POUR UN REHAUSSEMENT MAÎTRISÉ DES STANDARDS DES AUTORITÉS NATIONALES DE CONCURRENCE EN EUROPE

Pour votre rapporteur, la consultation publique de la Commission européenne doit être comprise comme la possibilité de parvenir à une application plus harmonisée par les autorités nationales de concurrence du droit européen de la concurrence sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne.

Son objectif n'est donc pas d'ajouter des règles potentiellement plus strictes, voire pénalisantes pour les entreprises européennes, mais bel et bien de mettre le droit européen de la concurrence au service d'une stratégie politique ambitieuse de conquête de nouveaux marchés, à l'échelle tant européenne que mondiale, afin de contribuer à la réindustrialisation de l'Europe.

À cet égard, les autorités nationales de concurrence, dans la conduite de cette stratégie, doivent pouvoir prendre en compte les réalités économiques objectives et, en conséquence, définir le marché pertinent à l'échelle européenne.

Le marché pertinent est défini comme le lieu où se confrontent l'offre et la demande de produits ou de services considérés par les acheteurs ou les utilisateurs comme substituables entre eux mais non substituables aux autres biens ou services offerts. Sa délimitation permet donc d'identifier le périmètre à l'intérieur duquel s'exerce la concurrence entre entreprises.

Il ressort des auditions menées par votre rapporteur que cette définition est aujourd'hui connue et bien admise par les différents acteurs du droit de la concurrence, y compris de l'Autorité de la concurrence française. Pour celle-ci, le marché pertinent géographique comprend le territoire sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et exclut les zones géographiques voisines dès lors que les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable.

LA CONSULTATION PUBLIQUE DE LA COMMISSION : HARMONISER LE FONCTIONNEMENT DES AUTORITÉS NATIONALES DE CONCURRENCE

Le règlement 1/2003 ne concerne ni les moyens ni les procédures par lesquels les autorités nationales de concurrence appliquent le droit européen de la concurrence. La consultation publique de la Commission porte précisément sur ces questions.

Le questionnaire établi par la Commission et auquel les parties prenantes à la consultation publique sont appelées à répondre comprend des centaines de questions, parfois très techniques, sur 95 pages.

L'idée générale qui sous-tend l'ensemble du questionnaire consiste à s'interroger sur l'efficacité de l'application par les autorités nationales de concurrence des règles européennes de concurrence : d'une part, les autorités nationales pourraient-elles faire plus et mieux pour mettre en oeuvre ces règles, et, d'autre part, faut-il entreprendre une action en ce sens, à quel niveau (Union européenne et/ou États membres) et selon quelle procédure (législative ou non) ?

Le questionnaire est axé sur quatre sujets thématiques :

1) les ressources et l'indépendance des autorités nationales ;

2) les moyens dont elles disposent (« boîte à outils ») pour mener à bien leurs tâches : pouvoirs d'inspection, de collecte d'informations, y compris numériques, de sanctions, de déterminer librement son programme de travail, etc. ;

3) le pouvoir d'imposer des sanctions sur les entreprises : nature des sanctions, structures visées par les sanctions, montant des sanctions ;

4) les programmes de clémence 7 ( * ) : existence dans les différents États membres et divergences éventuelles, base légale de la procédure, demande sommaire, lien entre les programmes de clémence et les sanctions touchant les individus.

Il s'agit de garantir une application effective et dissuasive du droit européen de la concurrence quelle que soit l'autorité nationale en charge de le mettre en oeuvre.

UNE INITIATIVE BIENVENUE POUR MIEUX APPLIQUER LE RÈGLEMENT 1/2003...

L'objectif visé par la Commission à travers sa consultation publique est de permettre aux autorités nationales de concurrence d'appliquer plus complètement le droit européen de la concurrence grâce à un rehaussement des standards en Europe . Le Parlement européen, dans sa récente résolution sur le rapport annuel de la Commission sur la politique de concurrence de l'Union européenne, partage le même objectif 8 ( * ) .

Comme le notait la Commission dans son rapport de 2014 dressant le bilan de dix ans de mise en oeuvre du règlement 1/2003, « l'application des règles a atteint un haut niveau de convergence, mais des divergences subsistent. Ces dernières s'expliquent principalement par l'existence de disparités en ce qui concerne la position institutionnelle des autorités nationales et les procédures et sanctions nationales. Le règlement 1/2003 a laissé en grande partie ces questions ouvertes » 9 ( * ) .

Concrètement, le fonctionnement des autorités nationales de concurrence reste perfectible dans certains États membres , pour des raisons différentes :

- certaines autorités manquent de moyens , budgétaires ou en ressources humaines, pour accomplir leurs missions ;

- d'autres ont des compétences juridiques limitées ou, à tout le moins, interviennent dans un contexte juridique qui circonscrit leurs actions. La Commission cite le pouvoir de réaliser des inspections dans des locaux non commerciaux, la possibilité de choisir les affaires à instruire, des disparités sur la portée des pouvoirs d'enquête (impossibilité d'apposer des scellés sur des locaux ou de collecter efficacement des données numériques) ou encore des pouvoirs d'inspection plus théoriques qu'effectifs. Ainsi, certaines autorités, au Royaume-Uni et en Irlande par exemple, ne peuvent fonder leurs décisions que sur le droit pénal, ce qui n'est guère adapté au droit de la concurrence, car infligeant des peines trop lourdes, et n'ont pas le pouvoir de prononcer des sanctions financières - c'est le cas au Danemark. De même, en Allemagne, où certaines questions telles que le principe de continuité économique de l'entreprise et la solidarité de la société mère dans le paiement des sanctions infligées aux filiales sont débattues, un changement, purement formel, de structure juridique permettrait aux entreprises sanctionnées de ne pas être astreintes au paiement de l'amende et donc d'y échapper ;

- d'autres encore manquent d'indépendance . Elles n'ont pas toutes la garantie de ne pas recevoir d'instructions gouvernementales, voire pire. Il a par exemple été indiqué à votre rapporteur que le président de l'autorité de la concurrence polonaise aurait été démis de ses fonctions pour une décision qui avait déplu au gouvernement de son pays ;

- enfin, certaines autorités de concurrence ont des pratiques différentes pour appliquer leurs programmes de clémence , alors que cette procédure est particulièrement importante puisqu'elle permet de démanteler aujourd'hui la plupart des cartels, par exemple pour les lessives, les produits d'hygiène et d'entretien, le transport de colis ou encore les yaourts sous marques de distributeurs.

En lançant sa consultation, la Commission cherche à aboutir à un traitement harmonisé des dossiers dans l'ensemble de l'Union européenne . Il s'agit de parvenir à une plus grande convergence , en particulier sur les moyens juridiques. Dans un contexte de mondialisation, la crédibilité des autorités nationales de concurrence est indispensable. L'objectif de la Commission présente aussi des opportunités pour la France car les entreprises françaises ayant des activités dans l'Union européenne ont un intérêt objectif à ce que leurs dossiers soient traités par des autorités nationales de concurrence indépendantes et performantes.

Pour autant, il n'existe pas de modèle uniforme d'autorité nationale de concurrence . En instaurer un n'est d'ailleurs pas l'objectif de la consultation de la Commission qui n'a pas de position de principe sur la forme que doit revêtir une autorité nationale, pourvu que les dispositions du règlement « soient effectivement respectées ». Votre rapporteur partage cette position.

... MAIS QUI DOIT DEMEURER ENCADRÉE

La convergence recherchée par la Commission européenne est souhaitable , mais doit demeurer encadrée , d'autant plus que la décentralisation de l'application du droit européen de la concurrence a nécessairement accentué l'amplification, en France, des compétences de l'Autorité de la concurrence.

D'une part, il est important de préserver l'autonomie procédurale de chaque État membre . Celle-ci permet aussi l'existence de particularités nationales que l'on ne voudrait pas voir disparaître dans notre pays. C'est le cas, par exemple, du double tour du contradictoire en cas de contentieux, qui n'existe pas lorsque l'affaire est instruite par la Commission, ou de garanties procédurales en matière de protection du secret des affaires ou de confidentialité. Toute tentation de réduire les standards en la matière doit, selon votre rapporteur, être évitée.

D'autre part, la convergence des autorités nationales de concurrence doit être conditionnée à leur capacité à rendre des comptes .

L'harmonisation du fonctionnement des autorités nationales de la concurrence est nécessaire pour mieux appliquer le droit de la concurrence, mais elle doit demeurer maîtrisée pour éviter de donner lieu aux critiques fréquemment formulées à l'occasion de la prolifération et du fonctionnement des autorités administratives indépendantes en France 10 ( * ) , et dans un contexte déjà marqué depuis plusieurs années par le développement des agences dans l'Union européenne.

De nombreuses autorités de régulation nationales ont été créées par le droit européen, le plus souvent comme un instrument devant réaliser l'ouverture des marchés à la concurrence décidée en Europe. Toutefois, le droit européen laisse aux États membres des marges de manoeuvre dans l'institution de ces autorités. Ainsi, dans le domaine de la concurrence, le règlement 1/2003 prévoit, à son article 35, que « les États membres désignent l'autorité ou les autorités de concurrence compétentes [y compris des juridictions] pour appliquer les articles 101 et 102 du traité » et que ces autorités doivent être dotées des mesures nécessaires pour pouvoir appliquer ces articles. Le même article précise que, « lorsque l'application du droit communautaire en matière de concurrence est confiée à des autorités administratives et judiciaires nationales, les États membres peuvent assigner différentes compétences et fonctions à ces différentes autorités nationales, qu'elles soient administratives ou judiciaires ».

Ce manque de précision peut expliquer en partie les évolutions ultérieures du rôle des instances de régulation, en l'espèce en matière de concurrence, dont les pouvoirs n'ont cessé de s'étendre, alors que les marchés sont aujourd'hui ouverts, au point d'apparaître parfois comme « un État dans l'État ». Cette évolution se retrouve aussi dans le pouvoir consultatif, qui peut aussi faire l'objet d'une auto-saisine, parfois trop étendu qui a été dévolu aux autorités nationales de concurrence au risque qu'elles outrepassent leurs compétences d'origine.

Aussi convient-il de prendre garde à ce que le renforcement des autorités nationales de concurrence n'entraîne pas une perturbation des équilibres institutionnels et à ce que leur fonctionnement demeure sous le contrôle du parlement. Conforter l'indépendance des autorités nationales de concurrence est souhaitable, mais ne saurait aboutir à leur irresponsabilité : leur indépendance doit s'accompagner du dialogue et du contrôle. C'est à ces conditions que leurs pouvoirs pourront être accrus.


* 7 La procédure de clémence permet d'accorder un traitement favorable aux entreprises qui coopèrent avec l'autorité nationale afin de mettre au jour et de sanctionner les ententes.

* 8 Résolution du 19 janvier 2016, dans laquelle le Parlement européen « estime essentiel que la Commission continue de promouvoir une meilleure convergence et coopération entre les autorités nationales de concurrence de l'Union européenne ».

* 9 Texte COM (2014) 453 final du 9 juillet 2014.

* 10 Sur ce point, voir le rapport (n° 126 ; 2015-2016) établi par Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente, et M. Jacques Mézard, rapporteur, au nom de la commission d'enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes, du 28 octobre 2015.

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