II. LA FORMATION DES IMAMS ET DES AUMÔNIERS

A. LE STATUT DU MINISTRE DU CULTE DANS UNE RELIGION DU « SACERDOCE UNIVERSEL »

La religion musulmane, dans son versant sunnite majoritaire en France, se caractérise par l'absence d'un clergé constitué et hiérarchisé . Comme l'écrit Solenne Jouanneau, sociologue, « les imams (...) ne sont pas comme les curés des catholiques . (...) Le culte musulman n'est structuré ni par une Église, ni par une nette dichotomie doctrinale entre prêtres et laïcs » 18 ( * ) . Il convient de souligner que l'Islam chiite, tel qu'il est pratiqué et organisé notamment en Iran, présente quant à lui un clergé hiérarchisé.

L'Islam sunnite est ainsi une religion du « sacerdoce universel » où chaque fidèle est, en puissance, un ministre du culte . Comme le rappelle son étymologie arabe (« guide » ou « chef »), l'imam est celui qui dirige la communauté des croyants, en particulier en dirigeant la prière. Ce rôle de guide ne lui est pas conféré par une autorité supérieure, mais confié par la communauté elle-même.

En ce sens, Solenne Jouanneau a souligné auprès de vos rapporteurs que la notion d'« imam autoproclamé » était un mythe, dès lors que l'imam est par définition choisi par sa communauté de fidèles et ne peut rester à sa tête que si celle-ci ne s'y oppose pas. N'importe quel fidèle peut devenir imam, mais tout imam ne l'est que par désignation par sa communauté. Dans son étude, elle montre d'ailleurs que, pour être désigné imam et pour le rester, il faut généralement faire preuve d'humilité autant que de savoir coranique, et s'adapter aux attentes de la communauté, par exemple s'agissant de la façon de psalmodier, qui peut varier en fonction des origines nationales des fidèles.

L'imam est désigné par les fidèles parce qu'il est jugé, relativement à ces derniers, plus savant. En particulier, il est souvent choisi pour sa connaissance du Coran, dont il sait réciter par coeur un nombre important de passages, ainsi que pour son savoir en jurisprudence islamique. Il est chargé de diriger la prière par sa psalmodie lors des cinq prières quotidiennes et de réaliser le prêche lors de la prière du vendredi, sans compter les tâches administratives ou logistiques (ouverture de la mosquée, etc.) dans les lieux de culte de taille réduite.

Il convient de préciser que l'imamat n'est pas un privilège masculin : il existe des femmes imams, appelées « mourchidates », qui ne peuvent toutefois pas assumer l'ensemble des fonctions dévolues aux imams de sexe masculin 19 ( * ) ; votre mission a eu l'occasion d'en rencontrer une en Algérie, tandis qu'une autre était en formation à l'Institut Mohammed VI de Rabat ( cf. infra ) et plusieurs suivent des formations à l'Institut Al-Gazhali.

Si l'imam autoproclamé est un mythe, l'imam salafiste n'en est pas un : ainsi, l'imam Rachid Abou Houdeyfa, exerçant dans une petite mosquée d'inspiration salafiste de Brest, est un exemple de ces imams désignés par une communauté radicale, réduite en nombre, qui prennent appui sur ce statut pour diffuser des propos radicaux sur Internet et les réseaux sociaux. À son sujet, M. Amine Nedji, vice-président du RMF, a déclaré devant votre mission d'information que « ce n'est pas un imam radical, ce n'est tout simplement pas un imam du tout : son discours n'a rien à voir avec la théologie musulmane (...). Pour moi, c'est l'une des victimes de l'absence d'institut de formation en France . »

Aussi, le caractère universel du sacerdoce dans l'Islam sunnite ne remet pas en question l'importance qu'il y a à disposer d'un encadrement formé, maîtrisant à la fois la théologie musulmane et le contexte français et qui puisse développer un contre-discours face aux discours de surenchère radicale. Précisément parce que tout fidèle peut devenir imam, il faut que la formation des imams soit en mesure de faire émerger des cadres qui maîtrisent le texte et s'investissent dans son interprétation adaptée au contexte français.


* 18 Solenne Jouanneau, « Les imams en France - Une autorité religieuse sous contrôle », 2013.

* 19 Aux termes des décrets organisant en Algérie les professions religieuses, les mourchidates, qui exercent un rôle intermédiaire entre celui de l'imam proprement dit et les fonctions d'assistantes sociales, sont notamment chargées « d'enseigner les matières des sciences islamiques et apprendre le Saint Coran aux femmes dans les mosquées et les écoles coraniques ; de contribuer à l'activité sociale de la mosquée ; de contribuer aux programmes d'alphabétisation ; de contribuer aux activités religieuses dans les établissements pénitentiaires pour les femmes et les mineurs ; de contribuer à la préservation de l'unité religieuse de la société et sa cohésion ; de participer aux cours préparatoires destinés aux pèlerins des lieux saints de l'islam ; de participer aux programmes de protection de l'enfance et de la maternité. Les mourchidates peuvent également participer à l'élaboration et à la codification des avis religieux, aux études et aux travaux de recherche scientifique organisés par le conseil scientifique de la fondation de la mosquée, aux programmes intersectoriels de protection de la famille, ainsi qu'être appelées à exercer des tâches d'enseignement dans les établissements de formation spécialisée relevant du secteur ».

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