C. AUDITION DE M. RENAUD MARQUIÉ, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DU SYNDICAT NATIONAL DU SECOND oeUVRE

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Notre mission commune d'information sur la commande publique a une vision en grand angle. Nos travaux se veulent pragmatiques.

Alors que le Gouvernement s'apprête à transposer des directives européennes, nous souhaitons identifier ce qui nous aurait éventuellement échappé et l'alerter sur d'éventuels risques de surtransposition. Notre approche est plus économique que politique ou juridique. Avez-vous des préconisations ou des exemples de bonnes pratiques à nous transmettre ?

Le second oeuvre est un domaine privilégié de la sous-traitance : nous voudrions être certains de donner toutes leurs chances aux PME. Constate-t-on - comme certains l'affirment - des abus dans l'emploi de travailleurs détachés ? Ou bien les dispositifs législatifs apportent-ils toutes les garanties d'une saine concurrence ?

M. Renaud Marquié, délégué général du Syndicat national du second oeuvre . - Notre syndicat a été créé dans les années soixante-dix par des dirigeants de PME pour faire entendre la voix des petites et moyennes entreprises. Il regroupe des entreprises de 20 à 200 salariés.

Nous avons largement participé aux débats de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, et contribué à des avancées considérables comme l'introduction de l'allotissement dans le code des marchés publics et son élévation au rang de principe général. Pour développer son activité économique, les PME doivent accéder directement aux marchés publics dans des conditions acceptables. Il s'agit de véritables entreprises, qui emploient des bureaux d'études, des conducteurs de travaux et des ouvriers qualifiés, accueillent des apprentis et sont créatrices d'emplois. Leurs structures ont un coût. La sous-traitance se fait souvent dans des conditions que la morale réprouve. L'entreprise générale construit son offre à partir d'une première consultation des PME, mais si elle est retenue, elle n'hésite pas à procéder à une nouvelle, voire à une troisième mise en concurrence. Une entreprise qui a des frais généraux est incapable de s'aligner et son avenir est dès lors en jeu.

Il faut ajouter à cela l'arrivée massive de travailleurs détachés, face auxquels nos entreprises sont désarmées. C'est pourquoi nous défendons l'inscription dans l'ordonnance de l'allotissement, non comme un régime de faveur, mais pour permettre à des entreprises qui en ont la compétence et la capacité d'accéder directement à la commande publique. Prévoir des contrats globaux, des contrats de partenariat, pour des travaux que nos entreprises savent réaliser en allotissement, c'est inacceptable.

Les PME sont souvent des entreprises familiales qui ont vingt, trente, cinquante ans, taillées pour résister aux crises, engrangeant lors des années fastes de quoi résister aux périodes de vaches maigres. Mais aujourd'hui, la durée et la dureté de la crise les mettent en danger. C'est pourquoi nous avons lancé la pétition « Sauvons l'emploi dans nos territoires ».

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Nous connaissons bien cette évolution économique. Y a-t-il dans les ordonnances des points qui vous semblent de bon sens ? Des problèmes ?

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Votre organisation s'est montrée très réservée sur la réforme des marchés globaux : pourriez-vous préciser votre position ?

M. Renaud Marquié . - Avec la réforme du code des marchés publics en 2006, la France a été très en avance. Elle aurait pu au moins maintenir ces progrès ou même aller plus loin. Or la rédaction du projet d'ordonnance, tout en réaffirmant le principe de l'allotissement, l'assortit d'exceptions telles qu'elle donnera libre cours aux contrats de partenariats et aux marchés globaux. C'est le cas notamment dans les marchés sectoriels des HLM, des hôpitaux, de la Défense et de la Justice. Pour nos entreprises, le logement social est capital, car il se répartit sur tout le territoire. Les exceptions posées, que ce soit pour la conception réalisation ou la performance énergétique, sont beaucoup trop larges.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Vous pensez qu'il y a eu une régression ?

M. Renaud Marquié . - Aujourd'hui, seule la complexité peut justifier l'utilisation d'un contrat de partenariat. Cette limitation disparaît dans le projet d'ordonnance. La loi d'habilitation posait clairement le principe d'une limitation au recours aux contrats globaux, or il a disparu. Tout se passe comme si cette procédure était indispensable par exemple pour réaliser un bâtiment à énergie positive, alors que nous savons très bien en construire dans le cadre d'un allotissement. Le président du Conseil régional d'Aquitaine, M. Alain Rousset, exemplaire en ce domaine, a fait construire de la sorte un lycée à énergie positive dans le cadre d'un marché alloti.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Le contrat de performance énergétique - qui est un contrat global - n'est-il pas une faculté, plutôt qu'une obligation ?

M. Renaud Marquié . - C'est une tendance naturelle des collectivités à avoir recours à ce type de contrats, que ce texte favorise.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Nos collectivités allotissent très largement leurs marchés, et nous en sommes fiers. Nous avons la ferme volonté de faire travailler nos PME. Cela ne pose de problème que pour des marchés importants. La région Franche-Comté utilise cette possibilité d'allotissement comme l'Aquitaine.

M. Renaud Marquié . - D'autres collectivités n'ont pas cette vertu.

Le partenariat public-privé se justifie pour la construction de la Cité de la justice, pas pour un simple bâtiment de bureaux. L'autoriser, c'est accepter que nos entreprises n'accèdent aux marchés que par la sous-traitance, c'est-à-dire à travers des mises en concurrence répétées et des pressions à la baisse des prix. Si nous avons attaqué l'opération de la cité municipale de Bordeaux, c'est que les PME de la région auraient été fières de participer à un tel projet.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Sur les travailleurs détachés, que constatez-vous, que préconisez-vous ?

M. Renaud Marquié . - Ils ont un effet désastreux en habituant les acheteurs aux prix bas. Le chiffrage de bien des projets n'est réaliste qu'en y ayant recours. Nos entreprises en souffrent !

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Nous, acheteurs publics, faisons pourtant attention à l'ingénierie financière et traquons les offres anormalement basses. Dire le contraire mettrait en cause notre probité.

M. Renaud Marquié . - Je ne généralise pas et suis prêt à nuancer mon propos. Mais le meilleur moyen reste l'allotissement, qui supprime un niveau de sous-traitance. Il faudrait aussi vérifier que les travailleurs étrangers paient leurs charges en France, car le décalage entre les charges élimine de fait les entreprises françaises. Il était récemment fait mention dans un journal national d'un contrôle du paiement des charges dans le pays d'origine, mais il est très difficile de vérifier à l'étranger que l'entreprise paye effectivement les charges.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - À quel niveau la sous-traitance devient-elle problématique ?

M. Renaud Marquié . - Toute entreprise générale a tendance naturellement à maximiser ses profits, ce qu'elle peut faire en ayant recours à un sous-traitant qui a lui-même recours aux travailleurs détachés, voire au travail dissimulé.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Quelle différence de prix y a-t-il entre un marché où vous êtes sous-traitant et un marché où vous êtes titulaire ?

M. Renaud Marquié . - C'est difficile à dire avec le ralentissement de l'activité. Certains chefs d'entreprise me disent : je soumissionne à un prix si bas que je perds de l'argent, mais au moins je paye les salaires pendant un temps... Ils sont pleinement conscients que leur entreprise est menacée à terme.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Quid des délais de paiement ?

M. Renaud Marquié . - Il y a eu une réelle amélioration dans le secteur public. Pour le reste, tout dépend de l'entreprise qui sous-traite.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - La dématérialisation progresse-t-elle dans les PME ? Réduit-elle les délais ?

M. Renaud Marquié . - Cela dépend des cas. C'est un sujet important, mais au regard de la gravité de la crise du secteur, la priorité est l'allotissement

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Vous prêchez des convaincus !

Obtenez-vous des avances de trésorerie de la part des acheteurs publics ?

M. Renaud Marquié . - Cela se fait. Le problème est plutôt au paiement du solde. Malgré la note publiée par le gouvernement qui prescrit le paiement à 100% des travaux terminés lorsque la retenue de garantie est restituée, certains continuent de ne payer que 90 ou 95%.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - C'est une généralité ?

M. Renaud Marquié . - Non, mais cela existe dans certains cas.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - La dématérialisation permet d'accélérer le paiement final, après la réception des travaux, une fois les éventuels problèmes consignés, grâce à l'attestation du service fait. Cela améliore-t-il les choses de votre point de vue ?

M. Renaud Marquié . - Pour ceux qui l'utilisent, oui.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Avez-vous un dernier point à ajouter ?

M. Renaud Marquié . - La gravité de la crise nous fait craindre le pire. C'est pourquoi nous avons tenté de négocier, notamment sur le plan des exceptions sectorielles, demandant qu'au moins le logement social soit exclu de la possibilité d'utiliser les marchés globaux. Ce secteur est vraiment un marché très important pour les PME.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Nous vous remercions.

Page mise à jour le

Partager cette page