C. AUDITION DE M. PHILIPPE JAHAN, PRÉSIDENT D'UNIHA, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CENTRE HOSPITALIER DE VALENCIENNES, M. BRUNO CARRIÈRE, DIRECTEUR GÉNÉRAL D'UNIHA ET MME JULIE BOURGUEIL, DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT D'UNIHA, PHARMACIENNE

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Notre approche se veut très pratico-pratique. Nous ne sommes pas une commission d'enquête, nous ne voulons pas récrire le Code des marchés publics, mais proposer des solutions pour être plus rapide, plus simple ou moins cher.

Dans ce contexte, la question de la mutualisation des achats se pose avec deux points de vue différents : si elle est bénéfique pour les « gains sur achats », jusqu'où peut-on aller dans la baisse des prix sans dégrader l'accès des PME ? La mutualisation n'est-elle pas la meilleure amie de l'acheteur public, mais aussi la « meilleure ennemie » de la PME ? Sur les marchés complexes d'innovation, la mutualisation n'est-elle pas une fausse bonne idée ? Désinvestit-elle l'acheteur public ? Quelles sont les bonnes pratiques à nous recommander ? Les hôpitaux représentant des volumes financiers importants, quels « gains sur achat » peuvent-ils être enregistrés ? Qu'est-ce qui aurait pu échapper à l'État dans sa transposition des directives européennes ?

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Je veux préciser certaines questions. La commande publique représente 18 milliards d'euros pour les hôpitaux. Les deux principaux groupements d'achats, UniHA et l'UGAP, sont-ils en concurrence dans certains domaines ? Comment se coordonnent-ils ? Quelles sont les forces et les faiblesses des deux organismes ?

Le portefeuille d'achats d'UniHA est passé de 803 millions d'euros en 2008 à 2,4 milliards d'euros en 2014 : comment expliquer cette évolution ?

Le programme PHARE (Performance hospitalière pour des achats responsables) a fixé pour objectif à UniHA de réaliser une performance achat de 110 à 120 millions d'euros par an : cet effort peut-il être poursuivi dans la durée, sans écraser les marges des entreprises ni privilégier les grandes entreprises ? Les PME ne seront-elles pas exclues de ces marchés ?

Les travaux de notre mission commune d'information portent notamment sur l'accès des PME à la commande publique. Quelle est la part des achats innovants auprès des PME ? Augmente-t-elle de façon importante, comme c'est le cas pour l'UGAP ?

Enfin, dans ma circonscription, un investissement hospitalier très important a permis d'embaucher des personnes de 14 nationalités différentes sur un chantier. La question des travailleurs détachés a constitué une plaie ouverte pour les PME locales. Quel est votre avis sur cette question ?

M. Philippe Jahan, président d'UniHA, directeur général du CH de Valenciennes . - En introduction, le financement d'UniHA repose essentiellement sur la cotisation de ses mandants et non sur les subventions. J'ai été élu par l'assemblée générale des directeurs généraux des hôpitaux publics français, dont nous sommes les représentants, contrairement à l'UGAP qui est un organisme extérieur au système.

Notre fonctionnement, en plus d'être démocratique, est très professionnalisé puisque nous associons médecins, représentants des médecins, pharmaciens et ingénieurs médicaux à notre action. Proches du terrain, nous rendons également des comptes.

Pour préciser ce qui nous distingue de l'UGAP, nous sommes concurrents et complémentaires. L'UGAP a investi l'achat hospitalier sur étagère. Les pouvoirs publics ont souhaité que les CHU et les hôpitaux améliorent la performance achats en se réunissant.

M. Rachel Mazuir . - Tous les hôpitaux en font-ils partie ? Les SAMU sont-ils également concernés ?

Philippe Jahan . - Nous touchons 250 établissements dont 28 CHU et 30 grands centres hospitaliers. Les autres sont dans le groupement par mécanismes associés. Nous avons demandé aux pouvoirs publics de nous organiser de façon démocratique et selon un acte volontaire. UniHA fait vivre 75 salariés, 45 équivalents temps plein, sur tout le territoire.

Par ailleurs, nous sommes attentifs à préserver une offre PME et innovation que nous soutenons dans un programme dédié. Nous sommes en lien direct avec les PME à travers le développement de produits avec le souci de préserver le tissu des PME. Toutefois, l'industrie française ne propose pas toujours les produits qui nous intéressent (scanners et IRM).

Bruno Carrière, directeur général d'UniHA . - Merci de nous accueillir aujourd'hui. Nous avons essayé de traiter les différentes questions en les agençant de la façon suivante.

En réponse à la première interrogation, UniHA est une coopérative née d'un regroupement d'hôpitaux qui sont au nombre de 61 aujourd'hui. Les achats des membres d'UniHA représentent entre 6 et 9 milliards d'euros, selon que l'on prend en compte ou pas l'AP-HP, sur un total de 18 milliards d'euros.

Pour présenter ensuite le paysage général, l'UGAP est un acteur du système, mais il n'achète pas de médicaments ni de produits de santé. Or ces produits représentent les deux tiers, voire les trois quarts du volume des achats totaux. Nos volumes d'achat sont ainsi passés de 800 millions à 2,5 milliards d'euros parce que les médicaments en représentent 1,5 milliard. Par ailleurs, d'autres acteurs de l'achat évoluent dans le secteur hospitalier : le Réseau des acheteurs hospitaliers (Resah) qui regroupe les établissements de la région Ile-de-France, tout en ayant des actions sur tout le territoire ; les centres de lutte contre le cancer ; puis, une multitude de groupements régionaux, soit positionnés sur un spectre d'achats très large, soit sur des thématiques particulières. En réponse à l'une des questions posées sur les organismes de mutualisation de restauration scolaire, c'est avec ces organisations dans le secteur régional que des contacts pourront travailler sur des sujets équivalents.

Pour revenir à la particularité d'UniHA, dans le monde de l'achat de la commande publique, des opérateurs comme l'UGAP qui sont organisés autour d'une plate-forme d'acheteurs font du référencement. D'autres sont décentralisés, ce qui est notre caractéristique avec 15 personnes au siège et le reste dans le réseau. En achat hospitalier, les achats doivent être décidés en lien avec les équipes soignantes. Notre parti pris a donc été de décentraliser les équipes d'acheteurs et de « mailler » des professionnels de l'hôpital qui ont un rôle de coordinateur et sont associés à des spécialistes de l'achat. Nous pensons que cette communauté permet d'ajuster les besoins avec le contenu des marchés.

Par ailleurs, l'impact de notre organisation doit être apprécié au regard des secteurs d'activité : les deux tiers de notre portefeuille d'achats portent sur les médicaments. Ils concernent, par conséquent, 15 entreprises mondiales. Sur l'énergie, nous travaillons avec des entreprises européennes. Dans le cas de Microsoft, nous discutons avec un monopole au nom de 150 entités juridiques du secteur sanitaire. La question des PME n'est donc pas constante dans tout le secteur d'achats et dépend de l'activité. Le secteur du médicament est très concentré, alors que celui des services est très émietté, ce qui a un effet dissuasif pour nous comme pour le marché de la formation professionnelle. La restauration quant à elle se caractérise par des circuits courts avec des producteurs locaux et des distributeurs qui sont des entreprises internationales.

Pour donner de la pertinence à l'acte d'achat, il faut donc comprendre l'organisation du marché : ainsi, 150 hôpitaux pèsent peu auprès de Microsoft. Toutefois, dans le secteur des médicaments, avec 1,5 milliard d'euros, il est possible d'avoir une plus grande marge de négociation. En résumé, la question de la PME traverse tous les secteurs d'activité, mais différemment selon les secteurs.

Sur la question des SAMU, les achats d'hélicoptère représentent un volume de 66 millions d'euros pour les ententes des établissements hospitaliers. Cet exemple illustre l'articulation que j'évoquais entre grandes entreprises et TPE. En effet, de toutes petites entreprises font voler ces hélicoptères, mais les constructeurs d'hélicoptères, eux, sont de taille mondiale. Les stratégies achats doivent prendre en compte cette dualité entre opérateurs locaux et constructeurs mondiaux. De plus, des entreprises spécialisées dans le transport héliporté pour l'industrie pétrolière arrivent sur ce marché et créent de la concurrence pour les opérateurs.

Pour conclure, la PME n'est pas constamment représentée et le passage de 800 millions d'euros en 2008 à 2,4 milliards d'euros aujourd'hui s'explique par la part croissante prise par le médicament.

Philippe Jahan . - Dans certains cas, les prix des grands entrepreneurs ont chuté de 40 % grâce au poids d'UniHA qui est capable de discuter et de fournir une expertise et des services, l'acte d'achat étant de plus en plus complexe. Ainsi, avec le marché du commissaire aux comptes pour les hôpitaux, nous avons mis en concurrence tous les groupes. Puis, nous avons élaboré une charte d'acceptabilité sur la manière dont nous concevions ce marché et présélectionné six groupes dont nous nous sommes portés garants. Pour revenir enfin à Microsoft, ce géant a malgré tout dû céder sur certaines revendications excessives.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Vous nous avez présenté vos forces et l'intérêt de ce groupement qui centralise les achats par filière. Pouvez-nous indiquer, dans le contexte législatif et réglementaire des directives de février 2014, sur quels points vous pourriez obtenir de meilleurs résultats pour les établissements ? Quelles sont les améliorations possibles du dispositif ?

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Aujourd'hui, une question essentielle pour les conseils d'administration des hôpitaux porte sur les travaux d'entretien ou de restauration qui sont très importants. Quel lien organique avez-vous avec les PME locales ? En raison de l'évolution des hôpitaux, la performance achats ne nuit-elle pas aux PME-TPE en leur donnant moins de travail ? Sur mon territoire, je pense ainsi que le lien avec le tissu économique local se dégrade.

Bruno Carrière . - UniHA n'est pas positionné sur le marché des travaux ou du BTP. Même pour les fournitures de sites industriels ou de bâtiments, nous travaillons avec des réseaux de distributeurs. Dans le domaine des services, nous travaillons avec des groupes nationaux disposant de succursales locales sur le sujet du nettoyage ou de la maintenance d'ascenseurs.

Si nous contractualisions dans le domaine du BTP, nous le ferons dans le cadre de la clause de la mieux-disance ou de la RSE : des travaux de second oeuvre pourraient être aussi des chantiers d'insertion, à condition d'avoir une déclinaison territoriale et donc des interlocuteurs qui puissent couvrir l'ensemble du territoire.

Philippe Jahan . - Quand nous avons rénové l'hôpital de Valenciennes pour 500 millions d'euros, les trois grands groupes nationaux du secteur ont répondu à l'appel d'offres. Toutefois, nous avons demandé dans le projet que des entreprises locales interviennent en sous-traitance sur des chantiers, ce qui a fait vivre le territoire pendant trois ans. Cette obligation pourrait figurer dans les appels d'offres comme début de solution car aucune entreprise locale ne pourrait se charger de la rénovation d'un hôpital comme celui de Valenciennes.

Par ailleurs, nous soutenons financièrement à hauteur de 25 000 euros une start-up lilloise pour repérer des innovations et valoriser les produits qui correspondent à des besoins réels des établissements hospitaliers. Ainsi, chaque année, nous organisons un congrès au cours duquel des start-ups présentent leurs produits.

Pour répondre en résumé à votre question, dans les grands marchés, il existe la possibilité d'effectuer des investissements dans des entreprises locales. En outre, UniHA soutient des start-ups innovantes quand leurs produits apportent une plus-value.

Concernant les marchés régionaux, certains produits comme le papier toilette sont fabriqués en Inde. Comment faire travailler les entreprises locales dans ce contexte ? Celles-ci peuvent être associées au travers de l'allotissement ou de la distribution, dans une recherche de complémentarité. UniHA étant décentralisé, une équation locale ou régionale doit être nécessairement trouvée dans notre dispositif. Là réside notre difficulté : comment articuler UniHA et certains acteurs régionaux sans nous placer en opposition ? Nous apportons notre expertise, sans jamais casser les groupes d'achats qui fonctionnent comme dans le Nord-Pas-de-Calais.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - UniHA doit réaliser une performance achat de 110 à 120 millions d'euros par an. Pensez-vous atteindre cet objectif ?

M. Bruno Carrière . - Les hôpitaux sont, en termes de taille, de grandes entreprises dans les territoires. Les pouvoirs publics exigent donc des directions achats des hôpitaux une performance équivalente à celle des entreprises de même taille, en s'alignant sur les pratiques du secteur privé. C'est pourquoi nous construisons de la compétence achats adaptée aux besoins hospitaliers, en étant attentifs aux marchés et en maintenant la concurrence.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Les groupes de la grande distribution se reconvertissent en mettant en place des stratégies de territoire intéressantes - sauf parfois pour les prix - avec des PME et des producteurs locaux.

Mme Julie Bourgueil, Directeur général adjoint d'UniHA . - Nous calculons le gain sur des quantités estimées à partir d'un prix d'achat et d'un prix historique. Toutes les données affichées dans nos documents ne concernent que du gain sur achats qui reste théorique et ne se retrouve pas toujours dans les lignes budgétaires.

Le dispositif est construit pour disposer de cette donnée-là. Nous savons déjà qu'à la fin de l'année 2015, nous n'obtiendrons pas des gains sur achats purs de 100 millions d'euros, ce que nous avons annoncé. Néanmoins, nous travaillons sur d'autres typologies de gains dits complémentaires : ceux-ci peuvent être liés à des pratiques de commandes qui sont améliorées dans le cadre du groupement pour amoindrir les factures des hôpitaux comme des fournisseurs. Les achats projets peuvent aussi être source de réorganisation dans les hôpitaux et donc de gains organisationnels majeurs, bien supérieurs aux gains sur achats que nous avons présentés.

Vous nous interrogiez également sur nos forces et sur nos faiblesses. Notre ancrage dans les hôpitaux est une force, mais aussi une faiblesse. Leur adhésion est volontaire et nous avons à faire la preuve que les hôpitaux ont intérêt à rejoindre le groupement. Je pense ainsi qu'UniHA peut être un des leviers au service d'une réorganisation des hôpitaux, notamment autour du circuit du médicament à travers son automatisation qui pourrait générer des gains de productivité, mais à condition de penser aussi ce circuit en termes de sécurisation. Nous venons d'ailleurs de lancer une démarche d'audit organisationnel sur certains établissements dans le cadre de cet achat projet et j'ai l'intuition que nous ouvrons une porte sur un sujet qui va devenir majeur.

Concernant les PME, enfin, la professionnalisation des acheteurs et des médecins recherchée par UniHA passe aussi par la connaissance du terrain et des entreprises, puisque, pour éviter les situations de monopole, nous partons à la recherche de la concurrence.

M. Bruno Carrière . - Pour finir, la directive ne pose pas de difficulté particulière puisque notre action s'inscrit dans l'application du Code des marchés publics. Nous nous y préparons donc.

M. Rachel Mazuir . - J'ai une question subsidiaire. Dans les gains indiqués dans le document que vous avez distribué, pourquoi faire apparaître l'UGAP ?

M. Bruno Carrière . - Nous avons un accord de partenariat avec l'UGAP qui nous permet d'obtenir des remises sur commission.

M. Rachel Mazuir . - Les SDIS ayant aussi des équipements répétitifs, la piste de l'UGAP doit aussi être explorée.

M. Philippe Jahan . - Nous cherchons des alliances.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Quand nous avons reçu l'UGAP, ses responsables nous ont fait part d'une progression des PME dans leur chiffre d'affaires. Pouvez-vous en faire autant ? Cet élément sera-t-il l'une de vos préoccupations ?

M. Bruno Carrière . - Nous n'en sommes pas capables faute de système d'information équivalent car nous n'avons que dix ans.

Notre démarche est la suivante : l'acheteur cherche la PME offrant le produit adapté au système hospitalier. Nous participons à des forums, nous rencontrons des PME, nous les accompagnons en « codesignant » les produits et les services en cas de besoin. Nous avons également le projet de mettre en place des « sentinelles de l'innovation » en développant notre implantation territoriale. L'écart avec l'UGAP s'explique parce qu'il compte 1 000 collaborateurs et nous 70.

Pour revenir à la directive, notre seule interrogation porte sur l'opposabilité de la directive à tout le secteur sanitaire. Dans le secteur sanitaire, tous les acteurs, cliniques privées comme hôpitaux publics, travaillent avec des fonds publics. Nous pensons qu'il y a un facteur d'inégalité dans la concurrence que se livrent ces établissements entre ceux qui sont assujettis à l'obligation du Code des marchés publics et ceux qui ne le sont pas.

Par ailleurs, la directive n'est pas en cause mais seulement la déclinaison de différents textes opposables aux entreprises comme aux autres pouvoirs adjudicateurs. À titre d'exemple, tous les titulaires de marchés publics doivent transmettre une attestation semestrielle sur le travail illégal, ce qui est ingérable. D'ailleurs, personne n'applique cette disposition.

Ensuite, nous avons une visibilité sur l'ensemble du réseau et de tous les acteurs publics qui interviennent dans le champ des hôpitaux. Dans certaines régions, des hôpitaux ont signé une convention tripartite de dématérialisation avec leur trésorier et leur chambre régionale des comptes. Ils peuvent donc signer des marchés pour l'ensemble du territoire. Or des trésoriers locaux considèrent que ce qui a été dématérialisé à un endroit ne leur est pas opposable et bloquent des règlements, ce qui dépasse l'entendement. Nous consommons du « temps agent » pour faire des photocopies de marchés.

M. Philippe Jahan . - Pour conclure, je parlerai en tant que chef d'établissement. Je dois dégager un million d'euros de recettes par jour alors que les dépenses s'élèvent à un million d'euros également. Je dois également gérer 5 000 bulletins de paie. De plus, l'État perçoit 1,2 % du résultat. Nous avons reçu 1 000 personnes aux urgences ces trois derniers jours !

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Combien d'entrées par an couvre votre service d'urgences ?

M. Philippe Jahan . - Le service accueille 200 à 300 personnes par jour, ce qui représente 90 000 entrées par an. Équilibrer nos comptes est un défi puisque les directeurs généraux qui ne tiennent pas leurs comptes sont remerciés.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Nous vous remercions pour votre contribution.

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