CHAPITRE I - LA SITUATION DE L'ESPACE SCHENGEN

L'ÉTAT DU DROIT

C'est le 14 juin 1985 que la France, la République fédérale d'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg ont conclu un accord en vue de la suppression progressive des contrôles aux frontières intérieures afin de permettre la libre circulation des personnes, quelle que soit leur nationalité, tout en annonçant le renforcement des contrôles aux frontières extérieures.

Au fil des années, l'espace Schengen s'est sensiblement renforcé. Si, dès l'origine, le Royaume-Uni et l'Irlande ont refusé d'intégrer l'espace, les cinq pays signataires de l'accord initial ont été rejoints par l'Italie en 1990, l'Espagne et le Portugal en 1991, la Grèce en 1992, l'Autriche en 1995, la Finlande, le Danemark et la Suède en 1996, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie et Malte le 21 décembre 2007. Il convient d'ajouter que la Suisse et le Liechtenstein sont devenus des États associés à l'espace Schengen respectivement en 1998 et en 2011.

Quatre États membres, plus récents, de l'Union européenne n'appartiennent pas à l'espace Schengen : il s'agit de Chypre, de la Bulgarie, de la Roumanie et de la Croatie.

Pour être complet, on relèvera que l'Islande et la Norvège, non membres de l'Union européenne, sont néanmoins parties prenantes de la convention Schengen en raison des accords de libre circulation qui les lient aux autres pays nordiques.

La convention d'application de l'accord de Schengen a été quant à elle signée le 19 juin 1990 et est entrée en vigueur le 26 mars 1995.

Le régime de franchissement des frontières par les personnes dans l'espace Schengen a été précisé par un règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 dit « Code frontières Schengen ». Ce code pose un principe général et contient deux principales séries de dispositions. Le principe, c'est celui de l'absence de contrôle des personnes aux frontières intérieures terrestres, maritimes ou aéroportuaires entre les États membres de l'espace Schengen. Les deux catégories de dispositions contiennent, l'une, les règles relatives au contrôle des personnes franchissant les frontières extérieures des États membres de l'espace Schengen, l'autre, les règles applicables au rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures. Ce dernier dispositif a été complété par un règlement du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 qui a prévu un autre cas de réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l'Union dans des « circonstances exceptionnelles ».

Relevons encore que l'accord de Schengen, de même que la convention d'application, s'inscrivait, au départ, dans un cadre juridique autonome par rapport à l'Union européenne et à ses règles communautaires. C'est le traité d'Amsterdam de 1997 qui a intégré le dispositif Schengen dans le cadre juridique de l'Union à compter du 1 er mai 1999.

La réforme de 2013 a introduit une nouvelle procédure en cas de manquements graves dans l'exécution du contrôle aux frontières extérieures. Ce dispositif est précisé aux articles 19 bis, 23, 26 et 26 bis du Code frontières Schengen.

L'article 19 bis prévoit, tout d'abord, une recommandation de la Commission européenne.

S'il est constaté, dans le cadre de l'évaluation d'un État Schengen, des manquements graves dans l'exécution du contrôle aux frontières extérieures, lesquels mettent en péril l'ordre public et la sécurité intérieure de l'espace Schengen, la Commission peut recommander à l'État concerné de prendre certaines mesures.

Ces mesures peuvent comprendre notamment le déploiement d'équipes de gardes-frontières européens ou un renforcement de la collaboration avec Frontex dans le domaine de la planification stratégique ; elle ne saurait toutefois être imposée à un État.

La Commission européenne doit informer régulièrement un comité compétent sur les questions se rapportant aux frontières mais aussi le Parlement européen et le Conseil de l'Union des progrès accomplis dans la mise en oeuvre des mesures.

Si la Commission constate que la situation à la frontière extérieure de l'espace Schengen de l'État signataire concerné ne s'améliore pas dans un délai de trois mois, elle peut déclencher la procédure prévue à l'article 26.

Tel qu'il résulte du nouveau règlement de 2013, le Code frontières Schengen fixe le cadre général de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures (article 23).

L'article 23 bis dispose qu'en cas de réintroduction du contrôle aux frontières intérieures, l'État Schengen concerné doit estimer si une telle mesure est adéquate et si elle respecte le critère de proportionnalité. Cet état doit aussi prendre en compte l'impact probable d'une telle mesure sur la libre circulation des personnes.

Aux termes de l'article 24, lorsqu'un ou plusieurs États Schengen prévoient de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures au motif d'événements prévisibles, ils notifient leur intention aux autres États membres et à la Commission au plus tard quatre semaines avant la réintroduction en précisant les raisons, la portée et le moment, de même que la durée des mesures. Les informations faisant l'objet de la notification doivent être transmises au Parlement européen.

Si nécessaire, la Commission peut demander à l'État Schengen des informations supplémentaires. Toutes ces données seront transmises à la Commission, aux autres États Schengen, au Parlement européen et au Conseil de l'Union européenne

À la suite de la notification, la Commission peut émettre un avis, notamment si elle doute de la nécessité ou de la proportionnalité de la réintroduction prévue. Outre la Commission, chaque État signataire peut, d'ailleurs, émettre un avis au sujet de ladite réintroduction. Ces consultations doivent se dérouler au moins 10 jours avant la réintroduction prévue du contrôle aux frontières intérieures d'un État.

Aux termes de l'article 25, lorsque l'ordre public ou la sécurité intérieure d'un État Schengen requièrent une action immédiate, l'État concerné peut réintroduire immédiatement le contrôle des personnes à ses frontières pour 10 jours au plus. L'État qui décide la réintroduction doit en informer au plus vite la Commission et les autres États signataires. Les mesures ne peuvent plus être prolongées que pour des périodes renouvelables n'excédant pas 20 jours, pendant une durée totale de deux mois au plus.

L'État concerné doit présenter une évaluation de la nécessité et de la proportionnalité des mesures. Toute décision de prolongation requiert l'exécution d'une nouvelle procédure de consultation.

La Commission informe immédiatement le Parlement européen de la mesure adoptée par l'État signataire.

L'article 26 prévoit une recommandation du Conseil de l'Union européenne.

C'est si les mesures recommandées par la Commission européenne ne suffisent pas et si les manquements dans l'exécution du contrôle aux frontières extérieures d'un État Schengen continuent à mettre en péril l'ordre public et la sécurité intérieure de l'espace que le Conseil de l'Union peut recommander à un ou plusieurs des États membres, sur proposition de la Commission, la réintroduction du contrôle de leurs frontières intérieures et ce pour une période de six mois au plus.

En cas de nécessité, les contrôles peuvent être prolongés à trois reprises ( soit une durée totale de deux ans ), sur recommandation du Conseil de l'Union ou, en cas d'urgence, sur recommandation directe de la Commission, de six mois supplémentaires au plus.

Avant que le Conseil de l'Union ne recommande, en dernier recours, aux États Schengen de réintroduire temporairement le contrôle des personnes à leurs frontières intérieures, il estime dans quelle mesure cette approche constitue une réaction adéquate à la menace et s'il respecte le principe de proportionnalité.

Les différents États membres de l'espace Schengen peuvent demander à la Commission de soumettre au Conseil de l'Union européenne une proposition de réintroduction du contrôle aux frontières intérieures. Si un État suit cette recommandation et introduit des contrôles aux frontières intérieures, il doit en informer les autres États ainsi que la Commission. Si un État ne met pas en oeuvre la recommandation du Conseil, il doit en informer la Commission et en préciser les motifs. La Commission informe ensuite le Parlement européen et le Conseil en établissant un rapport sur le sujet.

La nouvelle procédure a pour objet de prévoir des mesures spécifiques lorsque de graves manquements sont constatés sur un tronçon de la frontière extérieure Schengen. Il s'agit, dans le même temps, de s'assurer que la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures satisfait au principe de proportionnalité. Ces mesures ont vocation à n'être utilisées qu'en dernier recours, pour la période et dans une zone géographique limitées sur le fondement de critères objectifs. La nécessité de ce recours est soumise à une évaluation.

Sur les 18 mois de la période printemps 2013-automne 2014, trois États signataires avaient temporairement utilisé les possibilités d'un rétablissement temporaire du contrôle à leurs frontières intérieures. La Belgique, pour une semaine, en raison du sommet du G7, la Norvège, pour une semaine, en raison d'une menace terroriste, et enfin l'Estonie, pour quatre jours à l'occasion de la visite du Président Barack Obama.

L'AGGRAVATION DE LA CRISE DE L'ESPACE SCHENGEN

Au début du mois de février 2016, la Commission européenne a constaté que 8 États membres appliquaient des mesures temporaires de rétablissement des contrôles : le Danemark à ses frontières maritimes et terrestres avec l'Allemagne ; l'Autriche à sa frontière avec la Slovénie et la Hongrie ; l'Allemagne sur sa frontière avec l'Autriche, la République tchèque et la France (Alsace) ; la France dans le cadre de l'état d'urgence, et enfin la Suède, surtout sur les ponts qui la relie au Danemark.

Lors de leur réunion le 25 janvier dernier, face à l'aggravation de la crise migratoire en mer Égée, les ministres de l'intérieur des États membres de l'Union, et plus particulièrement ceux de l'espace Schengen, ont demandé à la Commission européenne de préparer une analyse légale sur l'opportunité de prolonger les contrôles aux frontières intérieures des États membres dans le but de mettre en oeuvre, le cas échéant, l'article 26 du Code frontières Schengen.

Le processus évoqué plus haut se mettra alors en oeuvre. À la mi-mai, date à laquelle les mesures actuelles de contrôle aux frontières intérieures, mises en oeuvre par cinq États membres sur la base des autres dispositions du Code frontière Schengen, prendront fin, un processus de trois mois se mettra en place une fois que la Commission européenne aura remis son évaluation de la zone géographique concernée, c'est-à-dire la Grèce. Pendant ces trois mois, la Commission pourra émettre des recommandations et élaborer un plan d'action en vue de l'amélioration de la situation aux frontières extérieures de la Grèce . C'est dans le cas où la Grèce n'aurait pas appliqué les recommandations ou ne serait pas parvenu à améliorer la situation que l'article 26 pourrait être « activé ».

Il faut aussi compter, depuis quelques semaines, avec les décisions unilatérales des États membres les plus soumis à la pression migratoire sans attendre la mise en oeuvre effective des décisions de l'Union ( « hot spots » renforcés par des agents de Frontex, mise en place opérationnelle du corps européen de gardes-côtes et de gardes-frontières, soutien effectif du Bureau européen de soutien à l'asile...).

En 2015, c'est surtout la Hongrie qui a été montrée du doigt. N'oublions pas qu'en 2014, ce pays s'est trouvé dans le peloton de tête, après l'Allemagne, la Suède, et l'Italie mais avant la France, des pays de l'Union dans lesquels ont été enregistrées des demandes d'asile. Dès le mois de mai 2014, après avoir gagné les élections législatives, le Premier ministre hongrois affichait « l'objectif de mettre fin à l'immigration par tous les moyens » .

En mai 2015, le gouvernement hongrois a mené une campagne de consultation et de communication vis-à-vis de sa population sur le sujet. En août 2015 il a érigé un grillage à sa frontière avec la Serbie. Au mois de septembre, le gouvernement hongrois a envoyé l'armée en renfort à la frontière serbe. Entre janvier et juillet 2015, Frontex a évalué à 100 000 les entrées illégales en Hongrie.

Le 4 septembre 2015, une loi est votée au Parlement hongrois rendant le franchissement de la barrière passible d'une peine d'emprisonnement de trois ans maximum.

Le 17 septembre 2015, le pays commence à ériger une barrière entre la Croatie et la Hongrie. Enfin, au mois de février 2016, le gouvernement hongrois annonce sa volonté d'organiser un référendum national sur la possibilité pour l'Union européenne de relocaliser des étrangers en Hongrie.

Plus récemment, il convient d'évoquer le revirement inattendu de l'Autriche jusqu'alors très « en phase » avec les positions de la République fédérale d'Allemagne. La veille du Conseil européen du jeudi 18 février 2016 sur la crise des réfugiés, dont la principale décision fût de prévoir un nouveau Conseil européen, le 7 mars, avec la Turquie, l'Autriche a décidé de fixer unilatéralement un strict quota quotidien de réfugiés admis sur son sol, soit 80 demandeurs d'asile par jour et 3 200 en transit vers l'Allemagne.

Dans le même temps, la Macédoine commençait à filtrer les arrivants en envisageant un blocage total avec l'aide de la Croatie, de la Hongrie, de la Pologne et de la Slovaquie qui lui ont proposé de l'aide. De fait, dès le 18 février, les polices de Macédoine, de Serbie, de Croatie, de Slovénie et d'Autriche mettaient en place un enregistrement commun de réfugiés arrivant de Grèce à la frontière Macédoine en déterminant, à partir de données biométriques, si lesdits réfugiés provenaient de pays considérés comme dangereux.

Début mars, entre 1 200 et 3 000 réfugiés continuaient d'arriver quotidiennement sur les îles de la mer Égée. 40 % d'entre eux environ, notamment en provenance d'Iran, du Maroc, d'Algérie, de Somalie ou d'Afghanistan, étaient destinés à rester bloqués à la frontière gréco-macédonienne, les autorités macédoniennes n'autorisant le passage qu'aux Syriens et aux Irakiens munis de papiers d'identité (c'est-à-dire un flux quotidien de 100 à 200 personnes seulement).

D'où un grave problème humanitaire pour la Grèce devenue un « cul-de-sac ». À la mi-mars, 15 000 personnes environ étaient « bloquées » à la frontière gréco-macédonienne, en particulier à Idoméni.

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