INTRODUCTION

La loi de programmation des finances publiques définit la trajectoire de l'enveloppe des concours financiers sur la période 2014-2017 en prévoyant une réduction de cinquante milliards d'euros du déficit public sur la durée du triennal. Afin de respecter l'objectif d'une diminution de 11 milliards entre 2015 et 2017, l'enveloppe des concours financiers s'élève en 2016 à 50,24 milliards d'euros. Elle constitue une baisse de 3,2 milliards d'euros par rapport à 2015. Malgré un système de calcul complexe devenu largement obsolète au fil des ans, la Dotation globale de fonctionnement (DGF) est restée le vecteur de la contribution au redressement des comptes publics. En 2016, sa diminution est de 9,25% pour s'établir à 33,2 milliards d'euros.

L'anticipation de cette baisse, couplée à la prudence des exécutifs locaux en période électorale, explique en grande partie la chute de près de 10% des investissements locaux en 2015 , pénalisant grandement la reprise économique sur nos territoires.

Cette baisse des dotations sans précédent n'était plus tenable sans une réforme en profondeur de nos finances locales. Fin 2015, le Gouvernement, conscient de la nécessité d'assainir un système complexe de dotations, a proposé, sur les bases du rapport de la députée Christine Pirès-Beaune, une proposition de réforme de la DGF dont seule l'architecture de base a finalement été votée par le Parlement. En effet, la réforme, telle que proposée ne satisfaisait pas aux conditions de soutenabilité, d'équité et de stabilité attendues.

Cette réforme était nécessaire et attendue mais, pour être réussie, doit pouvoir atténuer les difficultés provoquées par la baisse des dotations et atteindre ses objectifs de soutenabilité.

Vos trois rapporteurs, en s'appuyant sur une expertise, ont procédé à une analyse des fondamentaux de la réforme proposée et de son adéquation avec les objectifs de soutenabilité, compte tenu de l'effort demandé aux collectivités au nom du redressement des comptes publics. Il s'agissait de profiter de la réflexion gouvernementale pour tester des orientations et des solutions conformément aux objectifs fixés pour ce tome III de notre rapport.

Cette baisse des dotations sans précédent a nécessité de la part des collectivités une adaptation qui a atteint ses limites et a rendu encore plus indispensable une réforme de la DGF devenue inéquitable. La réforme proposée, si elle répondait aux objectifs de simplicité, de lisibilité et de meilleure prise en compte des équilibres territoriaux ne répond pas à la réalité des charges et aux objectifs de soutenabilité.

I. MALGRÉ L'EFFORT DES COLLECTIVITÉS PARTICIPANT PLEINEMENT AU REDRESSEMENT DES COMPTES PUBLICS, LA SITUATION ACTUELLE N'EST PLUS TENABLE

L'effort demandé aux collectivités locales au nom du redressement des comptes publics, compte tenu de son caractère uniforme, a un impact sur l'ensemble des collectivités, qui ont dû ponctionner notamment leurs dépenses d'investissement, réduisant ainsi les perspectives de relance de l'économie. L'Association des maires de France (AMF) a pu ainsi estimer que la baisse des dotations aurait pour conséquence de réduire les emplois d'investissement de 35% entre 2013 et 2017 1 ( * ) .

Face à ces risques d'assèchement de l'investissement public local, largement évoqués par les élus locaux lors des échanges avec le Gouvernement, ce dernier a souhaité renforcer son dispositif de soutien aux investissements, notamment par la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) dont l'augmentation de l'enveloppe globale exceptionnelle de 2015 a été maintenue pour 2016 (+200 M Euros). L'objectif clairement affiché est que la contribution au redressement des comptes publics impacte les dépenses de fonctionnement des collectivités sans réduire leurs capacités d'investissement : « Les collectivités locales sont incitées à diminuer leurs dépenses de fonctionnement, à travers la baisse des concours de l'État qui représentera 3,5 milliards d'euros. Parallèlement, l'investissement local est soutenu par la mise en place d'un fonds d'un milliard d'euros. » 2 ( * )

Ce fonds, qui consiste essentiellement en la reconduction de plans de soutien exceptionnels, avait clairement pour objectif de « diriger » les efforts des collectivités vers les seules dépenses de fonctionnement. Si les collectivités ont largement joué le jeu en réduisant leurs charges de fonctionnement, en favorisant les mutualisations et en cherchant des sources de financement multiples, chacune de ces marges de manoeuvre a toutefois ses propres limites.

A. LES EFFORTS DES COLLECTIVITÉS

Les collectivités ont utilisé ces dernières années tous les leviers qui leur permettaient d'assurer les économies nécessaires pour faire face à la baisse des dotations : efforts sur le fonctionnement, mutualisations, investissements retardés ou maintenus au prix de co-financements tout aussi complexes que fragiles.

a) Des efforts sur le fonctionnement

Les collectivités ont ces dernières années largement pris part à l'effort national. Les achats des collectivités ont été revus à la baisse avec des plans spécifiques menés par des équipes spécifiquement formées à la réduction des coûts. Les objectifs en termes d'embauches de personnel ont été revus à la baisse et les excès médiatisés qu'ont pu connaître certaines collectivités appartiennent au passé. Ce travail s'effectue notamment par le biais de réorganisations structurelles en fusionnant certains services, mais également en repensant les priorités de la collectivité au vu de ses différentes compétences 3 ( * ) .

Si ces efforts ont permis de réduire certains excès et d'assainir les pratiques d'achats, ils n'ont pas pour autant permis aux collectivités de faire porter leurs efforts sur les seuls frais de fonctionnement.

De fait, les chiffres varient grandement d'une collectivité à l'autre. Et certaines charges sont d'autant plus incompressibles que, par ailleurs, de nouvelles obligations reposent sur les collectivités. Les frais de personnel restent élevés, et ont pu parfois même connaître une augmentation, mais cet état de fait reste bien souvent la conséquence de décisions qui échappent aux collectivités qui se sont vus imposés des créations ou des transferts de charges (activités périscolaires, transferts en matière d'urbanisme et de droit des sols, accompagnement des politiques de sécurité publique, et bientôt augmentation du point d'indice !...).

De même, certains efforts ne produisent leurs effets que sur le long terme : les regroupements de communes, d'intercommunalités, les fusions d'organigrammes ne produisent leurs pleins effets qu'à l'occasion des départs en retraite, lesquels impactent de manière très différente les collectivités concernées. Ces efforts - réels - n'auront un impact positif sur les comptes des collectivités que dans trois, cinq ou sept ans, alors même que la contribution au redressement des comptes publics a, elle, un impact immédiat.

b) Les mutualisations

Les mutualisations ont également été largement utilisées ces dernières années comme sources d'économies. Les plus visibles sont celles opérées entre communes et intercommunalités avec certains services travaillant désormais tant pour la commune-centre que pour l'intercommunalité et un pilotage des ressources humaines souvent fusionné afin d'avoir une gestion à la fois plus fine et plus efficace en accompagnement au mieux les différents changements qu'une telle réorganisation suscite.

Mais d'autres mutualisations se sont fortement développées ces dernières années, y compris entre communes, et concernant des domaines aussi variés que la voirie, l'informatique et le groupement d'achats. Des gains tout autant qualitatifs que quantitatifs ont pu être ainsi dégagés.

Un premier bilan des bonnes pratiques en la matière a pu être réalisé par l'Inspection générale de l'administration et de l'Inspection générale des finances dans un rapport co-piloté par l'Association des Maires de France et le ministère de la Décentralisation et de la Fonction Publique publié en mai 2015 4 ( * ) et ayant pour objectif de servir de guide pratique en la matière. Sur certains achats, des gains pouvant aller jusqu'à 45% de la valeur a pu être réalisé. Un autre exemple cité dans ce rapport est celui de financements communs qui n'auraient pas pu être réalisés autrement que par un achat groupé.

L'effort des collectivités en la matière est réel et obtient des résultats concrets. Il permet aux collectivités de garder dans certains cas une qualité de service mise à mal par la baisse des dotations.

c) Des investissements systématiquement à financements multiples

Globalement, l'effort des collectivités a largement affecté l'investissement public en 2015, qui a reculé de 10%, ce qui correspond à 4,6 milliards de moins pour l'économie locale par rapport à 2014.

Les plans de financement des investissements deviennent de plus en plus complexes à réaliser et difficiles à tenir. Les projets de construction sont ainsi largement le fruit d'une coopération financière entre l'État, différentes collectivités locales et différents organismes prêteurs. Ces dispositifs restent excessivement fragiles avec la remise en cause de la compétence générale pour certaines collectivités et le désengagement de certains organismes de crédit. Les initiatives les plus récentes et les plus innovantes en la matière proviennent des collectivités elles-mêmes avec la création de l'Agence France Locale , capable de lever des fonds directement pour ses collectivités adhérentes.

Pour les investissements de moindre importance, certaines communes font même appel à la population directement avec l'organisation de journées citoyennes pour rénover tel ou tel mur ou tel ou tel chemin.

Malgré ces efforts, certaines collectivités non seulement n'arrivent plus à investir mais ont du mal à assurer leur fonctionnement. Les hausses d'impôts deviennent inévitables, y compris dans les grandes villes, qui étaient 37% en 2015 à avoir dû actionner le levier fiscal 5 ( * ) .

Ces efforts et ces difficultés persistantes se traduisent désormais par un sentiment de grande impuissance de la part de certains élus qui n'hésitent pas à démissionner, notamment dans les zones rurales où les marges de manoeuvre budgétaires sont devenues inexistantes.


* 1 Analyse prospective de l'AMF, réalisée le 25 mai 2015, basée sur le seul bloc communal.

* 2 Extrait du conseil des ministres du 30 septembre 2015.

* 3 « Les 22 créations de poste prévues au budget 2016 sont partiellement financées par 9 suppressions et 10 modifications découlant de réorganisations ou de non-remplacements, et par des gels liés à des réorganisations en cours (...) . Nous utilisons bien la mobilité interne comme levier d'économies, au même titre que le "requestionnement" des postes vacants. » Clarence Padagas, directrice générale adjointe « Pilotage des ressources et relations sociales de Villeurbanne », vice-présidente de l'association des DRH des grandes collectivités, citée par la Gazette des Communes du 25 janvier 2016.

* 4 « La mutualisation au service des communes, des intercommunalités et de leurs établissements ».

* 5 Étude du Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales publiée en septembre 2015.

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