Ouverture du colloque - Gérard Larcher, Président du Sénat

Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, chère Chantal Jouanno,

Mesdames les ministres,

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, chers collègues,

Mesdames et messieurs les députés,

Mesdames les conseillères, mesdames les maires,

Mesdames et messieurs,

C'est à la fois un grand plaisir et un honneur pour moi d'ouvrir ce colloque que la délégation aux droits des femmes du Sénat a pris l'heureuse initiative de dédier à l'anniversaire du premier vote des femmes en France.

C'est un moment important, un moment symbolique, et je dois dire que le nombre de participants à ce colloque suffirait à témoigner de ce qui est ressenti, cet après-midi, dans cette salle Clemenceau du Sénat.

Il y a tout juste soixante-dix ans, les femmes françaises votaient pour la première fois à un scrutin municipal, en mai 1945. Quelques mois plus tard, elles prenaient part à un scrutin national, le 21 octobre 1945.

Pour reprendre la formule de Chantal Jouanno, enfin, la République était en équilibre. C'était hier, mais cela nous semble déjà loin ! Il est tellement difficile aujourd'hui, en effet, d'imaginer ce que pouvait être une société où les femmes n'avaient pas le droit de vote, où hommes et femmes ne participaient pas ensemble à l'exercice de ce droit essentiel du citoyen !

Comment ne pas rappeler dans cette oeuvre de mémoire l'influence décisive de l'action des femmes, notamment des femmes de la Résistance, dans l'obtention du droit de vote ? La célébration par le Sénat de la Journée nationale de la Résistance, organisée l'an dernier par votre délégation et sa présidente d'alors, Brigitte Gonthier-Maurin, avait permis de mettre en lumière ces sénatrices issues de la Résistance - que l'on appelait encore « sénateurs » à l'époque - qui ont siégé dans notre hémicycle, et leur rôle incontestable dans la libération de notre pays, mais aussi dans son retour à la dignité.

Or c'est dans la Résistance que les femmes ont gagné le droit de voter et d'être élues. Elles y ont fait preuve de courage, pris souvent des risques fous, caché des clandestins, assuré la transmission de messages... À quelques jours de la « panthéonisation » de deux grandes personnalités, Geneviève Anthonioz-de Gaulle et Germaine Tillion, il me semblait important de souligner cette filiation entre l'engagement résistant de tant de femmes et la reconnaissance de leurs droits politiques.

Le Général de Gaulle, comme en témoignait son fils Philippe, ne pouvait concevoir que, la paix revenue, les Françaises n'eussent pas été en mesure de s'exprimer et de participer pleinement à la vie politique de leur pays. On ne peut oublier cependant que l'ordonnance de 1944 est aussi l'aboutissement de profondes mutations culturelles et sociales de la France, notamment depuis la Première Guerre mondiale.

Dès lors, une question demeure : pourquoi si tard ?

Pourquoi la France, qui fut pionnière du suffrage universel masculin, dès 1848, a-t-elle été si en retard pour étendre aux femmes un droit qui existait dès avant 1914 en Nouvelle-Zélande, en Australie, en Finlande et en Norvège ?

Pourquoi la France n'a-t-elle pas pris cette mesure à l'issue de la Première Guerre mondiale, qui a vu la contribution de tant de femmes à l'effort de guerre, comme ce fut le cas dans de très nombreux pays dès 1919 - Danemark, Royaume-Uni, Canada, États-Unis, Belgique, Pays-Bas et Allemagne ?

Il m'est difficile de passer sous silence - car je dois assumer toute l'histoire du Sénat en tant que président de cette assemblée - la longue opposition du Sénat de la III e République, dont l'action législative fut pourtant, sur bien d'autres sujets, audacieuse et innovante, à l'accession des femmes aux droits politiques.

Je me risquerais à une explication tardive, et comme toutes les explications tardives, empreinte d'autant d'interrogations, d'incertitudes que de certitudes !

Les amendements sur la proposition de loi sur le vote des femmes, soutenus alors par le député Pierre-Etienne Flandin, en 1919, se révélèrent être en fait un fin jeu politique. En effet, les députés, opposants ou faux alliés, se rallièrent en masse à la proposition de suffrage intégral, persuadés qu'elle n'avait pas beaucoup de chances de prospérer pendant la navette parlementaire ! Nous étions sous la III e République et les pouvoirs étaient quasi égaux entre les deux assemblées ; la navette parlementaire pouvait tricoter, détricoter, retricoter tout texte jusqu'à parvenir à une synthèse. Nos collègues du Palais-Bourbon pouvaient ainsi s'attribuer le beau rôle sans prendre beaucoup de risques !

Je laisse les historiennes qui interviendront tout à l'heure évoquer ce débat et, sans doute, m'éclairer plus avant sur les théories que je viens d'échafauder.

Je voudrais toutefois relever que nombre de sénateurs, de sensibilités assez différentes - certains appartenaient au groupe de la Gauche démocratique - se dressèrent entre les deux guerres contre cet immobilisme, à l'exemple du sénateur du Var, Louis Martin, de celui du Rhône, Antonin Gourju, sénateur catholique de centre-droit ou du sénateur des Landes, Eugène Milliès-Lacroix, qui tentèrent de réenclencher le processus législatif sur ce sujet.

Tout cela appartient à l'histoire. Aujourd'hui, les sénatrices sont au nombre de 89 : ce nombre évoque en lui-même une Révolution. Elles représentent plus du quart de notre assemblée. Elles y occupent toute leur place : vice-présidentes, présidentes de commission, présidentes de délégation... Naturellement, le rêve serait d'atteindre enfin la parité en nombre dans notre institution, la division par moitié de 348. Je vous laisse faire le calcul...

Les femmes sont désormais enracinées dans cet hémicycle qu'elles ont conquis et qu'elles habitent lors de chaque débat, incarnant pleinement la disposition de l'ordonnance de 1944 : « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». Cette seule phrase a suffi à affirmer un droit essentiel.

Vous avez dédié, chère Chantal Jouanno, l'une des thématiques de ce colloque aux citoyennes, non seulement électrices, mais élues. Je sais que de nombreuses élues, maires, conseillères municipales, conseillères régionales, conseillères départementales, responsables d'intercommunalités, ont souhaité participer avec nous à cette célébration et sont présentes dans cette salle. Je m'en réjouis, et je leur souhaite à toutes, au nom de mes collègues sénatrices et sénateurs, la bienvenue au Sénat.

Je salue tout particulièrement notre ancienne collègue Cécile Goldet, médecin, sénateur de Paris de 1979 à 1986, qui a eu le mauvais goût de quitter le Sénat au moment où j'y entrais, après avoir été secrétaire de la commission des affaires sociales. Elle a tenu à témoigner, par vidéo interposée, de la place des femmes parlementaires au Sénat en 1979, et nous fait l'honneur de sa présence aujourd'hui, au premier rang de cette salle. Chère Cécile Goldet, je vous souhaite la bienvenue dans votre maison ! Je me tourne vers le public et vers les intervenants : chers amis, je suggère que nous nous levions tous pour applaudir très chaleureusement Cécile Goldet.

[Le public et les intervenants se lèvent et applaudissent Cécile Goldet.]

Je dois saluer également la présence de l'un de mes collègues masculins, Alain Gournac, élu dans le même département que moi 1 ( * ) et qui, depuis des années, assure une place particulière au sein de la délégation aux droits des femmes.

Je suis heureux, mesdames et messieurs - députés, sénateurs, hauts fonctionnaires, représentants d'associations - de votre présence cet après-midi. Elle montre que la féminisation de notre vie politique est aussi une affaire d'hommes et que chacun d'entre nous est attaché à contribuer à ce progrès décisif de nos institutions.

Je vous souhaite un très bon après-midi au Sénat et, à tous et à toutes, des échanges stimulants !


* 1 Les Yvelines.

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