B. FIXER UN « STATUT GÉNÉRAL » DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES

Une fois le périmètre des autorités administratives indépendantes défini par le législateur, il lui appartient de définir un corpus de règles qui leur sont applicables. Votre commission d'enquête a conscience que chaque autorité administrative indépendante tire une partie de sa force de son adaptation aux missions qui lui sont confiées et qui peuvent se ressentir dans ses règles de composition, d'organisation ou de fonctionnement. À l'inverse, il est difficile de se satisfaire d'un pointillisme juridique ayant conduit à des statuts propres à chaque autorité, sous réserve des tentatives récentes d'unification par des règles transversales dont il a été démontré que l'application n'a pas été sans difficulté pour certaines de ces autorités.

Ce constat, loin de plaider en faveur du statu quo , doit plutôt conduire le législateur à sélectionner les autorités qu'il entend qualifier d'indépendante. La contrepartie de cette indépendance doit se traduire par un régime juridique qui la garantit.

Lors de son audition, M. Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement, affirmait que « le législateur a harmonisé successivement depuis plusieurs années le droit des AAI sur plusieurs sujets, ce qui rend sans objet l'idée, par ailleurs délicate, d'un statut commun ». Le constat dressé par votre commission d'enquête apporte un démenti à cette affirmation 126 ( * ) .

Votre commission d'enquête fait plutôt sienne l'idée développée par le vice-président du Conseil d'État qui considérait, lors de son audition, que la « nécessaire variété n'exclut toutefois pas de reconnaître un socle de règles transversales, garantissant leur indépendance et leur impartialité » 127 ( * ) . De même que le statut général de la fonction publique n'empêche pas des dérogations ponctuelles à la règle de droit commun, un « statut général » des autorités administratives indépendantes ne signifie pas uniformisation.

1. Ouvrir la composition des collèges des autorités administratives indépendantes

Votre commission d'enquête a démontré l'homogénéité qui se dessine dans la composition de la plupart des autorités administratives indépendantes et que sur ce point, si le législateur porte une part de cette responsabilité, il ne peut être seul incriminé. Ce constat doit inviter à réexaminer la composition des autorités administratives indépendantes, non pour éradiquer la présence de tout représentant du Conseil d'État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes, mais pour en évaluer la pertinence.

Il convient d'abandonner le réflexe qui saisit le législateur et, en amont, le Gouvernement lors de la rédaction du projet de loi, conduisant à retenir la formule des autorités administratives indépendantes de « première génération » à travers le triptyque membres du Conseil d'État, magistrats de la Cour de cassation et magistrats de la Cour des comptes. Leur présence peut néanmoins être utile si elle est prévue dans une juste mesure.

À titre d'exemple, pourquoi la Commission des sondages ne compte-t-elle que des représentants, en nombre égal, de ces institutions et aucun spécialiste de la matière ? En 2010, à l'initiative de nos collègues Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur, le Sénat avait opté pour une majorité de membres issus des juridictions, mais en intégrant cinq personnalités qualifiées désignés par le monde universitaire en fonction de leurs compétences en matière de statistiques, de mathématiques, etc 128 ( * ) .

De même, l'intérêt de la présence de magistrats de la Cour des comptes, juridiction financière, ne s'impose pas toujours avec évidence dans certains collèges d'autorité, à l'instar de la Commission consultative du secret de la défense nationale 129 ( * ) .

Aussi votre commission d'enquête préconise-t-elle de revoir la composition des collèges des autorités administratives indépendantes avec l'objectif de diversification des profils à l'esprit.

En revanche, il a paru logique à votre commission d'enquête de ne pas remettre en cause la présence de personnes ayant l'habitude d'exercer des fonctions juridictionnelles - Cour de cassation et Conseil d'État ainsi que, dans une moindre mesure, Cour des comptes - au sein des commissions des sanctions. Toutefois, il pourrait être utile d'ouvrir le recrutement aux magistrats judiciaires et administratifs d'autres juridictions, y compris hors de Paris.

Proposition n° 3 : Revoir et diversifier la composition des collèges des autorités administratives indépendantes en limitant les nominations de membres du Conseil d'État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes.

Selon la même logique, il a paru à votre commission d'enquête nécessaire de garantir l'expression d'une diversité politique par le choix des parlementaires appelés à siéger dans les collèges des autorités administratives indépendantes.

Neuf autorités administratives indépendantes comptent des parlementaires en leur sein : Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN), Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), Commission nationale du débat public (CNDP), Conseil supérieur de l'agence France-Presse et Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES).

Votre commission d'enquête n'est pas convaincue que la présence de députés et sénateurs au sein de ces collèges s'impose , d'autant que contrairement à une opinion commune, la présence de parlementaires au sein de ces autorités n'est pas un gage de contrôle parlementaire exercé sur leur fonctionnement. Il s'avère délicat pour le Parlement de contrôler une autorité dont le collège intègre des parlementaires. De surcroît, par un renversement, un parlementaire peut même se muer comme un représentant de cette autorité au sein de son assemblée. Votre commission d'enquête estime indispensable qu'une réflexion s'engage sur l'incompatibilité à terme du mandat parlementaire avec les fonctions de membre d'une autorité administrative indépendante

Dans l'attente, lorsque la loi a prévu cette présence, votre rapporteur estime que cette désignation doit reposer au minimum sur des critères de compétence dans le respect du pluralisme politique. Pour seulement deux autorités administratives indépendantes - la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) -, il est actuellement prévu par la loi que les parlementaires au sein du collège doivent être désignés « de manière à assurer une représentation pluraliste ». Pour renforcer cette exigence et asseoir la légitimité de la désignation, votre commission d'enquête estime qu'il doit être procédé à cette désignation :

- par une élection en séance publique lorsque le choix appartient à l'assemblée ;

- après une approbation exprimée à la majorité qualifiée de la commission permanente compétente d'une assemblée lorsque la désignation relève du président de cette assemblée.

Proposition n° 4 : Procéder à la désignation des parlementaires, membres d'une autorité administrative indépendante, par leur assemblée parlementaire en séance publique ou par le président d'une assemblée après approbation par une majorité qualifiée de la commission permanente compétente de l'assemblée concernée.

2. Garantir l'indépendance statutaire des membres et des agents des autorités administratives indépendantes

Dans un premier temps, et encore pour les autorités administratives indépendantes de « première génération », la déontologie des membres de ces autorités a reposé sur celle de leurs corps d'origine. Généralement composées de membres des hautes juridictions, ces autorités ne disposent pas de règles spécifiques.

Au fil de l'évolution législative, le statut des autorités administratives indépendantes s'est perfectionné, gagnant en précision. À titre d'exemple, le statut des membres du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) est particulièrement abouti en matière de prévention des conflits d'intérêts et de protection de leur indépendance 130 ( * ) : membres à temps plein, soumis à une incompatibilité professionnelle et élective, ils ne sont ni révocables, ni renouvelables et bénéficient d'un droit à traitement et à pension inscrit dans la loi. Particularité notable, ils restent soumis à des incompatibilités, dont la violation est pénalement sanctionnée, au terme de leur mandat.

La loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique a posé un jalon vers un socle commun de règles déontologiques (obligation de déport, obligations déclaratives, etc.). Une généralisation de règles ponctuelles s'avère aujourd'hui souhaitable, comme l'interdiction pour un membre de prendre position publiquement sur un sujet relevant de l'autorité chargée de le traiter ou l'interdiction d'avoir détenu ou de détenir des intérêts directs ou indirects dans le secteur contrôlé.

Se pose également la question de la sortie des fonctions. Lors de son audition, M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), notait cette lacune dans le dispositif législatif : « il n'existe pas de règles encadrant les activités que les membres des AAI et leurs agents peuvent exercer au sortir de leurs fonctions », à l'inverse des membres du Gouvernement ou des élus exerçant des fonctions exécutives locales qui doivent, durant le délai de trois ans après leur mandat, s'assurer auprès de la Haute Autorité de la compatibilité de leurs anciennes fonctions avec celles envisagées dans le secteur privé 131 ( * ) .

Pour votre commission d'enquête, tous les membres d'une autorité administrative indépendante doivent se soumettre à ce « noyau dur » déontologique.

S'agissant des membres de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), leur situation particulière les conduit à contrôler leurs propres déclarations d'intérêts et de situation patrimoniale. Malgré les règles internes de déport instaurées par cette autorité, se pose légitimement la question de l'objectivité de cet autocontrôle sans équivalent.

Si le Conseil constitutionnel a fait obstacle à la publication des déclarations déposées par l'ensemble des membres des autorités administratives indépendantes 132 ( * ) , cette publication serait néanmoins justifiée pour les seuls membres de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), compte tenu de leur fonction singulière et en contrepartie de l'autocontrôle qu'ils exercent sur leurs propres déclarations. Lors de son audition devant votre commission d'enquête, M. Jean-Louis  Nadal, son président, a appuyé une telle modification législative, indiquant : « Nous devons exiger autant de nous-même que ce nous imposons aux autres. 133 ( * ) »

Parmi les 42 autorités administratives indépendantes, seules 17 disposent d'une charte déontologique ou d'un règlement intérieur comportant des règles déontologiques applicables aux agents de l'institution, 2 prévoyant des clauses similaires dans les contrats de travail. Les autres agents sont uniquement soumis au « droit commun » de la fonction publique et des autorités administratives indépendantes.

Pour votre commission d'enquête, les obligations déontologiques doivent s'étendre aux collaborateurs, même occasionnels, de ces autorités qui peuvent avoir, par rapport à un membre du collège, une importance plus déterminante dans le processus décisionnel, lors de la préparation de la décision.

Une déontologie commune aux collaborateurs s'impose d'autant plus lorsque leurs modalités de recrutement conduisent à une hétérogénéité - voire une inexpérience - dans l'exercice de ces fonctions. S'agissant de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), son président, M. François Logerot, précisait, lors de son audition, les deux voies de sélection : il s'agit, d'une part, de huit chargés de mission, doublés d'un adjoint, recrutés parmi les « étudiants de master 2, que leurs études occupent encore, mais qui disposent d'un temps suffisant pour apporter leur concours » et, d'autre part, « des rapporteurs occasionnels, qui sont très nombreux » en provenance de « quelques filières : certains corps de fonctionnaires ou de magistrats sont plus représentés que d'autres, comme les fonctionnaires des finances, d'anciens magistrats de chambre régionale des comptes » 134 ( * ) .

Autre exemple : le rôle des rapporteurs auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATPV), instruisant les cas litigieux, n'est pas négligeable et appelle un contrôle déontologique aussi strict que les membres de l'autorité. Or, les fonctions passées ou les activités parallèles de certains de ces rapporteurs - dont le choix est imposé par les chefs des juridictions suprêmes au président de la Haute Autorité - n'est pas sans soulever des questions quand figurent dans cette liste ici un ancien collaborateur de cabinet d'une autorité politique, là le collaborateur régulier d'un think tank bien connu.

Proposition n° 5 : Consolider les règles communes de déontologie pour les membres et les agents des autorités administratives indépendantes (généralisation du devoir de réserve, de l'interdiction de détention d'intérêts avec le secteur contrôlé, contrôle des reconversions après la fin des fonctions, etc.).

Une fois nommé, chaque membre d'autorité administrative indépendante doit manifester son « devoir d'ingratitude » à l'égard de son autorité de nomination. L'indépendance d'esprit peut néanmoins être troublée par l'espoir d'être renouvelé dans ses fonctions par l'autorité de nomination ou proposé à d'autres fonctions au cours du mandat.

Aussi votre commission d'enquête a-t-elle acquis la certitude, au fil de ses auditions, que le mandat d'un membre d'une autorité administrative indépendante ne devait pas pouvoir être renouvelé- ce qui est au demeurant déjà le cas au sein de plusieurs autorités - et qu'une même personne ne pouvait pas être nommée parallèlement au sein de plusieurs autorités administratives indépendantes.

Proposition n° 6 : Rendre le mandat des membres d'autorité administrative indépendante non renouvelable.

Proposition n° 7 : Interdire l'exercice concomitant de mandats au sein de plusieurs autorités administratives indépendantes.

La limitation de l'exercice des mandats au sein des autorités administratives indépendantes ne doit pas conduire à une rupture et une perte d'expérience à chaque renouvellement général de son collège. Seule incarnerait alors la continuité nécessaire de l'action de l'autorité son administration, ce qui aurait pour conséquence paradoxale de la renforcer au détriment des membres du collège et de la présidence de cette autorité. Par conséquent, votre commission d'enquête plaide en faveur d'un renouvellement partiel des collèges qui permet un échelonnement dans le temps de la prise de fonctions des membres de l'autorité concernée.

3. Garantir l'autonomie et la plénitude de décision des autorités administratives indépendantes

Dès lors qu'une compétence est attribuée à une autorité administrative indépendante, elle doit en exercer la plénitude, conformément au souhait du législateur.

Or, ce n'est pas le cas. L'exercice de compétences confiées aux autorités administratives indépendantes est l'occasion pour le Gouvernement de poursuivre d'autres objectifs que ceux strictement liés aux besoins des autorités administratives indépendantes.

Proposition n° 8 : Réserver l'usage par une administration des éléments recueillis à la demande et pour le compte d'une autorité administrative indépendante aux objectifs propres à cette autorité.


* 126 Audition de M. Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement, 4 juin 2015

* 127 Audition de M. Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'État, président de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l'élection du Président de la République, 29 septembre 2015

* 128 Article 7 de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, sur les sondages visant à mieux garantir la sincérité du débat politique et électoral (TA n° 63, 2010-2011).

* 129 Lors de l'examen en 1998 de la loi instituant la Commission consultative du secret de la défense nationale, cette question avait été soulevée en séance publique au Sénat.

* 130 Article 5 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

* 131 Audition de M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), 15 septembre 2015 Lors de son audition, M. Jean-Louis Nadal a illustré son propos d'un exemple récent : « Un autre de nos objectifs est de contrôler le pantouflage des anciens ministres, c'est-à-dire leur reconversion professionnelle dans le secteur privé, au sortir de leurs fonctions. Toutes les activités de M. Montebourg ont ainsi été examinées préalablement par notre collège qui peut interdire ou opposer certaines réserves à leur exercice. »

* 132 Conseil constitutionnel, 9 octobre 2013, n° 2013-676 DC.

* 133 Audition de M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), 15 septembre 2015

* 134 Audition de M. François Logerot, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), 29 septembre 2015