E. UNE COMMUNAUTÉ SOUS FORTE INFLUENCE DES PAYS D'ORIGINE

Un des principaux éléments qu'ont mis au jour les travaux de la mission d'information tient à la place et l'influence - jusqu'alors méconnues ou sous-estimées - que les « pays d'origine » (en l'occurrence, l'Algérie, le Maroc et la Turquie) ont dans l'organisation du culte musulman en France. Globalement, quoiqu'à des niveaux variables selon les pays concernés, les leviers d'influence des trois grands « États d'origine » se situent à six niveaux principaux :

dans les rapports avec les mosquées implantées sur le territoire national et avec les associations cultuelles ou culturelles qui les gèrent ; il existe ainsi des « mosquées algériennes » placées sous l'autorité et le contrôle de la Grande Mosquée de Paris (qui constitue leur tête de réseau et reste sous la tutelle étroite des autorités algériennes), des « mosquées marocaines » et des « mosquées turques », sachant que les musulmans de ces trois nationalités ne fréquentent semble-t-il que les mosquées de leur réseau national (rien n'a été indiqué, lors des auditions, sur la pratique des musulmans originaires d'autres pays étrangers) ;

dans la répartition tripartite et sur une base essentiellement nationale des trois principales fédérations musulmanes françaises , avec respectivement la Grande Mosquée de Paris et ses associations affiliées, d'influence algérienne, le Rassemblement des musulmans de France (RMF), d'obédience marocaine et le Comité de coordination des musulmans turcs de France qui, comme son nom l'affiche clairement, est d'influence turque. Face à ces trois fédérations largement majoritaires, l'Union des organisations islamiques de France (proche des Frères musulmans) ou d'autres organisations plus petites (comme la Fédération française des associations islamiques d'Afrique, des Comores et des Antilles) ne représentent pas un véritable contrepoids de nature à limiter l'influence des trois grands pays d'origine ;

dans la composition et la gouvernance du Conseil français du culte musulman , puisque celui-ci est l'émanation, non pas des musulmans sur la base d'un mode de scrutin fondé sur une représentation démographique « un homme/une femme, une voix », mais des associations gestionnaires des mosquées selon un système essayant d'assurer une pondération selon leur surface et leur nombre moyen de fidèles ; en outre, le mécanisme de présidence tournante à la tête du CFCM y fait alterner des personnalités tour à tour représentatives de la mouvance algérienne, de la mouvance marocaine et de la mouvance turque, laissant peu de place aux autres courants de l'Islam de France ;

dans la désignation et la rémunération des imams exerçant leur ministère en France , puisque faute de pouvoir en recruter sur place un nombre suffisant aux besoins du culte, les mosquées font appel à des « contingents d'imams étrangers » dont le recrutement, l'affectation et la prise en charge financière sont respectivement assurés par l'Algérie, par le Maroc et par la Turquie (sous l'appellation d'assistants sociaux dans ce dernier cas), sur la base d'accords conclus avec chacun de ces pays. Ces imams, même s'ils doivent faire preuve de mesure dans l'exercice de leur ministère, sont formés dans leurs pays d'origine et leur restent liés par leur statut juridique propre. Les pays d'origine semblent également jouer un rôle important dans la désignation des aumôniers, mais les auditions n'ont pas permis d'établir ce point avec certitude, d'autant qu'en dehors de l'aumônerie militaire, la structuration des autres aumôneries (hospitalière et pénitentiaire) semble beaucoup moins avancée ;

dans le dispositif de formation des imams, où les trois grands pays d'origine jouent également un rôle quasiment monopolistique . La France a notamment passé avec le Maroc un accord spécifique prévoyant de former à l'Institut Mohamed VI de Rabat un certain nombre de jeunes Français se destinant à l'imamat en France et une centaine de jeunes Français se forment dans des universités théologiques turques, ce qui ne peut qu'accroître l'influence du Maroc et de la Turquie sur les mosquées françaises où ils seront affectés à la fin de leurs études. L'Algérie n'assure pas ce type de formation hors-sol ; en revanche, certains imams algériens devant être détachés en France sont nés et ont vécu en France, comme vos rapporteurs ont pu le constater lors de leur visite à Alger ; et surtout, l'Institut de formation Al-Ghazali, qui forme des imams à Paris, dépend de la Grande Mosquée de Paris, et représente donc le courant algérien.

Enfin, l'UOIF a contribué à la création d'un Institut délié semble-t-il de toute allégeance nationale, l'IESH, mais le coût des études en limite l'accès à un nombre réduit d'étudiants ;

dans l'organisation de la filière halal en France , puisque deux des trois mosquées françaises habilitées par arrêté ministériel à délivrer des cartes de sacrificateur ont été choisies pour leur affiliation à un des trois grands courants nationaux : la Grande Mosquée de Paris (courant algérien) et la mosquée d'Évry (courant marocain). Lors de son audition, le Président de la fédération turque a du reste clairement déploré que le courant turc soit écarté de la filière halal française - et des revenus qu'elle génère, situation qu'il a jugée incongrue : quel que soit le bien-fondé de cette appréciation, elle montre cependant que dans l'esprit de ce responsable, la filière halal française doit, elle aussi, être organisée sur une base nationale tenant compte du poids de chacune des trois grandes communautés.

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