LE RÉSEAU EUROPÉEN DE LA CONCURRENCE : DIFFUSION DE SOFT LAW OU CRÉATION DE NORMES ?

UN FORUM DE DISCUSSION ET DE COOPÉRATION...

Le règlement 1/2003 a mis en place un réseau européen de la concurrence composé des autorités nationales de concurrence et de la Commission européenne . Il en énonce les grands principes de fonctionnement, tandis que les détails sont précisés par une communication spécifique de la Commission 2 ( * ) .

Forum de discussion et de coopération , ce réseau fournit un cadre dans lequel s'inscrivent les relations de la Commission et des autorités nationales de concurrence dans les affaires où les articles 101 et 102 du traité sont appliqués et vise à créer et diffuser une culture commune de la concurrence en Europe 3 ( * ) . Il leur permet d' échanger des informations , y compris des informations confidentielles, et des expériences pour les aider à lutter contre les violations des règles de concurrence et à faire converger leurs procédures .

Ce système d'information mutuelle est essentiel. Il permet de donner à chaque autorité nationale de concurrence une visibilité sur l'activité de ses homologues et, concrètement, offre la possibilité, pour les rapporteurs qui instruisent les affaires, d'échanger sur des cas réels et de partager leur expérience.

À ce stade, les discussions et échanges de vues au sein du réseau sont de différentes natures. Ils vont de la simple demande d'information à l'expression de la volonté de traiter un cas en commun. Ces discussions sur les cas constituent un système interactif et dynamique permettant une mise en commun des connaissances et du savoir-faire des différentes autorités pour assurer un traitement efficace des infractions.

Cependant, selon M. Bruno Lasserre, le réseau n'a pas vocation à définir ou redéfinir des règles en créant du droit, mais à les appliquer à des cas concrets . Ainsi, les notices ou lignes directrices publiées par le réseau ne seraient qu'un recueil de bonnes pratiques pas nécessairement applicables dans l'ensemble des États membres et dépourvues d'effet normatif : il s'agirait simplement de soft law . Il a appuyé sa démonstration en citant un récent arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 20 janvier dernier 4 ( * ) , selon lequel la Cour établit que des instruments adoptés dans le cadre du réseau, y compris le programme-modèle en matière de clémence, qui avait été adopté en 2006, n'ont pas d'effet contraignant à l'égard des autorités nationales de concurrence, indépendamment de la nature juridictionnelle ou administrative de ces autorités. Aussi les programmes de clémence de l'Union européenne et des États membres coexistent-ils de façon autonome.

... DISPOSANT NÉANMOINS D'UN IMPORTANT POUVOIR D'HARMONISATION

Pourtant, le réseau européen de la concurrence est de facto un instrument très puissant d'harmonisation de l'application du droit européen de la concurrence grâce au partage des connaissances et des savoir-faire qu'il permet, mais aussi à ses publications, guides de bonnes pratiques et lignes directrices en particulier.

Comme le notait la Commission dans son rapport de 2009 sur le fonctionnement du règlement 1/2003, « les règles de concurrence communautaires sont donc dans une large mesure devenues « le droit du pays » pour l'ensemble de l'UE. La coopération au sein du REC a favorisé son application cohérente. Le réseau constitue un modèle innovateur de gouvernance pour la mise en oeuvre du droit communautaire par la Commission et les autorités des États membres » 5 ( * ) . Cinq ans plus tard, la Commission, dans son rapport sur les dix ans d'application du règlement 1/2003, indiquait également que « les travaux multilatéraux réalisés dans le cadre du réseau ont joué un rôle de catalyseur dans la promotion d'une convergence accrue » 6 ( * ) .

Par ailleurs, les activités du réseau européen de la concurrence sont denses et, si elles sont généralement présentées comme informelles, il apparaît qu'elles sont déjà relativement structurées , comme le montre la relation qu'en fait le rapport d'activité 2014 de l'Autorité de la concurrence.

En effet, le réseau fait l'objet d'un pilotage et comprend des groupes d'experts « horizontaux » et « sectoriels ». C'est d'ailleurs au sein du réseau qu'ont été abordées les difficultés que rencontrent certaines autorités nationales de concurrence et, par conséquent, esquissées les pistes de réflexion faisant l'objet de la consultation publique de la Commission .

Les réunions au sein du réseau européen de la concurrence

En 2014, les représentants de la Commission européenne et des ANC se sont rencontrés à 20 reprises dans le cadre du REC : la fréquence et le nombre important de participants à ces réunions témoignent de l'activité soutenue des autorités de concurrence en matière de coopération en Europe. Le pilotage des travaux a mis plus particulièrement l'accent sur la cohérence en matière de droit des concentrations, de politique de sanction, de services de paiement, de transport et d'agriculture.

Le pilotage du REC

Le pilotage des travaux du REC est assuré par les réunions des directeurs généraux qui sont préparées par des réunions plénières.

La réunion des directeurs généraux

La réunion des directeurs généraux est traditionnellement chargée de définir les priorités du REC. Elle a pour fonction de valider le programme des travaux de l'ensemble des sous-groupes horizontaux et sectoriels et peut adopter des résolutions au nom du REC. Les directeurs généraux se sont réunis à deux reprises en 2014.

Les directeurs généraux ont également évoqué le bilan des 10 ans d'application des règles en matière de pratiques anticoncurrentielles ainsi que des améliorations susceptibles d'être apportées au règlement 1/2003. Plusieurs thèmes ont été abordés : (i) la structuration institutionnelle des ANC, notamment pour garantir qu'elles puissent remplir leurs missions de manière indépendante et impartiale ; (ii) la convergence procédurale afin d'assurer l'efficacité de l'intervention des ANC et (iii) la convergence en matière de clémence et de sanctions, en vue de garantir un degré suffisant de dissuasion.

Les directeurs généraux ont eu un premier échange de vues avec Margrethe Vestager, nouvelle commissaire européenne en charge de la concurrence.

Les directeurs généraux ont par ailleurs poursuivi leurs travaux en matière de convergence des pratiques de mise en oeuvre des règles de concurrence.

Les réunions plénières du REC

La réunion plénière contribue au pilotage du REC en préparant les travaux des réunions des directeurs généraux et en débattant des orientations générales de politique de concurrence. Les représentants des ANC et de la Commission européenne font également un état des lieux des travaux engagés dans chaque groupe et sous-groupe de travail.

En 2014, trois réunions plénières se sont tenues à Bruxelles.

Les groupes d'experts « horizontaux »

Les groupes d'experts « horizontaux » réunissent des représentants de chaque ANC et de la Commission européenne dans le dessein de favoriser une meilleure cohérence dans leur pratique décisionnelle ou, lorsque les circonstances l'exigent, de préparer la révision de règlements d'exemption de la Commission européenne. Ces groupes de travail concernent la coopération et les garanties procédurales, la lutte contre les cartels, le contrôle des concentrations ainsi que la détermination des sanctions.

La question de la place et du rôle des ANC a été abordée au sein du groupe de travail sur la coopération et les garanties procédurales. Constatant que les États membres sont largement autonomes quant à la structuration qu'ils choisissent pour leurs ANC respectives, il est apparu nécessaire de discuter de la mise en place de règles permettant que toutes les ANC puissent remplir leurs missions de manière indépendante et impartiale. En particulier, le groupe de travail a exploré la nécessité de prévoir pour toutes les ANC que les principes suivants soient assurés : (i) l'indépendance des ANC, de leur management et de leur formation de jugement, (ii) l'autonomie budgétaire, (iii) l'octroi de moyens humains et financiers suffisants et (iv) la mise en place de procédures de nomination transparentes fondées sur le mérite.

Les groupes d'experts « sectoriels »

Il existe également des groupes d'experts « sectoriels » dans l'agroalimentaire, l'énergie, les services financiers et de paiement, le transport et les assurances.

Source : Autorité de la concurrence (rapport d'activité 2014, extraits)

Plusieurs personnes auditionnées par votre rapporteur ont regretté le manque de transparence affectant le fonctionnement du réseau. Les réunions organisées dans le cadre du réseau se déroulent à huis clos et la Commission y exercerait une très grande influence. Des modèles procéduraux, par exemple sur les programmes de clémence, sont publiés, mais on ignore les éléments du débat qui y ont abouti.


* 2 Communication 2004/C 101/03 du 27 avril 2004.

* 3 Les publications et statistiques du réseau figurent à l'adresse suivante : http://ec.europa.eu/competition/ecn/

* 4 Arrêt DHL Express Srlea / Autorita Garante della Concorrenza e del Mercato.

* 5 Texte COM (2009) 206 final du 29 avril 2009.

* 6 Texte COM (2014) 453 final du 9 juillet 2014.

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