B. DES OUTILS DE GESTION À CONFORTER

1. Le projet de territoire, un essai à transformer

La loi NOTRe prévoit que les régions peuvent se voir attribuer tout ou partie des missions d'animation et de concertation dans le domaine de la gestion et de la protection de la ressource en eau et des milieux aquatiques lorsque l'état des eaux de surface ou des eaux souterraines présente des enjeux sanitaires et environnementaux justifiant une action coordonnée des différents sous-bassins hydrographiques de la région.

Il n'en demeure pas moins que le découpage administratif régional apparaît comme insuffisant pour traiter la question spécifique de l'eau et de la trame bleue. Il importe de territorialiser la politique de l'eau, en promouvant des solutions collaboratives et pragmatiques, partagées par tous les acteurs du territoire . La lettre de mission adressée à Philippe Martin insistait sur la nécessité de « proposer une méthodologie permettant d'asseoir des dynamiques locales débouchant sur des solutions adaptées ». Le territoire est le lieu d'articulation des politiques publiques, c'est à cette échelle qu'il faut rechercher l'équilibre entre les trois piliers du développement durable que sont l'environnement, l'économique et le social.

Dans l'esprit de Philippe Martin, le projet territorial vise à « soutenir une démarche de concertation dans un territoire déterminé (le plus souvent un sous-bassin versant), en vue d'encourager l'élaboration d'un projet collectif ». Comme il le reconnaît lui-même, c'est une notion qui n'est pas complètement nouvelle puisque un certain nombre de territoires ont d'ores et déjà engagé des initiatives similaires.

L'objectif est de mobiliser un certain nombre de leviers pour obtenir l'équilibre recherché, en agissant « non seulement sur le stockage de l'eau, mais aussi sur la demande et les économies d'eau ». En la matière, l'implication du monde agricole sera déterminante.

La conférence environnementale de 2013 a consacré cette notion de projet de territoire en vue de conjuguer la sécurisation à court terme et la gestion à long terme de la ressource en eau. Elle a conditionné la levée du moratoire sur le financement des stockages d'eau par les agences de l'eau à leur intégration dans des projets territoriaux, qui s'est concrétisée au travers d'une instruction gouvernementale en date du 4 juin 2015. Cette dernière en apporte la définition suivante : « Un projet de territoire vise à mettre en oeuvre une gestion quantitative de la ressource en eau reposant sur une approche globale de la ressource disponible par bassin versant. Le projet de territoire est un engagement entre les acteurs de l'eau permettant de mobiliser à l'échelle d'un territoire les différents outils qui permettront de limiter les prélèvements aux volumes prélevables et donc de respecter une gestion quantitative équilibrée de la ressource en eau en prenant en compte la qualité chimique et écologique des milieux aquatiques et en s'adaptant à l'évolution des conditions climatiques, tout en visant à accroître la valeur ajoutée du territoire 166 ( * ) . »

Pour résumer, le projet de territoire constitue une piste intéressante pour favoriser une concertation en amont des choix stratégiques, élaborer un diagnostic équilibré et partagé des besoins en eau du territoire, envisager des solutions adaptées pour y répondre. Outre la nécessaire préservation de la qualité de l'eau, cela supposera de veiller à la fois à économiser la ressource et à l'augmenter, pour faire face aux pics de besoins et prévenir les conflits d'usages.

2. La Gemapi, une compétence à clarifier

L'instruction interministérielle du 21 octobre 2015 adressée aux préfets précise la conduite à tenir afin d'accompagner les collectivités dans leur prise de compétence en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi). Cette compétence a été attribuée de manière exclusive et obligatoire au bloc communal (commune ou EPCI 167 ( * ) à fiscalité propre) par la loi Maptam. Son entrée en vigueur, prévue initialement au 1 er janvier 2016, a été reportée par la loi NOTRe au 1 er janvier 2018. Les missions opérationnelles associées à la compétence Gemapi font partie des activités listées aux alinéas 1°, 2°, 5° et 8° du I de l'article L. 211-7 du code de l'environnement :

- l'aménagement d'un bassin ou d'une fraction de bassin hydrographique ;

- l'entretien et l'aménagement d'un cours d'eau, canal, lac ou plan d'eau, y compris les accès à ceux-ci ;

- la défense contre les inondations et contre la mer ;

- la protection et la restauration des sites, des écosystèmes aquatiques et des zones humides ainsi que des formations boisées riveraines (notamment la restauration de la continuité écologique).

Ne sont pas transférés les pouvoirs de police générale du maire, de police de la salubrité des cours d'eau et de police de la conservation des cours d'eau.

L'instruction indique que « l'attribution de cette compétence au bloc communal permettra d'assurer sur l'ensemble du territoire national, un lien étroit et pérenne entre la politique d'urbanisme et les missions relatives à la prévention des risques et à la gestion des milieux aquatiques ». Avant la loi Maptam, la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations étaient constituées de missions facultatives partagées entre les collectivités et leurs groupements, ce qui conduisait à des schémas organisationnels illisibles 168 ( * ) . L'enjeu, apparu comme prioritaire dans le cadre de la feuille de route gouvernementale issue de la conférence environnementale de 2013, était donc celui de structurer les maîtrises d'ouvrage locales.

Par ailleurs, elle précise que « la création et l'attribution de la compétence Gemapi aux communes n'alourdit pas leur responsabilité en la matière. Au contraire, la réforme vient clarifier le droit applicable et offre les outils juridiques et financiers nécessaires à un exercice efficace de ces responsabilités ». Un récent arrêté du 20 janvier 2016 impose d'incorporer dans les Sdage, avant la fin de 2017, une « stratégie d'organisation des compétences locales de l'eau ».

Les communes ou EPCI à fiscalité propre peuvent transférer tout ou partie de leur compétence Gemapi à des établissements publics d'aménagements et de gestion des eaux constitués au niveau des sous-bassins versants ou à des établissements publics territoriaux de bassin constitués au niveau des groupements de sous-bassins.

Les collectivités peuvent tout à fait se doter de compétences complémentaires qui n'entrent pas dans le champ de la réforme (maîtrise des eaux pluviales, gouvernance locale de l'eau, etc.). Quant au droit de propriété des cours d'eau, des droits d'usage et des obligations afférentes, il demeure inchangé.

Avant la réforme, les collectivités finançaient leurs actions par leurs fonds propres ou, éventuellement, des redevances pour service rendu. Désormais, elles ont la possibilité de lever « une taxe Gemapi » facultative, plafonnée, à 40 euros par an et par habitant, et exclusivement affectée aux missions de la Gemapi. Ainsi, ce dispositif offre une faculté de fléchage des ressources financières au sein de la fiscalité locale 169 ( * ) .

Cette nouvelle approche se trouve en harmonie avec l'idée de gérer l'urbanisme au niveau intercommunal, grâce au PLUI 170 ( * ) , la gestion des sols étant l'une de ses composantes indispensables.

Une question :

Si la Gemapi entend favoriser l'émergence de relais locaux, les collectivités concernées seront-elles prêtes à assumer cette nouvelle compétence ?

3. La mise en concurrence des concessions hydroélectriques, une opération à mener avec vigilance

Le parc hydroélectrique français fonctionne sous le régime de la concession. Pour la plupart, les concessions sont soumises à un cahier des charges rédigé selon un modèle qui a été approuvé en 1920, aux termes duquel le concessionnaire construit l'ouvrage et l'exploite pendant une durée maximale de soixante-quinze ans. Dans le cadre d'un renouvellement de concessions, cette durée est généralement inférieure, de l'ordre de trente à quarante ans. Le cahier des charges, dont un nouveau modèle a été approuvé en 1999, confie de larges prérogatives au concessionnaire, tout en confirmant l'État comme propriétaire de ces ouvrages.

D'ici à 2023, environ soixante de ces contrats arriveront à échéance. Or les conditions de leur renouvellement ont beaucoup évolué au cours des années écoulées. Le droit de « préférence » aux concessionnaires sortants, instauré en 1919 171 ( * ) , a tout d'abord été supprimé par la Lema de 2006. Puis la loi Nome 172 ( * ) de 2010, qui a entériné la libéralisation du marché de l'électricité, a imposé une remise en concurrence de ces contrats de concession lorsqu'ils arrivent à échéance.

Entre 2010 et 2015, le processus de renouvellement de ces contrats s'est complètement enlisé, pris en tenaille entre, d'un côté, des défenseurs de la position d'EDF et/ou des opposants au processus de libéralisation de ce secteur clé de la production d'énergie et, de l'autre, les nécessités d'une ouverture à la concurrence attendue de pied ferme par la Commission européenne.

Après plus de cinq ans d'atermoiements, la loi relative à la transition énergétique du 17 août 2015 a posé un cadre pour avancer. Plusieurs textes d'application sont parus ou sur le point de paraître. Les premiers appels d'offres seront lancés en 2016.

Pour chaque renouvellement de concession, l'État choisira le candidat qui aura fait la meilleure offre selon trois critères : énergétique, environnemental et économique.

Sur le plan énergétique et, simultanément, celui de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, la mise en concurrence incitera les candidats à proposer des investissements importants de modernisation des installations existantes et de nouveaux équipements pour augmenter la performance de cette énergie renouvelable.

Sur le plan environnemental, les candidats devront proposer une meilleure protection des écosystèmes tout en respectant les usages de l'eau autre qu'énergétiques : protection des milieux aquatiques, soutien d'étiage, irrigation,...)

Sur le plan économique, les candidats devront proposer un taux pour la redevance proportionnelle au chiffre d'affaires de la concession dont le bénéfice reviendra à l'État et aux collectivités locales.

L'objectif du renouvellement des concessions est donc la mise en oeuvre concrète des engagements du Grenelle de l'environnement en matière de production d'électricité renouvelable ainsi qu'en matière d'amélioration de la protection de l'environnement.


* 166 Instruction du Gouvernement du 4 juin 2015 relative au financement par les agences de l'eau des retenues de substitution.

* 167 Établissement public de coopération intercommunale.

* 168 Dénoncés, entre autres, par Pierre-Yves Collombat, dans le rapport d'information Sénat n° 775 (2011-2012) du 24 septembre 2012, fait au nom de la mission commune d'information sur les inondations qui se sont produites dans le Var, et plus largement, dans le Sud-Est de la France au mois de novembre 2011.

* 169 Xynthia 5 ans après : Pour une véritable culture du risque dans les territoires. Rapport d'information Sénat n° 536 (2014-2015) du 18 juin 2015, fait par François Calvet et Christian Manable au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

* 170 Plan local d'urbanisme intercommunal.

* 171 Loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique.

* 172 Loi du 7 décembre 2010 portant organisation du marché de l'électricité.

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