N° 475

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 mars 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la journée défense et citoyenneté (JDC),

Par M. Marc LAMÉNIE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Mesdames, Messieurs,

Le 2 décembre 2014, la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur la journée défense et citoyenneté (JDC) , ultime étape obligatoire du parcours de citoyenneté, à laquelle participent chaque année près de 780 000 jeunes Français .

Cette demande est intervenue alors que votre rapporteur spécial s'interrogeait sur les coûts complets de la JDC , les éléments du rapport annuel de performance semblant indiquer que le « coût moyen par participant » 1 ( * ) , qui est l'un des indicateurs de performance de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », était sous-évalué.

Le sujet a revêtu une actualité accrue avec les attentats terroristes de l'année 2015 et à l'heure où tous, nous nous interrogeons sur les moyens de renforcer notre cohésion nationale et la défense de nos valeurs républicaines .

Pour donner suite à la remise de l'enquête par la Cour des comptes, la commission des finances du Sénat a organisé, le 16 mars 2016, une audition réunissant des représentants de la Cour des comptes et les deux ministères les plus concernés : le ministère de la défense et le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Ont ainsi été entendus le président de la deuxième chambre de la Cour des comptes, Guy Piolé, le secrétaire général pour l'administration du ministère de la défense, Jean-Paul Bodin, le directeur du service national, François Le Puloc'h, le directeur de l'établissement du service national d'Île-de-France, Philippe Baleston, le chef du bureau des actions éducatives et culturelles à la sous-direction de la vie scolaire, des établissements et des actions socio-éducatives, Pierre Dupont, et le conseiller technique à l'éducation à la défense auprès de la directrice générale de l'éducation scolaire, Éric Barrault 2 ( * ) .

1. Les coûts de la journée défense et citoyenneté sont globalement maîtrisés, mais l'évaluation des coûts complets et l'information apportée au Parlement doivent être améliorées

La journée défense et citoyenneté fait l'objet d'une action spécifique au sein du programme 167 « Liens entre la Nation et son armée » de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». Les crédits de cette action 01 « Journée défense et citoyenneté » sont uniquement des crédits de fonctionnement 3 ( * ) . Depuis le projet de loi de finances pour 2015, les dépenses de personnel de la direction du service national (DSN) sont en effet portées par l'action 65 « Journée défense et citoyenneté - Personnel travaillant pour le programme "Liens entre la Nation et son armée"» du programme 212 de la mission « Défense » 4 ( * ) .

Le coût global de cette journée est évalué par la DSN à 111,5 millions d'euros en 2014, dont 66 % correspondent à ses frais de personnel.

Après analyse, la Cour des comptes souligne que les coûts complets de la JDC ne sont pas reconstitués de manière exhaustive par la DSN et que ce chiffrage de 111,5 millions d'euros est « en deçà de la réalité » 5 ( * ) .

Des pistes d'amélioration sont recensées par la Cour des comptes. Elles concernent les dépenses de fonctionnement et d'infrastructures qui sont comptabilisées aux coûts historiques, les dépenses d'alimentation qui n'intègrent pas les coûts spécifiques des repas pris en mess, ou encore, les dépenses d'animation qui ne prennent pas en compte le grade des animateurs 6 ( * ) , ainsi qu'une partie de leurs dépenses de formation . Enfin, les dépenses d'organisation des JDC à l'étranger, supportées par le ministère des affaires étrangères et du développement international, ne sont pas retracées.

Toutefois, cette sous-évaluation reste assez limitée . Le coût global de la JDC atteindrait un montant voisin de 116 à 118 millions d'euros , soit une différence de l'ordre de 4,5 ou 6,5 millions d'euros par rapport au chiffrage initial de 111,5 millions d'euros. Le coût moyen par participant s'établit ainsi à environ 150 euros par appelé , et non 142,5 euros comme communiqué par la DSN.

La Cour des comptes relève que la DSN a amélioré sa productivité , avec une progression par agent de 16 % entre 2012 et 2014 7 ( * ) , et que ses dépenses sont contenues 8 ( * ) .

Le Président Guy Piolé a ainsi déclaré lors de l'audition du 16 mars 2016 : « dans le contexte de déflation qui a accompagné jusqu'en 2015 le ministère de la défense, on peut dire que les ressources humaines et budgétaires allouées à la JDC sont maîtrisées . Les gains de productivité, qui avaient inquiété la Cour des comptes dans son rapport public de 2004, sont désormais réels même si deux postes très importants sont très rigides : il s'agit du transport et de l'alimentation . »

Ces efforts devront être poursuivis compte tenu de l'augmentation anticipée du nombre d'appelés au cours des prochaines années (828 000 jeunes attendus en 2025).

Enfin, l'information apportée au Parlement doit être améliorée puisque les projets annuels de performances imputent à la JDC des soutiens qui n'entrent pas dans le calcul des coûts complets (par exemple, une contribution au fonds de pension des ouvriers de l'État), ce qui avait justement conduit votre rapporteur spécial à s'interroger sur une sous-évaluation des coûts de cette journée.

2. Priorité doit être donnée au contenu de la journée défense et citoyenneté, que les problématiques d'organisation semblent éclipser

La JDC requière la mise en oeuvre d'une « organisation de masse » complexe compte tenu du nombre élevé de jeunes concernés et de leur dispersion sur tout le territoire national . Elle est prise en charge de manière satisfaisante par la direction du service national qui mobilise efficacement ses moyens et personnels. Toutefois l'organisation semble prendre le pas sur le contenu même de la JDC , qui agrège des modules aux objectifs louables, mais trop variés et peu hiérarchisés.

Le code du service national assigne à cette journée le double objectif de « conforter l'esprit de défense » et de « concourir à l'affirmation du sentiment d'appartenance à la communauté nationale, ainsi qu'au maintien du lien entre l'armée et la jeunesse » 9 ( * ) . De nombreux messages périphériques sont venus s'y greffer comme la sensibilisation à la sécurité routière 10 ( * ) , l'information générale sur le don de sang, de plaquettes, de moelle osseuse, de gamètes et sur le don d'organes à fins de greffe, égalité femme-homme 11 ( * ) .

Votre rapporteur spécial partage ainsi les constats suivants faits par la Cour des comptes : « il est aujourd'hui certain qu'en l'état, la densité excessive de la journée et la multiplicité des objectifs qui lui sont assignés nuisent à son influence réelle » et « l'impact de la journée est limité par le manque de priorités dans les objectifs qui lui sont assignés » 12 ( * ) .

Cela a d'ailleurs semblé faire l'objet d'un certain consensus lors de l'audition du 16 mars 2016, notre collègue Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, formulant même un appel à la prudence des parlementaires pour ne pas « charger » la journée défense et citoyenneté car « pour diffuser efficacement l'esprit de défense, il ne faut pas diluer le message ».

En effet, seule la qualité des messages délivrés aux jeunes et l'efficacité avec laquelle ils sont délivrés au cours de cette journée peuvent justifier le coût substantiel de 150 euros dépensés par appelé . Il est donc indispensable que le programme de cette journée soit pensé de manière globale et cohérente, en fonction d'objectifs peu nombreux mais clairs, et cesse de relever d'un arbitrage destiné à satisfaire les demandes des institutions désireuses de profiter de cet accès privilégié à tous les jeunes Français d'une même classe d'âge.

3. La journée défense et citoyenneté doit s'appuyer sur les acquis du parcours scolaire obligatoire des jeunes Français pour se recentrer sur l'esprit de défense

La JDC a été conçue comme l'ultime étape du parcours de citoyenneté , qui comprend également l'enseignement de défense et le recensement. Elle est censée venir compléter cet enseignement de défense , dispensé par l'éducation nationale en coopération avec le ministère de la défense, dont le programme est le suivant :

« Les principes et l'organisation de la défense nationale et de la défense européenne ainsi que l'organisation générale de la réserve font l'objet d'un enseignement obligatoire dans le cadre de l'enseignement de l'esprit de défense et des programmes de tous les établissements d'enseignement du second degré.

« Cet enseignement a pour objet de renforcer le lien armée-Nation tout en sensibilisant la jeunesse à son devoir de défense. » 13 ( * )

La Cour des comptes relève que cet enseignement est inégalement dispensé et qu' aucune vérification des acquis n'est mise en place. Lors de l'audition du 16 mars 2016, Éric Barrault, conseiller technique auprès de la directrice générale de l'enseignement scolaire, a reconnu qu'il était difficile de s'assurer de l'effectivité de cet enseignement de défense dans la mesure où « la défense et la sécurité nationale ne sont pas une matière », ce qui empêche de prescrire un contenu précis aux enseignants. Le ministère de l'éducation nationale s'inscrit alors dans une « logique "client-fournisseur" en facilitant l'accès à la connaissance et aux compétences ». Par ailleurs, l'évaluation de cet enseignement pose problème. Elle ne peut se faire au moyen de l'épreuve d'éducation morale et civique lors du brevet, ce qui reviendrait à annoncer à l'avance le sujet de l'examen.

Au-delà de l'enseignement de défense, le socle commun de connaissances et de compétences, délivré au cours de la scolarité obligatoire des jeunes de 6 à 16 ans, vise déjà à l'assimilation des principaux enjeux et messages citoyens . Cet enseignement vient d'ailleurs d'être renforcé par le « parcours citoyen » institué en septembre 2015, qui comporte 300 heures d'enseignement moral et civique , de l'école élémentaire à la classe de terminale, et qui est conçu pour transmettre aux élèves les valeurs de la République 14 ( * ) .

En s'appuyant sur cet enseignement en milieu scolaire, que les évènements de 2015 ont remis au coeur des priorités de l'éducation nationale, il est possible d'alléger la JDC et de la recentrer sur sa vocation première de sensibilisation à l'esprit de défense , ainsi que l'a préconisé le Livre blanc « Défense et sécurité nationale » de 2013. Cela permettrait de mieux mettre en valeur les messages de défense, tout en évitant les répétitions.

4. La journée défense et citoyenneté doit véritablement réunir tous les jeunes Français

Un nombre encore trop important de jeunes n'accomplissent pas leur JDC , avec des taux de non-participation très préoccupants dans certains départements . 1,8 % des jeunes d'une classe d'âge ne se font pas recenser et 4,1 % n'effectuent pas leur JDC, ce qui représente respectivement 14 400 et 32 800 jeunes 15 ( * ) .

Ces taux sont beaucoup plus élevés dans certains départements. Ainsi à Paris, 9,1 % des jeunes ne se font pas recenser, tandis que 12,8 % ne sont pas en règle avec la JDC . Les taux de participation à la JDC sont également significativement plus bas que la moyenne dans les Hauts-de-Seine, en Seine-Saint-Denis, dans les Alpes-Maritimes, ainsi qu'en Guadeloupe, en Guyane, à Wallis-et-Futuna et à Mayotte. La Cour des comptes s'est aussi intéressée au cas particulier des jeunes Français de l'étranger pour lesquels le déficit de recensement est très important et la participation à la JDC particulièrement faible.

Comme le soulignait votre rapporteur spécial à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2016, il est crucial que toutes les classes d'âge accomplissent leur JDC 16 ( * ) , qui vise à conforter le sentiment d'appartenance à la communauté nationale et doit évidemment être vécue par tous.

Il convient donc, ainsi que le préconise la Cour des comptes, de s'attacher à faire pleinement respecter le caractère obligatoire de la JDC et à analyser les causes d'absentéisme des jeunes 17 ( * ) . Il serait utile que l'on puisse étudier les motivations de ceux qui choisissent de ne pas s'y soumettre et connaître leurs profils psychologiques et sociologiques afin que des actions ciblées puissent être menées à leur égard.

5. La détection des jeunes en difficulté de lecture et des décrocheurs ne doit pas se limiter à alimenter un outil statistique, mais permettre la mise en place d'un suivi personnalisé

Héritage historique du rôle des armées dans la détection des jeunes en difficultés, la JDC comprend un module d'évaluation destiné à tester auprès des appelés les apprentissages fondamentaux de la langue française .

Toutefois, le seul intérêt statistique à constituer un indicateur sur la maîtrise de la lecture par l'ensemble des jeunes Français 18 ( * ) ne semble pas pouvoir justifier l'occupation de 30 minutes au cours de la JDC, au regard de la densité de cette journée.

Il conviendrait que la détection des jeunes en difficulté de lecture via ces tests d'évaluations automatisés permette un réel suivi individuel des élèves concernés ou des décrocheurs , ce qui ne semble pas être le cas actuellement selon la Cour des comptes. Notamment, la proportion de jeunes décrocheurs effectivement pris en charge par des dispositifs de remédiation ou d'insertion dans le cadre militaire à la suite d'une JDC n'est pas connue.

Une réflexion doit donc être menée au niveau interministériel pour que la détection des jeunes en difficulté de lecture et des décrocheurs s'accompagne de la mise en oeuvre effective de dispositifs en faveur de ces jeunes.

En conclusion , votre rapporteur spécial fait siens les propos du président Guy Piolé : « la JDC (...) a le mérite d'exister et de fonctionner. Les alternatives crédibles seraient plus coûteuses » . Reste à apporter, via une coopération accrue entre les administrations compétentes, les améliorations nécessaires pour donner pleinement à cette journée toute son efficacité.


* 1 Il est de 142,5 euros par participant en 2015 selon la prévision actualisée du projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2016.

* 2 Voir le compte rendu de l'audition en annexe du présent rapport.

* 3 Il s'agit principalement des frais d'alimentation et de transport des jeunes, respectivement 6 et 5,9 millions d'euros en exécution 2014.

* 4 Avant la loi de finances pour 2015, les crédits de personnel étaient également inscrits en programme 167. En 2014, les crédits de titre 2 ont représenté 73,7 millions d'euros.

* 5 Voir le rapport de la Cour des comptes, page 44.

* 6 Ce qui revient à une sous-évaluation lorsque l'animateur est un officier, et c'est souvent le cas des réservistes.

* 7 Sur la base du nombre d'appelés par agent.

* 8 Elles sont constituées à 66 % des frais de personnel de la DSN.

* 9 Article L. 111-2 du code du service national.

* 10 Il s'agissait jusqu'en 2015 d'un module de formation au secourisme.

* 11 L'article 8 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a ajouté une information sur la prévention des conduites à risque pour la santé, notamment celles susceptibles de causer des addictions et des troubles de l'audition.

* 12 Voir le rapport de la Cour des comptes, pages 9 et 74.

* 13 Article L. 312-12 du code de l'éducation.

* 14 Il est construit autour de l'enseignement moral et civique, de l'éducation aux médias et à l'information, et de l'enseignement aux élèves du jugement, de l'argumentation et du débat dans les classes dès l'école élémentaire.

* 15 Chiffres DSN pour la classe d'âge 1989 (annexe 7 du rapport de la Cour des comptes).

* 16 http://www.senat.fr/seances/s201512/s20151203/s20151203018.html#section2576

* 17 La direction du service national explique pour partie ces taux d'absentéisme en Île-de-France par la forte mobilité de la population : les convocations seraient retournées en raison de changement d'adresse des jeunes.

* 18 La JDC rassemble l'ensemble des jeunes d'une classe d'âge, qu'ils soient scolarisés ou non.

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