Première table ronde Secteurs structurants traditionnels et dynamiques en marche

Animateur de la table ronde Jean-Pierre PHILIBERT, Président de la Fédération des entreprises d'outre-mer (Fedom)

Jean-Pierre PHILIBERT, Président de la Fédération des entreprises d'outre-mer (Fedom)

Mesdames et Messieurs,

Je souhaiterais à mon tour remercier le Président du Sénat, Gérard Larcher, mon cher Michel Magras et la Délégation sénatoriale à l'outre-mer. Cette journée consacrée à l'économie de nos territoires promet d'être importante, non seulement par les débats que nous aurons, mais également par les actes qui seront publiés et nous permettront de mieux parler de nos territoires.

Vous avez raison de dire, Monsieur le Président, que ce dont nous souffrons le plus, et peut-être le défi le plus important que nous ayons à relever, est celui de la connaissance ou de la perception par nos compatriotes de l'Hexagone des réalités de nos territoires.

Le thème choisi pour cette conférence, autour des défis et opportunités pour les collectivités françaises des Amériques, résume bien nos préoccupations. Nos défis sont nombreux et nous les connaissons. Ils ont d'ailleurs été codifiés dans l'article 349 du traité de fonctionnement de l'Union européenne. Cet article détaille nos « handicaps permanents » : l'éloignement, les micro-marchés et les risques naturels en tous genres (climatiques, cycloniques, sismiques, volcaniques, etc.). C'est précisément la permanence et la combinaison de ces risques qui autorisent les États à mener des politiques de « compensation ». Du reste, je n'apprécie guère le terme de « compensation » et je crois qu'il conviendrait de le bannir de notre vocabulaire.

À juste titre, vous avez également évoqué, Monsieur le Président, en des termes mesurés, notre sentiment à l'égard de l'Europe. Vous avez parlé « d'ambivalence ». Notre sentiment est effectivement que l'Europe n'a pas ou n'a plus le regard de solidarité que nous avons connu par le passé vis-à-vis de nos territoires. En pratique, les règles du règlement général d'exemption par catégorie (RGEC), si nous les avions acceptées telles que formulées initialement par la Commission européenne, auraient tiré un trait sur la production locale des outre-mer, qui demeure la matrice de l'économie de nos territoires. Telle est la bataille que nous continuons de mener, avec nos amis d'Eurodom, le Gouvernement français et les élus. Cette bataille pour maintenir les dispositifs de compensation de nos handicaps est la mère de toutes les batailles.

Ce combat difficile et complexe, Mesdames et Messieurs les parlementaires, nous le gagnerons tous ensemble. Je salue à cette occasion le sénateur Patient, qui s'est saisi de ce dossier avec beaucoup de talent et de pugnacité, au nom de la coordination des représentations des outre-mer. Notre plus grand défi est ainsi celui de la connaissance ou de la reconnaissance de ce que nous sommes.

Nos opportunités sont également nombreuses. Tel est précisément ce qui me rend extraordinairement confiant au moment de célébrer le 30 e anniversaire de la Fedom. Et je salue fraternellement les nombreux chefs d'entreprises venus de tous les territoires pour prendre part à cette conférence.

Trois opportunités majeures se dessinent aujourd'hui pour nos territoires. La première se trouve être celle des ports. Nous avons cette chance extraordinaire d'avoir le deuxième domaine maritime au monde. Nous ne sommes pas encore la deuxième puissance maritime mondiale, mais nous y parviendrons lorsque nous saurons développer les politiques nous permettant de tirer parti de notre domaine maritime et de notre positionnement sur tous les grands courants d'échanges mondiaux. Nous parlerons aujourd'hui de Saint-Pierre-et-Miquelon, aux portes de la côte Est des États-Unis et du Canada, de la Caraïbe et de la Guyane. Et que dire de notre présence dans l'océan Indien, avec bientôt 40 millions de francophones.

Notre deuxième opportunité, qui constitue tout autant un défi, est celle de notre jeunesse. Nos jeunes sont encore trop nombreux à partir pour trouver un emploi. Pour peu que nous arrivions à changer de moteur, cette jeunesse a néanmoins vocation à structurer des filières d'excellence dans nos territoires, autour des domaines de l'énergie et de la biodiversité notamment, pour développer des relations économiques fortes avec nos voisins. La dernière Conférence de coopération régionale à Cayenne a mis en évidence ces perspectives d'échanges avec un ensemble de pays longtemps considérés comme des concurrents aux faibles coûts salariaux sur nos secteurs traditionnels. C'est aussi parce que ces pays se développent qu'ils auront besoin de nos filières d'excellence.

Enfin, notre troisième opportunité majeure est celle du formidable dynamisme des entrepreneurs ultramarins. Proportionnellement, il se crée plus d'entreprises dans les territoires d'outre-mer qu'en France métropolitaine. Nous ne le disons pas suffisamment. J'aimerais que nos territoires ne soient plus considérés qu'à travers le prisme des Jeux Olympiques et des équipes de France, mais aussi comme des champions du dynamisme entrepreneurial.

Nous tenterons, dans le cadre de cette journée, de décliner ces atouts et ces opportunités pour nos territoires.

Karine CLAIREAUX, Sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon

L'archipel de Saint-Pierre et Miquelon d'une superficie totale de 242 km² est situé à moins de 25 km au sud de l'île de Terre-Neuve, sur la côte Est du Canada et à 4 750 km de Paris.

Les Îles Saint-Pierre et Miquelon sont connues depuis longtemps puisque, lors de son passage en juin 1536, Jacques Cartier y trouva des navires de France et de Bretagne. D'abord base de pêche saisonnière pour les pêcheurs de morue qui arrivaient au printemps puis repartaient à l'automne, l'archipel accueillit très vite des habitants permanents.

L'animosité et les guerres entre la France et l'Angleterre ont soumis cette population à des raids, expulsions et pillages aussi douloureux que fréquents.

En 1814, comme suite au Traité de Paris et à la fin des guerres napoléoniennes, la France reprenait possession des Îles Saint-Pierre et Miquelon. Le 22 juin 1816, l'Angleterre cédait officiellement l'archipel à la France.

Le retour des habitants à Saint-Pierre et à Miquelon marquait le début d'une nouvelle ère pour l'archipel. Il fallut, dans des conditions particulièrement difficiles, reconstruire ce que le temps, les incendies et les pillages avaient détruit. Nos ancêtres y mirent un tel entrain qu'en 1820 Miquelon avait son église et terminait la construction de sa première goélette et que Saint-Pierre disposait d'une cale, d'une église et d'un hôpital. Tout cela pour vous expliquer aussi le caractère tenace de mes compatriotes.

Par l'organisation du Bicentenaire de la rétrocession de l'archipel à la France, la population a tenu à célébrer son histoire et à manifester son attachement à la Mère patrie. Beaucoup de festivités ont d'ores et déjà été organisées et tout un programme est encore prévu pour l'année 2016, avec un pic d'activités autour du 22 juin et aussi en octobre avec un forum économique. C'est pour moi l'occasion de vous y inviter...

Dans le passé, Saint-Pierre et Miquelon a connu une réelle prospérité. L'archipel a oscillé entre des périodes de prospérité, comme la période de la grande pêche au début du XX e siècle, la prohibition dans les années 20 à 30 ou encore la pêche industrielle pendant les années 60 à 90 ; et des périodes de déclin marquées par de profondes crises, accompagnées de vagues d'émigration.

Après chacune de ces crises, l'archipel a su rebondir en s'appuyant sur l'économie maritime. Les périodes de prospérité ont été directement liées à l'exploitation d'une ressource locale, valorisée sur place, et destinée à être commercialisée sur le marché mondial. Cette prospérité a également découlé de la capacité à développer des services au niveau de l'accueil, l'entretien et l'avitaillement des navires, pour n'en citer que quelques-uns.

Sur la période récente, la fin de la pêche industrielle a bouleversé la structure économique de l'archipel jusqu'alors basée sur une filière unique, les activités marchandes liées à la mer cédant progressivement le pas principalement aux services administrés et à une économie de consommation tournée vers son marché intérieur.

Le recentrage de l'économie sur son marché intérieur a créé une rupture qui limite sa capacité de croissance aux besoins de la population et qui la rend fortement dépendante des ressources publiques externes. Le dynamisme local est également freiné par des contraintes internes liées à l'insularité et à l'isolement de l'archipel (aléas climatiques, délais de livraison, surcoûts, etc.).

La mer reste cependant un pilier de la vie comme de l'économie de l'archipel. Il ne faut pas se voiler la face, l'économie maritime peine à reprendre, mais il est impensable de parler de Saint-Pierre et Miquelon en laissant de côté cette formidable opportunité que sont la mer qui nous entoure et le contexte géographique qui est le nôtre.

Certes, l'activité de pêche est devenue plus marginale, mais les quotas existent bel et bien et nous permettraient de faire vivre les deux pôles de pêche que sont Saint-Pierre et Miquelon.

Le développement de l'aquaculture est encore restreint mais notamment avec la Royale de Miquelon, un pétoncle géant peut devenir un véritable relais de diversification économique.

L'activité portuaire est limitée, mais notre positionnement géographique peut lui donner de belles opportunités avec des installations qui devront être rénovées - Port d'État - et répondre aux besoins de la pêche, du transbordement, de la croisière, du carénage et de l'entreposage de petits yachts nord-américains.

L'archipel dispose d'atouts indéniables et bien des projets ouvrent de nouvelles perspectives de développement. Ils permettraient de désenclaver l'archipel, de redynamiser l'activité de pêche et de transformation, d'utiliser l'énergie des mers ou encore, comme le projet de hub de transbordement de containers de grands transatlantiques, seraient sources d'emplois directs et indirects et redynamiseraient l'économie.

Et une chose enfin dont personne sur l'archipel ne s'est encore préoccupé : tout n'est pas question de latitude ou de météo, embrasser Saint-Pierre-et-Miquelon, c'est aussi embrasser la nordicité de notre pays. Notre archipel est Atlantique par son histoire, il peut être Arctique par son futur !

Alors que le PIB de l'Arctique pourrait tripler à la faveur des bouleversements climatiques d'ici à 2035, la France - grâce à Saint-Pierre et Miquelon - peut s'y positionner comme un outsider crédible de par sa capacité de projection géoéconomique et son excellence technologique en milieu polaire. Les ingénieurs français sont recherchés pour leur qualité. Les entreprises françaises sont demandées car elles ont les meilleurs standards écologiques.

Quel est notre potentiel, nous petit archipel de 6 000 âmes ? Nous sommes le PTOM le plus proche du marché américain et le seul en Arctique à être dans la zone euro avec une autonomie fiscale par rapport à notre métropole. Nous pourrions être un centre de recherche appliquée en bioprospection marine dans le Grand Nord. Nous pourrions être une base de contrôle et de maintenance de drones pour les opérateurs arctiques. Nous pourrions être un centre financier à la fiscalité très avantageuse pour les opérateurs écologiques et respectueux des peuples arctiques, spécialisé dans les assurances environnementales, recréer la première bourse de droits d'émission carbone. Nous pourrions créer un sous-registre du Registre international français (RIF) spécialement conçu pour attirer les opérateurs maritimes polaires. Notre Grand Port Maritime pourrait être la base avant de ports canadiens ou américains vers l'Arctique. Nous pourrions accueillir une véritable ambassade des pôles. Nous pourrions développer un tourisme haut de gamme pour les américains qui veulent se promener dans la seule forêt boréale française ou accueillir les Français qui veulent voir des lièvres arctiques, des baleines, des macareux ou des petits pingouins plutôt que de laisser ce marché aux islandais. Nous pourrions nous vendre auprès des innovateurs du monde entier comme « l'archipel de l'innovation » où chacun pourrait venir en résidence développer son idée, sa start-up , puis la vendre. Nous avons tant à faire autour du polaire, tant à offrir : SPM c'est à la fois le porte-avion de la France en Arctique et le pont entre la zone euro et le marché américain.

Si le Dakota du Nord, situé à la même latitude que le Pays basque, arrive à mieux vendre ses aurores boréales aux touristes américains que l'Islande, le Groenland ou la Laponie, c'est bien que tout est possible à ceux qui s'engagent et investissent. Alors, allons-y !

Roger HÉLÈNE, Président du MEDEF et de la Fédération du BTP de Saint-Pierre-et-Miquelon,

Il est peut-être peu commun de parler du bâtiment et des travaux publics (BTP) dans un territoire où a régné la fabuleuse histoire de la Grande Pêche.

Comme exposé lors de l'une de mes récentes interventions, cet archipel a dû se rebâtir à plusieurs reprises lorsqu'il a été dévasté par les Anglais entre 1700 - 1800 ; ce n'est qu'en 1816 que Saint-Pierre-et-Miquelon fut rétrocédé définitivement à la France.

De fait, les premiers bâtisseurs de l'archipel sont issus de ces pêcheurs venus pratiquer le métier de la grande pêche. Les premières habitations furent bien sûr construites en bois, juxtaposées les unes aux autres pour lutter contre le froid. Cependant, à la suite de plusieurs incendies, notamment celui de 1867 qui détruisit les deux tiers de la ville de Saint-Pierre, le mode constructif évolua et il fut décidé de bâtir avec des façades de pierres et de briques et des enduits de ciment.

Le secteur du BTP occupe aujourd'hui près de 11 % de la population active et représente 27 % des emplois du secteur privé de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Il s'agit du troisième secteur économique de notre territoire, malgré la disparition de 25 % de ses entreprises depuis les années 2000, du fait notamment d'un affaiblissement de la commande publique. En outre, ce secteur est celui qui emploie le plus durant la saison estivale.

Comme dans tous les territoires ultramarins, le secteur du BTP de Saint-Pierre-et-Miquelon rencontre des difficultés, en lien avec un manque de visibilité, des carnets de commandes insuffisants, des problématiques d'embauche et un code du travail inadapté. De plus, nous sommes contraints d'essayer de nous développer uniquement sur notre territoire, sans possibilité de nous projeter vers l'extérieur, vers le Canada notamment.

Le climat rigoureux de la région, qui nous paralyse durant 4 mois en saison hivernale, constitue un réel handicap à notre développement. Saint-Pierre-et-Miquelon est un archipel de 242 km 2 , situé à 25 km des côtes de Terre-Neuve Labrador et soumis à un climat océanique froid et humide, avec des vents forts et de nombreux brouillards. Il n'est pas rare que, durant l'hiver, les températures y atteignent les - 30° avec le facteur éolien. En travaillant 12 mois par an, les entreprises de l'hexagone peinent à équilibrer leurs comptes. Nos entreprises, quant à elles, sont asphyxiées.

Le manque de trésorerie est également l'un des handicaps permanents du secteur du BTP de Saint-Pierre-et-Miquelon, avec des taux bancaires très élevés affaiblissant l'ensemble des entreprises de l'archipel.

Il n'existe aucun organisme en fonction, type Banque Publique d'Investissement (BPI) ou Agence française de développement (AFD) pour pallier aux difficultés de trésorerie des entreprises ou pour les accompagner.

Le secteur du BTP de Saint-Pierre-et-Miquelon a été, durant de nombreuses années, un des piliers économiques du territoire. Il a permis de mettre à niveau un certain nombre d'infrastructures (infrastructures portuaires, nouvelle piste aéroportuaire, musée, nouvel hôpital, centrale EDF, etc.). Ce secteur a également permis à certains chefs d'entreprises de s'engager dans une diversification de leurs activités, dans l'élevage de la coquille Saint-Jacques et dans la relance du pôle pêche de Miquelon notamment. Cependant, depuis quelques années, ce secteur est marqué par une faiblesse de l'investissement et un recul de la commande publique, notamment de l'État vis-à-vis des collectivités locales - celles-ci rencontrant des difficultés dans la poursuite du développement et la mise à niveau de leurs infrastructures.

À titre d'exemple, nous disposons aujourd'hui de 125 km de chaussées sur le territoire. Sous un climat rigoureux, la durée de vie d'une chaussée ne dépasse pas 12 ans. L'enjeu serait donc de pouvoir rénover 12 km de réseau routier par an. Or nous ne pouvons aujourd'hui en rénover qu'1 ou 2 par an. À ce rythme, jamais nous n'en verrons la fin. Nous relançons régulièrement l'État pour obtenir les ressources nécessaires à la réalisation de ces travaux importants pour l'attractivité du territoire et le quotidien des populations.

Dans ce contexte, les inquiétudes des entreprises du BTP de Saint-Pierre-et-Miquelon sont légitimes. La faiblesse des crédits portés au dernier contrat de développement État-Collectivité conduit à une nouvelle fragilisation du secteur. La faiblesse des moyens accordés pour l'investissement fait que les entrepreneurs s'épuisent par manque d'activité. Il conviendrait donc de recentrer l'investissement public sur les besoins immédiats du territoire et des collectivités.

Certains de ces besoins sont aujourd'hui identifiés et nous en avons fait part à plusieurs reprises à l'État et aux pouvoirs publics, s'agissant notamment de la mise à niveau du réseau routier, de la réhabilitation du patrimoine bâti, de la rénovation énergétique des bâtiments publics et privés, ainsi que de la résorption de la précarité énergétique.

Nous ne pouvons aujourd'hui accepter d'être dépossédés de notre environnement économique, comme en 1992, tout en étant encouragés à quitter le territoire, pour aller vers le Canada notamment. Comme dans tous les territoires ultramarins, c'est au sein du territoire que devraient pouvoir se créer les économies. C'est ici que nos jeunes et nos étudiants devraient pouvoir vivre et revenir s'ils le souhaitent.

Nous avons aujourd'hui des projets. Malgré les difficultés économiques actuelles, nous nous sommes réunis avec quelques entreprises pour porter le projet Grand Port, visant à développer un hub maritime de transbordement sur l'archipel. À terme, cette structuration pourrait permettre d'éclater et de redistribuer les conteneurs transitant vers le Canada ou les États-Unis, mais également d'accueillir des paquebots de grande taille. Aujourd'hui, les navires de tourisme fréquentent très peu l'archipel car le site n'est pas suffisamment sécurisé. Avec un port de grande envergure, la fréquentation pourrait être multipliée par dix, avec un impact sur tous les secteurs économiques du territoire.

Nous travaillons sur le projet Grand Port depuis près de trois ans. Nous y croyons et nous y investissons des ressources importantes. Aujourd'hui, ce projet offre des perspectives sans précédent de développement économique pour le territoire. Il permettra de générer de l'emploi lors de la construction. En exploitation, entre 150 et 180 emplois pourraient également être créés, dans une logique de diversification, autour des activités liées au tourisme également. Il s'agira de favoriser l'augmentation de la population et le retour de nos jeunes. La France pourra ainsi reprendre toute sa place dans la région.

Au sein des outre-mer, nous ne construisons pas pour construire, mais pour amener nos territoires à se doter d'outils structurels, à même d'améliorer les conditions de vie des populations et d'asseoir notre développement. Après tout, ne dit-on pas que « quand le BTP va, tout va » ?

Bruno DETCHEVERRY, Directeur général du Pôle halieutique de Miquelon

L'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon se situe dans une zone névralgique en matière de ressources halieutiques.

L'histoire nous raconte que des pêcheurs basques, bretons et normands sont venus les premiers dans cette région, au milieu du XV e siècle, avant même que les grands navigateurs aient pris possession des territoires de la nouvelle Amérique au nom des royaumes de l'ancienne Europe, pour y suivre les bancs de poissons qui foisonnaient dans ces eaux froides et dangereuses.

L'archipel s'est forgé son identité avec cette histoire, grâce au courage de ces premiers colons de la mer qui, petit à petit, sont devenus les premiers habitants des îles. Aujourd'hui, la mer, avec ses ressources et ses hommes, constitue toujours la raison d'être de Saint-Pierre-et-Miquelon et sa seule raison de subsister.

La pêche a connu différentes facettes au cours de ces siècles. Elle fut purement saisonnière dans les premiers temps, avec des flottes de pêche venant de France et un territoire occupé temporairement par des établissements assez pauvres au début mais des populations riches de cette aventure maritime et îlienne qui ont forgé le caractère de ces îles et de leurs habitants.

Puis, de premiers établissements sédentaires ont commencé à prendre pied, de manière plus intensifiée au début du XIX e siècle, avec la rétrocession définitive de ces terres arides à la France en 1816 - bicentenaire que l'archipel fêtera d'ailleurs cette année.

À l'apogée de la grande pêche des Terre-Neuvas, Saint-Pierre-et-Miquelon est ainsi devenu une plaque tournante indispensable à tous ces grands bateaux qui s'éloignaient de la mère patrie pour pêcher la morue et qui retrouvaient sur ce caillou une présence française rassurante, ainsi que le ravitaillement et l'assistance nécessaires aux navires et aux équipages.

Une pêche locale s'est créée parallèlement à la grande pêche métropolitaine et étrangère, pour apporter un complément alimentaire aux populations locales assez démunies et pour compenser les insuffisances d'une terre trop aride pour nourrir son homme. Cette pêche est devenue par la suite un des piliers de la volonté farouche de ces populations de rester attachées à ces îles lointaines et froides, d'y construire leur vie et leur avenir.

Cette activité a permis le développement des îles, bâtissant autour de ces laboureurs des mers une existence économique et sociale essentiellement tournée vers la mer et qui aura permis à l'archipel Saint-Pierre-et-Miquelon de devenir un territoire français d'outre-mer brillant et fier.

Il aura cependant fallu attendre la deuxième partie du XX e siècle pour voir se développer une véritable industrie de la pêche moderne et compétitive à Saint-Pierre-et-Miquelon : une première usine d'envergure, puis une deuxième, une flotte moderne de navires de pêche au chalut et l'archipel aura connu ses trente glorieuses. La morue saint-pierraise et miquelonnaise est ainsi devenue une morue joyeuse. À l'époque, jusqu'à 600 employés travaillaient dans le domaine de la pêche, sur une population de 6 000 habitants.

Mais cette belle histoire a commencé à subir ses premiers revers. Une pêche trop abondante devient inévitablement une pêche envieuse - les nations s'accaparant alors les richesses se trouvant à leurs portes. C'est ainsi que les premières zones économiques exclusives sont arrivées, avec leurs règles et leurs restrictions. Malheureusement, ces dernières sont devenues indispensables tellement les hommes n'ont pas su ou voulu s'adapter à la ressource, pensant que c'était la ressource qui devait s'adapter à eux.

L'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon a été une victime majeure de ces restrictions, dont les maux sont encore aujourd'hui très sensibles.

Au milieu des années 70, la France et le Canada se battent, « gentiment », pour savoir laquelle de ces deux grandes nations aura la plus belle part du gâteau. Les îles et ses habitants connaîtront alors leur guerre de la morue, leurs croisades, leurs espoirs et leurs déconvenues, avec au final une décision qui tombera comme un couperet en 1992 : une zone économique réduite à sa plus faible expression, « The French baguette » comme diront nos amis canadiens. Surnom dérisoire qui démontre merveilleusement le bien-pensant de nos chers voisins à l'égard de notre présence dans leur jardin.

Une industrie et une histoire que l'archipel aura mis des siècles à bâtir seront détruites. Fin de l'histoire. Certes, la mère patrie n'aura pas abandonné son territoire : la solidarité nationale est venue panser les plaies de tous ces nobles travailleurs de la mer, fiers de leur métier et de leur identité. Mais est-ce bien une solution lorsque l'on a connu toutes les adversités d'un territoire difficile, d'une mer parfois féroce et d'un travail laborieux ? Évidemment non.

Pendant presque 20 ans, l'archipel s'est ensuite cherché une nouvelle raison de vivre. Mais que trouver d'autre lorsque nos champs et nos espaces ne sont que mer et vent ? Notre caillou n'a d'autre choix que de se tourner vers la mer pour trouver son salut.

Reconstruire ce qui a été détruit, voilà la tâche à laquelle s'efforceront d'oeuvrer nos bâtisseurs et décideurs d'avenir.

L'archipel est riche de nombreux projets : port, tourisme et autres, tous inévitablement orientés vers la mer et qui offriront, nous pouvons l'espérer, un avenir riche et fier aux populations futures.

Dans le cas présent, nous resterons dans le domaine halieutique, secteur toujours riche et porteur d'avenir, pour présenter un des axes de restructuration envisagés.

À l'aube des années 2000, une poignée d'investisseurs locaux a relevé le défi de redynamiser l'activité halieutique, en proposant de nouvelles orientations au secteur : s'engager dans un projet d'élevage de pectinidés de grande envergure et développer la pêche artisanale pour en faire un véritable moteur économique.

Paradoxalement, ces investisseurs n'étaient pas des hommes de la mer, mais des acteurs du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP). Ils ont senti qu'à ce tournant de son histoire, l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon devait de se remettre en question.

Il existait sur Miquelon un petit projet expérimental d'élevage de coquilles Saint-Jacques ( Placopecten Magellanicus ) en pleine mer. Embryonnaire et exclusivement artisanal, ce projet avait été initié par une petite association de recherche : l'ARDA. Les résultats techniques des premiers tests semblaient suffisamment prometteurs pour essayer de lancer l'opération à un stade préindustriel.

En 2001, la société EDC (Exploitation des Coquilles) fut lancée, en reprenant les protocoles de recherche de l'association ARDA. Dès le départ, à l'appui de résultats optimistes, de gros investissements furent réalisés pour lancer un élevage à grande échelle dans la rade de Miquelon, zone abritée mais cependant en mer ouverte. Plusieurs dizaines de filières furent immergées, auxquelles étaient rattachés des filins et sur lesquels les petites coquilles étaient directement accrochées : technique dite « en boucle d'oreille ». Les petites coquilles provenaient alors d'un captage naturel, lui aussi jugé fiable au vu des expériences passées.

L'élevage de la coquille répondant à un cycle long de 4 à 5 ans, correspondant à celui de l'arrivée à maturité des coquilles, il était nécessaire d'attendre ce délai pour valider les opérations entreprises et en connaître les résultats.

En 2003, les premières évaluations de grossissement révélèrent que la technique issue des recherches de l'ARDA était peu fiable et énormément coûteuse en moyens humains et matériels. La technique « en boucle d'oreille » fut donc peu à peu remplacée par un élevage plus classique en paniers suspendus qui semblait, toujours selon les évaluations et recherches effectuées par l'ARDA, plus prometteur.

Les promoteurs du projet EDC, confiants dans cette nouvelle technique et ayant peu de recul sur les problématiques de l'élevage de manière générale, augmentèrent le potentiel de récolte des filières et commencèrent à rechercher des solutions de traitement pour transformer et commercialiser les premières productions de coquilles Saint-Jacques de la rade de Miquelon, prévues pour 2005 : des opérations marketing, avec la création d'un label « Pêcheurs et Éleveurs de Miquelon » et une marque « Royale de Miquelon », ainsi que la recherche d'un atelier de transformation adapté. C'est alors qu'intervint le rachat d'un atelier de transformation déjà existant sur Miquelon (la SNPM), sujet exposé ci-après.

Au terme du premier cycle d'élevage, en 2005, les résultats économiques ne furent cependant pas au rendez-vous. Si la technique d'élevage était bonne (plusieurs audits techniques le confirmeront), les moyens mis en oeuvre pour gérer les filières immergées et le manque de suivi scientifique de l'opération mettaient l'expérience en péril. En effet, pour cette montée en puissance de 2001 à 2005, l'entreprise avait dû embaucher beaucoup de personnel pour traiter les filières en mer et réaliser de gros investissements tant en moyens terrestres (atelier) qu'en mer (filières, barges aquacoles), sans obtenir de retour sur investissement.

Le constat fut alors celui d'un échec, en dépit de progrès techniques indéniables. Cette étape confirma qu'il était difficile et périlleux pour une entreprise privée de mener de front un développement industriel avec des activités de recherche et de développement sur des protocoles d'élevage mal évalués au départ.

Dès 2006, l'État fut sollicité pour aider financièrement l'entreprise dans ce travail de recherche et développement (R&D) et mettre en place sur l'archipel un appui scientifique spécialement dédié à cet élevage. Malheureusement, 5 ans avaient déjà été perdus et l'entreprise dut quasiment repartir de zéro.

Un plan pluriannuel d'aide et de recherche fut mis en place et de nouveaux protocoles furent développés, afin de valider toutes les opérations avant d'envisager un redéploiement à plus grande échelle, repoussant au mieux les premiers résultats concrets à 2010.

Devant les problématiques d'élevage rencontrées par l'entreprise, différentes études furent menées avec l'IFREMER : une étude hydrologique pour mieux connaître les courants marins, les phénomènes de dispersion des larves et permettre également une meilleure implantation des filières ; une étude des fonds marins pour sonder de nouvelles zones d'élevage. Ces études fondamentales auraient dû être conduites bien avant le démarrage du projet en 2001 et ont cruellement manqué à l'entreprise.

Comme suite aux recommandations de l'IFREMER, il fut décidé de mettre en place deux itinéraires techniques différents après la deuxième année d'élevage des naissains : un élevage en filières, tel que pratiqué jusqu'alors, et un ensemencement en mer ouverte.

Pour la technique en filières, l'entreprise réduisit la taille de l'élevage, rééchelonnant d'autant les volumes de production escomptés pour arriver à l'échéance du plan de recherche fin 2010. Aujourd'hui, cette technique n'est plus utilisée que pour assurer le grossissement des naissains durant leur première année.

Lancée en 2006, la campagne expérimentale d'ensemencement sur fonds naturels fut poursuivie en partenariat avec la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui finança les semis. Le principe technique retenu fut celui de stopper le grossissement en filières dès la deuxième année et de semer les coquilles d'une taille de 30 mm, dites « juvéniles », directement sur des fonds marins présélectionnés et surveillés. Les premiers retours d'évaluation par l'IFREMER permirent de constater une survie correcte des coquilles mises à l'eau et les premiers signes d'une densité probable de recapture valable.

Parallèlement au développement des méthodes d'élevage, l'entreprise valida également les opérations de captage des naissains au niveau local, consistant à prélever des coquilles à l'état larvaire en milieu naturel pour en assurer le pré-grossissement et le pré-élevage en filières jusqu'à la taille requise de 30 mm pour l'ensemencement.

Les améliorations de l'élevage en filières couplées à un ensemencement sur fonds - opération économiquement moins lourde que la poursuite du cycle unique en filières - semblaient à même de configurer une méthode d'exploitation permettant un retour sur investissement sécurisé et reposant sur une matière première entièrement locale (supprimant le recours à l'importation de naissains canadiens).

Un programme d'ensemencement a ainsi été engagé sur deux cycles de 5 ans, de 2006 à 2010, puis de 2012 à 2016, sur des volumes conséquents de juvéniles (6 à 9 millions d'individus par semis).

Ce procédé a démontré sa pertinence, les coquilles récoltées étant d'une excellente qualité et d'une très bonne taille commerciale. Cependant, pour être économiquement viable, il conviendrait de poursuivre sur de nouveaux cycles d'ensemencement, avec des volumes plus conséquents, de l'ordre de 20 millions de juvéniles par an, pour assurer une récolte optimum et pérenne.

Tel est le nouveau défi auquel font face les promoteurs du projet EDC pour poursuivre leur activité dans ce domaine. En pratique, 15 ans d'efforts sans véritable retour économique ont fini par démobiliser les énergies et engendrer beaucoup de pertes financières pour les investisseurs. Le soutien des pouvoirs publics à ce projet a également été très conséquent depuis 10 ans mais, là aussi, il demeure difficile de convaincre l'ensemble des partenaires de la pérennité du projet.

Ce projet prometteur est donc à la croisée des chemins : les résultats techniques d'élevage sont dorénavant probants, la production de juvéniles à partir de naissains captés localement est fiabilisée ; il aura cependant fallu 15 ans d'efforts, de persévérance, mais aussi de déceptions pour en arriver à ce stade.

La poursuite de ce projet dépendra de la détermination, essoufflée mais toujours vaillante, des investisseurs et de la volonté des pouvoirs publics de prolonger leur soutien.

Dans le cadre du projet EDC, l'acquisition d'un atelier de transformation a par ailleurs été jugée nécessaire dès 2003. L'entreprise SNPM a donc été acquise en 2004 pour devenir, entre autres, un support de transformation des élevages de coquilles Saint-Jacques développés par l'entreprise EDC sur Miquelon.

Cette unité de transformation, en difficulté, travaillait traditionnellement la morue salée et les oeufs de lompes en saumure (succédané de caviar), avec une petite activité saisonnière et un volant minimal d'emplois saisonniers.

La seule activité de transformation des coquilles ne pouvant permettre un développement industriel suffisant et la mono-activité présentant des risques, il a été décidé de mettre en place une politique de développement de cette entreprise.

Progressivement, une stratégie industrielle et commerciale a été développée, permettant la montée en puissance des activités, la prolongation des périodes de production et le développement du volant d'emplois.

L'entreprise a su ainsi diversifier sa production qui, outre la morue traditionnelle, a peu à peu intégré d'autres espèces de poisson disponibles dans la région, jusqu'alors mal exploitées.

Son marché cible s'est orienté vers la France métropolitaine, vers la moyenne distribution et les freezers centers , pour proposer des produits de qualité et d'origine entièrement française.

Pour ce faire, des outils ont été mis en place. Un navire de pêche plus performant a été acquis en 2009, marquant le retour d'un navire de cette envergure sur l'archipel depuis la catastrophe de 1992. Celui-ci est devenu le pilier des approvisionnements en poissons de Miquelon et assure à lui seul plus de la moitié des pêches réalisées sur l'archipel. Il conforte l'approvisionnement de l'unité de transformation de Miquelon, en complément des apports de la pêche artisanale traditionnelle. L'acquisition d'un deuxième navire est en projet pour cette année.

L'usine de traitement, qui était au départ un simple atelier artisanal, a fait l'objet d'une restructuration complète, intensifiée depuis la disparition de la dernière usine industrielle de Saint-Pierre en 2011.

Aujourd'hui, cet ensemble technique de traitement des produits de la mer est enfin opérationnel. L'inauguration en a été effectuée le 3 mai 2016. Le projet, supporté par les mêmes investisseurs que le projet EDC, a également été largement soutenu par les pouvoirs publics, à travers des aides à l'investissement. Il est dimensionné à la hauteur de la ressource dont dispose l'archipel, en cohérence avec les différents quotas alloués, et est suffisamment polyvalent pour s'adapter aux différentes espèces pêchées dans la région. Son essor est dorénavant entre les mains de ses investisseurs.

En conclusion, il est permis de constater que le pari d'une relance du pôle halieutique de Miquelon, pris en 2001 dans un contexte difficile, n'était pas évident.

Les projets menés ont été intégrés dans un développement des activités halieutiques du port de Miquelon comprenant une activité aquacole, une activité d'armement à la pêche et une activité de transformation, en vue de constituer un ensemble économique cohérent pouvant asseoir de manière pérenne l'aménagement du territoire et le développement des emplois sur le site de Miquelon.

Cet ensemble constitue aujourd'hui l'unique pôle de transformation des produits de la mer sur l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon et offre, dans sa globalité, un volume d'emplois d'une soixantaine de salariés dans une commune de 600 habitants.

Au-delà, il assure la promotion et le respect des traditions de l'industrie de la pêche et de la transformation pour l'ensemble de l'archipel.

Félix DESPLAN, Sénateur de la Guadeloupe

Nous parlons ici de défis. Présenter en cinq minutes la situation économique de la Guadeloupe en est déjà un ! Je ne vous abreuverai pas de chiffres. J'évoquerai les points qui me semblent essentiels à une bonne compréhension d'un contexte où se mêlent fragilités récurrentes - qu'on ne peut nier - et réels atouts - encore trop peu exploités.

De 1990 jusqu'à 2008, la croissance économique de la Guadeloupe a été soutenue ; il s'agissait plutôt d'un rattrapage par rapport à l'Hexagone. La crise profonde de 2009, une crise économique et sociale, sociétale même, l'a stoppée et continue de produire ses effets.

Qu'est-ce qui caractérise le modèle économique guadeloupéen ?

De nombreuses petites ou très petites entreprises, dynamiques mais avec peu, voire pas, de salariés. À cela se superpose une forte concentration dans certains secteurs, comme celui de la grande distribution. Il y sévit une concurrence très imparfaite, avec des marges importantes... au détriment des consommateurs.

Les échanges se font essentiellement avec l'Hexagone. On parle beaucoup d'ouverture vers l'arc caribéen et l'Amérique latine mais la mise en oeuvre reste modeste. La Guadeloupe est dans l'Union européenne et, de ce fait, exposée à une distorsion de concurrence : les coûts de production, notamment de main d'oeuvre, sont bien moindres chez nos voisins. Nous devons lutter pour préserver nos parts de marché, même en tenant compte des aides européennes, soumises d'ailleurs à quota et susceptibles d'être remises en cause lors de négociations internationales. Nous devons respecter des normes contraignantes, respectueuses des personnes et du milieu naturel. Nos voisins n'y sont pas soumis : certains de nos concurrents produisent des bananes bio appréciées des consommateurs européens, en employant des enfants et en pratiquant des épandages aériens !

Les terres disponibles sont rares et les jeunes ont du mal à s'installer, bien qu'ils aient des projets intéressants, viables et qu'il existe encore des terres en friche. Il faut les soutenir, les encourager à travailler en réseau. Il en va de même pour les éleveurs. Ils élèvent des porcs et des volailles de qualité mais ils peinent à écouler leur production, face aux viandes importées, exposées à bas prix sur les rayons des hypermarchés. En ce moment sont bradés sur le bord de nos routes des oeufs de batteries dont les consommateurs hexagonaux ne veulent plus !

La part du tertiaire, avec une très forte présence du secteur public, est considérable puisqu'il fournit quatre cinquième des emplois comme de la valeur ajoutée. De fait, il est un moteur de l'économie locale.

Quels sont les autres éléments porteurs de notre économie ?

Le tourisme a connu ces derniers mois une belle activité, que les sargasses et les maladies transmises par les moustiques n'ont pas vraiment entravée. La Guadeloupe a des paysages et des reliefs variés, des forêts, des plages, un volcan, des rivières - nous avons créé le premier parc naturel ultramarin. Ce qui attire, ce qu'il faut à la fois mettre en valeur et protéger, c'est cette richesse du patrimoine naturel de nos îles. Les structures d'accueil s'adaptent à ces nouveaux enjeux. Même si les hôtels ont eu ces deux dernières hautes saisons une excellente fréquentation, ce qui est recherché, et l'usage d'internet y participe beaucoup, ce sont les petites structures qui s'inscrivent dans un cadre de développement durable. Ce sont aussi les services qui peuvent y être adjoints, qui suscitent un dynamisme nouveau et peuvent développer des activités dans des lieux plus isolés.

Je suis persuadé que miser sur le développement durable est fondamental pour nos îles qui restent des territoires fragiles.

Encore faut-il s'en donner les moyens et élaborer une véritable stratégie. Notre énergie provient essentiellement de pétrole importé. Nous développons la bagasse, les éoliennes, le photovoltaïque mais nous n'en sommes encore qu'au début. Les modifications d'incitation fiscale et les incertitudes qu'elles engendrent n'ont pas aidé : l'essor du photovoltaïque a ainsi été stoppé.

Nous avons une spécificité en Guadeloupe : la géothermie. Tout le monde en vante les mérites car elle produit peu de rejets et est totalement renouvelable. Mais investir est indispensable. Or le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), qui exploite le site, ne le souhaite ou ne le peut pas, EDF ou Engie non plus. C'est une société américano-israélienne, Ormat Technologies, qui vient de s'engager pour un achat progressif de 85 % des parts. Doit-on se réjouir du fait que la Guadeloupe attire les investisseurs étrangers ou doit-on regretter que la France, qui préside la Cop21 et vient de voter une loi sur la transition énergétique, ne sache garder la main sur une telle énergie ?

Je terminerai cette courte présentation en évoquant un secteur essentiel à la Guadeloupe, je veux parler du BTP. Les besoins en infrastructures, en logements sociaux et intermédiaires sont grands en Guadeloupe et je rappelle que nos îles sont sous climat tropical, chaud et humide, avec des aléas climatiques. Tout s'abîme plus vite. Or le BTP, source de nombreux emplois, connaît une situation préoccupante. Les collectivités ont peu de trésorerie et paient avec retard ; les entreprises, en partie de ce fait, tardent à payer leurs charges sociales ; les marchés publics leur sont donc fermés et, pour les plus importants, sont souvent remportés par des entreprises européennes qui font venir des travailleurs détachés à bas coût, alors que le chômage sévit fortement en Guadeloupe. S'y greffent des dispositifs de financement complexes et des lourdeurs administratives : chaque année, il faut protester contre la lenteur, voire le blocage, d'agréments par Bercy ! Les entrepreneurs attendent un réel pilotage de la commande publique, une simplification substantielle, une plus grande rapidité des procédures de financement. C'est essentiel pour une redynamisation de notre économie.

Je vous remercie.

Manuel GÉRARD, Animateur coordinateur du Réseau d'innovation et de transfert agricole (RITA) de Guadeloupe

Les RITA sont aujourd'hui présents dans cinq DOM, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à La Réunion et à Mayotte. Bien que récents, ils sont déjà bien ancrés dans la réalité du monde agricole de ces territoires.

L'agriculture guadeloupéenne repose principalement sur deux cultures traditionnelles : la canne à sucre (pour la production de sucre et de rhum) et la banane (pour l'export essentiellement). Ces agricultures sont importantes en termes d'occupation du territoire, d'emplois et de maintien de la ruralité guadeloupéenne.

Sur environ 50 000 hectares de territoire agricole en Guadeloupe, 32 000 sont actuellement en surface agricole utile. La population agricole guadeloupéenne est en constante diminution, avec un peu moins de 7 000 exploitants aujourd'hui. Ils étaient 12 000 en 2000. Cette population est vieillissante, avec une moyenne d'âge de 51 ans. L'agriculture familiale demeure très représentée en Guadeloupe et la taille moyenne des exploitations y est de 4 hectares.

Sur le territoire guadeloupéen, une place de plus en plus importante est accordée aux productions dites de diversification, à la fois végétales (maraichage et arboriculture) et animales. Certaines de ces productions permettent de couvrir le marché local. Cependant, elles conservent des marges de développement et de structuration très importantes.

Les RITA ont été créés en 2011, dans le prolongement des états généraux de l'outre-mer, à travers les fonds du Conseil interministériel de l'outre-mer (CIOM), avec la volonté de mettre l'accent sur l'innovation et le transfert de technologies vers les agriculteurs - ces derniers étant demandeurs de solutions aux nombreuses problématiques rencontrées en milieu tropical.

Aucune structure nouvelle n'a été créée et le schéma des RITA est simple et efficace. Il consiste à rassembler les forces vives de la recherche (avec les centres de l'INRA et du CIRAD en Guadeloupe notamment), du développement et de la formation, au service des agriculteurs et de leurs besoins. Tous les RITA reposent ainsi sur un schéma simple et efficace : travailler de façon concertée et non redondante, en mobilisant et en associant les compétences de l'ensemble des structures agricoles existantes, chacune demeurant dans son coeur de métier.

Les travaux de la recherche méritent d'être mobilisés et valorisés. La diffusion et le transfert de solutions concrètes aux problématiques des agriculteurs sont ainsi au coeur de l'action des RITA. Il s'agit pour cela d'identifier et de hiérarchiser les besoins des agriculteurs, de co-construire des projets d'expérimentation (dans un horizon de 2 à 3 ans) et de faire en sorte que les agriculteurs s'en approprient rapidement les résultats. Les RITA veillent également à ce que les projets menés soient cohérents avec les autres programmes de développement (comme le plan Ecophyto), au sein du territoire et dans les autres DOM. L'innovation s'inscrit ainsi dans le cadre du projet agro-écologique à travers ses trois dimensions à la fois économique, environnementale et sociale.

Le RITA Guadeloupe présente des atouts indéniables qui conduisent à sa reconnaissance, après seulement quelques années d'existence. La dynamique engendrée est forte. L'animation régionale que j'assure permet de créer et de maintenir du lien. Le soutien institutionnel, à travers l'inscription des RITA dans la dernière loi de modernisation de l'agriculture, produit un effet d'entraînement bénéfique pour notre agriculture. La structure souple et légère privilégiée constitue également un atout.

Durant la période de mise en place des RITA (RITA1), de 2011 à 2014-2015, la gouvernance a été assurée à travers un simple comité de pilotage régional, présidé par l'État, qui se réunissait deux fois par an pour assurer le suivi des projets et faire en sorte qu'ils soient menés à leur terme dans de bonnes conditions techniques et financières.

En Guadeloupe, le choix a été fait d'impliquer l'ensemble des structures agricoles. Les projets du RITA Guadeloupe sont financés à 100 %, avec un système de préfinancement. L'ensemble du dispositif a mobilisé 5 millions d'euros, pour moitié sur les fonds CIOM et pour moitié sur ceux du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Une dizaine d'emplois ont ainsi été créés ou consolidés. 70 chercheurs et techniciens ont été impliqués, ainsi qu'une soixantaine d'agriculteurs pour les expérimentations.

La deuxième phase du RITA (RITA2) est aujourd'hui en cours de construction. Une analyse des besoins a été menée et des perspectives clairement identifiées. L'objectif sera d'accentuer le transfert vers les agriculteurs, via la formation notamment, en conservant un financement à 100 % des projets, sous le pilotage de la Région et de l'État.

19 projets ont été déposés dans le cadre de cette deuxième phase. La mise en oeuvre tardive des programmes de développement ruraux a toutefois engendré des difficultés. Nous souhaitons aujourd'hui que les projets redémarrent et que le réseau continue à prendre de l'ampleur.

Pour permettre une meilleure information sur les RITA et leurs actions dans les DOM, et pour vous rendre compte des travaux déjà effectués au sein des RITA, une plateforme Internet a été mise en place : http://coatis.rita-dom.fr.

Source : DAAF - SISE Guadeloupe

Andrés MÉZIÈRE, Président du pôle Synergîle et Président de l'entreprise GENERGIE Antilles Guyane

L'association Synergîle a été créée en 2008, sous l'impulsion de petites et moyennes entreprises (PME) et de très petites entreprises (TPE) guadeloupéennes, de centres de recherche locaux, de la région Guadeloupe et des services de l'État, avec une convention d'adossement au pôle de compétitivité Capénergies de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA). L'association a aujourd'hui vocation à mener, sur le territoire guadeloupéen et avec un rayonnement régional dans la Caraïbe, des missions de pôle de compétitivité. Il s'agit ainsi d'animer un réseau d'acteurs pour susciter et accompagner l'innovation.

En Guadeloupe, le tissu entrepreneurial est essentiellement composé de PME et de TPE qui, de par leur taille, ne parviennent pas à structurer une véritable démarche d'innovation, pourtant essentielle à la compétitivité et au développement des entreprises.

L'association Synergîle compte aujourd'hui une soixantaine de membres, parmi lesquels des entreprises, des laboratoires de recherche et des collectivités. Nous travaillons ainsi principalement sur deux secteurs : celui des énergies renouvelables et celui des matériaux adaptés aux contraintes tropicales (cycloniques et sismiques notamment).

Sur le plan opérationnel, nous organisons régulièrement, à peu près tous les mois, des journées scientifiques et techniques, en vue de diffuser la connaissance des avancées technologiques et de la recherche auprès de l'ensemble des acteurs du territoire. Ces rencontres permettent également aux acteurs de détecter des opportunités et de développer des projets ou partenariats.

Chaque année, nous réalisons également deux appels à projets : l'un autour des énergies renouvelables et l'autre autour des matériaux adaptés aux contraintes tropicales. L'objectif est ainsi de distiller dans le cahier des charges de la commande publique des critères d'innovation en vue de favoriser l'offre des entreprises locales. Nous avons ainsi un rôle de catalyseur auprès des différents bailleurs de fonds que sont les collectivités, la Région, l'ADEME, les fonds d'investissement, etc. Nous élaborons avec eux un cahier des charges, avec un modèle de dossier pour faciliter la tâche des porteurs de projets.

Nous accompagnons aussi nos adhérents à travers des actions de formation autour de l'innovation. Des formations ont ainsi été organisées sur la préparation des dossiers de crédit d'impôt recherche (CIR), sur la conduite de brainstormings au sein des entreprises, etc.

À ce jour, nous avons accompagné une quarantaine de projets, dont 10 ont eu des retombées concrètes en termes d'investissement et de création d'emplois. Ces projets ont porté notamment sur des objets connectés (stockages d'énergie, smart grid , etc.), sur de nouveaux débouchés énergétiques pour la filière canne, sur la valorisation des sargasses, etc.

Jean-Pierre PHILIBERT, modérateur de la table ronde . - Nous sommes aujourd'hui en pointe dans les domaines des énergies renouvelables et des matériaux de construction en zone tropicale. Une petite entreprise guyanaise a ainsi développé une peinture dont le temps de résistance en zone tropicale ou équatoriale a été doublé. Une entreprise martiniquaise a développé un procédé d'isolation reposant sur le bois de bananier. Ne serait-il pas temps de fédérer ces savoir-faire pour structurer une véritable filière du bâti tropical ? Un produit clés en main, intégrant le pack énergétique et nos savoir-faire autour des matériaux, pourrait ainsi être proposé et exporté.

Andrés MÉZIÈRE . - Les opportunités sont réelles en la matière, dans toute la Caraïbe où nous partageons avec nos voisins des contraintes et des contextes similaires. Nos entreprises locales ont démontré de réelles capacités d'ingénierie et d'innovation. L'enjeu serait néanmoins de les accompagner, en les confortant sur leurs bases afin qu'elles puissent se projeter à l'international et conquérir de nouveaux marchés.

Pour ce faire, les mécanismes incitatifs nécessiteraient d'être mieux pilotés dans la durée. Entre 2007 et 2011, le photovoltaïque a connu un élan spectaculaire, jusqu'à créer une bulle avant d'être soumis à un moratoire. Cet arrêt brutal s'est traduit par une perte de confiance des opérateurs, ainsi que par des pertes d'emplois et d'opportunités sur les marchés extérieurs.

Guillaume ARNELL, Sénateur de Saint-Martin

Chez nous, il y a une formule très utilisée pour éviter la redondance : « le protocole étant établi ». Je veux mêler ma voix à celle de notre Président Michel Magras pour vous saluer toutes et tous en vos grades, titres et qualités. Je souhaiterais tout particulièrement saluer la délégation de Saint-Martin qui voit pour la première fois son sénateur évoluer dans cette fabuleuse maison des collectivités territoriales : le Sénat.

Le tourisme connaît un essor continu dans la croissance nationale. D'après le CESE, la très grande diversité de richesses en France contribue à faire de notre pays la première destination au monde pour les touristes en arrivées avec 84,7 millions en 2013. Le poids économique du secteur représente ainsi aujourd'hui 7,3 % de notre produit intérieur brut (PIB).

Dans grand nombre de nos territoires insulaires, il constitue un levier important de croissance et une source déterminante d'activités. D'après l'IEDOM, il mobilise près de 30 % des effectifs salariés déclarés à Saint-Martin, et 37 % à Saint-Barthélemy. En comparaison, l'emploi touristique représenterait moins de 10 % dans les autres îles françaises ultramarines.

À Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, le tourisme constitue la première activité économique et, pourtant, les deux territoires ont développé des stratégies différentes en la matière, chacune liée à leur configuration géographique et à leur environnement immédiat.

L'île de Saint-Barthélemy a ainsi opté pour un développement du secteur essentiellement axé sur les produits et services de luxe destinés à une clientèle haut de gamme. Ce positionnement a été réaffirmé par les pouvoirs locaux après l'accession du territoire au statut de collectivité d'outre-mer en 2007. Cette stratégie se traduit ces dernières années par une augmentation de la fréquentation, une progression des activités de plaisance et le développement d'un hébergement hôtelier et locatif de luxe. Le positionnement de l'île de Saint-Barthélemy sur un tourisme de luxe lui permet de se différencier de nombreuses autres destinations. Son offre à caractère exclusif et confidentiel constitue, par conséquent, l'atout phare et l'image de marque de cette destination. Saint-Barthélemy bénéficie également d'une activité de croisière importante et voit son nombre de croisiéristes en constante augmentation passant de 38 000 en 2010 à plus de 63 000 en 2014. L'aéroport de St Jean Gustave III, tout en étant l'un des plus dynamiques en termes de mouvements, est en légère stagnation avec 180 000 passagers en 2007 et aujourd'hui 170 000.

Il faut par ailleurs saluer les efforts de la collectivité pour assurer une économie durable et maîtrisée avec une utilisation optimale du produit de la taxe de séjour, 5,4 millions d'euros, et la mise en place d'un observatoire du tourisme dont les données précises sont indispensables à la définition claire d'une stratégie et d'une politique de développement touristique.

Sur un autre modèle, la double insularité de l'île de Saint-Martin amène les deux souverainetés à développer des stratégies touristiques complémentaires. L'orientation de la partie néerlandaise vers un tourisme de masse situé entre le bas et le moyen de gamme a amené la partie française à développer un positionnement « multi produits » qui s'adresse à une clientèle diversifiée, bien que la continuité territoriale avec Sint Maarten soit parfois défavorable à la compétitivité de notre offre. C'est principalement l'absence d'infrastructures portuaires et aéroportuaires qui explique que la partie française ne capte qu'à peine 10 % de cette clientèle. Quelques chiffres marquants :

- 500 000 passagers à l'aéroport de Juliana contre à peine 100 000 à Espérance Grand Case ;

- 2 000 000 au port de Phillipsburg contre 2 000 à Marigot.

Cependant, la promotion du produit et du savoir-faire à la française constitue également l'un de nos atouts principaux, grâce à une large offre de restaurants gastronomiques et d'hôtels de qualité, sans oublier l'activité de la plaisance qui fait partie des atouts de notre territoire avec plus de 750 places contre 400 en partie hollandaise.

Pour autant, les stratégies touristiques de Saint-Martin et de Saint-Barth sont similaires sous plusieurs aspects. Les deux territoires disposent d'un marché prioritaire, les États-Unis, quand celui des îles telles que la Martinique ou la Guadeloupe se situe plutôt en France métropolitaine. Depuis 2008, nos deux îles tendent à s'ouvrir vers de nouveaux marchés en Europe, particulièrement en Russie, et en Amérique du Sud. Cette diversification de la clientèle est fondamentale afin de réduire la sensibilité de notre secteur à la conjoncture économique américaine. Par ailleurs, la stratégie touristique de Saint-Martin s'oriente ces dernières années vers une clientèle « haut de gamme », segment moins exploité à Sint-Maarten et qui nous permettrait d'accroître notre attractivité-prix.

Néanmoins, nos îles sont confrontées au dynamisme croissant de destinations concurrentes (Aruba, Sainte-Lucie, Barbade, Îles Vierges, République Dominicaine). Le secteur touristique progresse dans les îles alentours, principalement du fait de nombreux avantages de compétitivité. Dans les faits, le déficit d'infrastructures, le coût du travail, une législation contraignante et une parité euro-dollar fluctuante pèsent sur notre compétitivité économique.

Dans un contexte économique fluctuant, il est du rôle des pouvoirs publics d'assurer un environnement propice au développement touristique de leur territoire. Leur travail devra s'organiser ainsi autour d'une volonté de soutien aux entreprises et d'orientation du tourisme de demain, notamment, à Saint-Martin, au travers du document de planification stratégique du tourisme élaboré par la direction de la stratégie et mise en oeuvre par l'Office de tourisme. À Saint-Barthélemy, le Comité territorial du tourisme est en charge des mêmes missions.

Cela se traduit par exemple dans le domaine fiscal. En effet, depuis leur accession au statut de collectivité d'outre-mer en 2007, les deux territoires sont pleinement compétents en la matière. Il s'agit de promouvoir, tant via des dispositifs locaux que nationaux, un environnement normatif favorable aux investissements privés. Au niveau local, les pouvoirs publics ont déployé de multiples avantages destinés à inciter à l'investissement productif dans le secteur du tourisme. À Saint-Martin, des aides à la rénovation et mise aux normes pour les petites structures et les guesthouses ont été introduites. La collectivité s'est également attachée à personnaliser sa communication envers les investisseurs, notamment au travers de la parution de la brochure « Investir à Saint-Martin ».

De nouvelles initiatives des pouvoirs locaux sont toujours souhaitables, en particulier dans l'amélioration du réseau routier, du cadre de vie ou de la desserte. Plus encore, il est de notre responsabilité d'orienter notre politique touristique vers des activités de niche qui augmenteraient notre compétitivité.

Voici, mis en lumière, quelques éléments que je livre à votre appréciation qui, je n'en doute pas, permettront de nourrir nos échanges non sans avoir écouté ceux qui ont à charge l'animation du portefeuille tourisme de nos deux collectivités.

Je vous remercie de votre attention.

Jeanne ROGERS-VANTERPOOL, Présidente de l'Office de tourisme de Saint-Martin

L'île de Saint-Martin a la particularité d'être divisée en deux territoires distincts : le sud de l'île, « Country Sint Maarten », est un territoire autonome du Royaume des Pays-Bas, tandis que la partie nord de Saint-Martin est une collectivité d'outre-mer française.

Sint Maarten est un pays et territoire d'outre-mer (PTOM), tandis que Saint-Martin est une région ultrapériphérique (RUP) de l'Europe, ce qui entraîne des disparités importantes en termes de normes, de contraintes et de réglementations européennes.

Pour la métaphore : imaginez la rive droite de Paris soumise à la règlementation française et européenne et la rive gauche avec une totale liberté dans tous les domaines.

Le tourisme a été très florissant sur le territoire jusqu'à la fin des années 80, avec une affluence de touristes américains à fort pouvoir d'achat depuis les années 60. Les premières lois de défiscalisation à la fin des années 80 ont rapidement changé le visage de Saint-Martin.

La construction de masse en défiscalisation est allée de pair avec l'appel de main d'oeuvre étrangère et une explosion démographique sans précédent. Nous sommes passés de 8 000 habitants (quasiment tous autochtones) en 1982 à 28 000 habitants en 1990. Nous sommes aujourd'hui 36 000 habitants.

Ce changement brutal a fait fuir les grandes fortunes et le passage dévastateur du cyclone Luis en 1995 a mis un point final à la période faste où les dollars coulaient à flots.

La sortie de défiscalisation, qui n'a pas été bien maîtrisée, a entraîné une perte sèche de chambres d'hôtel. Nous sommes passés de 3 900 chambres en 1995 à 1 600 aujourd'hui.

Depuis 1946, Saint-Martin était une commune de la Guadeloupe. Le tournant institutionnel s'est opéré en juillet 2007, avec l'avènement de la nouvelle collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution.

Le tourisme fait aujourd'hui partie des compétences de la collectivité, qui fixe les règles en la matière. Depuis 2007, plusieurs réformes du code du tourisme ont ainsi été opérées.

Il a d'abord fallu structurer le secteur du tourisme autour des nouvelles compétences. Pour cela, nous avons créé une direction du tourisme au sein de la collectivité et élaboré le premier schéma d'aménagement et de développement touristique de Saint-Martin.

De ce processus sont nés, en 2012, le premier classement des hôtels et des résidences hôtelières de Saint-Martin, puis, en 2015, le premier classement des Guest Houses du territoire. Notre priorité a ainsi été de valoriser la destination et de structurer l'offre touristique, en tenant compte du contexte.

Le tourisme représente 85 % du produit intérieur brut (PIB) de Saint-Martin. Il s'agit donc du premier levier de notre économie.

Sur le plan économique, il faut savoir que la partie néerlandaise de l'île détient les grandes infrastructures d'accueil : le port de commerce et l'aéroport international.

L'absence d'infrastructures internationales sur la partie française limite ses capacités d'accueil touristique. Il faut ajouter à cela un coût du travail élevé, une législation européenne complexe et contraignante, ainsi que des charges d'exploitation plus lourdes qu'en partie hollandaise, ce qui représente un frein pour les investisseurs.

Le différentiel euro/dollar fragilise également la coexistence des deux territoires. La force de l'euro depuis 2007 a été défavorable à la collectivité. Heureusement, la parité actuelle rééquilibre les choses.

J'ajoute que les difficultés financières de la collectivité, qui sont liées à plusieurs paramètres, dont la faiblesse des recettes fiscales, limitent les capacités d'investissement. Le financement de la promotion de la destination s'en trouve lui aussi restreint.

Par ailleurs, de par sa compétence fiscale, Saint-Martin est automatiquement exclu du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et subit, à ce titre, la concurrence des entreprises de Guadeloupe et de Martinique, qui se positionnent sur nos marchés.

Les surcoûts « techniques » sont aussi à prendre en compte. Par exemple, les tarifs aériens avec l'Europe sont bien plus élevés à Saint-Martin qu'en Martinique et en Guadeloupe.

Toute la difficulté pour notre collectivité consiste à libérer les contraintes pesant sur son économie, de manière à attirer les investisseurs susceptibles de créer de nouvelles structures d'accueil et de développer le tourisme. Le manque de chambres constitue pour cela un obstacle, d'autant qu'avec plus de 5 000 chômeurs la création d'emplois demeure plus que jamais l'objectif clé de notre développement économique.

Bien heureusement, nous avons aussi des atouts, et parmi eux un élément de taille : la fameuse « French Touch », très prisée par les touristes américains. La partie française de Saint-Martin propose des hôtels de qualité (1 hôtel 5 étoiles, 6 hôtels 4 étoiles, ainsi que des Guest Houses de luxe), de nombreux logements en chambres d'hôtes, des restaurants gastronomiques, des plages aménagées et un environnement unique et protégé. Les Saint-Martinois constituent eux aussi un atout car ils parlent l'anglais, le français et l'espagnol, et ont un sens inné de l'accueil.

La collectivité a multiplié les conditions fiscales attractives pour encourager l'investissement. Elle a publié un « guide de l'investisseur » pour promouvoir sa fiscalité au-delà de ses frontières.

Le territoire bénéficie également de dispositifs de défiscalisation et d'exonération de charges, instaurés au niveau national.

L'Office de tourisme agit sur tous les fronts pour assurer la promotion touristique : sur les marchés d'Amérique du Nord et du Sud, en Europe et au niveau régional, tout en recherchant de nouveaux marchés, parmi lesquels la Chine.

Une nouvelle stratégie touristique adaptée à l'évolution du marché et aux nouveaux besoins des visiteurs, avec des thématiques telles que le mariage, le bien-être et la gastronomie, sera également appliquée courant 2016.

Saint-Martin est le premier territoire à avoir instauré l'enseignement du tourisme dans les classes de collège. Il s'agit d'un dispositif novateur sur le sol français, qui vise à impliquer les enseignants dans la promotion du tourisme local et à former les jeunes pour qu'ils deviennent des ambassadeurs du tourisme.

Le potentiel de Saint-Martin pour développer des niches touristiques nouvelles est indéniable. À cet égard, notre collectivité se distingue de plus en plus par la promotion d'un tourisme écoresponsable.

Vous le voyez, Saint-Martin a tout pour réussir, mais nous devons pour cela franchir les obstacles et libérer les contraintes qui pèsent sur notre économie.

Je conclurai en vous parlant d'un grand projet porté par la collectivité : l'aménagement de la baie de Marigot, capitale de la partie française.

Ce projet, déjà voté par le Conseil territorial de Saint-Martin, fera de la baie de Marigot l'une des plus belles et des mieux aménagées de la Caraïbe, avec de nouveaux quais pour les bateaux de croisière haut de gamme. Ce projet donnera une impulsion nouvelle à l'économie locale.

C'est dans cet esprit de relance économique et de développement pensé du territoire que nous avançons depuis 2012. En parallèle, nous menons également un projet de redynamisation du centre-ville historique de la capitale Marigot.

J'espère que cette intervention vous aura permis de mieux comprendre les enjeux de ce territoire français d'outre-mer, qui subit des contraintes de plusieurs ordres, mais qui est doté d'un potentiel de développement unique.

Nils DUFAU, Président du Comité territorial du tourisme de Saint-Barthélemy

(D iffusion d'une vidéo )

En premier lieu, je crois qu'il faut souligner que le tourisme, en particulier dans la Caraïbe, repose sur la valorisation d'avantages comparatifs et, de ce point de vue, Saint-Barthélemy est relativement symbolique.

L'histoire touristique de Saint-Barthélemy est celle d'une opportunité, née de la construction d'une villa par David Rockefeller, qui a sorti l'île de son isolement tout en attirant une clientèle à fort pouvoir d'achat et demandeuse de services.

L'exiguïté du territoire n'aurait pas permis d'orienter Saint-Barthélemy vers le tourisme de masse, sauf à défigurer l'île avec des constructions en hauteur.

C'est seulement dans les années 70 que l'on peut situer la naissance de la politique touristique de Saint-Barthélemy.

L'équilibre a été trouvé - et maintenu - par la constitution d'un niveau élevé de services plaçant ainsi chaque activité touristique sur le haut de chaque segment de gamme. C'est donc avec pragmatisme que nous ciblons en priorité une clientèle à fort pouvoir d'achat, restreinte mais aussi exigeante.

La politique publique intervient quant à elle essentiellement dans trois domaines.

En premier lieu, par la création d'infrastructures avec la construction d'un port et d'un aéroport qui sont les véritables poumons économiques de l'île. Un port et un aéroport modernes constituent indiscutablement les atouts majeurs de l'essor touristique de Saint-Barthélemy.

La catégorie de visiteurs que reçoit Saint-Barthélemy ayant pour avantage d'être mieux disposée à se déplacer quelles que soient les contraintes économiques mondiales, l'île met à sa disposition des infrastructures à sa mesure répondant aux meilleures conditions d'accès possibles.

Le deuxième champ d'intervention publique est la sécurité et le maintien de notre stabilité sociale qui sont à la base de notre renommée internationale. Nos visiteurs ont en effet pour habitude de revenir vers le lieu qu'ils apprécient, certes, mais où ils se sentent en sécurité - une exigence constante à Saint-Barthélemy.

Maintenir cet état de fait est un engagement primordial car, avec la qualité des hôtels et de leurs services, nous sommes convaincus que le très haut niveau de sécurité constitue notre avantage comparatif ! Nous l'obtenons en favorisant une politique du plein emploi aidée par l'application d'une fiscalité mesurée.

Enfin et troisièmement, la promotion de l'île a été confiée au Comité territorial du tourisme. Il s'agit d'une association loi 1901 regroupant en son sein les principaux acteurs économiques toutes catégories de Saint-Barthélemy. Elle crée la synergie pour coordonner les actions qui consolident l'image de notre destination.

Les actions de promotion de l'île ciblent principalement l'Amérique du Nord et quelques pays de l'Europe de l'Ouest. Cela consolide notre saison touristique de novembre à mai. En complément, nous nous sommes récemment ouverts sur l'Amérique du Sud - principalement le Brésil - avec pour résultat un étalement de notre saison désormais prolongée jusqu'au mois d'août.

L'Observatoire du tourisme mis en place par le Comité du tourisme, nous permet de savoir que 60 % de nos voyageurs émanent des États-Unis et du Canada, 30 % de l'Union européenne et 10 % de l'Amérique du Sud. Cet outil statistique nous indique aussi que 91 % de notre clientèle déclarent vouloir revenir à Saint-Barthélemy. Les chiffres collectés nous permettent de disposer en permanence d'une lecture des atouts et des faiblesses de la politique du tourisme et d'ajuster en conséquence. Fidéliser, moteur de notre politique, exige un effort et une réactivité constante.

La politique touristique repose essentiellement sur la valorisation de l'attrait qualitatif de Saint-Barthélemy. Par exemple, en matière de croisière, nous refusons les plus gros bateaux, puis, en plaçant 65 % du territoire en zone verte inconstructible, en détaxant l'importation de véhicules électriques, en garantissant la récupération et le traitement des ordures ménagères 7 jours sur 7 sur l'ensemble du territoire avec un sens de l'écologie en pleine expansion et en n'acceptant que des hôtels de petites structures.

En découle une capacité d'accueil restreinte : seules 560 chambres sont disponibles sur l'île pour 25 hôtels, dont sept classés 5 étoiles. Environ 750 villas viennent compléter notre offre.

Mais surtout, l'ensemble de l'île est tourné et dédié au tourisme. Ceci suppose une adhésion et une implication massives de la population. Elle est impliquée par les locations de villas et, de ce fait, chacun a le sentiment de contribuer à la politique touristique.

En parallèle, la Collectivité apporte son soutien aux nombreuses associations de l'île favorisant non seulement la création d'événements mais aussi une vie associative dynamique. Ainsi, nous pouvons offrir des événements nautiques d'envergure internationale, un festival gastronomique avec la participation de chefs étoilés de renom, un festival de musique classique, du film, du théâtre, du livre et de nombreux autres événements culturels et sportifs étalés sur toute l'année.

Malgré tout, nous gardons constamment en tête la fragilité de notre économie du fait de son caractère mono-sectoriel.

Serge LARCHER, Sénateur de la Martinique

Je suis heureux, dans cette première table ronde illustrant les identités économiques territoriales, d'apporter un éclairage, avec mes deux compatriotes Sylvie Maréchal et Charles Larcher, sur les caractéristiques et les perspectives de l'économie martiniquaise.

Comme d'autres petits territoires insulaires éloignés du continent européen et héritiers d'un passé colonial qui a façonné durablement le paysage économique et social, notre île doit faire face à des contraintes qui freinent le bon fonctionnement des mécanismes de régulation du marché. Mais je veux aujourd'hui cibler les points positifs et souligner les atouts de notre collectivité.

Il ne s'agit pas, bien entendu, de passer sous silence certaines réalités qui doivent être vigoureusement combattues :

- en effet, le chômage notamment, avec en Martinique un taux de 19,4 %, près de deux fois supérieur à celui de l'Hexagone, et la proportion excède 50 % chez les moins de 25 ans !

- s'ajoute la cherté de la vie, en particulier pour les franges de la population les plus démunies : l'alimentation pèse lourd dans le panier des ménages les plus pauvres ; en effet, le niveau des prix de l'alimentaire en Martinique est supérieur de 38 % à celui de la France hexagonale et constitue le principal facteur de l'écart de prix global.

Mais ces réalités ne sont pas des fatalités et nous devons tout mettre en oeuvre pour les éradiquer en valorisant nos atouts, qui sont nombreux.

J'observe tout d'abord que la Martinique est le deuxième territoire le plus riche des petites Antilles après la Barbade, avec un pouvoir d'achat parmi les plus élevés de la zone, plus de 22 000 euros par habitant et une réduction tendancielle régulière du différentiel avec l'Hexagone ; selon les chiffres de l'INSEE, le PIB martiniquais a connu une croissance de 1,4 % en 2014, bien supérieure à la moyenne nationale ou à la moyenne de la zone Caraïbe, toutes deux de 0,9 %. L'effort de rattrapage doit cependant rester soutenu car l'écart demeure significatif, le PIB national par habitant s'élevant à un peu plus de 32 000 euros par habitant. En termes de développement humain, la Martinique figure en 2013 au 39 e rang mondial, en tête des îles de la Caraïbe.

Au registre des atouts, figure en premier lieu la position centrale de la Martinique au sein de la Caraïbe et le fait qu'elle dispose d'infrastructures portuaires performantes, notamment pour le trafic commercial de conteneurs et le développement de la croisière. Il s'agit là d'une carte maîtresse qu'il faut valoriser encore davantage pour maximiser l'impact des opportunités offertes par la mise en service, annoncée pour le 26 juin, du troisième jeu d'écluses du canal de Panama.

Du point de vue des dynamiques sectorielles, l'économie martiniquaise est bien sûr portée par les trois grandes filières exportatrices : les produits pétroliers raffinés par la SARA, la banane et la canne. Ces deux dernières filières dominent le secteur agricole et proposent des fleurons de l'économie martiniquaise :

- tout d'abord notre banane française, enrubannée aux couleurs tricolores, qui tente de gommer le souvenir laissé par le scandale du chlordécone et est désormais issue de bananeraies où la biodiversité est revenue, comme en atteste une étude récente du CIRAD ;

- je pense aussi bien sûr à notre filière canne, et tout particulièrement à nos rhums agricoles dont la notoriété fait le tour du monde. Ils sont d'ailleurs les premiers à avoir obtenu une AOC, et cela dès 1996. Mais je n'en dis pas davantage pour ne pas déflorer la présentation que nous réserve Charles Larcher.

Si la préoccupation qualitative et environnementale imprime de plus en plus sa marque aux filières agricoles, elle émerge également dans le domaine énergétique : je ne citerai que les prospections en cours en matière de géothermie et la construction d'une centrale d'énergie thermique des mers à Bellefontaine.

Outre l'activité de raffinage de la SARA (je vous signale au passage une intéressante exposition photographique à la bibliothèque Schoelcher, jusqu'à la fin mai, sur cette entreprise historique créée en 1969 !), le secteur industriel reste dominé par l'agro-alimentaire qui en est le premier employeur.

Mais, en termes de répartition sectorielle, l'économie martiniquaise se caractérise avant tout par la prédominance du secteur tertiaire qui représente plus de 80 % de la valeur ajoutée et quelque 85 % de l'emploi salarié. Plus des trois quarts des entreprises de Martinique interviennent dans le commerce et les services. Et cet élan du tertiaire, dont les activités sont généralement peu gourmandes en espace et donc bien adaptées à un contexte insulaire où le foncier est une denrée rare, semble devoir prospérer encore.

Le domaine des services à la personne, et j'en viens au témoignage que nous livrera Sylvie Maréchal, est promis à un bel avenir, notamment du fait de l'évolution démographique martiniquaise. En 2014, la proportion des plus de 60 ans dans la population de la Martinique a rattrapé celle des moins de 20 ans, qui décroît : les plus de 60 ans représentent ainsi désormais 24 % de la population martiniquaise. Le rapport entre le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans et le nombre de personnes en âge de travailler, les 20-59 ans, s'établit à près de 45 % et devrait atteindre plus de 101 % à l'horizon 2040 selon les projections de l'INSEE. À cette date, la Martinique devrait devenir, après la Corse, la région la plus âgée de France. Mais, ainsi que le fait valoir une étude de 2013 réalisée par l'AFD et la CCIM, le vieillissement doit être appréhendé non comme un handicap mais comme une « opportunité pour fournir un emploi à tous ».

Ces chiffres doivent en effet nous alerter et inviter à la fois la sphère privée et la sphère publique à rapidement investir.

L'investissement est d'ailleurs le dernier aspect sur lequel je voudrais insister en considérant l'importance de la commande publique dans un contexte d'économie insulaire aux marchés étroits. Celle-ci a une fonction de régulation et de dynamisation de première importance à travers des secteurs structurants tels que le BTP et les transports. Dans un contexte délicat où l'économie reste sur le fil du rasoir, tout mouvement de repli pourrait porter un coup fatal à une économie qui n'a pas encore totalement effacé les stigmates de la crise de 2009, malgré les dynamiques amorcées et un tissu entrepreneurial tonique comme l'observe une étude de la Banque de France menée en 2014 en collaboration avec l'IEDOM.

Charles LARCHER, Président du Comité martiniquais d'organisation et de défense du marché du rhum (CODERUM)

La filière canne-sucre-rhum de la Martinique est une filière structurée, qui regroupe aujourd'hui 200 planteurs de canne à sucre, 12 industriels du rhum et une sucrerie.

En Martinique, le rhum est un secteur traditionnel structurant, qui fait partie de l'histoire du territoire. L'essor de la production rhumière agricole, indépendante des sucreries, est intervenu dans la seconde moitié du XIX e siècle. En 1913, la Martinique comptait ainsi 86 distilleries et 16 usines à sucre. Aujourd'hui, les distilleries dites « fumantes » sont au nombre de 9, auxquelles s'ajoutent 4 négociants-éleveurs et une sucrerie.

Le rhum de Martinique est une filière d'excellence. L'appellation d'origine contrôlée (AOC) obtenue en 1996 couronne cette excellence, faisant de notre rhum l'unique rhum AOC au monde. Sa matière première, la canne à sucre, valorise notre terroir ; le savoir-faire des femmes et des hommes de la profession est notre fierté.

Le rhum de Martinique est également une filière créatrice d'emplois. La filière canne à sucre-rhum génère environ 5 000 emplois, dont 3 000 emplois directs dans une Martinique au taux de chômage proche de 20 %. Ces emplois se répartissent dans les domaines agricole, industriel et touristique.

La filière apporte aussi sa contribution à l'aménagement du territoire, en contribuant au maintien des emplois dans les bassins agricoles, ainsi qu'au maillage du territoire par ses unités industrielles. Deux tiers des structures de la filière sont ainsi situées au Nord de la Martinique, territoire enclavé à développer.

La filière fait aujourd'hui face à trois principaux enjeux :

- le premier se trouve être l'augmentation du volume de canne à sucre produit. En effet, le développement de nos ventes sur l'ensemble de nos marchés requiert aujourd'hui une optimisation et un développement de la sole cannière ;

- le deuxième se trouve être le maintien du contingent. Ce régime vise à compenser les surcoûts que connaissent les producteurs de rhum dans les DOM (en lien avec le respect de normes sociales et environnementales, de strictes conditions de fabrication et des coûts de transport propres aux régions ultrapériphériques) par rapport aux producteurs d'autres pays, avec des enjeux en termes de compétitivité. Il permet aussi de garantir un accès effectif au marché dans l'Hexagone pour le rhum traditionnel des DOM.

Ce dispositif fiscal est stratégique pour la poursuite du développement des ventes de rhum des DOM, et singulièrement de la Martinique, en France métropolitaine et à l'export. En effet, l'Hexagone demeure une plateforme logistique indispensable pour délivrer nos produits dans l'ensemble de l'Europe et du monde.

Une absence de croissance de notre contingent se traduirait par une augmentation des parts de marché des rhums des pays tiers, à nos dépens ;

- le troisième enjeu pour la filière du rhum martiniquais se trouve être la défense de son « exception française ». La protection de notre AOC, dont nous fêterons les 20 ans en novembre prochain, et des indications géographiques (IG) rhums européens et mondiaux est stratégique. Nous sommes donc très attentifs aux différentes négociations en cours, dont celle du TAFTA ( Transatlantic Free Trade agreement ).

Le rhum de Martinique est un secteur dynamique. En effet, nous observons une progression régulière de nos ventes sur l'ensemble de nos marchés : de l'ordre de 1,5 % entre 2014 et 2015 sur le marché martiniquais, de 4 à 5 % par an en France hexagonale et de 10 à 15 % par an dans le reste du monde.

Le rhum AOC de Martinique est également un innov-acteur de notre territoire. Des produits innovants ont ainsi été développés, avec la gamme single cask , des séries limitées, des carafes, etc. Au niveau de la commercialisation, les ventes en ligne se développent significativement. Au niveau de la communication, l'utilisation du digital et de gestion de la relation client ( Customer relationship management -CRM) optimise l'efficacité de nos actions.

Avec le développement du spiritourisme, les sites du rhum de Martinique reçoivent près de 500 000 touristes par an. Le rhum permet ainsi le développement d'un tourisme à dimension patrimoniale. L'ensemble des sites a par ailleurs investi afin de faire de nos visiteurs des « ambassadeurs du Rhum AOC de Martinique ». La filière est devenue un acteur incontournable du tourisme en Martinique, proposant un axe de différenciation dans la compétition avec d'autres îles aux plages ensoleillées.

Le rhum de Martinique se prémiumise par ailleurs. En effet, nous observons une très forte augmentation des ventes de rhum vieux dans l'Hexagone (+50 % en 2015). Les ventes de rhum très vieux se développent également - les petites distilleries permettant cette prémiumisation du marché.

Le rhum de Martinique revendique une « French Caribbean touch ». Au même titre que ses illustres confrères du Cognac, du Champagne et des vins de Bordeaux, le rhum AOC de Martinique illustre parfaitement le savoir-faire français dans le domaine des alcools et plus largement de la gastronomie. Nous sommes aujourd'hui présents dans 100 pays dans le monde.

En conclusion, je soulignerai que le rhum de la Martinique, outil de structuration et de dynamisme de son territoire, est pleinement entré dans un XXI e siècle mondialisé, où de plus en plus de consommateurs recherchent l'origine des produits qu'ils consomment.

Sylvie MARÉCHAL, Directrice de NORADOM Services et Présidente de UROSAP 972

(Union régionale des organismes de services à la personne de la Martinique)

Le secteur des services à la personne (SAP) est un secteur porteur en Martinique. En 2030, la Martinique se situera au 5 e rang des régions les plus âgées de France. Ce vieillissement doit conduire à des réflexions innovantes en matière de prise en charge, de la dépendance notamment. Le secteur des SAP, avec une attractivité forte, poursuit ainsi progressivement son envolée.

Les SAP représentent aujourd'hui 186 structures en Martinique. Parmi ces structures, 53 bénéficient d'un agrément pour intervenir auprès des publics fragiles comme les personnes âgées, les personnes en situation de handicap et les enfants de moins de 3 ans ; les 133 autres structures déclarées interviennent auprès de personnes, comme vous et moi, pour des activités de ménage, de repassage, etc. Un million d'heures sont ainsi effectuées chaque année. Les structures emploient environ 2 300 salariés qui interviennent auprès de 18 000 personnes. La qualité d'employeur conférée à certaines personnes servies, parfois fragiles ou âgées, a pour conséquence de générer de nombreux conflits, notamment devant les prud'hommes.

La Martinique compte 8 000 bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et de la prestation de compensation du handicap (PCH), pour un montant global annuel de 4 millions d'euros. Ces sommes sont utilisées à 90 % par les bénéficiaires, dans le cadre de transactions de gré à gré ; le reste est distribué par les structures autorisées.

De fait, le niveau de qualification requis implique que le nombre de structures déclarées excède encore celui des structures autorisées. Par ailleurs, on observe un foisonnement complexe de métiers - 23 activités ayant été reconnues par le code du travail comme susceptibles de faciliter la vie des ménages et de faire face à la dépendance. Les données de la Caisse générale de sécurité sociale (CGSS) faisaient ainsi état, fin 2008, de 9 084 équivalents temps plein (ETP) mobilisés. Le secteur des SAP est donc dynamique et pourvoyeur d'emplois. Du reste, il demeure difficile de rassembler des données exactes sur ce secteur.

La politique en faveur des SAP a été définie par la loi Borloo de juillet 2005. Cette loi a permis la structuration d'une offre de services, en facilitant la création d'emplois par des allègements de charges sociales et fiscales. La loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement a ensuite mis l'accent sur le maintien à domicile. Cette loi est amenée à modifier les pratiques du secteur et la qualité de vie des personnes vieillissantes.

Malgré son potentiel et son dynamisme, le secteur des SAP en Martinique demeure aujourd'hui peu structuré et sujet à de grandes difficultés financières. La plupart des organismes ne survivent que grâce aux aides de la collectivité territoriale, des caisses de retraite et des services de l'État. Ce secteur offre un vaste choix de métiers, accessibles avec ou sans diplôme, ce qui affecte la qualité des prestations et, par là même, sa structuration.

Dans ce contexte, l'Union régionale des organismes de services à la personne de la Martinique (UROSAP 972) et ses partenaires que sont la Fédération du Service aux Particuliers (FESP) et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) se veulent le fer de lance d'une organisation en filière des SAP de la Martinique. Une telle organisation permettrait le développement d'emplois, y compris dans des secteurs connexes comme la formation, la domotique, les activités de loisirs spécialisés, les produits touristiques spécifiques, les assurances dépendance, etc.

Cette structuration pourrait se traduire par la mise en place d'une plateforme départementale de services et d'animation du territoire. Au-delà de la simple mise en relation de l'offre avec la demande, cet outil pourrait permettre de promouvoir le secteur en rendant son action plus lisible, de réunir des données fiables et à jour à travers un observatoire, de garantir la qualité d'accompagnement et de prioriser le maintien à domicile des personnes fragiles, de bâtir des partenariats entre les différents intervenants institutionnels, ainsi que de créer un lieu ressource pour les informations sociales.

Cette plateforme serait également conçue comme un lieu d'innovation et contribuerait à la consolidation du maillage territorial.

Pour réussir cette organisation en filière, plusieurs leviers nécessiteraient d'être actionnés : le maintien du dispositif Chèque emploi service universel (CESU) en renforçant les moyens de contrôle existants, la revalorisation de l'APA, la révision des politiques de gré à gré pour lutter contre la maltraitance et le travail au noir, l'organisation d'un salon des SAP visant à valoriser le secteur, la création d'un label local avec des standards de qualité pour les prestations et services, la redynamisation des commerces de proximité avec près de 2 000 emplois à la clé et le renforcement de l'autonomie et de la visibilité de la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) dans le cadrage des encaissements en rapport avec l'APA.

La réussite de la prise en charge du vieillissement de la population en Martinique ne pourra ainsi être assurée qu'avec une intervention forte des pouvoirs publics. Le vieillissement étant l'affaire de tous, une politique sociale proactive devra être mise en oeuvre en faveur des seniors, mais aussi des jeunes qui seront les seniors de demain.

Antoine KARAM, Sénateur de la Guyane

Je suis très heureux que nous soyons réunis pour cette deuxième conférence économique de bassin organisée par notre Délégation à l'outre-mer et consacrée à la zone Atlantique.

Ce rendez-vous nous permet de donner plus de visibilité à nos outre-mer, et de mettre en lumière les spécificités, les contraintes qui s'imposent à nos entreprises, dont je salue les représentants, et bien sûr, nos dynamiques sectorielles et potentiels exceptionnels.

Nous avons déjà pu le constater ce matin, c'est dans toute sa diversité et sa richesse que la France est présente dans l'espace Atlantique.

S'agissant de la Guyane, on évoque souvent une « économie de comptoir » ou une « économie de transferts ».

Mais avant les termes et les chiffres, il y a une histoire. Et pour évoquer l'économie guyanaise et ses perspectives, il nous faut d'abord regarder derrière nous.

Depuis la colonisation, la Guyane a toujours été confinée dans une économie assistée basée sur les transferts sociaux.

L'exclusif colonial perdure d'ailleurs encore aujourd'hui.

En effet, le « Pacte de l'Exclusif » de Colbert, visant à ce que « ni un clou, ni un fer à cheval » ne soit produit dans les colonies s'est poursuivi dans le cadre de ce qu'il faut bien appeler le « pacte départemental ».

Ainsi, la Guyane est restée dépendante de l'Hexagone sans possibilité d'échanges commerciaux avec ses voisins sud-américains, et ce malgré une position géographique stratégique.

La faiblesse du taux de couverture des importations par les exportations participe du déséquilibre des échanges.

Avec la départementalisation et la décentralisation, des efforts ont été réalisés, mais force est de constater que la Guyane demeure, malgré ses richesses et ses potentialités, une belle au bois dormant.

Dans ce contexte, l'activité économique en Guyane s'est essentiellement développée sur la bande côtière où l'on trouve les villes les plus importantes.

Elle s'articule sur un secteur traditionnel structuré autour des filières du bois - qu'Isabelle Bonjour, responsable de la Maison de la Forêt et des Bois, vous présentera plus finement - mais aussi de la pêche, du BTP, de l'or et d'un secteur de pointe représenté par le Centre spatial guyanais à Kourou.

On a longtemps cru que la Guyane pouvait vivre de cette mono-activité.

L'activité spatiale est incontestablement le socle de notre économie. Elle est la première exportatrice du territoire et représente 30 % du chiffre d'affaires des industries et des services en Guyane.

Mais nos réalités économiques et démographiques nous rattrapent, et nous devons aujourd'hui diversifier notre économie et répondre aux besoins en matière d'éducation, de formation et d'emploi.

90 000 habitants il y a 20 ans, 250 000 officiellement aujourd'hui. Et probablement 450 000 dans 20 ans.

Nous devons faire de ce défi démographique un levier pour le développement.

Je partage l'idée selon laquelle une stratégie articulée autour de la recherche, de l'exploitation et de la valorisation de nos ressources naturelles réunit toutes les conditions pour faire de la Guyane un territoire attractif, véritable porte d'entrée de l'Union européenne entre le Mercosur et le Caricom.

Car, je peux vous l'assurer, il y a en Guyane des filières d'avenir.

Je commencerai par l'or.

Carole Ostorero, Présidente de la Fédération des opérateurs miniers, le démontrera certainement mieux que moi : l'exploitation aurifère en Guyane n'est pas un choix mais une réalité économique.

Le potentiel exploitable de la Guyane serait de près de 450 tonnes d'or. Pour autant, nous n'avons pas encore le développement d'une industrie aurifère puissante. Les choses sont toutefois en train de changer, notamment avec l'intérêt de l'industriel Canadien Columbus Gold et son projet de la Montagne d'or.

Bien entendu, nous devons veiller à ce que les opérateurs légaux relèvent un défi incontournable : mettre en oeuvre des méthodes d'exploitation respectueuses de l'environnement.

Parallèlement, nous devons aussi traiter la question de l'orpaillage illégal : véritable fléau social, sanitaire et environnemental.

Je suis convaincu que la lutte contre l'orpaillage illégal passe par le développement responsable et maitrisé d'opérateurs légaux soumis au code minier.

Il ne s'agit pas de croire naïvement que le légal remplacera purement et simplement l'illégal ; mais bel et bien de mettre en place un dispositif permettant le développement d'une exploitation aurifère légale qui respecte l'environnement et contribue à une meilleure sécurité de nos concitoyens.

Parmi les filières d'avenir, il y aussi la biodiversité, sur laquelle nous avons longuement débattu ici au Sénat. Je le rappelle, 80 % de la biodiversité française se situe dans nos outre-mer, dont 50 % en Guyane.

Cette richesse est une chance.

Cela doit nous permettre d'ériger la Guyane en un pôle d'excellence au sein duquel les savoirs et savoir-faire traditionnels de nos populations autochtones et locales seront reconnus et valorisés.

Un autre atout, c'est le tourisme, insuffisamment développé. Mais faut-il encore avoir les équipements, les structures. Et là encore, ça fait partie de ce que nous devons préparer pour l'avenir de la Guyane.

Enfin, quid de l'exploitation pétrolière. La Guyane reste très convoitée mais il est encore trop tôt pour dire si les prospections en cours seront concluantes.

En conclusion, pour relever ces défis économique, démographique et environnemental, nous devons aménager le territoire.

Sans investissements, sans aménagements, sans infrastructures, un territoire ne peut pas créer les conditions de son développement économique.

Dans le même temps, les disparités demeurent en Guyane en matière d'accès à l'électricité, l'eau potable ou encore à la téléphonie et l'internet mobile.

Il est donc essentiel d'aménager notre territoire de manière à créer les conditions du dynamisme économique tout en veillant à un rééquilibrage au profit des zones enclavées.

Je vous remercie de votre attention et cède maintenant la parole à mesdames Isabelle Bonjour et Carol Ostorero, qui vont nous apporter leur regard de professionnelles.

Carol OSTORERO, Présidente de la Fédération des opérateurs miniers de Guyane (FedomG)

Il est en effet possible de concilier exploitation aurifère et protection de l'environnement.

Dirigeante d'entreprises, minières et aurifères notamment, j'ai également été vice-présidente de la Région Guyane et présidente de l'Agence régionale de développement économique de Guyane. Depuis de nombreuses années, je travaille ainsi activement à l'industrialisation de la Guyane et à la structuration de sa filière aurifère.

La FedomG, créée pour permettre à la filière de s'exprimer d'une seule voix, regroupe une centaine d'entreprises de toutes tailles, parmi lesquelles des multinationales, des PME et des artisans. Nous tenons beaucoup à cette mixité au sein de notre fédération car elle est porteuse de savoir-faire et d'échanges fructueux. Cette structuration innovante dans le secteur minier a d'ailleurs été saluée lors d'un grand congrès minier au Suriname.

La filière minière de Guyane s'est structurée notamment grâce aux artisans : telle est la force et la base de notre activité. Dans le prolongement de la création de la FedomG en 2001, un pôle technique a donc été constitué en 2010 pour appuyer les opérateurs artisans et PME du territoire, avec 3 ingénieurs, géologue, minier, et environnementaliste. Dans le cadre d'un appel à projets de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR), la Grappe ORKIDEE a ensuite été créée en 2011 ; elle a pour objectif de favoriser la synergie entre les acteurs de la filière minière et les métiers associés. À l'avenir, l'ambition serait également de mettre en place un fonds dédié pour soutenir le développement des entreprises artisanales et des PME du secteur - le secteur minier étant blacklisté par les banques.

L'activité minière de Guyane s'inscrit dans un cadre règlementaire extrêmement adapté. Sous la présidence de Monsieur Karam, avec l'appui des parlementaires, nous avons créé un code minier spécifique à la Guyane, avec des titres miniers adaptés aux artisans et à l'exploitation alluvionnaire mobile. Par la suite, avec le rejet du projet Camp Caïman, un schéma départemental d'orientation minière (SDOM) a été élaboré, pour éviter que cette situation ne se reproduise et pour redonner confiance aux investisseurs. Ce schéma détermine précisément les zones ouvertes ou non à l'activité minière. Actuellement, nous travaillons à l'écriture d'un livre blanc de la mine responsable, à l'initiative du ministre Monsieur Emmanuel Macron. Ce cadre adapté devrait favoriser l'implantation des entreprises et des industriels du secteur en Guyane.

Les ressources minières de la Guyane sont extraordinaires, avec de très nombreux métaux et notamment de grandes quantités d'or. Notre potentiel est ainsi douze fois supérieur à celui du Suriname.

La production aurifère de l'artisanat guyanais représente presque 2 tonnes d'or par an.

La Guyane intéresse également de nombreux industriels, qui investissent dans la recherche : nous sommes ainsi à l'aube de trois grands projets miniers.

À l'horizon 2020, le projet Montagne d'Or, fruit d'un accord entre Colombus et Nordgold, pourrait entrer en production, avec en cible un gisement de 120 tonnes d'or.

Des études préliminaires et une recherche de partenariats ont par ailleurs été lancées sur le gisement Espérance, dont le potentiel pourrait être supérieur à 150 tonnes d'or, avec une mise en production envisagée à l'horizon 2023.

Enfin, le gisement de Bon Espoir, découvert en 2016, pourrait également représenter un potentiel de 150 tonnes d'or.

Pour permettre le développement de ces projets, des infrastructures seront nécessaires, avec des routes, des capacités de stockage, des infrastructures portuaires et un réseau énergétique adapté. Pour mettre en fonctionnement ces usines, les besoins en énergie sont ainsi estimés à 60 Mégawatts (MW).

À l'horizon 2025, ces projets pourraient représenter plus de 12 000 emplois, directs et indirects, près de 120 millions d'euros de revenus pour les collectivités en phase de construction et près de 125 millions d'euros de revenus pour les collectivités et l'État en phase d'exploitation.

Isabelle BONJOUR, Responsable de la Maison de la forêt et des bois de Guyane (MFBG)

La filière forêt et bois de Guyane est une filière traditionnelle, engagée dans une démarche industrielle innovante pour la construction d'un avenir durable.

Située en Amérique du Sud, entre le Suriname et le Brésil, la Guyane offre à la France et à l'Union européenne leur seule forêt tropicale humide : 8 millions d'hectares de forêt primaire, soit 96 % de la surface du département. Sur ces 8 millions d'hectares, 2,4 millions, certifiés PEFC ( Program for the Endorsement of Forest Certification schemes - Programme de reconnaissance des certifications forestières) depuis 2012, sont dédiés à la production de bois et constituent le socle de la filière.

D'apparence homogène, les forêts guyanaises présentent une grande diversité de milieux et un cortège exceptionnel d'espèces. Alors que l'on dénombre environ 130 espèces arbustives en France métropolitaine, près de 1 600 ont été inventoriées en Guyane - 200 à 300 d'entre elles pouvant être présentes en mélange sur le même hectare.

Cette biodiversité constitue l'atout principal de la filière guyanaise. Néanmoins, l'hétérogénéité de cette ressource est source de contraintes pour sa valorisation et sa commercialisation. Sa préservation constitue également une lourde responsabilité, que les professionnels ont assumée en élaborant un guide de bonnes pratiques : la charte d'Exploitation à Faible Impact (EFI) des forêts guyanaises, annexée au schéma français PEFC pour engagement.

Bien que petite, la filière forêt et bois guyanaise est identifiée comme une filière d'avenir pour le territoire. Elle est constituée d'environ 215 entreprises, en majorité des TPE, qui génèrent 830 emplois et un chiffre d'affaires annuel de près de 76 millions d'euros.

Deux secteurs d'activités sont prédominants dans cette filière : le secteur « sciage et rabotage du bois » et le secteur « charpente, construction bois et menuiserie extérieure ».

Depuis quelques années, le secteur de l'exploitation forestière, qui était le maillon faible de la filière, s'est notablement renforcé, en équipements comme en effectifs.

Le secteur de l'ameublement/agencement, quant à lui, demeure faiblement représenté et peine à se développer face à la concurrence des intrants en provenance d'Asie.

La filière forêt et bois guyanaise a une structuration classique de filière productrice de bois d'oeuvre. Elle est organisée en quatre grands secteurs, de l'amont vers l'aval : la gestion forestière (assurée par l'Office national des forêts (ONF) en forêts naturelles), l'exploitation forestière, le sciage et le rabotage du bois (également appelé 1 ère transformation du bois) et la 2 e transformation du bois, qui regroupe toutes les activités de transformation secondaire du matériau bois (construction, menuiserie, emballage, ameublement, ...).

Du fait de cette spécialisation, l'équilibre de la filière demeure précaire, car chaque secteur est tributaire du marché local du bâtiment, soutenu par la commande publique. La filière atteint ainsi aujourd'hui sa limite de résilience, incapable de s'adapter aux fluctuations récurrentes et imprévisibles, en lien avec l'engagement des programmes opérationnels sur le territoire.

Toutefois, si la filière a pu donner une impression d'immobilisme au regard du bilan de ses activités sur la décennie écoulée, la réalité est toute autre. Des investissements conséquents ont été réalisés, tant en matériel qu'en formation, et l'intégration de nouvelles technologies (LIDAR 1 ( * ) , Système d'Information Géographique, informatique embarquée) a permis aux entreprises de gagner en performance et en compétitivité, malgré des contraintes d'exercice fortes. Parallèlement, la filière a investi dans la qualification mécanique de ses bois pour répondre aux exigences européennes (au règlement Produits de Construction - RPC - notamment), ce qui lui permet aujourd'hui de commercialiser des produits normalisés et écocertifiés.

C'est sur ce socle que la filière forêt et bois guyanaise a construit sa stratégie de développement, en utilisant le levier de l'émergence du marché du bois énergie.

Cette diversification des débouchés permettra aux entreprises de l'amont de la filière d'accroître leur récolte et d'abaisser leurs coûts de production.

L'augmentation projetée des volumes de production devrait ainsi permettre la création d'une offre variée, compétitive et de qualité, apte à répondre à la fois aux besoins du marché local du bâtiment au regard de la croissance démographique annoncée, aux exigences spécifiques des marchés à l'export techniques et esthétiques, ainsi qu'aux attentes sociétales en termes de garanties environnementales particulièrement exigeantes dès lors que le bois est issu de forêts primaires.

Elle génèrera également un approvisionnement en biomasse ligneuse, connexe d'exploitation forestière et de sciage, suffisant pour l'alimentation de tous les projets annoncés de centrales, avec, à terme, la production de 30 Mégawatts électriques (MWe) qui serviront la politique d'autonomie énergétique du territoire.

Des programmes expérimentaux de plantation sont par ailleurs en cours d'élaboration, à partir des résultats de la recherche, en vue de déterminer les pratiques sylvicoles les plus favorables au développement d'une ressource complémentaire à celle issue des forêts naturelles.

Au terme du déploiement de cette stratégie, soit aux alentours de 2025, la filière devrait atteindre un effectif de 1 500 personnes réparties sur 5 grands pôles en vue de favoriser les circuits courts et les synergies. La récolte devrait permettre de générer une production de 75 000 m 3 de sciages, soit le double de la production actuelle, et de 30 MWe.

Ce plan stratégique est un projet de territoire. Il devra donc être conduit avec l'ensemble des partenaires de la filière pour développer les infrastructures et l'offre de formations indispensables à sa déclinaison.

Ces objectifs ne seront atteints qu'en ménageant le strict équilibre, garant d'un développement durable et intégré sur un territoire, entre ses trois piliers : le social, l'environnement et l'économie. Ses valeurs sont défendues par l'association interprofessionnelle Interprobois Guyane, à travers sa marque collective simple « Bois de Guyane française ».


* 1 Light Detection And Ranging - Télédétection par laser de haute précision

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