D. AUDITION DE MM. HUBERT DU MESNIL, PRÉSIDENT, ET M. PIERRE-EMERIC CHABANNE, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSTITUT DE LA GESTION DÉLÉGUÉE

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Bienvenue à M. Hubert du Mesnil, président de l'Institut de la gestion déléguée, et à M. Pierre-Emeric Chabanne, délégué général.

Notre mission commune d'information n'est pas une commission d'enquête : il s'agit moins de contrôler que de proposer et d'examiner si la transposition des directives du 26 février 2014 se fait a minima ou si, comme souvent, on en profite pour ajouter de nouvelles règles.

Après nous être surtout concentrés sur les marchés publics, nous passons avec vous au volet « concessions ». Notre approche est pragmatique, plus économique et politique que législative. Y a-t-il des points sur lesquels vous souhaiteriez nous alerter, en tant que représentants, notamment, des grands concessionnaires ? La directive « concessions » est-elle pertinente ? Change-t-elle les règles du jeu ? Son articulation avec la loi Sapin de 1993, que le projet d'ordonnance semble vouloir intégrer plutôt que remplacer, vous convient-elle ? Pensez-vous que nous aurions pu éviter de sacrifier à l'amitié franco-allemande la question de l'eau, ou était-ce un combat perdu d'avance ? Comment mettre cette réforme au service de l'économie française et quid des PME ? Quelle est l'action de l'Institut de la gestion déléguée envers ces dernières ?

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Quels sont le nombre et le montant annuel des concessions ? Le chiffre d'affaires de 100 milliards d'euros calculé par vos soins en 2011 est-il encore juste ? Comment est-il calculé ? Quelle est la valeur ajoutée pour les territoires, notamment en termes d'emplois ? Quelle est la durée moyenne des contrats ?

Quelles sont les principales conséquences pour les acheteurs français de la transposition de la directive « concessions » ? Le président a évoqué le secteur de l'eau potable : l'Allemagne a su défendre son point de vue auprès de l'Union européenne.

Les PME semblent peu représentées dans les concessions, du moins comme titulaires de marché, et les sous-traitants sont parfois soumis à des conditions épouvantables tant en termes de prix que de délais de paiement, à croire ce que nous disait tout à l'heure un de leurs représentants.

M. Hubert du Mesnil, président de l'Institut de la gestion déléguée. - L'Institut de la gestion déléguée (IGD) n'est pas le porte-parole des grands groupes, mais une fondation réunissant l'ensemble des acteurs publics et privés de la gestion des services publics : l'État, l'Association des maires de France, l'Association des maires de grandes villes de France côtoient des acteurs industriels. L'Institut est né avec la loi Sapin, de la nécessité d'accompagner les dispositions législatives d'une instance de dialogue et de réflexion. Notre objet est la qualité, la performance des services publics, quel que soit le mode de gestion. Nous n'avons aucune religion en la matière, l'important étant de choisir le bon mode de gestion, dans une recherche d'optimisation des outils.

Dès le début, nous avons considéré que la négociation européenne sur la directive « concessions » constituait un enjeu majeur. Certains, qui y étaient opposés, ont pratiqué la politique de la chaise vide, ce qui était une erreur puisque la directive a abouti. Mieux vaut être dans la mêlée que sur la touche.

La directive ne nous satisfait pas pleinement, en raison de la faiblesse de notre position par rapport à l'Allemagne, et de la difficulté que constitue l'absence de notion européenne de concession de service public. Le langage utilisé par la Commission européenne était copié sur celui des marchés publics. L'enjeu était de faire émerger une idée de concession de service public européenne, dont il faudra assumer le décalage avec l'idée française.

L'exclusion de plusieurs secteurs du champ de la directive, typique des compromis politiques de fin de négociation, ne nous enchante pas non plus. Espérons qu'il sera possible de généraliser progressivement la notion de concession européenne une fois qu'elle sera entrée en pratique, et d'entraîner ceux qui sont restés au bord de la route.

En France, la loi Sapin donnait unanimement satisfaction. Personne n'était demandeur de modifications. Notre position, que l'État a d'abord accueillie positivement, était de transposer la directive a minima pour les secteurs concernés et de conserver la loi Sapin pour les autres secteurs ainsi que pour les montants inférieurs aux seuils. La position de l'État a toutefois évolué : son souci de simplification lui fait juger d'un mauvais oeil les réglementations parallèles et préférer le regroupement des outils dans un document unique, d'où l'idée d'intégrer la loi Sapin dans le texte transposant la directive. Nous retenons notre souffle car cette intégration au nom de la simplification pourrait provoquer des dommages.

Nous sommes attachés à la liberté de choix des acteurs publics entre tous les modes de gestion. Nous voudrions améliorer l'évaluation et la connaissance des différents outils pour rendre ce choix efficace. Mais nous avons senti dans l'attitude de l'État la tentation, au nom de la simplification, de réduire le champ des possibles en multipliant les contraintes, les règles et les prescriptions qui restreignent le choix. Certes, il y a pu avoir de mauvais choix, qui se sont traduits par des échecs, mais l'investissement public, malmené en France, ne sera pas favorisé par une restriction des choix de modes de gestion.

Pourquoi les contrats de concession seraient-ils réservés aux grandes entreprises ? Des entreprises modestes peuvent remporter des contrats modestes. L'instauration de seuils minimaux pour les collectivités territoriales ne va pas dans la bonne voie. Encore une fois, nous plaidons pour la liberté de choix et la diversité des outils.

L'accès des PME à la commande publique en général est difficile. Leur incapacité à maîtriser les risques constitue une difficulté supplémentaire en matière de concessions. Une petite entreprise à laquelle on demande de s'engager à une gestion pendant dix ans peut se sentir fragile, ou ne pas être suivie par sa banque. Nous y travaillons, car toutes les idées visant à faciliter l'accès des PME - par exemple, fixer un taux minimal de PME participant à un contrat - ne sont pas convaincantes, pour tentantes qu'elles peuvent être. Nous sommes partisans d'ouvrir le jeu au maximum pour que les PME aient des contrats à leur portée.

M. Pierre-Emeric Chabanne, directeur général de l'Institut de la Gestion Déléguée. - La transposition de la directive « concessions » pose plusieurs problèmes. Quel régime sera applicable aux concessions exclues du champ d'application de la directive ? Quelles seraient les conséquences pour elles si elles étaient soumises à des dispositions européennes dont leurs concurrents européens seraient exemptés ?

Les collectivités sont libres de choisir leur mode de gestion, y compris les contrats in house , c'est-à-dire la coopération public-public. Or l'Allemagne a obtenu l'inscription dans la directive d'exceptions qui viennent percuter le droit français. Par exemple, les sociétés d'économie mixte (SEM) sont soumises à concurrence en France (ce que consacre une décision de 1994 du Conseil constitutionnel). Les entreprises publiques locales pourront, sous certaines conditions, concurrencer les entreprises publiques et privées, dont les SEM. La régie Eaux de Nantes, achetée puis revendue par l'allemande Gelsenwasser, qui fait 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires, aurait pu concurrencer les entreprises françaises dans la limite de 800 millions d'euros !

Une grande discussion a été menée à Bruxelles sur la durée des concessions sans investissement, qu'on appelle l'affermage. Le Conseil des ministres de l'Union européenne a donné une définition large de l'investissement, incluant l'immatériel, mais n'a pas été suivi : le texte prévoit donc que chaque pays donnera sa propre définition. Nous serons vigilants.

La question de l'impact pour les secteurs exclus de la directive ou en dessous du seuil reste entière, nous ignorons ce que compte faire le gouvernement.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - À combien se monte la dépense publique liée aux concessions ?

M. Pierre-Emeric Chabanne. - Il n'existe pas de statistiques fiables sur le montant des concessions. L'IGD et l'État l'ont évalué à 130 milliards d'euros par an en France, soit la somme des parts du chiffre d'affaires des 48 membres publics et privés de l'IGD concernées par les concessions, et à 220 milliards d'euros dans le monde. Cela représente 7 % du PIB et 1,7 million d'emplois non délocalisables - l'équivalent de la fonction publique territoriale, d'État ou hospitalière - et 40 000 créations d'emplois en 2014.

La durée moyenne des concessions dépend beaucoup des secteurs d'activités. Elle est de 7 ans dans les transports publics urbains, de 25 ans dans les réseaux de chaleur, de 12 ans dans l'eau et l'assainissement, de 7 à 16 ans pour les aéroports, de 7 ans pour la restauration collective, de 8 ans dans les abattoirs.

M. Hubert du Mesnil. - La durée est liée au poids à amortir des investissements. Elle est plus longue quand des investissements très importants sont réalisés par le concessionnaire, comme pour les réseaux de chaleur.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Dans de secteur de l'eau, cette durée est limitée à 20 ans.

M. Pierre-Emeric Chabanne. - Oui, sauf délibération spécifique et motivée du conseil municipal, selon l'arrêt « commune d'Olivet » du Conseil d'Etat en date du 8 avril 2009. Mais la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau affirme qu'il n'y a quasiment aucune prolongation au-delà de 20 ans.

M. Hubert du Mesnil. - Difficile de démontrer qu'il faut plus de 20 ans pour amortir l'investissement. Les durées atteignent 25 ou 30 ans dans le ferroviaire car les investissements y sont très lourds, mais 30 ans constitue un seuil quasiment indépassable.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Au-delà de la durée initiale de la concession - 20 ans par exemple -, faut-il relancer un appel d'offres ?

M. Pierre-Emeric Chabanne. - Oui, obligatoirement, sauf si la situation relève de l'arrêt « commune d'Olivet ».

M. Philippe Bonnecarrère, président . - L'idée selon laquelle les entreprises française seraient particulièrement performantes en matière de concessions est-elle avérée, ou assiste-t-on à une convergence mondiale avec l'irruption de nouveaux intervenants ?

M. Hubert du Mesnil. - La France a des opérateurs industriels qui sont leaders mondiaux dans leur secteur, et qui ont su s'adapter au contexte national comme international. Mais on observe une évolution : des opérateurs étrangers, notamment chinois, développent des activités sur les mêmes métiers et pourraient un jour venir attaquer le marché européen ou français. Notre position de leader sur l'entretien ou le transport peut être disputée, d'autant que la base nationale est fragilisée par la baisse des investissements publics.

M. Pierre-Emeric Chabanne. - Sept groupes français sont présents dans le trio de tête mondial de leurs secteurs respectifs. Ils développent des ingénieries contractuelles qu'ils voudraient rapatrier en France, sans le pouvoir ; c'est notamment le cas de Veolia ou de Vinci en Nouvelle-Zélande ou en Australie. Les contrats de performance gagnant-gagnant instaurant un partage des gains ou des pertes éventuels se développent beaucoup à l'étranger.

M. Hubert du Mesnil. - La notion de partage des risques et des résultats n'est pas répandue dans la culture française. Nous n'avons pas la notion de partenariat dans la durée. Mais la culture du partage, d'origine anglo-saxonne, s'internationalise. Nos opérateurs la pratiquent sur d'autres continents. Nous pouvons rester dans notre culture, dont nous n'avons pas à rougir, ou nous poser la question du partage. Au lieu de dire à l'opérateur qui a pris des risques qu'on ne veut rien savoir et se plaindre qu'il s'enrichit sur notre dos s'il réussit, pourquoi ne pas expérimenter de nouvelles formes de contrats ?

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Avez-vous réfléchi à la possibilité d'un contrat de partage entre grands groupes et PME ?

M. Hubert du Mesnil. - Là aussi, ce n'est pas dans la culture française. Les PME vivent leurs relations avec les grands groupes comme pleines de dangers, de menaces, de pressions. Nous sommes à la recherche d'un nouveau partenariat privé-privé sans partage symétrique des risques, puisque les PME ne peuvent pas encaisser les coups de la même manière que les groupes. Comment inscrire dans un contrat l'idée d'un partage des gains ou des pertes qui peuvent apparaitre au cours de son déroulement ?

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Vous avez peu abordé les contrats globaux de partenariat public-privé. Qu'en pensez-vous ? Font-ils partie de la palette de solutions que vous préconisez ?

M. Hubert du Mesnil. - L'Institut, un des fondateurs des contrats de partenariat, a inscrit la promotion de cet outil à son programme.

Après une période d'emballement suivie d'une période de doute, à la suite de quelques échecs médiatisés, il aurait fallu poser un diagnostic et faire le bilan de cette première famille de contrats de partenariat conclus entre 2005 et 2010. L'État a tâtonné jusqu'à la transposition de la directive «  marchés publics », qui a obligé la France à formuler de manière précise ses intentions sur cet outil, rebaptisé marché de partenariat, que nous continuons à considérer comme pertinent dans nombre de cas. Certains sont tout à fait accessibles aux PME, justement parce qu'ils ne font pas porter tous les risques sur le titulaire.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Donnez-nous des exemples.

M. Hubert du Mesnil. - Prenons les contrats de performance énergétique. Une municipalité qui veut rénover l'éclairage public de sa commune peut avoir intérêt à passer commande à un opérateur dont c'est le métier, qui gérera l'installation et l'entretien. L'effet est différent de celui d'un marché public où la commune gère elle-même l'activité après avoir commandé les poteaux. Or, en introduisant des seuils, on empêcherait les petites communes de recourir à cet outil.

Un contrat de partenariat court à l'échec quand le projet n'est pas défini : il peut ne pas être adapté pour la construction d'un hôpital. Pour convenir, ses contours doivent être rigides. Nous nous sommes battus pour conserver cet outil dans la panoplie de l'acheteur public, car il ouvre des possibilités de financement des investissements. Il serait dommage d'apporter trop de restrictions dans la transposition.

M. Pierre-Emeric Chabanne. - Dans la version actuelle de l'ordonnance « marchés publics », les baux emphytéotiques administratifs (BEA), les baux emphytéotiques hospitaliers (BEH), les autorisations d'occupation temporaire (AOT) et les locations avec option d'achat (LOA), seront fondus en un seul contrat, beaucoup moins accessible : le marché de partenariat.

L'État voulait instaurer un seuil en-dessous duquel on ne pouvait pas recourir au marché de partenariat, mais nous avons démontré que c'était contre-productif pour les PME. Sur les 137 contrats de partenariat, plus de la moitié sont inférieurs à 10 millions d'euros, dont 80 % étaient dévolus à de petites entreprises, notamment dans l'éclairage public. Le ministre de l'économie a annoncé que ce seuil serait supprimé.

Deux modes de contrôle a priori des collectivités sont mis en place, dont l'un est inquiétant. La DGFiP devra établir la soutenabilité budgétaire d'un projet d'investissement d'une commune, uniquement quand il s'agit d'un marché de partenariat. Un avis négatif interdirait l'investissement, ce qui remet en cause le principe de libre administration des collectivités territoriales. Nous verrons si cette disposition résiste à l'analyse du Conseil d'État, voire du Conseil constitutionnel. Le contrôle par la mission d'appui aux partenariats public-privé (MAPPP) pose moins de difficultés.

Le BEA « aller-retour » serait proscrit, or il représente 90 % des BEA, 300 millions d'euros de chiffre d'affaires par an, 3 milliards sur dix ans.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Les collectivités sont très friandes de BEA, mais les risques de requalification sont importants.

M. Pierre-Emeric Chabanne. - Ils disparaîtraient avec la directive « marchés publics ». Le risque est de supprimer les alternatives au tout-marché public et au tout-concession, ce qui aurait un impact négatif sur l'investissement public.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - En résumé, il faut faire attention à la perte de diversification et aux mécanismes qui verrouilleraient l'investissement.

M. Hubert du Mesnil. - Tout à fait.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Je vous remercie.

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