilles , novembre 2013, p. 33.

* 102 Ordonnance n° 2011-1068 du 8 septembre 2011.

* 103 Projet de loi n° 422 (2014-2015) relatif à la modernisation du droit de l'outre-mer, déposé au Sénat le 29 avril 2015.

* 104 Note de la DEAL sur « le littoral martiniquais et la bande des cinquante pas géométriques », août 2014.

* 105 Audition de France Domaine du 20 janvier 2015.

* 106 CGEDD-IGA, op. cit., p. 36.

* 107 Audition de Mme Sabine Baïetto-Beysson (CGEDD) et de Mme Noémie Angel (IGA) du 12 mars 2015.

* 108 Audition du parc amazonien de Guyane à Cayenne le 14 avril 2015.

* 109 Réponse écrite de France Domaine aux questions de la délégation en préparation de l'audition du 20 janvier 2015.

* 110 Audition de la DAAF de Guyane à Cayenne le 14 avril 2015.

* 111 Audition de la DRFIP de Guyane à Cayenne le 14 avril 2015.

* 112 Ibid.

* 113 Audition de la DAAF précitée.

* 114 Audition de la DRFIP précitée.

* 115 Réponse écrite de M. Eric Spitz, préfet, aux questions de la délégation en date du 11 mars 2015.

* 116 C'est le cas du rapport de l'IGA et du CGEDD de novembre 2013 précité qui préconisait de remettre les espaces urbains de la ZPG en Guadeloupe et à la Martinique aux collectivités territoriales, avec un scénario privilégiant davantage les intercommunalités et démembrant les compétences des agences entre des établissements publics fonciers locaux et des sociétés d'économie mixte d'aménagement. Dès 1994, le rapport de la mission interministérielle pilotée par Guy Rosier privilégiait aussi l'hypothèse d'un transfert aux collectivités et non la constitution d'un établissement public d'État, autrement dit la solution des agences ne recueillait pas sa préférence. IGA-CGEDD, op. cit., p. 37.

* 117 Réponse écrite des services préfectoraux de La Réunion aux questions de la délégation en préparation de la visioconférence du 9 avril 2015.

* 118 Cf. le tableau des propriétés foncières de l'État et des communes en Guyane dans la première partie du rapport.

* 119 Audition de Mme Odile Gauthier, directrice générale, et de M. Alain Brondeau, délégué outre-mer du 20 janvier 2015.

* 120 CGEDD-IGA, rapport précité, 2013, p. 48.

* 121 Visioconférence avec la responsable du service du domaine à la DRFIP de Guadeloupe du 17 avril 2015.

* 122 Le taux de droit commun varie avec le type de propriété (résidence principale ou secondaire), la durée de détention (plus ou moins de trente ans), le montant de la transaction (plus ou moins de 15 000 euros) et à la situation du vendeur (retraité, personnes handicapées).

* 123 Audition de la DRFIP de Guyane à Cayenne du 14 avril 2015.

* 124 Audition de l'ONF du 14 janvier 2015.

* 125 Audition de l'ONF du 14 janvier 2015.

* 126 Audition de M. Hernandez, directeur régional des finances publiques, à Cayenne du 14 avril 2015.

* 127 Audition de M. Rousselet, directeur du service de la gestion fiscale, du 12 mars 2015.

* 128 CE, 24 novembre 2010, Association Lehugeur-Lelièvre, concl. Olléon.

* 129 CE, 12 mai 1997, Commune de Mont-les-Neufchâteau, concl. Arrighi de Casanova.

* 130 80 % pour les forêts résineuses des Landes

* 131 Audition de M. Bruno Rousselet précitée du 12 mars 2015.

* 132 « L'introduction ou le maintien dans le domicile d'autrui à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. »

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