V. RÉFORME TERRITORIALE DE L'ÉTAT : UN POINT SUR LA MISE EN PLACE DE L'ORGANISATION MULTI-SITES DES DIRECTIONS RÉGIONALES

Pour rappel, la réorganisation des services régionaux de l'État 12 ( * ) dans les nouvelles régions est guidée par deux principes :

- les anciennes directions régionales ont été fusionnées en une direction unique, mais pas nécessairement implantée au chef-lieu de la future région. Un tiers des sièges des directions régionales est ainsi implanté dans les anciens chefs-lieux régionaux ;

- les nouvelles directions régionales fonctionnent en multi-sites, conservant des effectifs dans tous les chefs-lieux, actuels et anciens. La répartition des missions entre les différents sites répond à une logique de spécialisation.

Elle répond aussi à des contraintes évidentes de ressources humaines. En assurant le maintien de l'essentiel des effectifs dans les chefs-lieux des anciennes régions, elle permet également de maintenir un certain équilibre entre les territoires.

Les différents déplacements de la mission ont permis de mettre en avant un certain nombre de difficultés dans la mise en place de cette organisation, liées au manque de cohérence induit par le fonctionnement en multi-sites. S'agissant de la gestion des ressources humaines et de la mise à disposition de moyens informatiques adaptés, le bilan est pour le moment mitigé.

A. L'ORGANISATION MULTI-SITES À L'ÉPREUVE DE LA COHÉRENCE

Afin de ne pas laisser les agents trop longtemps dans l'incertitude, le Gouvernement a fait le choix de préparer la réorganisation des directions régionales de l'État dès le début de l'année 2015 et d'arrêter les nouveaux organigrammes pour le 1 er janvier 2016. La mobilisation des cadres et la capacité d'adaptation des agents ont permis de faire fonctionner les directions régionales fusionnées dès cette date, même si la répartition des services et des agents entre les différents sites doit encore évoluer pour être conforme à ces organigrammes. La fusion n'a toutefois pas été anticipée par tous de la même manière.

1. Une réorganisation anticipée mais décalée

Parmi les interlocuteurs privilégiés des services déconcentrés de l'État, nombreux sont ceux qui ne se sont pas encore adaptés à la nouvelle donne régionale.

Les premiers d'entre eux, les services des conseils régionaux, ont dû attendre la désignation du nouvel exécutif avant de préparer concrètement les rapprochements nécessaires. Cette phase de préparation n'est pas encore achevée dans la plupart des nouvelles régions, et les services des anciens conseils régionaux continuent souvent de fonctionner en parallèle.

Par ailleurs, l'exécutif des nouvelles régions ne semble pas vouloir prendre en compte l'organisation des services de l'État dans la réorganisation de leurs propres services. Ainsi la Grande Normandie a choisi Caen comme siège du conseil régional, quand l'État avait choisi Rouen. Dans le même sens, lors du déplacement à Bordeaux de la mission, le directeur général des services de la Nouvelle Aquitaine a indiqué à vos rapporteurs qu'une implantation des services de la grande région calquée sur celles des services régionaux de l'État n'était pas l'approche privilégiée... Si cette tendance se concrétisait, cela pourrait poser des difficultés importantes et durables dans le fonctionnement quotidien des services à la fois de l'État et des conseils régionaux. Cela pose surtout la question de la cohérence de la réforme territoriale, censée renforcer les compétences et les pouvoirs des régions, alors que l'essentiel du travail en commun des services de l'État et des acteurs de terrain continuera à s'effectuer au niveau départemental...

De nombreux autres partenaires habituels des services déconcentrés n'ont pas encore achevé leur réorganisation suite à la fusion des régions. Et là encore, l'implantation des services de l'État n'a pas toujours été prise en compte. Lors de notre déplacement à Limoges, le directeur régional de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt (DRAAF) a fait état de fortes tensions quant à la désignation du siège de la chambre régionale d'agriculture. Limoges, où est également implanté le siège de la DRAAF, a finalement été choisi au mois d'avril. Cependant, la direction générale de la chambre, nommée fin mai, est basée à Bordeaux...

Pour les services de l'État qui sont déjà organisés et dimensionnés dans le cadre de la nouvelle région, le maintien de multiples interlocuteurs complique et surtout alourdit les tâches.

2. Spécialisation ou proximité : faut-il choisir ?

Nous avons vu que le maintien de l'implantation des directions régionales dans tous les anciens chefs-lieux de région est censé obéir à la fois à une logique de spécialisation des sites et de maintien de la présence des services de l'État sur l'ensemble des territoires. Dans la pratique, il apparaît difficile de composer ces deux logiques.

Ainsi, la forte hausse du nombre de déplacements et l'allongement du temps de ces derniers ont rapidement augmenté leurs coûts matériels (carburant et entretien des véhicules). Surtout, les agents ont fait part de la fatigue non négligeable qu'ils entraînent. Pour remédier à cela, l'un des moyens consiste à envoyer à l'extérieur non pas l'agent le plus compétent pour traiter le problème, mais l'agent le plus proche...

Dans certains domaines, le réseau départemental peut assurer les missions de proximité. Lorsque ce n'est pas le cas, choisir privilégier la proximité géographique d'un agent plutôt que ses compétences, qui peuvent être très spécifiques, est très dommageable. Du côté des directions régionales comme de leurs interlocuteurs habituels, cet éloignement des compétences techniques inquiète, car il signifie un recul de la connaissance approfondie des sujets et des contextes, et des relations de confiance qui en découlent. L'efficacité des services de l'État et le bon déroulement des projets auxquels ils participent ne peuvent qu'en faire les frais.

Aux difficultés liées à l'éloignement des agents et au fonctionnement en décalage avec les interlocuteurs habituels, s'ajoutent les interrogations quant à la cohérence de la nouvelle organisation des directions régionales.

3. Une nécessaire harmonisation

Les différents déplacements de la mission ont mis en évidence les différences notables entre les doctrines d'application des politiques de l'État dans les anciennes régions. Un temps d'adaptation sera donc nécessaire pour procéder à une harmonisation de ces doctrines, ou à la « construction d'une politique commune », pour reprendre le vocabulaire utilisé par les intéressés.

Comme l'a indiqué à vos rapporteurs un représentant de la DIRECCTE en Nouvelle-Aquitaine, tout est fait pour que ces différences ne soient pas perceptibles par le public. L'ampleur du travail à accomplir en termes d'harmonisation dans certains domaines fait cependant craindre que toutes les directions régionales ne puissent faire de même pour l'ensemble de leurs interlocuteurs et des usagers.

À ces motifs d'inquiétude s'ajoutent ceux liés à la cohérence de la réforme sur le long terme : dans un contexte de réduction continue des effectifs, toutes les directions régionales pourront-elles être maintenues sur tous les sites ? Et si la réorganisation des interlocuteurs des services régionaux de l'État aboutit à leur déménagement vers les chefs-lieux des nouvelles régions, le maintien des sites des anciens chefs-lieux de région aura-t-il un sens ?

D'une manière générale, il est à craindre que le manque de cohérence accompagnant la mise en place de la réorganisation multi-sites pèse sur l'action de l'État en région.

Si l'importance des moyens de mise en oeuvre de la réorganisation des services régionaux de l'État est bien à l'esprit du Gouvernement et des hauts responsables de ces services, le bilan de leur mise en place concrète est contrasté.


* 12 L'organisation évoquée ici est celle des directions régionales « périmètre ATE » (DREAL, DRAAF, DIRECCTE, DRJSCS, DRAC). La logique de réorganisation des SGAR, différente, sera étudiée dans le prochain rapport d'étape de la mission.

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