B. AUDITION DE MM. GILLES DE BAGNEUX, PRÉSIDENT DU COMITÉ COMMANDE PUBLIQUE, ALAIN COUTURIER, CHARGÉ DE MISSION À LA DIRECTION DES AFFAIRES JURIDIQUES ET MME OPHÉLIE DUJARRIC, DIRECTRICE DE MISSION À LA DIRECTION DES AFFAIRES PUBLIQUES DU MEDEF

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Nous vous remercions de nous accorder un peu de temps. Notre mission sur la commande publique ne consiste pas à réécrire le Code des marchés publics, ni à entrer dans un débat, article par article. Notre logique, d'ordre politique ou économique, consiste plutôt à interroger les moyens de soutenir notre économie.

Comment la commande publique pourrait-elle aider la croissance ? Pourrions-nous faire plus simple, moins cher et plus rapide en la matière ? Est-il possible de favoriser l'accès de nos PME dans ce domaine ? Pourrions-nous utiliser les marchés publics pour ralentir l'hémorragie des travailleurs détachés ? Dans les transpositions des directives européennes, des éléments représenteraient-ils de la sur-transposition ?

Nous ne sommes pas à la recherche de grandes théories macro-économiques, ni de nouveaux modèles juridiques, mais de bonnes pratiques ou idées pouvant donner de la souplesse au système. Vous avez une liberté totale de parole, dans une optique pratico-pratique.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Monsieur le Président, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Vous avez reçu un questionnaire présentant nos principales interrogations. Nous aimerions connaître votre point de vue sur les réformes en cours du droit de la commande publique. Que pensez-vous par exemple de la procédure du marché public simplifié, par laquelle le numéro de SIRET suffit pour déposer une candidature grâce au document unique européen ?

M. Gilles de Bagneux, président du comité de la commande publique au MEDEF . - Je voudrais, pour commencer, vous présenter les personnes qui m'accompagnent : Mme Ophélie Dujarric à la direction des Affaires publiques du MEDEF et M. Alain Couturier à la direction des Affaires juridiques et plus particulièrement à la commission des marchés publics.

À titre personnel, pendant trente ans, j'ai travaillé dans un grand groupe de travaux publics à la tête d'une grande filiale et, il y a trois ans, j'ai racheté une PME de vingt personnes dans la métallurgie. Je connais donc aussi bien la vie d'une PME au quotidien que celle d'un grand groupe.

Comme toute mesure en faveur de la simplification, les marchés publics simplifiés bénéficient aux PME puisque ces procédures leur font gagner du temps. Je mesure pleinement ce bénéfice en tant que dirigeant d'une PME, puisque je dois me charger moi-même de ces procédures. Néanmoins, nous pensons au MEDEF que le donneur d'ordre devrait également procéder à une vérification des informations reçues. Certes, il existe des organismes auxquels nous pouvons confier nos données pour qu'ils vérifient leur conformité. Toutefois, notre difficulté tient au fait qu'ils sont multiples et leurs services, payants. Nous devons nous adresser à des organismes différents selon les clients, qu'ils soient publics ou privés. Hormis cette réserve, la simplification reste un grand bonheur. Continuez à avancer.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - La place des PME dans la commande publique est-elle suffisante, sachant qu'il faut distinguer les PME titulaires de marchés et celles qui ne sont que des sous-traitantes ? Que proposeriez-vous pour l'augmenter ?

M. Gilles de Bagneux . - Si nos chiffres sont exacts, cette part correspondrait à 58 % des marchés en nombre, mais à seulement 25 % en montant. Est-elle suffisante ? La question, selon moi, ne se pose pas en ces termes car cette part se mesure par rapport aux possibilités des PME. Je la reformulerais ainsi : permet-elle d'occuper leurs collaborateurs, de garnir leur carnet de commandes et éventuellement de se développer ?

Pour obtenir certains marchés, les PME sont obligées d'utiliser le moyen de la sous-traitance ou de la cotraitance avec de grands groupes, ce qui dégrade leur marge de 1 % à 5 %, alors qu'en fin d'année, celle-ci dépasse rarement 1 % ou 1,5 %. En effet, dans ce cas-là, en tant que mandataires du contrat, ces grands groupes font payer aux PME cette responsabilité car ils doivent prendre des assurances qui ont un coût. Les PME sont démunies pour négocier, comme j'en ai fait encore récemment l'expérience pour un marché privé auquel j'ai répondu avec un grand groupe national.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Vous avez remarqué que la directive européenne offre la possibilité de prendre en compte l'empreinte carbone et le social. Qu'en pensez-vous ?

M. Gilles de Bagneux . - Pour nous, cette disposition est une catastrophe. Certes, dans les grands groupes, ces considérations peuvent facilement être prises en compte. Quand je travaillais dans une grande entreprise, je vendais à mes clients cette préoccupation. Je recrutais des responsables qualité ou environnement, ce qui représentait un avantage compétitif.

Le chef de PME, quant à lui, ne dispose pas de moyens suffisants pour se préoccuper de l'environnement ou de RSE et, en cas de problème, son entreprise peut déposer le bilan. Recruter des apprentis constitue déjà un geste social pour les PME, car nous ne pouvons pas nous séparer d'eux facilement quand la collaboration ne fonctionne pas. Que puis-je faire des candidats en insertion que j'ai recrutés en contrepartie d'un marché quand il se termine ? La situation a certes évolué, puisqu'il est possible aujourd'hui de les placer sur d'autres chantiers.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Des associations d'insertion peuvent également vous aider. Dans cette salle, nous sommes des élus et nous travaillons avec des PME. Vous soulignez que l'insertion sociale consiste à ajouter un métier de plus à vos métiers.

M. Gilles de Bagneux . - Je connais le sujet en tant qu'administrateur d'une société qui a créé une holding avec des entreprises de BTP dont le seul objectif est l'insertion. Cependant, dans mes métiers, il est trop risqué de recruter des salariés en insertion. Je pense, par exemple, aux soudeurs qui travaillent à trente mètres de hauteur.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Qu'en est-il de l'empreinte carbone ?

M. Gilles de Bagneux . - Des logiciels ont été élaborés pour calculer l'empreinte carbone dans les travaux publics, mais les PME ne peuvent pas s'en préoccuper, sauf s'il est possible de réaliser des économies en fioul ou en gaz.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Ne serait-ce pas la possibilité pour un donneur d'ordre de vous accorder un marché, la proximité permettant d'améliorer l'empreinte carbone ?

M. Gilles de Bagneux . - Ce sujet est majeur pour les marchés publics, mais le délit de favoritisme pourrait effrayer les donneurs d'ordre, les acheteurs et les élus. Aujourd'hui, si les élus avaient les moyens de faire travailler les entreprises dans un périmètre de moins de x kilomètres de leur commune, de leur communauté de communes ou de leur région, nous y gagnerions tous. Toutefois, le délit de favoritisme existe. Sur de nombreux marchés, nous oeuvrons pour la mieux-disance qui améliore le service mais, en réalité, le seul critère décisif pour les acheteurs demeure le prix même s'ils affichent une préoccupation de mieux-disance.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Nous constatons sur la commande publique un recours plus fréquent aux travailleurs détachés. Les moyens juridiques de contrôle des pouvoirs publics suffisent-ils pour faire face aux abus qui mettent en danger les PME ? Il est question de responsabiliser aussi la maîtrise d'ouvrage pour le contrôle des chantiers. Pensez-vous que nous puissions faire mieux pour le contrôle et au sujet de l'offre anormalement basse ? Quel est l'avis du MEDEF ?

M. Gilles de Bagneux . - Je rencontre ce problème tous les jours. En effet, nous manquons de main d'oeuvre parmi les soudeurs et les tuyauteurs. Étant très bien payés, ils préfèrent être des mercenaires en intérim plutôt que d'être recrutés par des entreprises. Les grandes entreprises qui ont des filiales en Pologne ou en Roumanie vont chercher ces professionnels dans ces pays et les embauchent sur des chantiers français. Ces salariés, dont les charges sociales sont nettement inférieures à celles des salariés français, leur permettent de proposer une offre plus compétitive et de gagner ainsi des marchés.

Que faire ? Il faut contrôler, certes. Il faut aussi responsabiliser le maître d'ouvrage. Toutefois, le maître d'ouvrage reportera toujours la responsabilité sur le maître d'oeuvre, puis sur l'entreprise. Nous croyons, au MEDEF, que la formation est la meilleure réponse. Depuis que les pouvoirs publics ont fixé comme objectif d'avoir 80 % d'une classe d'âge avec le bac, exercer des métiers manuels n'est plus une fierté pour les parents comme pour les jeunes. Le bac technologique est aujourd'hui considéré comme un échec, ce qui est une erreur majeure. S'il est possible d'avoir des jeunes formés aux métiers de soudeur et de tuyauteur et qui sont fiers de faire ces métiers, nous résoudrons le problème durablement.

Certes, les contrôles peuvent limiter le phénomène mais, sur le long terme, il faut créer un système de formation efficace. Aujourd'hui, les chômeurs se comptent par millions, alors que des offres d'emploi ne sont pas pourvues faute de candidats formés.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Dans le cas des peintres, nous disposons d'une main-d'oeuvre formée et au chômage technique, mais les entreprises préfèrent les travailleurs détachés pour des raisons financières.

M. Gilles de Bagneux . - Ne faudrait-il pas exiger, dans les marchés, que la sous-traitance se fasse localement, à moins de cent kilomètres, malgré le délit de favoritisme ? Localement, la main-d'oeuvre est disponible pour réaliser ces travaux. L'empreinte carbone et le développement durable peuvent être de bons alibis pour délimiter un périmètre économique et je trouverais cette approche normale.

Après tout, je n'irais travailler ni en Espagne, ni en Italie, ni en Hollande.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Ni en Allemagne. Dans ce pays, les régies publiques d'eau potable sont gérées par des Allemands et l'Allemagne refuse qu'elles soient soumises à la concurrence. Elle sait protéger ses marchés.

M. Gilles de Bagneux . - Seule la Grande-Bretagne aborde la question différemment. Nous sommes favorables à l'alibi de l'empreinte carbone car il permettra de faire travailler les personnes sur une même emprise économique.

M. Rachel Mazuir . - L'Allemagne est soumise aux mêmes règles européennes que la France en matière de commande publique. Cependant, il est possible de contourner les règles. Chacun défend son pré carré.

M. Gilles de Bagneux . - Nous souhaitons qu'une « équipe de France » soit mise en place. Pour ma part, j'ai habité au Népal pendant un an pour y créer une société. Il nous fallait aller à l'ambassade britannique qui était dotée d'un pool entreprises pour être reçus car l'ambassade de France préférait, elle, la culture.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Avez-vous de bonnes pratiques à nous recommander ? Quant aux éléments de souplesse qui n'auraient pas été exploités concernant la transposition des directives européennes, quels sujets seraient susceptibles d'être plus rapides, plus souples et plus simples à traiter ? Avez-vous des suggestions ?

M. Gilles de Bagneux . - Parmi ces sujets, la trésorerie occupe une place majeure pour nous. En effet, il est difficile pour une PME de répondre à un appel d'offres en raison des systèmes de retenue de garantie et de caution. Les PME sont entravées dans leurs possibilités de répondre aux appels d'offres.

Parmi les garanties exigées des entreprises, pourquoi ne pas utiliser la part fournitures comme une avance sur marché, puisque la garantie, une fois sur le terrain, est sous le gain du maître d'ouvrage ? Nous paierions ainsi une avance avec la garantie sur les fournitures. Ce sont des détails importants pour la trésorerie. Donner des cautions sur les marchés publics représente une véritable entrave au développement car les banques limitent nos cautions. Sur certains marchés, je demande à ne pas payer de caution en échange d'une retenue de 5 %.

Les cautions, les retenues de garantie et les avances sont donc les trois points sur lesquels des progrès peuvent être réalisés.

Sur la question des pénalités, par ailleurs, nous aimerions plus de simplicité dans la façon de traiter les marchés. Aujourd'hui, des acheteurs, qui se comportent comme des potentats locaux plutôt que de faire l'effort de comprendre les entreprises, ajoutent des pénalités en cas de retard à une réunion ou dans la remise d'un papier par exemple. Arrêtons les pénalités.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Cette situation se produit-elle souvent ? La personne précédente nous a signalé que de nombreuses collectivités locales procèdent ainsi.

M. Gilles de Bagneux . - Nous constatons une accélération car de plus en plus d'acheteurs ont leur mot à dire concernant ce qui est écrit sur le marché. À titre d'exemple, un rabais a été ajouté par une collectivité qui a avancé comme argument la conjoncture difficile.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Pour avoir dirigé des chantiers importants, en cas de problème de malfaçon ou pour la mise en place d'un calendrier d'exécution, je sais que la présence d'une entreprise à une réunion peut être indispensable. Le défaut d'une entreprise à l'heure H peut parfois être catastrophique pour le fonctionnement et le calendrier d'un chantier. Toutefois, pour une réunion accessoire, un tel impératif ne se justifie pas.

Nous rejoignons la question de la mieux-disance et du sourcing pour les acheteurs. La réputation d'une entreprise est atteinte si elle ne se présente pas au bon moment. Toutefois, il me paraît important de pouvoir le signaler aux acheteurs dans une base de données qui recenserait ce qu'il s'est produit sur les chantiers précédents.

M. Rachel Mazuir . - Vous soulignez la question des clauses excessives. Nous sommes surpris des exemples évoqués, ayant nous-mêmes passé beaucoup de marchés en tant qu'élus locaux. Vos difficultés sont-elles les mêmes dans le cas des marchés privés ? Je pensais que ce phénomène était marginal chez nous.

M. Gilles de Bagneux . - Oui, bien sûr. Dans les marchés publics, cette tendance progresse et, dans les marchés privés, la situation peut parfois être pire. Le Code des marchés publics reste malgré tout protecteur. Il y a partout des gens honnêtes et moins honnêtes. Il est vrai que le rôle des acheteurs publics est en train d'évoluer et aujourd'hui nous pouvons faire face à tout type de comportement.

La DAJ a fait paraître un guide de conseils pour les acheteurs. Nous avons également rencontré le service des achats de l'État, qui est actuellement en train de créer un logiciel. Celui-ci permettra aux acheteurs de créer leur marché. Nous sommes favorables à de telles initiatives. Cependant, lorsque le logiciel nous a été présenté, nous avons constaté à travers les cas montrés que les acheteurs apprenaient d'abord à mettre des pénalités aux entreprises. Il aurait fallu plutôt penser la façon dont l'entreprise peut aider à la collectivité à concevoir le mieux possible un ouvrage dont la collectivité a besoin.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Avez-vous un dernier message important à nous communiquer ? Dites-nous un mot du document unique ? Pensez-vous que ce dispositif peut fonctionner ?

M. Gilles de Bagneux . - Pour le moment, le document unique européen qui est en cours de préparation est une usine à gaz. Je crois qu'il est en train d'évoluer. Il faut le simplifier. Il s'agit d'une nécessité. En revanche, nous sommes satisfaits du marché public simplifié avec la déclaration via le SIRET.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Ne s'agit-il pas d'un outil de simplification ?

M. Gilles de Bagneux . - Pas encore, mais il peut le devenir.

Mme Ophélie Dujarric, directrice de mission à la Direction des affaires publiques du MEDEF . - Recourir à un seul document participe d'une démarche de simplification. Cependant, le contenu du document reste compliqué à appréhender. Nous en sommes encore aux prémices de la simplification.

M. Alain Couturier, chargé de mission à la Direction des affaires juridiques au MEDEF . - Pour l'heure, il n'y a pas de véritable simplification des règles de participation aux appels d'offres.

M. Gilles de Bagneux . - Le nombre de personnes concernées et de points juridiques est très important. Dans une PME, nous réglons les problèmes juridiques en simplifiant au maximum. Pendant que nous avançons et prenons des risques, d'autres personnes créent de nouvelles règles.

Pour finir, la question de la concurrence déloyale n'a pas été abordée avec le in-house . Aujourd'hui, nous craignons que les marchés soient comme dans le passé attribués à des entreprises de type SPL, au prétexte qu'elles répondraient en tenant compte des vrais prix de revient et des vrais coûts. Il est faux de dire que les SPL peuvent appliquer les mêmes règles de calcul que nous. Je ne pense pas que la comptabilité appliquée dans les SPL leur permette de connaître les vrais prix de revient.

M. Didier Mandelli . - J'aimerais savoir, dans le cadre du comité que vous présidez au MEDEF, si vous avez mis en oeuvre des dispositifs d'accompagnement ou de parrainage des PME ou des TPE concernant la réponse aux marchés publics.

M. Gilles de Bagneux . - Nous organisons des séminaires, nous publions des ouvrages, des livres blancs et des modes d'emploi pour expliquer la loi. Le rôle du MEDEF n'est pas d'accompagner les PME dans leur réponse aux marchés publics. Ce sujet relève des fédérations spécialisées qui s'en chargent dans les limites imposées par le respect de la concurrence.

M. Rachel Mazuir . - Vous parlez des PME, tout en étant au MEDEF. N'est-ce pas un problème ? La préoccupation d'une PME peut être très éloignée des problématiques des grandes entreprises, par exemple dans le cas des PME qui sont contraintes de leur faire appel.

M. Gilles de Bagneux . - Le MEDEF cherche à partager ces problématiques. Quand je travaillais dans un grand groupe, je travaillais avec des entreprises locales, dans la recherche d'une complémentarité qui était indispensable à notre développement et au leur. Je pense donc que la diversité des cultures est une source de richesse qui permet de confronter les idées. Certes, le MEDEF pourrait prendre une position plus claire s'il ne tenait compte que des PME, mais toutes les entreprises doivent être prises en considération. Je crois qu'il ne faut pas opposer les grands groupes et les PME qui sont complémentaires. Pour preuve, les grands groupes n'ont qu'une hâte, acquérir des PME qui sont des éléments moteurs en matière d'innovation et qui proposent des produits nouveaux.

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