D. AUDITION DE MME FLORENCE PARLY, DIRECTRICE GÉNÉRALE DÉLÉGUÉE CHARGÉE DE LA STRATÉGIE ET DES FINANCES, MME ANNE GUÉNIOT, DIRECTRICE JURIDIQUE MOBILITÉS, M. STEFAN BüRKLE, DIRECTEUR DES ACHATS GROUPE ET MME LAURENCE NION, CONSEILLÈRE PARLEMENTAIRE DE LA SNCF

M. Éric Doligé, président . - Bienvenue. Nous travaillons sur la transposition des directives européennes et la présence des PME dans les marchés publics. La SNCF en est bien sûr un acteur important, c'est pourquoi nous avons souhaité vous entendre sur ces sujets.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Le secteur ferroviaire a été profondément réorganisé par la loi du 4 août 2014. Quel est l'impact de cette réorganisation sur la répartition des différents types d'achats ?

La SNCF est une entité adjudicatrice et non un pouvoir adjudicateur au sens du droit communautaire. Quid de l'obligation d'allotissement, que le projet d'ordonnance étend à tous ?

Quels types de prestations à la SNCF sont accessibles aux PME ? Parmi celles-ci, combien sont sous-traitantes ? La SNCF entretient-elle un « écosystème » de PME, une économie de territoire ?

Mme Florence Parly, directrice générale déléguée chargée de la stratégie et des finances de la SNCF . - Merci de votre invitation. La transposition des directives européennes préoccupe la SNCF, comme tous les opérateurs de réseaux. La loi du 4 août 2014 nous a transformés, à compter du 1 er juillet 2015, en un groupe public ferroviaire : nous avons un jour ! Je sais combien cette réforme a occupé votre assemblée. SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités sont trois EPIC solidaires soumis, pour ce qui est des achats, à la réglementation issue de la directive « services spéciaux », en vigueur en France depuis 2005. L'EPIC de tête, SNCF, concentre la fonction de direction des achats pour le compte du groupe. SNCF Réseau et SNCF Mobilités sont chargés des achats qui leur sont spécifiques, avec une direction des achats propre. Sur un chiffre d'affaires total d'environ 30 milliards d'euros, nos achats dépassent les 13 milliards d'euros par an, dont 2 milliards d'euros pour la SNCF, 4 milliards d'euros pour SNCF Réseau et 7,5 milliards d'euros pour SNCF Mobilités. Les travaux représentent 3 milliards d'euros, les fournitures 2 milliards d'euros, les prestations 2 milliards d'euros, l'énergie 500 millions d'euros et le matériel roulant 2 milliards d'euros. Nous réalisons environ 226 000 actes d'achat par an, dont 220 000 achats directs et 2 000 achats en bons de commande.

J'en viens à l'obligation d'allotir. Actuellement, il y a, schématiquement, deux catégories de donneurs d'ordre publics : l'État et les collectivités territoriales d'une part, les secteurs spéciaux d'autre part. Cette distinction répond aux types d'activités de ces entreprises. Les secteurs spéciaux sont tous peu ou prou soumis à une concurrence directe ou indirecte. Pour ce qui est du secteur ferroviaire, c'est déjà le cas du fret, bientôt du transport de voyageurs, qui sera soumis prochainement à la concurrence. Lorsque des secteurs plus matures progressent vers l'ouverture à la concurrence, ils échappent, petit à petit, au régime des secteurs spéciaux et basculent dans le régime de l'achat de droit privé. Il en a été ainsi du secteur des Télécoms, désormais totalement libéralisé, qui a ouvert la voie.

Les besoins d'intérêt général sont couverts par des administrations ; les autres ont vocation à être assurés par des opérateurs aussi bien publics que privés. L'Union européenne a confirmé la pertinence de cette distinction en produisant fin 2014 non pas une mais deux directives. Le projet d'ordonnance créant un régime unique pour l'État, les collectivités locales et les opérateurs de réseaux nous pose problème, les notions d'acheteur public et de marché public étant globalisatrices, ainsi que l'obligation d'allotir.

Or certains de nos marchés ne se prêtent pas à l'allotissement, notamment quand le service doit être strictement homogène sur tout le territoire, comme pour la restauration à bord des trains, ou le renouvellement des uniformes de nos 30 000 contrôleurs, que vous avez peut-être remarqué.

M. Éric Doligé, président . - Absolument.

Mme Florence Parly . - Nous avons intérêt à regrouper ce type d'achats auprès d'un même fournisseur. L'allotissement systématique crée un risque de variation de la qualité. Nous devons aussi pouvoir passer des marchés très spécifiques : par exemple, le nettoyage des vitrages de très grande hauteur de la gare de Marseille-Saint-Charles. Nous craignons de nous voir exposés à un risque juridique, si l'on nous reprochait de ne pas avoir, pour les mêmes catégories de marché, pratiqué un allotissement systématique. Ce dernier nous imposerait des contraintes supplémentaires, qui ont forcément un coût.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Que compte faire la SNCF pour s'adapter à la généralisation de l'allotissement ?

Mme Florence Parly . - Nous avons agi avec d'autres entreprises de réseau - c'est assez rare - auprès du ministère des finances. La loi d'habilitation de décembre 2014 a opté in fine pour la rationalisation, or le projet d'ordonnance prévoit l'unification, ce qui ne nous convient pas du tout. Nous avons écrit le 7 avril 2015 au directeur de cabinet du ministre de l'économie que ce projet d'ordonnance jouait contre la compétitivité des entreprises signataires : EDF, ERDF, RTE, ADP, RATP et SNCF, cette dernière évoluant dans un contexte d'ouverture à la concurrence. Si la SNCF est soumise à une obligation d'allotissement alors que la Deutsche Bahn en est dispensée, il y aura un risque de rupture de concurrence, sur nos marchés domestiques comme à l'international, où nous nous développons considérablement.

La directive laisse chaque État membre libre de choisir entre obligation de l'allotissement et simple faculté. La France a fait le choix de l'obligation, ce qui nous désavantagerait si nos concurrents directs, belges, allemands ou néerlandais, ne faisaient pas le même choix.

M. Georges Labazée . - C'est d'ailleurs ce que nous a dit la Commissaire européenne quand nous l'avons rencontrée.

Mme Florence Parly . - L'obligation de publication de nos appels d'offres à partir d'un seuil très bas, de 90 000 euros, qui n'existerait qu'en France, coûterait 6 millions d'euros par an à la SNCF et entraînerait un retard dans les procédures de passation des marchés d'un mois, sur une moyenne de quatre mois ! Insidieusement et sans y prendre garde, au nom de très bonnes intentions, on place des entreprises françaises dans une position d'infériorité par rapport à leurs concurrents européens.

M. Éric Doligé, président . - Avez-vous fait passer ce message au plus haut niveau ?

Mme Florence Parly . - L'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) a écrit le 12 mai 2015 à M. le ministre de l'économie, je suis en contact avec les autres entreprises concernées et j'ai écrit, hier encore, au directeur de cabinet du ministre sur ce sujet qui est central pour nous.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Pouvez-vous nous transmettre ces courriers ?

Mme Florence Parly . - Bien sûr.

Nous comprenons évidement que si le gouvernement français imagine de prendre des dispositions aussi coercitives, c'est dans un but vertueux : favoriser les PME dans la commande publique. Or le lien entre les obligations supplémentaires que l'on veut nous imposer et le résultat en termes de participation des PME aux marchés est loin d'être avéré. Ainsi, l'État, qui s'impose l'allotissement systématique, obtient de moins bons résultats en la matière que des entreprises telles que la nôtre. Selon une enquête de 2012, 18 % seulement des marchés attribués par l'État l'étaient à des PME, contre 23 % pour les opérateurs de réseaux, pourtant non soumis à cette obligation. Pour la SNCF, ce taux était même de 24 %, ce qui représente 1,7 milliard d'euros, contractés auprès de plus de 20 000 PME en France. Et ce taux est en augmentation.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - S'agit-il de fournisseurs directs ou de sous-traitants ?

M. Stefan Bürkle, directeur des achats du groupe SNCF. - Il s'agit bien de fournisseurs de rang 1, avec lesquels nous avons une relation contractuelle directe ; au-delà de ces 1,7 millions d'euros que nous injectons directement dans les PME au sens de l'INSEE, le montant des achats auprès des ETI s'élève à environ 1 milliard d'euros.

Mme Florence Parly . - En 2012, la part des marchés attribués à des PME était de 19 % ; elle est passée à 23 % en 2013 puis à 24 % en 2014, avec pour ambition d'atteindre 30 % en 2017. Nous ne négligeons donc pas cette légitime préoccupation.

M. Stefan Bürkle. - Je précise qu'il s'agit du pourcentage de l'ensemble des achats, y compris de matériel roulant et de rails, qui ne peuvent guère être fournis par une PME. Si l'on s'en tient aux marchés susceptibles d'être attribués à des PME, la part de celles-ci est plus proche de 40 %.

Mme Florence Parly . - La SNCF est membre fondateur du Pacte PME. Nous cherchons à aider les PME avec lesquelles nous travaillons à grandir, à dépasser le cap de l'ETI. Nous menons des actions pour simplifier nos appels d'offre et avons d'ailleurs mis en place certaines préconisations de la directive de manière anticipée. Lorsque l'entreprise Compin, qui nous fournit en sièges pour les trains, a traversé de grandes difficultés, qui l'ont menée devant le comité interministériel de restructuration industrielle, nous l'avons soutenue, la SNCF étant très attentive à favoriser le développement de l'écosystème des PME.

Pour résumer, nous sommes très attachés à ce que les dispositions dont bénéficient les opérateurs de réseaux soient maintenues dans le nouveau dispositif.

M. Éric Doligé, président . - Les régions achètent aussi du matériel roulant. Y a-t-il une complémentarité dans vos achats ? Comment fonctionnent vos filiales pour ce qui est des achats ? Les utilisez-vous comme entreprises liées pour réaliser des achats à votre place ?

Mme Florence Parly . - Les régions passent par la SNCF pour procéder aux achats des matériels roulants : c'est elle qui assure la centralisation.

M. Éric Doligé, président . - Est-ce inclus dans votre chiffre d'affaires ?

M. Stefan Bürkle. - Pour partie. Il faut distinguer ce qui ne relève pas des régions et les éléments nécessaires à la maintenance du parc existant.

Mme Florence Parly . - La direction des achats du groupe SNCF a un rôle de coordination ; chaque filiale a son propre directeur des achats et sa propre réglementation. Nous manions la notion d'entreprise liée avec la plus grande prudence : il n'est pas question pour nous de créer artificiellement une filiale pour contourner nos obligations en matière de marchés publics.

M. Daniel Raoul . - L'allotissement obligatoire me parait être un excellent principe, du moins dans nos collectivités. Il faudra bien trouver une voie...

Mme Anne Guéniot, directrice juridique SNCF Mobilités . - Ce n'est pas pour rien qu'il y a deux directives. Il faut conserver les dispositions spécifiques pour les services spéciaux lors de la transposition, avec deux chapitres distincts.

Autre difficulté liée à l'allotissement systématique : multiplier le nombre d'entreprises intervenant sur nos emprises pourrait poser des problèmes de sécurité, au regard des plans de prévention. Il y a là une vraie difficulté opérationnelle.

Les directives laissent une marge de manoeuvre, or le projet d'ordonnance durcit les textes. Nous n'utilisons presque que la procédure négociée. Attention au risques de contentieux, s'il devait y avoir une suspicion sur la négociation... L'ouvrir pour les achats complexes, c'est reconnaître ses vertus. Priver la SNCF de cette option de négociation nuirait à l'optimisation de la dépense publique.

M. Éric Doligé, président . - C'est la tendance française que de durcir les textes - toujours avec de bonnes raisons ! Nous déplorions encore ce matin au Conseil national d'évaluation des normes la perte de compétitivité que cela entraîne. Vous améliorez déjà votre performance en matière d'accès des PME aux marchés, il faudra donc veiller à ne pas rigidifier le système, au risque d'entraîner des dommages collatéraux majeurs. Il faut parfois se méfier des bonnes intentions. L'abaissement des seuils et l'obligation de l'allotissement entraîneront indéniablement des surcoûts. Nous serons à vos côtés pour le rappeler - à condition que nos trains partent à l'heure, et que nous soyons informés de manière audible !

Mme Florence Parly . - Merci de nous avoir donné l'occasion de nous exprimer. Nous sommes à votre disposition pour vous fournir toute information complémentaire .

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