II. RÉUNION DU JEUDI 28 MAI 2015

A. AUDITION DE MME ROZEN NOGUELLOU, PROFESSEUR DE DROIT PUBLIC À L'UNIVERSITÉ PANTHÉON-SORBONNE (PARIS I)

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Notre rapporteur, Martial Bourquin, ne pourra pas assister à notre réunion. Nous sommes néanmoins très heureux de vous recevoir pour poursuivre nos travaux qui s'organisent en deux temps. Jusqu'à la mi-juin, nous nous concentrerons sur la transposition des trois directives du 26 février 2014, et en particulier des deux directives sur les marchés. Puis, jusqu'à fin septembre, nous élargirons notre réflexion en nous intéressant à l'accès des PME à la commande publique, cher à M. Bourquin, et à l'impact économique du droit de la commande publique.

Nous verrons ainsi si les idées toutes faites se vérifient : la commande publique coûte-t-elle plus cher que l'achat privé par les grandes entreprises et selon quels écarts ? Quel est le coût de la « démocratie » des marchés, c'est-à-dire des procédures de sécurisation pour garantir la transparence, l'accès de toutes les entreprises au marché ou la prévention de la corruption ? Nous ne souhaitons pas être trop techniques, ni réécrire le code des marchés publics. Notre approche est politique et économique. Est-il possible de faire plus simple et moins cher, en améliorant les conditions et les procédures d'achat public ? Est-il possible de faire mieux, en facilitant l'accès de nos PME à la commande publique ? Certains nous disent que c'est déjà fait grâce aux directives, tandis que d'autres affirment qu'il n'y aura jamais de Small Business Act à la française ou à l'européenne. Vous nous direz en toute liberté ce que vous en pensez.

Considérez-vous que notre pays a bien ou mal négocié ? Certains se réjouissent que nous ayons pu protéger le modèle français de la concession, d'autres s'inquiètent de ce que les Allemands aient préservé leur modèle sur l'eau. Les représentants de la sphère étatique nous disent que les directives contribuent - enfin - à la simplification, alors que des travaux récents d'universitaires suggèrent l'inverse, car en intégrant au droit des marchés publics des éléments relevant d'autres branches juridiques (droit de l'environnement, droit du travail, etc.) on génère de la complexité. Notre pays est atypique en Europe par le nombre des autorités susceptibles d'y passer des commandes publiques. Existe-t-il des moyens de davantage mutualiser les achats ? Si le groupement est l'avenir de la commande publique, comment le favoriser au niveau de l'État, des collectivités locales et des établissements publics ?

Mme Rozen Noguellou, professeur . - Je suis heureuse et honorée que vous receviez l'universitaire que je suis. Je serai en peine de répondre à certaines de vos questions, car nous manquons d'études analysant le coût financier de la commande publique. Il serait intéressant, par exemple, d'avoir une évaluation chiffrée des entreprises françaises qui réalisent des marchés publics et obtiennent des concessions à l'étranger, et inversement des entreprises européennes qui interviennent en France, afin de mesurer le coût public de ces procédures, en termes administratif et de contentieux et de vérifier que l'ouverture à la concurrence a bien été réalisée au niveau européen.

Le paysage des contrats de la commande publique est extrêmement complexe, en France. Les entités publiques, pouvoir adjudicateur, sont face à un vaste choix de modèles contractuels, chacun ayant son régime juridique spécifique. Il suffit qu'elles se trompent de régime juridique pour que les entreprises évincées de la procédure d'attribution engagent une procédure contentieuse et remettent en cause le contrat, même si ces derniers temps le juge administratif a cherché à sécuriser les contrats passés.

Notre modèle a toujours été caractérisé par une porosité entre le marché public de services et la délégation de service public, catégories auxquelles viennent s'ajouter les baux emphytéotiques administratifs (BEA) - très souvent utilisés pour réaliser des travaux au bénéfice de la collectivité publique - mais aussi les contrats de partenariat public-privé, les modèles qui reposent sur des autorisations d'occupation temporaire du domaine public, les baux emphytéotiques hospitaliers (BEH), les concessions d'aménagement, sans compter tous les contrats innommés qu'on ne sait pas classer, et que le juge qualifie éventuellement ex post . À cela s'ajoute l'absence de code unifié, car le code des marchés publics, ancien et uniquement réglementaire, est complété tantôt par le code général de la propriété des personnes publiques pour les baux emphytéotiques administratifs (BEA), tantôt par le code général des collectivités territoriales pour les conventions de délégation de services publics.

Dans un souci de simplification, le projet de transposition voudrait imposer le modèle européen, binaire, organisé autour des contrats de marchés publics d'une part et des concessions d'autre part.

Ce modèle englobe le code des marchés publics français mais également des entités qui n'entrent pas dans le champ des marchés publics français. Pour corriger ce déséquilibre, une ordonnance de 2005 a dû intégrer dans la définition des marchés publics français les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) et les personnes publiques sui generis qui n'y figuraient pas. En effet, au-delà de l'État et des collectivités infra-étatiques publiques, le droit européen vise aussi les organismes de droit public, c'est-à-dire ceux qui sont contrôlés d'un point de vue capitalistique ou qui sont soumis à un contrôle de gestion, plus lâche que le contrôle financier. Tout notre secteur parapublic entre dans cette catégorie, dès lors que l'entité a une activité autre qu'industrielle et commerciale - notion très large, qui englobe notamment la construction de logements.

Une autre différence porte sur la définition des marchés de travaux. Alors que le code des marchés publics impose que la personne publique assure la maîtrise d'ouvrage, il suffit, en droit de l'Union européenne, que l'ouvrage construit réponde aux besoins du pouvoir adjudicateur, et que ce pouvoir exerce une influence déterminante sur la construction de l'ouvrage, selon la nouvelle directive. Par conséquent, des contrats comme les baux emphytéotiques administratifs (BEA) étaient classés parmi les marchés publics de travaux en droit européen, mais pas en droit français, car la personne publique n'a pas la maîtrise d'ouvrage. La transposition des nouvelles directives unifie le champ en faisant disparaître la référence à la notion franco-française de maîtrise d'ouvrage. Elle remet en cause la loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée de 1985, qui encadrait de manière précise - et sans doute trop restrictive - la maîtrise d'ouvrage public.

Les concessions de services sont la grande nouveauté des directives de 2014, car aucune règlementation n'existait jusqu'alors en droit européen. Le juge européen s'était néanmoins saisi de la question en indiquant qu'en l'absence de directive spécifique, les principes généraux du Traité avaient vocation à s'appliquer pour les contrats de type concessifs, avec notamment une obligation générale de transparence et une publicité adaptée. En France, la loi Sapin de 1993 obligeait déjà les concessions de service public à respecter ce principe de publicité. La nouvelle directive exclut certains services, comme l'eau et l'assainissement, sans que l'objectif poursuivi soit très clair, ni avantageux pour nous. Si certains pays ont argué que l'eau était un bien trop important pour être délégué au secteur privé, il n'en reste pas moins que les opérateurs français sont performants dans ce secteur. La loi Sapin oblige à une mise en concurrence, mais pas l'Union européenne. Poursuivrons-nous dans la voie française en nous soumettant à des règles plus strictes ? D'un point de vue économique, je ne suis pas sûre que nous nous soyons très bien défendus.

La loi Sapin ne règlemente que les conventions de délégation de service public (DSP). En témoigne l'arrêt du Conseil d'État sur le contrat du stade Jean Bouin. La directive est beaucoup plus large, car elle s'intéresse aux concessions de services en général, c'est-à-dire à tout ce qui n'est ni travaux, ni fournitures. Faut-il conserver un double régime en France, avec la loi Sapin pour les délégations de service public, et la directive sur les concessions pour les prestations de services au bénéfice de la collectivité publique ?

Le seuil qui ouvre le champ des obligations européennes en matière de concessions est élevé, notamment pour les services, puisqu'il est fixé à environ 5 millions d'euros. Quant à la procédure de passation, il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Le régime des délégations de services publiques repose sur l' intuitu personae , notion à laquelle je ne crois pas beaucoup d'un point de vue juridique. En tout état de cause, la procédure impose que les critères de sélection des candidats soient précisés et que le juge administratif contrôle le choix opéré par la collectivité publique. La directive est très souple sur la procédure : obligation d'une publicité préalable, obligation de motivation une fois le choix opéré, obligation de préciser les critères du choix. Il n'y a là rien de révolutionnaire.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Nous avons été surpris par la validation dans les directives de l'approche du sourcing , selon laquelle pour acheter mieux, il est bon de connaître l'environnement économique dans lequel les opérations doivent se faire. C'est une révolution copernicienne pour nos gestionnaires publics qui s'interdisent de rencontrer les entrepreneurs ou les fournisseurs. Peut-on gérer les directives sans modifier les règles sur le favoritisme, ou bien nous heurterons-nous à une contradiction entre ce qu'autorisent les directives et ce que dit notre droit pénal ? Sans plaider pour l'irresponsabilité des élus, nous ne voudrions pas laisser cours à un jeu de massacre.

Mme Rozen Nogellou . - Le délit de favoritisme est défini de manière si large qu'on arrive parfois à des sanctions pénales peu justifiées. Il sera néanmoins difficile de redéfinir cette infraction. Dès lors qu'une simple erreur dans la procédure applicable peut dégénérer en une infraction pénale, la situation est compliquée. Le maître mot doit être de respecter l'égalité de traitement entre les candidats. C'est très théorique, certes, mais c'est essentiel. Avant de passer un contrat, on peut avoir besoin d'études préalables pour identifier les besoins, etc. Or, les entreprises n'ont pas toujours intérêt à réaliser ces études qui risquent de les bloquer ensuite pour l'attribution des travaux. C'est une source de difficulté. En France, le juge pénal peut paraître très rigoriste. Ce n'est pas le cas dans d'autres pays, comme la Grande Bretagne, où le référé précontractuel n'existe pas, ce qui simplifie la situation.

L'autre nouveauté des directives est d'imposer des règles sur la modification des contrats, ce qui ne manquera pas de donner lieu à des interprétations jurisprudentielles et à des contentieux supplémentaires. Le projet d'ordonnance se contente de reprendre les directives avec des règles ultra-précises sur les possibilités d'évolution en cours d'exécution des contrats, identiques pour les marchés publics et pour les concessions - alors que ces dernières sont prévues pour des durées bien plus longues. Le principe est que toute modification substantielle du contrat impose une nouvelle mise en concurrence et un nouveau contrat. Heureusement, nombre d'exceptions ont été prévues, dont la possibilité de prévoir des clauses d'évolution du contrat dans le contrat initial. Reste à voir comment le juge appréciera cela.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Cela revient-il à valider le système des tranches fermes et des tranches conditionnelles auquel nous sommes habitués ?

Mme Rozen Noguellou . - Oui, mais pas dans ce cas de figure, car on parle de l'évolution d'un contrat non inscrite dès l'origine, à la différence du système des tranches. On va donc plus loin. Ces questions bien que pointilleuses sont extrêmement importantes : peut-on ajouter de la durée ou non à un contrat ? Demander des prestations supplémentaires ou au contraire en retrancher ? La directive s'intéresse aussi à la résiliation des contrats par la collectivité publique - il y a eu des exemples très médiatisés en France - pour motif d'intérêt général ou pour faute, sans entrer néanmoins dans le détail des conséquences d'une telle résiliation, de sorte que chaque État peut conserver ses solutions propres.

Enfin, ces textes transposent les solutions jurisprudentielles en matière d'exclusion du champ d'application du droit des marchés et des concessions pour les contrats dits in house , passés avec des structures contrôlées par des collectivités publiques, et pour les contrats dits de coopération, passés entre personnes publiques. Sur ce point, les directives ont élargi la jurisprudence de la Cour de justice, sans doute sous l'influence de l'Allemagne. On a repris des exceptions importantes aux règles d'application du droit des marchés qui ont justifié en France la création des sociétés publiques locales. Si l'on s'en tient à la directive, certaines sociétés d'économie mixte qui étaient exclues du champ de l' in house pourront désormais y entrer.

Quant au nombre d'entités susceptibles de passer des commandes publiques, la situation singulière de la France est liée à ses 37 000 communes et aux nombreux établissements publics présents sur notre territoire. Les autres pays en ont beaucoup moins. La mutualisation de l'achat est une voie d'amélioration qui fonctionne bien pour les fournitures. Pour les travaux, mieux vaut préférer la mutualisation des équipements. Pour les services, la directive autorise des dérogations au champ d'application du marché public, dès lors qu'il y a coopération entre les pouvoirs adjudicateurs. Si une collectivité publique met sa station de chauffage urbain à la disposition d'une autre via un contrat de coopération, cela n'entrera pas dans le champ du marché public.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Le contrat de coopération échappe au droit du marché public tel qu'il résulte de la directive. Une commune qui dispose d'une restauration scolaire pourra-t-elle en faire bénéficier d'autres écoles du secteur, par exemple un lycée ou un collège privé ?

Mme Rozen Noguellou . - Le contrat de coopération ne vaut qu'entre collectivités publiques, entre une commune et la région ou le département, par exemple. Il ne sera alors pas soumis aux règles du marché public. En revanche, si une collectivité vend une prestation à un opérateur privé, elle devient un opérateur sur le marché.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Le modèle de l' in house s'applique-t-il à tous les établissements publics ? Historiquement, il n'était pas possible d'utiliser la cuisine centrale d'une collectivité locale pour alimenter un hôpital.

Mme Rozen Noguellou . - Le cas de l' in house vaut pour une coopération institutionnelle, et implique la création d'une structure. Si aucune structure n'est créée, il est possible de passer un contrat avec un pouvoir adjudicateur - un hôpital, par exemple - en vue d'une coopération. Les seules limites imposées sont les règles régissant les interventions économiques des collectivités locales, avec la notion d'intérêt public local.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - On compte en France 130 000 acheteurs publics, soit la moitié du contingent européen. Bien que la situation soit difficilement tenable, nous ne sommes pas en mesure de proposer une organisation administrative qui en limite le nombre. Disposons-nous des outils pour favoriser les groupements, notamment entre État et collectivités locales ? Comment développer la coopération et contourner l'incapacité de notre pays à se restructurer ?

Mme Rozen Noguellou . - Les possibilités d'achats groupés sont peu utilisées, sans doute à cause de notre tradition administrative : on n'a pas l'habitude de comparer les coûts.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - La directive n'introduit-elle pas une difficulté juridique ?

Mme Rozen Noguellou . - Au contraire. Les directives encouragent les mécanismes de mutualisation entre pouvoirs adjudicateurs. Nous avons les outils juridiques nécessaires pour réaliser des regroupements au niveau intercommunal ; nous n'en avons sans doute pas suffisamment aux niveaux départemental ou régional. Le problème tient aussi au nombre d'établissements publics en France.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Notre rapporteur, Martial Bourquin, n'aurait pas manqué de vous poser la question de l'accès aux PME. A-t-on suffisamment ouvert les marchés publics aux PME ou des progrès sont-ils encore possibles ? Devons-nous faire définitivement le deuil d'un Small Business Act ?

Mme Rozen Noguellou . - À la française, certainement. Au niveau européen, il faudra faire un choix politique et économique. Les règles sur l'allotissement favorisent les PME. Je reste néanmoins partagée, car les directives consacrent également la notion de marchés de partenariat, or les contrats globaux ne sont pas favorables aux PME.

Il y a une part d'hypocrisie dans les débats. On considère que le modèle « marchés publics » protègerait les PME, quand les contrats globaux et les partenariats public-privé seraient le mal absolu, la personne publique perdant la main et les PME ayant un accès difficile. Les chiffres de l'Observatoire économique de l'achat public montrent que la part des PME dans les marchés publics d'un certain montant est très réduite ; elles interviennent surtout comme sous-traitants, tant dans des marchés publics que des partenariats public-privé.

En général, les difficultés relèvent de la manière dont les contrats ont été rédigés ou négociés ; la personne publique ne se défend pas toujours très bien, et signe parfois n'importe quoi ! Faut-il incriminer le modèle juridique ? L'ordonnance de 2004 sur les contrats de partenariat instaure des types de contrats très compliqués, avec des clauses impératives. Peut-être aurait-il fallu ne pas prendre modèle sur le régime anglo-saxon. En France, on avait l'habitude des délégations de service public, qu'on appliquait correctement sans que la personne publique ne se sente flouée.

Les directives européennes édictent désormais des règles de protection des sous-traitants, ce qui est dans l'intérêt des PME. Quant à l'idée d'un Small Business Act à l'européenne, c'est un choix politique qui n'a pas été fait au niveau européen, et qui ne peut l'être en France.

M. Gérard César . - Dans quel délai les directives européennes doivent-elle être transposées ? La maîtrise d'ouvrage public dans les marchés de travaux est un problème, dites-vous ? Pourtant, celui qui commande paie, que ce soit le maire ou le président de l'intercommunalité. Enfin, les collectivités territoriales ont l'obligation de publier des annonces légales dans les journaux lors des consultations. Quel est votre avis sur les critères de jugement des offres - délais, prix, offre technique ? En général, on compte 50 ou 60 % pour le prix, l'offre technique et le délai viennent ensuite.

Mme Rozen Noguellou . - Les directives doivent être transposées avant le 18 avril 2016. Un projet d'ordonnance sur les marchés publics est attendu à l'été 2015. La transposition de la directive sur les concessions pose davantage de difficultés : si elle n'est pas transposée à temps, la directive deviendra immédiatement applicable avec un effet direct car elle est suffisamment précise. Mais le gouvernement dit réfléchir à l'organisation générale des contrats de concessions et préparer une transposition.

Ce n'est pas la maîtrise d'ouvrage publique qui pose problème, mais la différence entre la définition de la notion de marchés de travaux publics proposée par le Code des marchés publics, qui repose sur la maîtrise d'ouvrage publique, et la définition européenne, plus large, pour laquelle tout contrat de réalisation de travaux publics est un marché public.

De nombreux BEA pour des marchés de travaux ont été signés avant la loi de 1988 sans formalité préalable. Or les collectivités ignorent souvent que ces contrats entrent dans le champ des marchés de travaux publics au sens de l'Union européenne, et qu'elles ont souvent dépassé les seuils... La nécessité de modifier la loi MOP, qui a limité les dérives, aura des incidences qui n'ont, à mon sens, pas été perçues.

Pour les marchés publics, les critères de choix public doivent être hiérarchisés et pondérés, cela ne change pas. En revanche, la directive prévoit que la passation des concessions de travaux ou de services doit donner lieu à information sur les critères de choix, mais n'impose pas de hiérarchisation ou de pondération. Si la collectivité souhaite néanmoins apporter ces précisions, elle devra veiller à les respecter, car le juge contrôlera le contrat à l'aune des critères affichés. Il faut donc bien prendre la mesure de cette contrainte.

La directive sur les concessions pose comme principe que le choix de l'opérateur doit dépendre de l'avantage économique global pour le pouvoir adjudicateur, ce qui comprend des critères économiques mais aussi sociaux ou environnementaux.

M. François Bonhomme . - Vous évoquiez l'Observatoire économique de l'achat public. La loi Sapin de 1993 a-t-elle permis à l'acheteur public de faire des économies sur la longue durée ? Peut-on les quantifier ?

Quelles sont les suites de l'arrêt Tropic élargissant les possibilités de contestation de la validité du contrat ?

Mme Rozen Noguellou . - Je déplore que nous n'ayons pas de chiffres disponibles sur les gains réalisés grâce aux procédures, très contraignantes, de marchés publics et de concession. Elles ont certes eu comme avantage de prévenir la corruption, mais, en termes économiques, nous manquons d'informations sur le nombre d'entreprises françaises qui obtiennent des marchés publics ou des concessions à l'étranger, et inversement.

L'Observatoire économique de l'achat public fournit des données sur l'évolution, parfois inquiétante, des dépenses, notamment celles des régions, sur l'accès des PME aux marchés publics et sur le pourcentage de marchés comportant des clauses sociales ou environnementales.

L'arrêt Tropic est dépassé depuis l'arrêt Tarn-et-Garonne : la jurisprudence a complètement revu le paysage contractuel. Le contentieux est potentiellement plus ouvert puisqu'on peut attaquer directement le contrat, mais les conséquences que le juge tire de ces contentieux sont désormais très réduites, pour éviter une remise en cause rétroactive des contrats. L'arrêt Tarn-et-Garonne réduit l'accès au juge pour le requérant, non pour le candidat évincé. Le contrat peut alors être soit résilié, soit poursuivi, avec compensation. La même tendance s'observe dans le secteur de l'urbanisme : on cherche à éviter la remise en cause des situations acquises. Même si le requérant peut attaquer plus facilement, les suites du recours étant moins assurées, il y aura moins de contentieux.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Le contentieux des marchés publics est un vrai traumatisme pour les élus locaux. Leur nombre parait pourtant relativement faible. Dispose-t-on de chiffres ?

M. François Bonhomme . - Des statistiques sur les sanctions pénales devraient être disponibles.

Mme Rozen Noguellou. - Effectivement, le traumatisme tient surtout aux sanctions pénales. Le juge administratif a fermé encore plus la porte du référé précontractuel, qui bloquait toute la procédure. Avec l'arrêt Smirgeomes de 2008, ce contentieux est désormais plus difficile à mettre en oeuvre, au grand dam des avocats qui se sont spécialisés dans ce domaine...

La difficulté tient à ce qu'à ce contentieux est associé un risque pénal. Dès lors qu'il s'est trompé dans la procédure, même en toute bonne foi, l'élu tombe sous le coup d'infractions pénales très larges.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Surtout avec les dernières directives.

Mme Rozen Noguellou . - Elles changent peu de choses mais simplifient tout de même les catégories de contrats et les régimes applicables.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Merci pour votre intervention. Vous pourrez nous remettre, si vous souhaitez compléter vos propos, une contribution écrite.

Page mise à jour le

Partager cette page