Rapport d'information n° 475 (2015-2016) de M. Marc LAMÉNIE , fait au nom de la commission des finances, déposé le 16 mars 2016

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N° 475

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 mars 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la journée défense et citoyenneté (JDC),

Par M. Marc LAMÉNIE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Mesdames, Messieurs,

Le 2 décembre 2014, la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur la journée défense et citoyenneté (JDC) , ultime étape obligatoire du parcours de citoyenneté, à laquelle participent chaque année près de 780 000 jeunes Français .

Cette demande est intervenue alors que votre rapporteur spécial s'interrogeait sur les coûts complets de la JDC , les éléments du rapport annuel de performance semblant indiquer que le « coût moyen par participant » 1 ( * ) , qui est l'un des indicateurs de performance de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », était sous-évalué.

Le sujet a revêtu une actualité accrue avec les attentats terroristes de l'année 2015 et à l'heure où tous, nous nous interrogeons sur les moyens de renforcer notre cohésion nationale et la défense de nos valeurs républicaines .

Pour donner suite à la remise de l'enquête par la Cour des comptes, la commission des finances du Sénat a organisé, le 16 mars 2016, une audition réunissant des représentants de la Cour des comptes et les deux ministères les plus concernés : le ministère de la défense et le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Ont ainsi été entendus le président de la deuxième chambre de la Cour des comptes, Guy Piolé, le secrétaire général pour l'administration du ministère de la défense, Jean-Paul Bodin, le directeur du service national, François Le Puloc'h, le directeur de l'établissement du service national d'Île-de-France, Philippe Baleston, le chef du bureau des actions éducatives et culturelles à la sous-direction de la vie scolaire, des établissements et des actions socio-éducatives, Pierre Dupont, et le conseiller technique à l'éducation à la défense auprès de la directrice générale de l'éducation scolaire, Éric Barrault 2 ( * ) .

1. Les coûts de la journée défense et citoyenneté sont globalement maîtrisés, mais l'évaluation des coûts complets et l'information apportée au Parlement doivent être améliorées

La journée défense et citoyenneté fait l'objet d'une action spécifique au sein du programme 167 « Liens entre la Nation et son armée » de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». Les crédits de cette action 01 « Journée défense et citoyenneté » sont uniquement des crédits de fonctionnement 3 ( * ) . Depuis le projet de loi de finances pour 2015, les dépenses de personnel de la direction du service national (DSN) sont en effet portées par l'action 65 « Journée défense et citoyenneté - Personnel travaillant pour le programme "Liens entre la Nation et son armée"» du programme 212 de la mission « Défense » 4 ( * ) .

Le coût global de cette journée est évalué par la DSN à 111,5 millions d'euros en 2014, dont 66 % correspondent à ses frais de personnel.

Après analyse, la Cour des comptes souligne que les coûts complets de la JDC ne sont pas reconstitués de manière exhaustive par la DSN et que ce chiffrage de 111,5 millions d'euros est « en deçà de la réalité » 5 ( * ) .

Des pistes d'amélioration sont recensées par la Cour des comptes. Elles concernent les dépenses de fonctionnement et d'infrastructures qui sont comptabilisées aux coûts historiques, les dépenses d'alimentation qui n'intègrent pas les coûts spécifiques des repas pris en mess, ou encore, les dépenses d'animation qui ne prennent pas en compte le grade des animateurs 6 ( * ) , ainsi qu'une partie de leurs dépenses de formation . Enfin, les dépenses d'organisation des JDC à l'étranger, supportées par le ministère des affaires étrangères et du développement international, ne sont pas retracées.

Toutefois, cette sous-évaluation reste assez limitée . Le coût global de la JDC atteindrait un montant voisin de 116 à 118 millions d'euros , soit une différence de l'ordre de 4,5 ou 6,5 millions d'euros par rapport au chiffrage initial de 111,5 millions d'euros. Le coût moyen par participant s'établit ainsi à environ 150 euros par appelé , et non 142,5 euros comme communiqué par la DSN.

La Cour des comptes relève que la DSN a amélioré sa productivité , avec une progression par agent de 16 % entre 2012 et 2014 7 ( * ) , et que ses dépenses sont contenues 8 ( * ) .

Le Président Guy Piolé a ainsi déclaré lors de l'audition du 16 mars 2016 : « dans le contexte de déflation qui a accompagné jusqu'en 2015 le ministère de la défense, on peut dire que les ressources humaines et budgétaires allouées à la JDC sont maîtrisées . Les gains de productivité, qui avaient inquiété la Cour des comptes dans son rapport public de 2004, sont désormais réels même si deux postes très importants sont très rigides : il s'agit du transport et de l'alimentation . »

Ces efforts devront être poursuivis compte tenu de l'augmentation anticipée du nombre d'appelés au cours des prochaines années (828 000 jeunes attendus en 2025).

Enfin, l'information apportée au Parlement doit être améliorée puisque les projets annuels de performances imputent à la JDC des soutiens qui n'entrent pas dans le calcul des coûts complets (par exemple, une contribution au fonds de pension des ouvriers de l'État), ce qui avait justement conduit votre rapporteur spécial à s'interroger sur une sous-évaluation des coûts de cette journée.

2. Priorité doit être donnée au contenu de la journée défense et citoyenneté, que les problématiques d'organisation semblent éclipser

La JDC requière la mise en oeuvre d'une « organisation de masse » complexe compte tenu du nombre élevé de jeunes concernés et de leur dispersion sur tout le territoire national . Elle est prise en charge de manière satisfaisante par la direction du service national qui mobilise efficacement ses moyens et personnels. Toutefois l'organisation semble prendre le pas sur le contenu même de la JDC , qui agrège des modules aux objectifs louables, mais trop variés et peu hiérarchisés.

Le code du service national assigne à cette journée le double objectif de « conforter l'esprit de défense » et de « concourir à l'affirmation du sentiment d'appartenance à la communauté nationale, ainsi qu'au maintien du lien entre l'armée et la jeunesse » 9 ( * ) . De nombreux messages périphériques sont venus s'y greffer comme la sensibilisation à la sécurité routière 10 ( * ) , l'information générale sur le don de sang, de plaquettes, de moelle osseuse, de gamètes et sur le don d'organes à fins de greffe, égalité femme-homme 11 ( * ) .

Votre rapporteur spécial partage ainsi les constats suivants faits par la Cour des comptes : « il est aujourd'hui certain qu'en l'état, la densité excessive de la journée et la multiplicité des objectifs qui lui sont assignés nuisent à son influence réelle » et « l'impact de la journée est limité par le manque de priorités dans les objectifs qui lui sont assignés » 12 ( * ) .

Cela a d'ailleurs semblé faire l'objet d'un certain consensus lors de l'audition du 16 mars 2016, notre collègue Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, formulant même un appel à la prudence des parlementaires pour ne pas « charger » la journée défense et citoyenneté car « pour diffuser efficacement l'esprit de défense, il ne faut pas diluer le message ».

En effet, seule la qualité des messages délivrés aux jeunes et l'efficacité avec laquelle ils sont délivrés au cours de cette journée peuvent justifier le coût substantiel de 150 euros dépensés par appelé . Il est donc indispensable que le programme de cette journée soit pensé de manière globale et cohérente, en fonction d'objectifs peu nombreux mais clairs, et cesse de relever d'un arbitrage destiné à satisfaire les demandes des institutions désireuses de profiter de cet accès privilégié à tous les jeunes Français d'une même classe d'âge.

3. La journée défense et citoyenneté doit s'appuyer sur les acquis du parcours scolaire obligatoire des jeunes Français pour se recentrer sur l'esprit de défense

La JDC a été conçue comme l'ultime étape du parcours de citoyenneté , qui comprend également l'enseignement de défense et le recensement. Elle est censée venir compléter cet enseignement de défense , dispensé par l'éducation nationale en coopération avec le ministère de la défense, dont le programme est le suivant :

« Les principes et l'organisation de la défense nationale et de la défense européenne ainsi que l'organisation générale de la réserve font l'objet d'un enseignement obligatoire dans le cadre de l'enseignement de l'esprit de défense et des programmes de tous les établissements d'enseignement du second degré.

« Cet enseignement a pour objet de renforcer le lien armée-Nation tout en sensibilisant la jeunesse à son devoir de défense. » 13 ( * )

La Cour des comptes relève que cet enseignement est inégalement dispensé et qu' aucune vérification des acquis n'est mise en place. Lors de l'audition du 16 mars 2016, Éric Barrault, conseiller technique auprès de la directrice générale de l'enseignement scolaire, a reconnu qu'il était difficile de s'assurer de l'effectivité de cet enseignement de défense dans la mesure où « la défense et la sécurité nationale ne sont pas une matière », ce qui empêche de prescrire un contenu précis aux enseignants. Le ministère de l'éducation nationale s'inscrit alors dans une « logique "client-fournisseur" en facilitant l'accès à la connaissance et aux compétences ». Par ailleurs, l'évaluation de cet enseignement pose problème. Elle ne peut se faire au moyen de l'épreuve d'éducation morale et civique lors du brevet, ce qui reviendrait à annoncer à l'avance le sujet de l'examen.

Au-delà de l'enseignement de défense, le socle commun de connaissances et de compétences, délivré au cours de la scolarité obligatoire des jeunes de 6 à 16 ans, vise déjà à l'assimilation des principaux enjeux et messages citoyens . Cet enseignement vient d'ailleurs d'être renforcé par le « parcours citoyen » institué en septembre 2015, qui comporte 300 heures d'enseignement moral et civique , de l'école élémentaire à la classe de terminale, et qui est conçu pour transmettre aux élèves les valeurs de la République 14 ( * ) .

En s'appuyant sur cet enseignement en milieu scolaire, que les évènements de 2015 ont remis au coeur des priorités de l'éducation nationale, il est possible d'alléger la JDC et de la recentrer sur sa vocation première de sensibilisation à l'esprit de défense , ainsi que l'a préconisé le Livre blanc « Défense et sécurité nationale » de 2013. Cela permettrait de mieux mettre en valeur les messages de défense, tout en évitant les répétitions.

4. La journée défense et citoyenneté doit véritablement réunir tous les jeunes Français

Un nombre encore trop important de jeunes n'accomplissent pas leur JDC , avec des taux de non-participation très préoccupants dans certains départements . 1,8 % des jeunes d'une classe d'âge ne se font pas recenser et 4,1 % n'effectuent pas leur JDC, ce qui représente respectivement 14 400 et 32 800 jeunes 15 ( * ) .

Ces taux sont beaucoup plus élevés dans certains départements. Ainsi à Paris, 9,1 % des jeunes ne se font pas recenser, tandis que 12,8 % ne sont pas en règle avec la JDC . Les taux de participation à la JDC sont également significativement plus bas que la moyenne dans les Hauts-de-Seine, en Seine-Saint-Denis, dans les Alpes-Maritimes, ainsi qu'en Guadeloupe, en Guyane, à Wallis-et-Futuna et à Mayotte. La Cour des comptes s'est aussi intéressée au cas particulier des jeunes Français de l'étranger pour lesquels le déficit de recensement est très important et la participation à la JDC particulièrement faible.

Comme le soulignait votre rapporteur spécial à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2016, il est crucial que toutes les classes d'âge accomplissent leur JDC 16 ( * ) , qui vise à conforter le sentiment d'appartenance à la communauté nationale et doit évidemment être vécue par tous.

Il convient donc, ainsi que le préconise la Cour des comptes, de s'attacher à faire pleinement respecter le caractère obligatoire de la JDC et à analyser les causes d'absentéisme des jeunes 17 ( * ) . Il serait utile que l'on puisse étudier les motivations de ceux qui choisissent de ne pas s'y soumettre et connaître leurs profils psychologiques et sociologiques afin que des actions ciblées puissent être menées à leur égard.

5. La détection des jeunes en difficulté de lecture et des décrocheurs ne doit pas se limiter à alimenter un outil statistique, mais permettre la mise en place d'un suivi personnalisé

Héritage historique du rôle des armées dans la détection des jeunes en difficultés, la JDC comprend un module d'évaluation destiné à tester auprès des appelés les apprentissages fondamentaux de la langue française .

Toutefois, le seul intérêt statistique à constituer un indicateur sur la maîtrise de la lecture par l'ensemble des jeunes Français 18 ( * ) ne semble pas pouvoir justifier l'occupation de 30 minutes au cours de la JDC, au regard de la densité de cette journée.

Il conviendrait que la détection des jeunes en difficulté de lecture via ces tests d'évaluations automatisés permette un réel suivi individuel des élèves concernés ou des décrocheurs , ce qui ne semble pas être le cas actuellement selon la Cour des comptes. Notamment, la proportion de jeunes décrocheurs effectivement pris en charge par des dispositifs de remédiation ou d'insertion dans le cadre militaire à la suite d'une JDC n'est pas connue.

Une réflexion doit donc être menée au niveau interministériel pour que la détection des jeunes en difficulté de lecture et des décrocheurs s'accompagne de la mise en oeuvre effective de dispositifs en faveur de ces jeunes.

En conclusion , votre rapporteur spécial fait siens les propos du président Guy Piolé : « la JDC (...) a le mérite d'exister et de fonctionner. Les alternatives crédibles seraient plus coûteuses » . Reste à apporter, via une coopération accrue entre les administrations compétentes, les améliorations nécessaires pour donner pleinement à cette journée toute son efficacité.

TRAVAUX DE LA COMMISSION : AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mercredi 16 mars 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission des finances a procédé à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la journée défense et citoyenneté (« JDC »).

Mme Michèle André , présidente . - Après un premier point de notre ordre du jour consacré au projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme, nous abordons la question de la journée défense et citoyenneté (JDC), ce qui n'est finalement pas sans lien. Les attentats terroristes de l'année dernière nous ont en effet rappelé l'importance de cultiver l'esprit de défense et le sentiment d'appartenance à la communauté nationale chez nos jeunes, deux thèmes abordés lors de cette journée, qui rassemble chaque année tous les jeunes Français d'une classe d'âge.

En décembre 2014, la commission des finances, sur la proposition du rapporteur spécial Marc Laménie, a confié à la Cour des comptes le soin de réaliser une enquête sur cette journée défense et citoyenneté et elle se réunit aujourd'hui afin d'entendre ses conclusions et connaître les réactions des représentants de la direction du service national et de la direction générale de l'enseignement scolaire.

Sont présents M. Guy Piolé, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes, M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l'administration, M. François Le Puloc'h, directeur du service national, M. le Colonel Philippe Baleston, directeur de l'établissement du service national d'Île-de-France, tous trois relevant du ministère de la défense, ainsi que M. Pierre Dupont, chef du bureau des actions éducatives et culturelles, et M. Éric Barrault, conseiller technique à l'éducation à la défense, tous deux à la direction générale de l'enseignement scolaire, au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Je donnerai, tout d'abord, la parole à Guy Piolé, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes, qui a réalisé l'enquête. Il est accompagné de Mmes Françoise Saliou, conseillère maître, présidente de section, et Dominique Dujols, conseillère maître. Puis, Marc Laménie, rapporteur spécial, présentera les principaux enseignements qu'il tire de l'enquête. Il posera également ses premières questions aux différentes personnes entendues ce matin. À l'issue de l'audition, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.

M. Alain Milon , président de la commission des affaires sociales . -Je voudrais d'abord remercier la Présidente de la commission des finances d'avoir invité les membres de la commission des affaires sociales à prendre part à cette audition. La journée défense et citoyenneté (JDC) constitue un sujet dont nous sommes familiers : nous l'abordons chaque année lors de l'examen du budget avec notre rapporteur pour avis Jean-Baptiste Lemoyne, mais aussi à l'occasion d'autres textes législatifs. En effet, lors de l'examen du projet de loi de modernisation de notre système de santé et de la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, des amendements relatifs à la JDC ont été déposés. Nous sommes certains que cette enquête permettra d'éclairer le rôle de la JDC et de dégager les pistes à même de la rendre la plus utile possible, à la fois aux jeunes et à la communauté nationale.

M. Guy Piolé, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes . - Je m'efforcerai de résumer l'essentiel de nos travaux, qui nous ont conduits à formuler des observations et plusieurs recommandations, présentées dans la communication transmise à la commission des finances le 29 janvier 2016. Je souligne que la commission des finances nous avait confié cette enquête au début de l'année dernière, sur la base de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Nos investigations ont donc été menées, pour l'essentiel, en 2015.

Je voudrais rappeler que la JDC trouve son origine dans la journée d'appel et de préparation à la défense (JAPD) créée par la loi du 28 octobre 1997 portant réforme du service national. Son actuel article premier, codifié à l'article L. 111-2 du code du service national, dispose que « la journée défense et citoyenneté a pour objet de conforter l'esprit de défense et de concourir à l'affirmation du sentiment d'appartenance à la communauté nationale, ainsi qu'au maintien du lien entre l'armée et la jeunesse ».

L'actualité du sujet, au regard des évènements récents, est évidente et le sujet ne laisse personne indifférent. Il n'est donc pas illégitime de s'interroger sur cette spécificité française, car c'en est une. Nous disposons aujourd'hui d'un certain recul pour analyser son efficacité, puisque vingt ans ont passé depuis la suspension de la conscription, les premiers jeunes ayant vécu la JAPD sont désormais en âge d'avoir des enfants qui eux-mêmes sont convoqués à la JDC.

Pour certains, c'est un dispositif essentiel, ultime rendez-vous entre la Nation, son armée et la jeunesse, pour d'autres, avec parfois un peu de nostalgie, c'est un symbole, un avatar du service militaire. Entre ces deux pôles extrêmes, une multiplicité de points de vue s'exprime.

La Cour des comptes a d'abord cherché, en accord avec son coeur de métier - qui consiste à produire et analyser des chiffres - à comprendre si l'organisation de la JDC répondait aux objectifs qui lui sont assignés par la loi, notamment sa mission fondatrice consistant à conforter l'esprit de défense, à évaluer les coûts et les performances et à comprendre la façon dont la JDC s'articule avec les autres étapes du parcours de citoyenneté institué en 1997, notamment l'obligation de recensement et l'enseignement de la défense en milieu scolaire.

Notre premier constat ne contribuera pas à alimenter l'anxiété générale de la société : la JDC, ça marche. La direction du service national du ministère de la défense parvient à assurer l'organisation de la journée dans de bonnes conditions. Au total, 12 millions de jeunes Français ont participé à une JAPD ou une JDC. Chaque année, ce sont près de 800 000 jeunes qui sont accueillis en JDC, que ce soit en métropole, en outre-mer ou hors de France. L'accueil des jeunes est réparti sur 260 sites, militaires pour la plupart d'entre eux. 19 000 JDC se tiennent chaque année et environ 7 000 animateurs, essentiellement des militaires, y participent. D'après les informations à notre disposition, les incidents sérieux liés à l'organisation des JDC sont très rares. Les appelés manifestent un haut niveau de satisfaction mesuré par un questionnaire « à chaud » effectué à la fin de la JDC. La satisfaction est sensiblement plus élevée dans les zones rurales que dans les zones urbaines et c'est à Paris qu'elle est la plus faible - Paris se distingue également par un taux important d'absentéisme.

Deuxième constat : la direction du service national (DSN) centralise l'implication des armées. La DSN a été réformée et maîtrise l'organisation et le fonctionnement de la JDC, qui a connu plusieurs évolutions : après le passage de la JAPD à la JDC, en 2011, la JDC a été rénovée en 2014 avec un recentrage sur les thématiques propres à la défense. Le processus mobilise les agents de cette direction, mais pas seulement : toutes les armées ainsi que la gendarmerie sont sollicitées. Le processus est harmonisé et contrôlé.

La réussite de la JDC sur le plan pédagogique repose largement sur les animateurs : à ce titre, il nous semblerait souhaitable que la DSN soit plus fortement impliquée dans le contrôle de la formation et l'évaluation des animateurs.

La troisième question que nous nous étions posée était celle du coût. Dans le contexte de déflation qui a accompagné jusqu'en 2015 le ministère de la défense, on peut dire que les ressources humaines et budgétaires allouées à la JDC sont maîtrisées. Les gains de productivité, qui avaient inquiété la Cour des comptes dans son rapport public de 2004, sont désormais réels même si deux postes très importants sont très rigides : il s'agit du transport et de l'alimentation. La DSN évalue le coût direct et indirect de la JDC à 111,5 millions d'euros, soit environ 142 euros par participant. L'enquête de la Cour des comptes a permis de corriger ce chiffre, mais à la marge : notre estimation du coût global est très légèrement supérieure, entre 116 et 118 millions d'euros, car il nous semble que les bases d'évaluation de certains coûts, en particulier concernant l'alimentation, mériteraient d'être revues. Ce coût représente 0,3 % du budget du ministère de la défense : c'est un ordre de grandeur à garder en tête et à mettre en rapport des 800 000 participants annuels.

Un autre de nos axes de travail concernait l'efficacité de la JDC : en d'autres termes, nous avons cherché à savoir si les objectifs fixés par la loi de 1997 que je mentionnais tout à l'heure ont été remplis. Une telle évaluation est à la frontière de l'expertise de la Cour des comptes, puisqu'il s'agit moins de quantifier de façon numéraire que de produire une appréciation générale sur la performance du la JDC. Outre les enquêtes « à chaud » dont je parlais il y a quelques instants, la DSN a également mené des enquêtes dites « à froid » sur des échantillons significatifs de participants, chaque année à partir de 2013. Il en ressort une bonne mémorisation des enjeux liés à la défense. Les jeunes ont gardé en mémoire ce qu'ils ont appris et sont plus conscients, après la JDC, de la nécessité d'une défense nationale efficace. Il nous semble qu'une mesure réelle de l'adhésion des jeunes aux messages portés par les animateurs de la JDC supposerait un travail de recherche approfondi, qui pourrait être universitaire, afin d'évaluer l'impact de la JDC sur le moyen-long terme.

Nous ne pouvons cependant omettre de signaler que la densité excessive de la journée et la multiplicité des objectifs qui lui sont assignés nuisent à son efficacité, bien qu'il faille noter que la réforme de 2014 a amélioré le centrage de la JDC sur des problématiques en lien avec la défense. Il est trop tôt pour mesurer l'effet de la JDC sur les recrutements réels, mais on peut d'ores et déjà remarquer que le tabou du recrutement a été levé et que les animateurs de JDC n'hésitent plus à présenter les métiers de l'armée et de la gendarmerie.

Enfin, force est de constater qu'une journée ne fait que huit heures : les appelés manquent de temps pour assimiler la totalité des séquences et des messages qui ont été diffusés. On parle d'allonger la durée de la JDC : c'est une piste intéressante mais aussi très coûteuse. En effet, cela supposerait des coûts de transport, d'hébergement, d'alimentation, de rémunération des animateurs bien plus importants. En ces temps de contrainte budgétaire, l'allongement de la durée de la JDC semble donc difficile à mettre en oeuvre.

Notre cinquième message consiste à soutenir que la concertation entre le ministère de la défense et les autres ministères, en particulier celui de l'éducation nationale, devrait être amplifiée afin de permettre une meilleure répartition des tâches. La journée défense et citoyenneté s'inscrit dans un dispositif plus large : le parcours de citoyenneté, qui comprend aussi le recensement citoyen obligatoire et l'enseignement de défense. Celui-ci devrait d'ailleurs fournir l'occasion de mieux capitaliser les apports de la JDC.

Le partenariat entre les deux ministères est ancien, il remonte à 1982, c'est-à-dire avant l'institution de la journée d'appel de préparation à la défense (JAPD), puis de la JDC. Il fait l'objet d'un protocole qui est actualisé. On constate cependant que l'enseignement de défense est parfois sacrifié, même si des différences existent selon les territoires, les publics et les « affinités » pédagogiques du moment et de l'endroit.

Par ailleurs, depuis 2015, le ministère de l'éducation s'est engagé dans le parcours citoyen à l'école. C'est un chantier qui offre des opportunités en termes de concertation avec le ministère de la défense. Si l'on souhaite recentrer la JDC sur l'objectif défini en 1997 consistant à contribuer à consolider l'esprit de défense et le lien avec la défense, un partage des tâches devrait être effectué avec le ministère de l'éducation nationale, qui a vocation à se concentrer sur les questions relatives à la citoyenneté, c'est-à-dire moins en lien avec la défense.

Il y a un domaine où la défense et le ministère de l'éducation nationale collaborent, celui de la lutte contre l'illettrisme et le décrochage scolaire. L'armée a une grande habitude en matière de tests permettant de repérer des situations d'illettrisme, voire d'anumérisme. Les résultats de ces tests sont transmis au ministère de l'éducation nationale. La question est de savoir quelles sont les suites données en termes de suivi individuel de ces jeunes en situation d'illettrisme. C'est un domaine où la coopération pourrait aussi être plus efficace.

Le sixième constat dressé par la Cour des comptes dans son enquête a trait à la couverture du public ciblé : l'ensemble d'une classe d'âge. À cet égard, on constate que la JDC touche la quasi-totalité de son public, mais que des « poches d'absentéisme » existent. Nous avons identifié trois facteurs : le recensement, l'absentéisme et la faible participation des jeunes français de l'étranger.

S'agissant du recensement, la couverture nationale du recensement est élevée. Moins de 2 % des jeunes ne sont pas recensés, ce qui peut paraître marginal. Il existe cependant des disparités géographiques. La Cour des comptes propose d'accentuer les efforts déjà entrepris en matière de dématérialisation et de simplification des opérations de recensement qui mobilisent les communes.

Par ailleurs, une partie des jeunes recensés ne participe pas à la JDC. Le taux global d'absentéisme au niveau national est de 4 %, ce qui peut paraître faible, mais il dissimule de grandes disparités. Si des taux de près de 100 % peuvent être constatés dans un grand nombre de territoires, notamment en zone rurale, il existe des zones, au sein d'aires urbaines en particulier, où l'absentéisme est élevé : à Paris, dans certains départements autour de Paris comme les Hauts-de-Seine, sur la façade méditerranéenne, notamment dans les Alpes-Maritimes, et en outre-mer.

Enfin, la troisième faille en matière de couverture de la population est liée à la faible participation des jeunes français résidant à l'étranger. Si ces derniers sont astreints à participer à la JDC, selon des modalités adaptées, dans les faits, une grande partie d'entre eux n'y participe pas. Sur 40 000 à 45 000 jeunes français de l'étranger, seuls 18 000 se soumettent effectivement à cette obligation. Les autres sont soit dispensés car il n'existe pas localement de possibilités d'adaptation des modalités d'organisation de la JDC, soit n'y participent pas faute d'avoir été recensés. Cette situation mériterait d'être corrigée.

La question de l'existence de la JDC se situe à la frontière de la compétence de la Cour des comptes. Les voix qui s'élèvent contre la JDC, ou la JAPD avant elle, proposent parfois des dispositifs alternatifs, qui font l'objet d'une présentation dans les annexes à l'enquête. Pour les « gens du chiffre » que nous sommes, ces alternatives ont l'inconvénient d'être beaucoup plus coûteuses que la JDC dans la mesure où elles supposent des dispositifs sélectifs, dont la durée serait supérieure à une seule journée et dont le coût pédagogique serait très élevé par rapport à la JDC. Il revient donc aux pouvoirs publics, au législateur, de trancher cette question. Notre enquête a montré que les avis sur le bien-fondé ou l'inadaptation de la JDC reposent plus sur des convictions que sur une évaluation précise et scientifique de ses effets. La Cour des comptes ne peut cependant pas ignorer que le contexte qui était celui de 1997 n'est plus le même aujourd'hui.

Si l'on souhaite conserver l'objectif fixé par la loi de 1997 de renforcer le lien entre l'armée et la jeunesse et de contribuer à l'esprit de défense, il ne semble guère aisé, à court terme, de mettre en oeuvre une solution qui s'adresserait chaque année à un nombre aussi élevé de jeunes français et qui ne serait pas plus coûteuse. Les dispositifs alternatifs reposent sur des petits contingents, plus sélectifs, avec un coût unitaire très élevé.

Pour conclure, je rappellerai que la JDC, dont l'ambition de sensibilisation universelle est presque atteinte, avec la limite que je rappelais toute à l'heure, a le mérite d'exister et de fonctionner. Les alternatives crédibles seraient plus coûteuses.

Les dix recommandations formulées par la Cour des comptes s'articulent autour de quatre axes :

- renforcer la couverture exhaustive d'une classe d'âge dans le cadre juridique existant grâce à une amélioration du recensement, une meilleure connaissance des causes de l'absentéisme afin de prévenir et de contenir ce phénomène, l'amélioration de la couverture des français de l'étranger et la vérification de la réalité de la conformité à l'obligation de présenter un certificat de participation à la JDC pour s'inscrire aux examens ;

- poursuivre les efforts en matière de connaissance et de mesure des coûts ;

- recentrer la JDC sur son objectif légal lié à l'esprit de défense et au lien entre les armées et la jeunesse en accentuant la concertation avec le ministère de l'éducation nationale sur l'enseignement de défense pour une prise en charge partagée de messages citoyens ;

- mieux évaluer les impacts à long terme de la JDC afin de mieux apprécier quels sont les messages durables en matière de lien armée-jeunesse, d'esprit de défense et de recrutement.

M. Marc Laménie, rapporteur spécial de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » . - Je veux tout d'abord remercier la Cour des comptes pour sa présentation et, plus généralement, pour son enquête qui fait un point utile sur la journée défense et citoyenneté, et en particulier ses coûts complets, sujet qui intéresse de près la commission des finances. Je remercie également les représentants de la direction du service national qui m'ont permis de participer, en amont de cette audition, à une journée défense et citoyenneté au fort de Vincennes. J'ai ainsi assisté à une JDC ordinaire en compagnie de près de quarante jeunes, au cours de laquelle j'ai pu constater à la fois les qualités de l'organisation et la densité de cette journée. Je sais que notre collègue Jean-Baptiste Lemoyne a lui aussi fait cette expérience et il nous en parlera certainement.

Je serai assez bref pour laisser le temps à nos échanges. Je fais le constat simple que la JDC coûte près de 150 euros par appelé et que nous devons être attentifs à l'efficacité des messages délivrés. En outre, la JDC doit véritablement réunir tous les jeunes Français d'une classe d'âge, et le taux de non-participation de plus de 10 % dans certains départements n'est pas acceptable. Il faudrait d'ailleurs s'intéresser à qui sont ces jeunes et pourquoi ils n'effectuent pas leur JDC. Est-on là face à des jeunes négligents ou est-ce une manifestation d'incivisme ?

Dans un premier temps je souhaiterais que nos différents intervenants réagissent aux annonces qui ont été faites au sujet de la JDC depuis les attentats de l'année dernière, et notamment sur un éventuel allongement de la JDC sur deux jours, voire une semaine. Pour quel contenu et quel budget ? Une telle hypothèse avait déjà été envisagée en 2013 pour un surcoût allant de 32 à 48 millions d'euros. Ne faudrait-il pas plutôt améliorer ce que l'on a, et s'appuyer sur le nouveau parcours citoyen en milieu scolaire ?

Ma question suivante s'adresse à Guy Piolé. On comprend à la lecture de votre rapport que l'évaluation de l'apport de la JDC est un enjeu. Pouvez-vous être plus précis sur la manière dont vous envisagez le développement des outils d'évaluation de la JDC et de l'enseignement de défense ? Comment concrètement préconisez-vous de mesurer les résultats de l'enseignement obligatoire de défense ou l'impact de la JDC sur l'esprit de défense et le recrutement ?

Le contenu de la JDC semble être le fruit d'interventions diverses pour faire passer des messages d'intérêt général. Sensibilisation aux dons, égalité hommes-femmes, sécurité routière, information sur les dispositifs d'insertion professionnelle... Il y a de quoi s'y perdre... Je souhaiterais que Jean-Paul Bodin et les représentants de la DSN nous décrivent le processus décisionnel qui conduit à la définition du contenu de la JDC et le rôle de DSN en la matière

Comment expliquez-vous l'absentéisme qui, dans certains départements de la région parisienne ou d'outre-mer, atteignent des taux préoccupants ? Le non-accomplissement de la JDC est censé être sanctionné par l'impossibilité pour le jeune de passer son permis de conduire ou des concours administratifs avant 25 ans. Compte tenu de l'allongement du temps d'étude, je m'interroge sur le caractère suffisant de cette limite d'âge de 25 ans prévue par le code du service national.

Lors de la JDC à laquelle j'ai assisté, j'ai été sensible à l'intérêt que portaient les jeunes aux témoignages des militaires sur leurs missions en OPEX ou en mission Sentinelle dans Paris. Ces récits personnels permettent réellement d'enrichir la journée et d'établir le lien avec les jeunes. Par contre, je suis plus partagé sur l'animation des modules obligatoires. J'ai été frappé par la grande liberté de ton qui était laissée aux animateurs dans leurs commentaires et sur les messages délivrés. Et je m'interroge sur les supports qui leur sont fournis. Sont-ils suffisant pour les guider et s'assurer que les messages sont délivrés de manière homogène auprès de tous les appelés ? Comment pouvez-vous vous assurer de la bonne délivrance de ces messages ? Par ailleurs, aucun document n'est remis à l'appelé, hormis le certificat en fin de journée. Serait-il envisageable de remettre ou d'envoyer par mail un document officiel recensant les principaux messages de la journée ?

Enfin, mes dernières questions s'adressent aux représentants de la direction générale de l'enseignement scolaire. Comment réagissez-vous au constat de la Cour des comptes qui souligne que l'enseignement de défense n'est pas toujours correctement assuré et que les acquis des élèves ne sont pas vérifiés ? Pouvez-vous nous présenter les grandes lignes du parcours citoyen mis en oeuvre depuis septembre 2015 ? En particulier le module de préparation en amont de la Journée défense et citoyenneté ? Comment cela s'articule-t-il avec l'enseignement de défense ? Où en est la signature du nouveau protocole Défense-Éducation nationale ? Quelles en sont les grandes lignes ? Le dernier date de 2007 et je note que ses objectifs restent d'actualités : approfondir l'enseignement de défense, améliorer le recensement, mieux articuler l'enseignement de défense et la JDC. On y trouve déjà la plupart des recommandations de la Cour des comptes. Presque dix ans après, quel bilan retirez-vous de ce protocole ? La coopération entre les deux ministères est-elle suffisante ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » au nom de la commission des affaires sociales . - Je salue les travaux, les conclusions et les recommandations de la Cour des comptes, qui confortent les travaux du Parlement, et singulièrement ceux du Sénat.

La maîtrise des coûts est avérée : depuis 2010, ils ont diminué de l'ordre de 20 %, passant de 176 euros à environ 142 euros par individu en 2014. La diminution des effectifs, en particulier à la DSN, est également une réalité. La transformation a été rondement menée et on ne peut que s'en féliciter.

Le recentrage, qui constitue une de nos conclusions récurrentes, avec Marc Laménie, a progressé : la fin du module « Secourisme », remplacé par le module « Sécurité routière », permet de disposer de 30 minutes supplémentaires pour insister sur les aspects relevant davantage de la défense ou la présentation du service militaire volontaire. Je m'en félicite.

Je souhaiterais formuler un appel, poser deux questions et exprimer un voeu.

L'appel s'adresse à nous-mêmes, parlementaires, car comme l'a souligné notre président Alain Milon, nous avons tous envie de « charger » cette JDC. Les travaux de la Cour des comptes montrent qu'il faut que nous soyons prudents car pour diffuser efficacement l'esprit de défense, il ne faut pas diluer le message.

Qu'en est-il de la réalisation d'une étude sur une extension de la JDC demandé par le Président de la République, lors de ses voeux à la jeunesse le 11 janvier 2016 ? On parle d'un deuxième jour - qui pourrait être fractionné d'ailleurs, pour éviter les difficultés liées au logement - voire d'une semaine.

Dans le contexte actuel et suite aux attentats, nous savons que quelques jeunes s'engagent dans des dérives qui mènent au pire. La détection des signaux faibles est importante. Il y a six mois, j'ai assisté à une JDC à Vincennes : en croisant les questions posées par un individu et ses résultats scolaires - il s'agissait d'un décrocheur - pouvaient être identifiés des signaux qui m'ont interpelé, pour être pudique. Comment densifier le partenariat, en amont comme en aval ? En aval, dès lors que les animateurs informent leur hiérarchie qu'ils ont des pressentiments, que des éléments méritent d'être vérifiés, comment traiter cette question pour réagir à temps ? En amont, avec l'éducation nationale, comment faire pour que le parcours citoyenneté étudie mieux certains sujets qui sont, à l'heure actuelle, traités dans la JDC, au détriment des questions relatives à la défense ?

Enfin, je formulerai le même voeu que le Président Guy Piolé : nous sommes désormais bien équipés en termes quantitatifs, mais il nous manque aujourd'hui, pour compléter les travaux du Parlement et de la Cour des comptes, un travail académique sur l'impact de cette JDC auprès du public concerné.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je suis étonné par le taux de non-accomplissement de la JDC en Île-de-France. Pour la classe 89, 7,65 % des recensés de cette région n'ont pas accompli leur JDC. Ce taux, élevé, a pour corollaire le faible taux de recensement. La situation de l'Île-de-France est préoccupante, et c'est d'ailleurs Paris qui enregistre le plus mauvais taux, et non, comme on aurait pu le penser, les départements les plus défavorisés Cela signifie-t-il que des jeunes plus favorisés ne perçoivent pas l'utilité de participer à la journée ? Au-delà des concours administratifs, que tout le monde ne veut pas nécessairement passer, et du permis de conduire, qui est peut-être moins utile à Paris qu'ailleurs, d'autres pistes sont-elles envisagées pour améliorer le taux de participation à la fois au recensement et à la JDC ? Sur le plan fiscal, notamment, y aurait-il un moyen de vérifier l'accomplissement de ces obligations ?

Enfin, dans le contexte particulier que nous vivons, je souhaiterais savoir si les jeunes qui ont manifesté un intérêt pour les questions de défense lors de la JDC sont contactés par la suite par le ministère de la défense.

M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l'administration au ministère de la défense . - Nous nous reconnaissons dans le rapport de la Cour des comptes, selon lequel la JDC comme la DSN fonctionnent bien et à moindre coût. Nous ne pouvons qu'être satisfaits par ces conclusions.

Nous partageons aussi les questions formulées par la Cour des comptes, notamment sur la densité de la JDC. Je ne peux que rejoindre l'appel lancé par Marc Laménie et Jean-Baptiste Lemoyne : on ne peut pas charger outre mesure cette journée, avec des jeunes qui viennent de milieux scolaires et sociaux très différents. Le recentrage sur les questions de défense, souhaité par la loi de programmation militaire, suffit déjà fortement à charger cette journée, ne serait-ce qu'en raison de l'évolution de la situation internationale et des messages à passer sur la nécessité de disposer d'une défense efficace et disposant des moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions.

Nous partageons aussi les remarques de la Cour des comptes concernant la nécessité de renforcer les partenariats avec d'autres ministères, notamment l'éducation nationale. Les relations entre les ministères de la défense et de l'éducation nationale sont anciennes ; elles mobilisent notamment la direction du service national et la direction en charge de la mémoire, du patrimoine et des archives, mais il nous faut vraisemblablement avoir un travail plus approfondi sur le parcours de citoyenneté car la JDC n'en constitue qu'un moment. La sensibilité des jeunes est différente selon l'enseignement qu'ils ont reçus au collège et au lycée, selon la sensibilisation qu'ils ont pu avoir au préalable aux questions de défense et de citoyenneté.

Vous avez évoqué un protocole entre nos deux ministères, qui a d'ailleurs été élargi à l'ensemble de l'enseignement, y compris les enseignements agricole et professionnel, dans le cadre de sa refonte. Le projet de protocole a fait l'objet d'un travail très approfondi entre les services et il est entre les mains des cabinets ministériels pour la signature des ministres.

Nos évaluations du coût sont proches de celles de la Cour des comptes, même si certaines dépenses de la JDC sont difficiles à évaluer : compte tenu de l'organisation financière du ministère de la défense, l'apport des services de soutien dans les bases de défense est assez difficile à évaluer et les dépenses d'infrastructures sont « noyées » dans d'autres dépenses. Mais nous acceptons les chiffres qui figurent dans le rapport.

Faut-il prévoir plus d'une journée pour la JDC ? Le Président de la République a demandé qu'une réflexion soit menée ; elle est conduite par le ministre de la jeunesse, des sports et de la ville et nous y participons. Notre position est claire : nous sommes capables, dans un module de plusieurs jours, d'effectuer le recensement, d'organiser la convocation des jeunes pour la journée que nous organisons et nous pourrions éventuellement utiliser notre outil administratif pour d'autres convocations. Mais compte tenu de ses moyens, le ministère de la défense ne peut pas aller au-delà d'une journée. Il faudra donc que d'autres administrations, les collectivités locales, se mobilisent si on décide de prévoir plus d'une journée.

Comme le président Piolé l'a indiqué, le tabou du recrutement et de l'information sur les métiers de la défense a été levé, et ce de manière volontariste : parmi les animateurs de la JDC, figurent des personnels employés dans les centres de recrutement pouvant apporter un certain nombre de témoignages sur les métiers de la défense. Alors que nous avons des recrutements très importants à réaliser, la JDC permet d'établir un premier contact avec les jeunes.

S'agissant du contenu de la JDC, nous agissons dans le cadre qui est défini politiquement. La loi de programmation militaire a ainsi indiqué que la JDC devait être recentrée sur les questions de défense. De même, lorsque le Gouvernement a souhaité introduire une sensibilisation sur les questions de sécurité routière, nous avons travaillé en ce sens avec la direction compétente du ministère de l'intérieur.

Nous partageons le constat de la Cour des comptes : il faut encourager la dématérialisation du recensement. Nous sommes en train de développer un système d'information à cette fin ; le marché a été passé avec un opérateur la semaine dernière. Nous sommes également en train de développer une application mobile, « ma JDC sur mon mobile », permettant de donner aux jeunes des éléments sur leur convocation ou sur le lieu de déroulement de la JDC.

Diverses raisons expliquent la participation différente des jeunes d'un département à l'autre. Il s'agit tout d'abord d'une question de sensibilisation des jeunes à la JDC, ce qui nécessite un travail avec les communes afin d'organiser des campagnes d'information. Des actions spécifiques sont menées à Paris. Par ailleurs, il y a des responsabilités générales quand on accepte qu'un jeune puisse se présenter au permis de conduire sans avoir fourni le certificat de participation. Nous le regrettons comme vous, mais il n'y a pas de sanction prévue par la loi. Nous sommes sensibles à la question de la participation des jeunes résidant à l'étranger à la JDC ; nous sensibilisons le ministère des affaires étrangères sur cette question afin que le personnel diplomatique se sente davantage mobilisé sur ce point.

M. François Le Puloc'h, directeur du service national . - Le programme de la journée est défini par le législateur et figure à l'article L. 114-3 du code du service national. Lorsque le ministre de la défense nous a demandé de recentrer le contenu de la JDC sur les questions de défense et de sécurité, nous avons constitué un groupe de travail piloté par la DSN qui a transmis des propositions au cabinet du ministre. Ce travail a permis d'aboutir à la définition de trois modules, articulés autour de trois questions : Pourquoi devons-nous nous défendre ? Comment sommes-nous organisés pour nous défendre ? Comment chaque jeune, s'il le souhaite, peut s'engager au service de la Nation pour participer à sa défense ?

Des efforts ont été faits afin de rendre le recensement le plus universel possible. Ce recensement est au départ réalisé par les mairies, puisque les jeunes doivent s'y rendre à l'âge de 16 ans et 3 mois. Il existe une longue période de rattrapage possible, puisque le jeune qui ne s'est pas inscrit à l'âge de 16 ans peut régulariser sa situation jusqu'à ses 25 ans - généralement les régularisations interviennent assez vite, avant l'âge de 18 ans. Un effort est fait afin d'améliorer la communication réalisée par l'intermédiaire des collectivités territoriales ou en partenariat avec les rectorats. Prochainement, nous allons développer cette information en direction des parents d'élèves.

La question de l'absentéisme des jeunes, qui nous appelons plutôt « non-présentéisme », nous préoccupe et fait l'objet d'études, en particulier en Île-de-France. Plusieurs facteurs expliquent cet absentéisme. Il est tout d'abord imputable à la forte mobilité de la population ; il est fréquent que les convocations envoyées soient retournées du fait que les jeunes ont changé d'adresse de domicile. L'absentéisme est également lié à une certaine « incivilité » d'une partie de la population, qu'il s'agisse de personnes issues de milieux aisés qui ont une certaine indifférence à l'égard de cet événement ou de populations en marge de la société qui soit ne disposent pas de l'information, soit ne voient pas l'intérêt de se présenter à la JDC. Enfin, nous constatons que l'obligation de fournir le certificat de participation à la JDC lors de certaines démarches administratives, comme par exemple la constitution des dossiers de permis de conduire, n'est pas toujours respectée.

M. le Colonel Philippe Baleston, directeur de l'établissement du service national d'Île-de-France . - S'agissant des causes de l'absentéisme, j'abonde dans le sens de ce qui vient d'être dit : en Île-de-France, les retours de convocation se chiffrent tous les ans par milliers en raison de la forte mobilité.

Il faut toutefois souligner qu'un certain nombre de jeunes absents reprennent contact directement avec l'administration du service national dans les semaines qui suivent la JDC. Le code du service national impose que la reprise de contact en cas d'absence soit à l'initiative de l'administré. Nous menons actuellement une expérimentation en Île-de-France consistant à envoyer systématiquement un courrier aux absents pour les inciter à reprendre contact avec l'administration.

Par ailleurs, nous travaillons régulièrement avec les mairies et les établissements scolaires afin de les sensibiliser à la question de la JDC. À Paris, nous travaillons également avec la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) qui, dans tous les courriers qu'elle envoie aux jeunes et à leurs parents, insère un encart rappelant l'importance de se faire recenser et de participer à la JDC.

M. Pierre Dupont, chef du bureau des actions éducatives et culturelles de la direction générale de l'enseignement scolaire . - Le parcours citoyen est en place depuis la rentrée 2015, même s'il s'agit encore d'un objet en devenir. Des travaux sont en cours afin de structurer ce parcours citoyen au sein de l'enseignement scolaire. La ministre a demandé au président du Conseil supérieur des programmes de préparer un référentiel du parcours citoyen. Un texte sera présenté très prochainement.

Nous avons bien sûr une réflexion globale sur l'éducation à la citoyenneté, concernant notamment les messages dispensés par les enseignants dans les différents cadres disciplinaires, mais aussi pour privilégier l'intervention d'organismes extérieurs, par exemple associatifs. L'enjeu principal du parcours citoyen est de donner une cohérence aux différentes interventions et de faire mieux prendre en compte cette thématique par les équipes éducatives et les chefs d'établissement. Le faisceau de l'éducation à la citoyenneté est très large puisqu'il touche aussi bien les questions de sécurité, de prévention de conduites à risque, de lutte contre les discriminations, de vivre ensemble ou encore d'engagement.

La loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République fixe le cadre général d'organisation de l'enseignement scolaire. Le principe est d'adosser ces différents parcours - parcours enseignement artistique, parcours avenir pour l'orientation, parcours éducatif de santé, parcours citoyen - à un enseignement. Pour le parcours citoyen, il s'agit de l'éducation morale et civique, mise en place depuis la rentrée 2015. En complément, des liens sont faits avec les autres composantes de la citoyenneté, notamment à travers l'intervention d'organismes extérieurs divers.

Nous travaillons donc à une réponse au problème identifié dans le rapport afin d'éviter une juxtaposition des messages et d'assurer une meilleure cohérence, à la fois du point de vue de l'élève et de l'établissement local. Le suivi de ce parcours citoyen par l'élève se fera par une application « webclasseur ». Grâce à cet outil, l'élève pourra être acteur de son parcours, en consignant ses différentes expériences et avoir une réflexivité sur sa pratique et ses engagements.

Enfin, dans le cadre du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, nous travaillons également à l'établissement d'une jonction entre le parcours citoyen de l'éducation nationale et le livret citoyen annoncé par le Président de la République dans ses voeux à la jeunesse et qui devra être mis en place dès la rentrée 2016. Ce livret devra être remis à tous les jeunes de 16 ans, lors du recensement.

M. Éric Barrault, conseiller technique à l'éducation à la défense auprès de la directrice générale de l'enseignement scolaire . - Dans le cadre de l'enseignement d'éducation morale et civique, deux rendez-vous sont prévus sur les questions de défense : en classes de troisième et de première. Nous sommes en train de travailler sur les fiches d'éducation morale et civique de classe de troisième, qui sont structurantes pour le brevet. Nous avons prévu d'y évoquer bien sûr la journée défense et citoyenneté - qu'il faut enseigner comme un objet à part entière - les risques et les menaces, le cadre international de notre défense, la politique de défense et les opérations extérieures.

En classe de première, nous aborderons largement les questions d'éthique. Ceci est très important car, face aux menaces actuelles, il peut y avoir des tentations de se passer de l'État de droit. Nous devons prouver que l'éthique militaire et l'État de droit ne sont pas des contraintes mais des atouts. Je renvoie à ce propos à l'excellent ouvrage du général Benoît Royal sur l'éthique du soldat français.

D'après la loi, le parcours de citoyenneté est suivi au collège et au lycée. Mais nous avons souhaité l'élargir à l'école primaire, avec l'introduction dans les classes des symboles de la Nation et des marques de respect qui leur sont dues. Nous constatons également que la formation des citoyens doit aller jusqu'à l'université. Outre la présentation de la réserve, des unités d'enseignement libre ont été créées en licence. Nous avons aussi l'idée d'introduire la défense et la sécurité nationale, lorsque c'est pertinent, dans les cursus spécifiques.

Le deuxième élargissement concerne les autres disciplines. Il ne s'agit pas de traiter des questions de défense et de sécurité uniquement dans le cadre de l'éducation morale et civique, mais d'introduire de telles notions en histoire, en géographie et bientôt en sciences de la vie et de la terre et en physique.

Le troisième élargissement est un élargissement du champ de la réflexion. Dans la logique du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale, nous ne parlons pas seulement de la défense militaire, mais aussi de la défense économique, culturelle, de nos savoir-faire scientifiques et techniques et des questions d'intelligence économique.

Pour répondre à la question concernant l'effectivité, je tiens à rappeler que la défense et la sécurité nationale ne sont pas une matière. Nous nous heurterions donc à un refus des enseignants si nous leur dictions des contenus. Le deuxième problème tient à l'évaluation. Il y a bien une épreuve d'éducation morale et civique au diplôme national du brevet, mais si nous annoncions que les questions de défense sortiraient chaque année, cela ne serait pas dans la logique de l'examen. Nous sommes donc très intéressés par toute étude de la direction du service national et notamment par un test par sondage et par académie sur les acquis de l'enseignement de défense à l'arrivée à la journée défense et citoyenneté.

Le dispositif actuel est structurant et fortement inclusif - lorsque que l'on dit à un jeune qu'il peut faire quelque chose pour son pays et que son pays attend quelque chose de lui, c'est un langage qui est compris, et ce quel que soit le statut juridique de ce jeune.

Nous sommes donc dans une logique « client-fournisseur » : nous ne pouvons pas imposer les contenus, mais nous pouvons faciliter l'accès à la connaissance et aux compétences. Cela passe aussi par la formation initiale et continue des enseignants. L'inspection générale de l'éducation nationale a d'ailleurs désigné un correspondant dans ce domaine, Tristan Lecoq, qui fait un travail remarquable. L'association des directeurs des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) a également désigné un correspondant. Nous avons élaboré un référentiel national que nous proposons aux ESPE et l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) prépare quant à lui un Mooc - c'est-à-dire un module d'enseignement numérique - qui sera mis à la disposition de l'ensemble des ESPE à la rentrée 2016.

Le protocole s'est élargi à plusieurs thèmes qui n'étaient pas présents en 2007, en particulier la recherche, essentiellement en sciences humaines et sociales. À cet égard, nous avons demandé à l'enseignement supérieur de s'engager à mener des travaux sur la radicalisation et sa détection. Je souligne également que le ministère de la défense a mis en place un pacte pour l'enseignement supérieur, dans le cadre duquel des procédures de mise en concurrence permettent de financer beaucoup plus largement des recherches universitaires en matière de défense. Je souhaiterais souligner une originalité de cette politique : l'existence de réseaux dédiés à travers les trinômes académiques « éducation-défense-IHEDN », regroupant les associations régionales des auditeurs de l'IHEDN et les référents défense présents dans la plupart des établissements d'enseignement, ainsi que les universités et des grandes écoles, y compris les écoles de commerce privées ou l'enseignement supérieur catholique.

Un travail considérable a également été mené par le ministère de la défense, en liaison avec notre ministère, pour mettre en place une bibliothèque en ligne sur les programmes. Si un enseignant souhaite évoquer la défense, il trouvera sur ce site internet des idées et des ressources libres de droit. Par exemple, dans le chapitre sur la colonisation, il trouvera l'idée d'évoquer la lutte contre les maladies tropicales par la médecine militaire.

En 2006, les trinômes académiques « éducation-défense-IHEDN » touchaient un peu moins de 5 000 enseignants pour 75 000 élèves. Ils concernent désormais 21 500 enseignants, c'est-à-dire 4,4 % des enseignants du second degré, pour 530 000 élèves, soit environ 9 % de l'effectif du second degré. L'objectif est d'arriver à un triangle : à la base, il y a nos 800 000 enseignants et 12 millions d'élèves qui tous devraient normalement maîtriser le programme, au milieu les quelque 530 000 élèves et 21 500 enseignants impliqués dans les trinômes - l'objectif étant d'arriver à une tranche d'âge au sein de ce dispositif, soit environ 800 000 élèves et 50 000 enseignants - et au sommet, les réseaux militants que sont les relais défense des bassins de formation et des établissements d'enseignement secondaire et supérieur, qui doivent rayonner.

M. Richard Yung . - Je voudrais revenir sur un problème qui a été évoqué à travers un beau néologisme, que je ne connaissais pas, le « non présentéisme », qui me paraît ressembler assez au traditionnel absentéisme, à propos d'une population qui me concerne particulièrement, les Français de l'étranger. En réalité, il existe une pluralité de phénomènes qu'il faut prendre en compte. D'abord, il y a le non-enregistrement auprès des consulats d'une partie importante de Français résidant à l'étranger. C'est bien sûr le cas en Europe où l'intérêt d'un enregistrement n'apparaît pas toujours. Mais ce peut l'être ailleurs pour les binationaux par exemple. Ensuite, il faut tenir compte des distances. Aux États-Unis, une JDC est organisée un jour par an à Washington. Pour celui qui réside en Californie, il n'est pas toujours simple de traverser les États-Unis, à ses frais, pour accomplir ses obligations.

J'ai donc une suggestion, qui serait de vérifier auprès du ministère des affaires étrangères s'il ne serait pas possible d'organiser davantage de JDC dans les consulats locaux. Ce ne serait pas un coût considérable pour les finances publiques.

M. Daniel Raoul . - Monsieur le Président de la deuxième chambre de la Cour des comptes a voulu rappeler l'utilité de la JDC, utilité traditionnelle si l'on se souvient des « trois jours » de l'ancien service militaire, pour repérer les cas d'illettrisme. La question que je me pose est celle des suites réservées aux repérages de ces situations.

Deuxième remarque : je crois qu'il faut bien distinguer recensement et absentéisme. N'y a-t-il pas des difficultés particulières de recensement dues aux nouvelles méthodes mises en oeuvre, notamment en Île-de-France où, par ailleurs, les populations sont souvent très mobiles, et de ce fait difficiles à toucher quand il s'agit de lancer les convocations à la JDC ? Ce doit aussi poser problèmes pour les Français de l'étranger.

Mme Fabienne Keller . - Il est assez remarquable de pouvoir accueillir une génération entière, femmes et hommes, pour un rendez-vous voué à la défense.

Évidemment se pose la question des prolongements et notamment celle des liens entre la JDC et l'inscription à des formations complémentaires, comme le service militaire volontaire, les préparations militaires et, au-delà, de l'impact de la JDC sur les recrutements.

Deuxième question, peut-on avoir des précisions sur les effets de la journée sur l'image de l'armée ? Enfin, la JDC a-t-elle un impact sur le service civique ? En tout cas, votre action mérite d'être saluée, c'est ma conviction.

Mme Michèle André , présidente . - Ma question permettra sans doute à Jean-Paul Bodin d'apporter un complément à sa présentation. Elle concerne vos réactions au rapport adopté à l'Assemblée nationale à l'instigation de deux collègues députés Marianne Dubois et Joaquim Pueyo, qui a recommandé en décembre dernier la suppression de la JDC et le redéploiement des moyens de toutes sortes qui lui sont consacrés pour financer un programme destiné à environ 100 000 jeunes de treize à dix-huit ans sur le modèle des cadets canadiens. Est-ce réaliste ? Je souhaite également saluer votre attention à l'inscription de la JDC dans son contexte, avec en particulier, votre volonté de resserrer les liens avec d'autres formules, les trinômes, l'IHEDN afin de donner à cet ensemble un meilleur dynamisme et de mailler au mieux le territoire.

M. François Le Puloc'h . - La JDC à l'étranger n'est pas sous la responsabilité directe du ministère de la défense, mais de celle du ministère des affaires étrangères et du développement international. Nous sommes en discussion étroite avec ce ministère pour améliorer la couverture de la JDC auprès de nos compatriotes résidant à l'étranger. La suggestion de solliciter les consulats a été pleinement prise en compte par l'arrêté du 11 janvier 2016, qui attribue au responsable consulaire cette mission. Celui-ci peut tenir compte de la situation démographique de sa circonscription pour moduler l'organisation de la JDC. L'arrêté permet également de s'appuyer sur la télématique ou les visio-conférences pour tenir compte des distances. Par ailleurs, en cas d'impossibilité, des attestations provisoires, sous bénéfice de régularisation au retour en France, peuvent être délivrées aux jeunes.

S'agissant du recrutement, nous offrons un vivier potentiel aux forces armées et à la gendarmerie. Ce vivier est un peu décalé dans le temps du fait d'un écart entre l'âge moyen à la JDC, de dix-sept ans et trois mois, et celui où nous démarrons les recrutements, qui est de dix-huit ans. Nous posons aux participants la question de l'intérêt pour les métiers de la défense et les jeunes qui déclarent leur intérêt sont systématiquement signalés comme tels aux services de recrutement. En 2015, sur les 795 000 jeunes ayant participé à la JDC, environ 258 000 fiches de contact ont été adressées aux services en question, à charge pour eux de donner les suites utiles. Ces données nourrissent un outil statistique qui doit permettre à l'avenir de mieux mesurer l'impact de la JDC sur les recrutements.

S'agissant de l'illettrisme, là aussi nous sommes très en amont. Nous faisons oeuvre de détection et nous recevons en entretien les jeunes en difficulté de lecture et qui ne sont pas scolarisés. Nous transmettons les coordonnées des jeunes ainsi détectés aux services compétents, nous leur proposons des contacts auprès des missions locales et d'autres organismes de remédiation mais il ne nous est pas possible d'aller plus loin. S'agissant des décrocheurs, la situation est analogue. Nous adressons leurs coordonnées aux plateformes départementales de suivi et d'appui des décrocheurs qui ont la charge de les prendre en compte. Nous n'avons pas de connaissance précise des prolongements donnés à nos signalements. Je complète en indiquant que nous fournissons les coordonnées nominatives des jeunes qui donnent leur accord, aux organismes chargés du service militaire adapté d'outre-mer, et du service militaire volontaire.

Le contrôle des formateurs est une question importante. Tout animateur militaire, qui peut être d'active ou de réserve, bénéficie obligatoirement d'une formation complète de trois jours qu'il doit faire suivre de l'animation d'une JDC dans les trois mois. Un animateur militaire doit faire entre quatre et six JDC par an au minimum. Il faut conserver les compétences. Nous avons une gestion active de la base nominative des animateurs et vérifions la fréquence de leurs interventions, mais aussi la qualité de leurs prestations à travers l'analyse des taux de satisfaction. Si ceux-ci sont trop bas, sous 70 % d'opinions favorables, l'animateur se voit proposer une formation. Pour les réservistes, un espace internet réservé aux animateurs est disponible, qui comporte des documents utiles et, notamment, des fiches pédagogiques sur les différents modules de la JDC.

En ce qui concerne la détection des processus de radicalisation, il faut bien reconnaître que nous ne sommes pas armés. Toutefois, en cas de signaux forts, suffisamment manifestes, nous intervenons en procédant à l'exclusion du jeune concerné. Mais, le nombre des situations-limites que nous rencontrons est assez faible. Si l'on prend 2015, nous avons dû nous résoudre à 147 exclusions pour un total de 795 000 jeunes accueillis, je le rappelle, et nous avons relevé six cas d'apologie du terrorisme.

M. Jean-Paul Bodin . - Je souhaiterais répondre à la question qui m'a été posée par la présidente Michèle André sur le rapport de l'Assemblée nationale. Je crois que lorsque l'on formule une proposition, il convient de vérifier si les personnels dont on veut supprimer les attributions auront les capacités adéquates pour remplir les nouvelles missions qu'on voudra leur confier.

La DSN dispose de 1 300 agents, principalement du personnel civil : je ne suis pas sûr que ce personnel ait la formation adéquate pour répondre à la suggestion des deux députés. En ce qui concerne les personnels militaires qui participent à la journée défense et citoyenneté, nous faisons en sorte que les animateurs participent à au moins quatre journées par an. La journée défense et citoyenneté représente toutefois une toute petite partie de l'activité d'un animateur. Je crains que vouloir bâtir un nouveau système avec les différents personnels que je viens de vous présenter soulève quelques difficultés.

M. Marc Laménie, rapporteur spécial . - Je remercie l'ensemble des intervenants pour les débats très riches que nous avons eus ce matin et qui, je le crois, ont vivement intéressé les sénateurs membres de nos deux commissions. Le rapport très fouillé de la Cour des comptes a permis de mettre en lumière l'importance de la journée défense et citoyenneté pour les jeunes de notre pays et l'ensemble des parties prenantes, même si son organisation et son contenu sont toujours perfectibles.

M. Guy Piolé . - La Cour s'est beaucoup intéressée à ce sujet dont l'important volet sociétal est, il est vrai, à la limite de ses compétences. Cette matinée a bien montré que nous sommes tous très attachés à cette spécificité française qu'est la journée défense et citoyenneté. Nous avons signalé quelques marges d'amélioration. Je retiens surtout de nos échanges l'idée du partenariat, d'autant que le public n'est pas toujours scolarisé et qu'il n'est pas toujours facile de l'atteindre. Je crois également qu'il convient de ne pas ajouter de thèmes supplémentaires au cours de cette journée afin de ne pas trop la surcharger.

Au terme de ce débat, la commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes et du compte rendu de l'audition en annexe à un rapport d'information de M. Marc Laménie.

ANNEXE : COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES À LA COMMISSION DES FINANCES

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* 1 Il est de 142,5 euros par participant en 2015 selon la prévision actualisée du projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2016.

* 2 Voir le compte rendu de l'audition en annexe du présent rapport.

* 3 Il s'agit principalement des frais d'alimentation et de transport des jeunes, respectivement 6 et 5,9 millions d'euros en exécution 2014.

* 4 Avant la loi de finances pour 2015, les crédits de personnel étaient également inscrits en programme 167. En 2014, les crédits de titre 2 ont représenté 73,7 millions d'euros.

* 5 Voir le rapport de la Cour des comptes, page 44.

* 6 Ce qui revient à une sous-évaluation lorsque l'animateur est un officier, et c'est souvent le cas des réservistes.

* 7 Sur la base du nombre d'appelés par agent.

* 8 Elles sont constituées à 66 % des frais de personnel de la DSN.

* 9 Article L. 111-2 du code du service national.

* 10 Il s'agissait jusqu'en 2015 d'un module de formation au secourisme.

* 11 L'article 8 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a ajouté une information sur la prévention des conduites à risque pour la santé, notamment celles susceptibles de causer des addictions et des troubles de l'audition.

* 12 Voir le rapport de la Cour des comptes, pages 9 et 74.

* 13 Article L. 312-12 du code de l'éducation.

* 14 Il est construit autour de l'enseignement moral et civique, de l'éducation aux médias et à l'information, et de l'enseignement aux élèves du jugement, de l'argumentation et du débat dans les classes dès l'école élémentaire.

* 15 Chiffres DSN pour la classe d'âge 1989 (annexe 7 du rapport de la Cour des comptes).

* 16 http://www.senat.fr/seances/s201512/s20151203/s20151203018.html#section2576

* 17 La direction du service national explique pour partie ces taux d'absentéisme en Île-de-France par la forte mobilité de la population : les convocations seraient retournées en raison de changement d'adresse des jeunes.

* 18 La JDC rassemble l'ensemble des jeunes d'une classe d'âge, qu'ils soient scolarisés ou non.

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