II. LA PLACE DU POLITIQUE : QUELLE GOUVERNANCE POUR L'EAU ?

On l'a vu, s'ils ont été élaborés progressivement, les principes fondateurs de la politique actuelle de l'eau en France tirent leur origine de la loi de 1964. C'est depuis cette époque que la ressource en eau est gérée à une échelle cohérente sur les plans géographiques et hydrologiques, par grands bassins versants et non en fonction des frontières administratives.

Formalisé dans le contexte de forte croissance économique des Trente Glorieuses, lequel s'accompagnait d'un doublement de la consommation d'eau tous les quinze ans, le but premier de la politique française de l'eau fut de donner accès à la ressource à l'ensemble des citoyens. À l'aide d'investissements publics massifs, le territoire a donc été équipé de vastes réseaux de production et de distribution d'eau potable, ainsi que d'assainissement des eaux usées 157 ( * ) .

Afin de gérer ces équipements et les investissements à venir, un système de gestion original a été mis en place dès cette époque, devenu le modèle de gouvernance qui s'est imposé à tous les États membres de l'Union européenne. Ce système se définit par une gestion fortement déconcentrée et « intégrée » par bassin hydrographique. Sa gouvernance multi-acteurs implique les comités de bassin, qualifiés cérémonieusement de « parlements de l'eau » alors qu'ils ne sont qu'une instance consultative, et les agences de l'eau, organismes exécutifs sous tutelle ministérielle.

Parce qu'elle recouvre un large éventail de secteurs à des échelles géographiques différentes, du niveau local au niveau transfrontalier, la gouvernance apparaît comme une question centrale .

A. LA GESTION PAR BASSIN, À LA FRANÇAISE, RESTE PERFECTIBLE

Lors de sa réunion du 18 décembre 2012, le Comité interministériel de modernisation de l'action publique a lancé l'évaluation de quarante « politiques publiques partenariales avec l'ensemble des acteurs concernés - État, collectivités, organismes sociaux et opérateurs -, pour construire une vision collective des enjeux, des finalités, et des modalités de mise en oeuvre de chaque politique publique » 158 ( * ) . C'est dans ce cadre qu'a été engagée une évaluation de la politique de l'eau, pour nourrir les réflexions de la conférence environnementale qui s'est tenue les 20 et 21 septembre 2013.

Ce travail a été mené par une équipe dirigée par Anne-Marie Levraut 159 ( * ) , ingénieure générale des ponts, des eaux et des forêts. Parallèlement, le Gouvernement a demandé à Michel Lesage 160 ( * ) , député des Côtes d'Armor, l'établissement d'un rapport sur ce même sujet de l'évaluation de la politique de l'eau, tandis qu'il confiait à Philippe Martin, député du Gers, une mission sur la gestion quantitative de l'eau.

En tant que principal organe de consultation, le Comité national de l'eau a de son côté mis en place un groupe de travail sur l'évaluation de la politique de l'eau en nourrissant une réflexion sur le diagnostic et les scénarios de réforme de cette politique.

1. Un émiettement des responsabilités...

Comme le souligne le rapport d'analyse conduit par Anne-Marie Levraut, « si la coordination des acteurs de l'eau et la planification sont efficaces au niveau des bassins, la mise en oeuvre locale est peu efficiente car elle reste confrontée à une difficulté d'appropriation des enjeux , à un émiettement des responsabilités et à une organisation inadaptée qui ne favorisent ni la construction d'une vision stratégique partagée ni la déclinaison opérationnelle en actions sur le terrain ».

Pour Michel Lesage, ce paysage administratif morcelé se retrouve à tous les niveaux : central, régional et départemental. Il note : « Sans abuser de l'image du "mille-feuilles", l'organisation administrative et politique de l'eau en France, composée d'une multiplicité de structures aux compétences variables , aux territoires divers, aux approches différentes (fonctionnelle ou structurelle), génère une multitude de circuits de décisions qui rendent difficile le pilotage de l'État, dans un contexte où désormais l'Europe joue un rôle déterminant avec ses directives. »

Un tel éclatement issu de cette double verticalité de la gouvernance, à la fois fonctionnelle et institutionnelle , n'a pas joué en faveur d'une approche globale et transversale des enjeux. Au final, il est parfois difficile de savoir qui décide et quoi.

Privilégier une gestion intégrée dans le domaine de l'eau devrait favoriser la transversalité et éviter cette approche en « tuyaux d'orgue » préjudiciable à tous les niveaux.

2. ...mais, en même temps, une centralisation excessive

Les élus des collectivités territoriales jouent un rôle essentiel dans la gouvernance de l'eau. Ils sont présents localement, là où se concrétisent les actions, au travers des commissions locales de l'eau, mais également à l'échelle de leur bassin hydrographique, au travers des comités de bassin, là où se décident les grandes orientations de gestion de l'eau et des milieux aquatiques. L'étroitesse des liens qui unissent le grand et le petit cycle de l'eau légitiment d'autant plus leur place centrale dans le cadre de la gouvernance de l'eau.

Pourtant, leur volonté de mobilisation sur tous ces sujets est freinée par le sentiment d'une centralisation excessive de la politique de l'eau au niveau de l'État et de ses services déconcentrés . Il existe ainsi, dans le cadre même d'une gouvernance supposée décentralisée, une relation ambivalente à l'État et à la réglementation qu'il édicte.

Selon une enquête menée en 2013 161 ( * ) , la moitié des élus locaux interrogés jugent difficiles leurs relations avec les services de l'État, notamment les Dreal, et plus d'un tiers d'entre eux considèrent que ceux-ci empiètent sur leurs responsabilités, tout en estimant à une large majorité que l'État doit réinvestir son rôle d'appui technique.

Le poids de l'État s'illustre également par la ponction qu'il exerce sur le budget des agences de l'eau. Il est en effet prévu un prélèvement annuel de 175 millions d'euros sur le fonds de roulement des agences de l'eau pour les années 2015 à 2017. Jean Launay 162 ( * ) regrette ce « jacobinisme latent de l'État en matière de finances », qui constitue « une sorte de double peine pour le financement de la politique de l'eau » dans la mesure où il y a « moins de moyens et plus d'actions à mener par l'élargissement du champ d'intervention, avec la Gemapi et la biodiversité » 163 ( * ) . Pour l'Association des maires de France, cette ponction ampute les capacités d'investissement et les moyens humains des agences de l'eau et retarde l'atteinte des objectifs de la DCE 164 ( * ) .

3. Donner plus de flexibilité et de place aux acteurs locaux

Il importe de préserver un cadre législatif suffisamment souple pour s'adapter à l'intelligence des territoires, à leur histoire sociale, économique et culturelle. L'enjeu se résume ainsi : « Penser globalement, agir localement 165 ( * ) . »

Outre les élus, c'est l'ensemble des acteurs de la société civile qui, sur le plan local, doit voir sa place et son rôle confortés.

À cet égard, il convient de saluer la création, portée par l'Association climatologique de la Moyenne-Garonne, d'un Cluster Eau & Adaptation au changement climatique , qui a pour objet la promotion et le développement économique de la filière eau et des solutions permettant de s'adapter au changement climatique de manière durable. Cette démarche vise à renforcer l'expérimentation sur le territoire de l'agglomération d'Agen, à développer une dynamique de recherche et d'innovation pour les PME du territoire, et à leur faciliter l'accès à de nouveaux marchés. À cet effet, une convention de partenariat a été signée avec le conseil départemental de Lot-et-Garonne. Le Cluster s'articule autour de trois axes structurants : la gestion de la ressource en eau ; l'agriculture de précision ; et la climatisation durable des villes.

Une question :

Pourquoi ne pas confier plus de responsabilités aux territoires et renforcer la démocratie locale par des procédures davantage participatives et concertées, notamment en ce qui concerne la résolution des conflits d'usages ?


* 157 Pour une gestion durable de l'eau en France, Volet 1 : Quelle rationalisation des dépenses pour les acteurs de la politique de l'eau ? - France stratégie - Note d'analyse n° 326 - Avril 2013.

* 158 Extrait de la feuille de route du Gouvernement arrêtée à l'issue du séminaire gouvernemental du 1 er octobre 2012 relatif à la modernisation de l'action publique.

* 159 Audition du 3 novembre 2015.

* 160 Audition du 9 juin 2015.

* 161 Enquête sur les « élus de l'eau » - Irstea - 2013.

* 162 Audition du 29 septembre 2015.

* 163 Conclusion du colloque du 15 janvier 2015 organisé par le Cercle français de l'eau sur le thème « Rénover le modèle français de l'eau : Faut-il s'inspirer de nos voisins européens ? ».

* 164 Voir, en annexe, la contribution écrite de l'Association des maires de France.

* 165 Audition d'Anne-Marie Levraut, ingénieure générale des ponts, des eaux et des forêts - 3 novembre 2015.

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