B. AUDITION DE M. FRANÇOIS MOUTOT, DIRECTEUR GÉNÉRAL, ET MME VÉRONIQUE MATTEOLI, DIRECTRICE ADJOINTE DES RELATIONS INSTITUTIONNELLES DE L'ASSEMBLÉE PERMANENTE DES CHAMBRES DE MÉTIERS ET DE L'ARTISANAT

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Nous recevons M. François Moutot, directeur général de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat, accompagné de Véronique Matteoli, directrice adjointe des relations institutionnelles de cet organisme.

Notre mission d'information cherche à évaluer, de manière pragmatique, les moyens de favoriser l'accès des TPE et PME à la commande publique. Quelles sont vos idées pour rendre la commande publique moins chère et plus simple ? A-t-on oublié quelque chose ? Quelle est votre approche de la question des travailleurs détachés : vrai problème ou fantasme ?

Nous sommes prêts à vous écouter sans a priori . Les projets d'ordonnances sont déjà bien avancés pour la partie marchés publics, mais il est encore temps d'infléchir la partie concessions.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Malgré l'importance de l'artisanat dans l'économie française, il nous semble que le poids des PME et TPE dans les 80 milliards d'euros que représentent les marchés publics reste insuffisant. Une ordonnance de transposition sur les marchés publics destinée à y remédier est attendue au mois de juillet. Quel est votre avis sur le texte, et plus largement sur la place des PME dans la commande publique ? Que pensez-vous des travailleurs détachés et les petites entreprises du bâtiment ne subissent-elles pas un véritable séisme ?

M. François Moutot, directeur général de l'Assemblée permanente des chambres de métier et de l'artisanat. - La part des PME et de l'artisanat dans la commande publique est d'environ 27 ou 28 %. D'une part, cela nous semble plus faible que nous ne le souhaiterions ; d'autre part nous ne voulons pas défendre le principe d'un quota pour les PME, de crainte qu'il soit fixé en dessous de ce seuil.

Nous sommes particulièrement inquiets des évolutions en cours. La réforme territoriale systématise la remontée de la commande publique aux groupements de communes, ce qui se traduit par des marchés plus importants, en contradiction avec l'objectif affiché de conserver les petites entreprises dans la commande publique. Je ne suis pas en position de juger, d'autant que je suis également maire. Mais il faut faire attention.

L'alternative au regroupement est l'obligation d'allotissement, qui semble transcrite de manière très relative dans le projet d'ordonnance. Les exceptions se multiplient au point de devenir la règle et de rendre l'allotissement secondaire, alors que nous y sommes très favorables.

Le recours préférentiel aux PME pour la sous-traitance, autre manière de régler le problème, était prévu par les articles 48 et 53-IV du code des marchés publics, mais ces dispositions ne figurent plus dans le projet d'ordonnance. Nous estimons que la sous-traitance doit être clarifiée et la participation des PME incluse dans les critères de choix.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Comment l'écrire, le libre accès aux marchés ayant été élevé en 2001 au rang de principe de valeur constitutionnelle et compte tenu de l'OMC et de la jurisprudence européenne ?

M. François Moutot. - La clause préférentielle est, je le reconnais, difficile à écrire. Une ouverture juridique consiste à autoriser la préférence aux entreprises de proximité lorsque les offres sont quasiment égales.

M. François Bonhomme . - Tout est dans le « quasiment » !

M. François Moutot. - Pour améliorer les rapports entre les donneurs d'ordre et les sous-traitants, qui en France sont calamiteux, nous sommes extrêmement favorables au principe du paiement direct et systématique aux PME.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - C'est déjà prévu par le code des marchés publics. En cas de manquement, les collectivités publiques ont l'obligation de mettre en demeure les entreprises contractantes de faire agréer leurs sous-traitants.

M. François Moutot. - C'est un problème de formation des donneurs d'ordre.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Les dispositions existent déjà !

M. François Moutot. - Cela ne se vérifie pas toujours dans la pratique. Autre proposition, celle d'accorder la clause sociale aux entreprises qui emploient des apprentis. Les gouvernements successifs n'ont-ils pas présenté l'apprentissage comme une cause nationale ?

M. Philippe Bonnecarrère, président . - En quoi seriez-vous avantagés ? Il suffira aux trois grands groupes du secteur de se présenter avec des cohortes d'apprentis.

M. François Moutot. - Pas si l'exigence porte sur une proportion par rapport à l'effectif total de la société... Les grandes entreprises ont déjà la clause sociale, nous ne l'avons pas ! Certains donneurs d'ordre ont introduit la proximité dans les clauses environnementales, à travers le critère de la consommation de carburant par déplacement. Cela nous favoriserait, sans poser de problème juridique.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Le projet d'ordonnance pourrait aller dans ce sens, parce que les États membres ont une certaine latitude dans ce domaine.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Si le critère du bilan carbone est retenu, les grandes entreprises seront là aussi avantagées, car les petites n'en établissent pas.

M. François Moutot. - Nous mettons en avant le critère du déplacement.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Des collectivités le retiennent déjà.

M. François Moutot. - Certes, mais je serais rassuré si le critère était explicitement mentionné.

Nous sommes préoccupés par les délais de paiement. Le système d'avances existant est insuffisant, d'autant que les fonds de trésorerie des petites entreprises ont diminué. De plus, le solde des subventions n'est versé aux donneurs d'ordre qu'après l'achèvement des travaux, alors même que ceux-ci ont trois semaines pour payer leurs factures. C'est contradictoire. La Caisse des dépôts a récemment mis en place un dispositif d'avances aux collectivités, mais ce n'est guère plus qu'une rustine pour les communes. Les défauts de paiement atteignent 0,3%. Comment payer les gars à la fin du mois ?

M. Jackie Pierre . - En somme, elles ne sont réglées que si elles sont en règle !

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Le problème réside dans le non-respect du délai des 45 jours, qui amène les entreprises au bord de la faillite, comme je l'ai constaté hier encore sur un chantier. Le fonds européen de développement régional (Feder) paie sur factures. Parfois, les communes accordent des prêts relais à leurs fournisseurs.

M. François Bonhomme . - Les délais de paiement se sont quand même nettement améliorés.

M. François Moutot. - Pour les petites entreprises du bâtiment, je n'en suis pas tout à fait sûr.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - C'est peut-être vrai pour les fonds européens, mais les conseils départementaux, acteurs majeurs de la commande publique, ont réduit de beaucoup leurs délais.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Les difficultés de paiement représentent un coût de 13 milliards d'euros pour les TPE et PME. Malgré l'effort consenti par les collectivités publiques, nous accusons un certain retard vis-à-vis des pays d'Europe du nord. Pour les PPP, les délais peuvent être très importants quand la sous-traitance est en jeu.

M. Georges Labazée . - Les conventions entre les chambres des métiers, les directions des finances publiques et les collectivités locales font de belles photos pour la presse, mais dans les faits, les relations entre les chambres de métiers et les entreprises sont problématiques. Certaines TPE renoncent à la commande publique parce que c'est trop compliqué. C'est aussi un problème de formation dans les collectivités.

M. François Moutot. - Nous en faisons l'expérience quotidienne.

M. Georges Labazée . - Les associations de maires doivent mener un travail d'information et de sensibilisation. De votre côté, vous devez préparer les entreprises.

M. François Moutot. - Quoi qu'il en soit, ce décalage entre le paiement et le versement des subventions n'est pas très simple, en particulier pour les agences de l'eau.

Les entreprises ont tendance à se détourner de la commande publique à cause des problèmes d'exécution et de paiement. Malgré la simplification, des collectivités continuent à demander la présentation d'emblée de tous les documents obligatoires. La déclaration individuelle devrait suffire pour la plupart des éléments, à charge ensuite pour le donneur d'ordre de s'assurer de leur conformité.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Considérez-vous que la chambre des métiers assure correctement l'accompagnement des entreprises, notamment à travers les plates-formes dématérialisées ? Leur donnez-vous les moyens techniques de répondre aux marchés publics ?

M. François Moutot. - L'accompagnement fait partie du référentiel pour les prestataires adopté au niveau national, qui est diversement appliqué sur le territoire. Nous espérons que la mutualisation des fonctions de la paye et de la comptabilité au niveau régional - nous attendons le décret depuis un an - donnera la possibilité aux chambres territoriales de se consacrer pleinement aux services aux entreprises. Je ne dis pas que c'est parfait.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Les organismes consulaires sont restés sur des éléments assez généraux au lieu de mettre en place l'assistance concrète à la réponse aux appels d'offres.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - La dématérialisation fait gagner un temps considérable dans les versements. Auparavant, on payait à la réception du chantier, avec des retards fréquents.

M. François Moutot. - La dématérialisation est indispensable. Nous avons mis à la disposition de nos ressortissants des clés de certification au prix modique de 63 euros contre 300 auprès des banques. Il est vrai que, pour le moment, la dématérialisation demeure l'exception. Quoi qu'il en soit, il faut dématérialiser la facturation et la comptabilité des collectivités locales. L'informatique accélère les processus.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Avez-vous des conseils sur la question des salariés détachés ?

M. François Moutot. - Très humblement, je ne vois pas de solution. Pouvons-nous accepter cette discrimination par les charges sociales qui disqualifie notre main d'oeuvre ? La réglementation européenne organise une véritable ubérisation de l'économie en décalage avec notre structure de prélèvement. En France, la quasi-totalité des impôts locaux pèsent sur les facteurs de production. Les entreprises délocalisées n'ont pas ce problème. Nous recevons régulièrement des publicités vantant des prestations soumises ni à la TVA ni aux droits de douane. La problématique est la même pour les travailleurs détachés. Dans le bâtiment, la situation est catastrophique.

M. Rachel Mazuir . - Où est le handicap de la loi « nouvelle organisation territoriale de la République » (NOTRe) pour les artisans ? Je ne vois pas le rapport. Ils continuent à répondre aux appels d'offres gérés par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

M. Philippe Bonnecarrère, président . - La contradiction consiste à favoriser les achats par les groupements de communes, ce qui entraîne une pression supplémentaire pour les prestataires.

M. François Moutot. - Ma communauté de communes regroupe 31 municipalités. Le marché de la cantine a été regroupé, puis remporté par un grand groupe ; de même, le nettoyage des locaux n'est plus assuré par des PME.

M. Rachel Mazuir . - Cela fait longtemps que les grands groupes sont présents dans ce secteur !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Autre solution, la restauration en régie avec des producteurs locaux.

M. François Moutot. - À condition de pas être tenu de s'approvisionner dans des centrales d'achat où il n'y a aucun producteur local.

M. Éric Doligé . - Les collectivités réaliseront des économies là où c'est possible, c'est-à-dire dans les achats, en obtenant des baisses de prix grâce à l'effet volume qu'assure l'achat groupé. Vos ressortissants sont-ils conscients de ce risque ? Les incitez-vous à se regrouper ?

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Le gouvernement s'est fixé pour objectif de réduire le coût des marchés de l'Etat de 2 % par an, pour des prestations données. Les gains de productivité seront réalisés grâce à des groupements plus importants et à une pression de la mise en concurrence sur les prix. Comment concilier ces exigences avec la nécessité de préserver l'accès des artisans à la commande publique ?

M. François Moutot. - Voyez les marchés de transport d'enfants ou de malades, dont les taxis sont désormais exclus. L'alternative, c'est l'allotissement ou le regroupement.

M. Rachel Mazuir . - Ou la régie départementale.

M. François Moutot. - Je ne suis pas sûr que ce soit la solution pour nos entreprises. Les groupements d'entreprises posent d'épineux problèmes de responsabilité collective.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Que proposez-vous ? Les élus, qui ont besoin de sécurité, poussent à la responsabilité collective qui effraie les artisans.

M. François Moutot. - Nous proposons de limiter la responsabilité collective des entreprises du groupement en pourcentage de leur part dans le total du marché. Il faut trouver un juste milieu.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Responsabilité conjointe des membres du groupement et non indivisible.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Les groupements qui marchent ont mutualisé jusqu'à la maîtrise d'oeuvre des marchés publics. Ils arrivent à imposer des PME.

M. François Moutot. - Les capacités des chambres de métier à mettre en place des groupements varient fortement. Nous avons connu quelques réussites dans l'ouest, notamment en Vendée, mais aussi en Savoie. Dans le sud, il est plus difficile de convaincre les entreprises de rejoindre des groupements.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Très en vogue, le sourçage consiste, pour les adjudicateurs, à se rapprocher des entreprises en amont pour mieux connaître l'état des métiers et des techniques. Or, les élus ont été formatés à ne jamais contacter les entreprises avant la passation des marchés. Les chambres de métiers peuvent-elles nous aider à éviter les bancs de la correctionnelle ?

M. François Moutot. - Nous avons, en France, une tradition de sévérité en la matière, avec quelques exceptions. Par peur de déroger à la règle, les petites collectivités imposent des contraintes qui compliquent la vie des entreprises. Il existe, en somme, un décalage entre la volonté de régularité absolue et la vraie vie.

Il faut trouver un moyen de favoriser des consultations... douces, préalables à la soumission, sans pour autant laisser à des grands groupes la possibilité d'imposer leur cahier des charges aux mandataires publics.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Les nouvelles directives permettent de négocier pour les achats autres que « sur étagère », et la procédure de marché public simplifié autorise les consultations avec le seul numéro SIRET.

M. Rachel Mazuir . - Les élus, qui sont des cibles privilégiées pour la presse, appliquent la règle de plus en plus strictement. Beaucoup de communes n'en ayant plus les moyens, des élus ont proposé la création, au niveau départemental, d'un service juridique susceptible d'assister les communes. Des groupes comme Bouygues engagent des contestations dès la signature du contrat.

M. Georges Labazée . - Les TPE sont représentées par des organismes tels que la CAPEB ou l'UPA. Leur inculquez-vous votre vision du code des marchés ?

M. François Moutot. - Nous travaillons en phase avec eux. Les documents qui vous sont présentés ont été établis de concert. La commande publique concerne surtout le bâtiment, mais aussi le transport et l'alimentation.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Il n'est pas vrai que les taxis aient été évincés du transport scolaire.

M. François Moutot. - Je dis simplement que si les marchés départementaux étaient passés sans allotissement, les taxis en seraient exclus.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Seuls les taxis sont en mesure d'assurer le transport des malades ou des enfants handicapés.

M. Rachel Mazuir . - Un grand groupe de taxis a répondu à l'appel d'offres de notre département pour le transport scolaire. Il a eu le culot de nous dire qu'il allait déléguer à des prestataires locaux !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Un président de conseil départemental veut offrir des possibilités d'insertion professionnelle à ses allocataires du RSA, ce que permet la clause sociale des marchés publics. Or, en faisant bénéficier de cette clause les entreprises qui emploient des apprentis, on réduit cet espace.

M. François Moutot. - C'est un problème de flux et de stock. Je suggère que les entreprises mettent leurs apprentis au RSA...

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Les avis restent partagés au sein de notre mission. Pour ma part, j'estime que la clause sociale favorise les grands groupes, qui ont la possibilité de passer des accords avec des sociétés d'intérim, au détriment d'acteurs locaux.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Dans mon département, la concertation avec les PME et les travailleurs sociaux autour de l'insertion a produit des effets très positifs.

M. François Moutot. - Nous pouvons prendre en apprentissage toutes les personnes en difficulté !

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.

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