INTRODUCTION

« Pourquoi [...] donner le nom distant et atténué de "réserve", un nom de second plan, à cette masse de soldats exercés qui sont rentrés dans la vie civile mais qui sont inscrits dans des unités militaires, qui seront appelés au jour de la mobilisation et qui dans un système authentique et vrai de nation armée formeraient la véritable armée active, la grande masse organisée pour le combat ? »

Jean Jaurès, L'armée nouvelle , 1910

Mesdames, Messieurs,

La réserve militaire française porte, dans son histoire, l'héritage des grandes mobilisations du XX e siècle. Elle garde la mémoire des sacrifices consentis par la Nation en armes, pour la défense de la République, lors des deux premières guerres mondiales tout particulièrement. Elle se souvient des hauts faits, parmi d'autres, de l'Armée d'Afrique, de la 1 e Armée de Lattre de Tassigny, de la 2 e Division blindée de Leclerc, du Corps expéditionnaire français en Italie commandé par Juin...

C'est à la lumière de ce passé tragique et glorieux que l'on peut souhaiter interpréter le discours tenu par le Président de la République devant le Congrès du Parlement réuni à Versailles, le 16 novembre 2015, à la suite des attentats meurtriers qui, le 13 précédent, avaient frappé notre pays. Ayant posé pour principe - par ailleurs discutable, et qui devait être discuté -que « la France est en guerre », le Chef de l'État a en effet indiqué, parmi les mesures décidées en conséquence, après celle du gel de la diminution des effectifs de la défense jusqu'en 2019 : « Je souhaite également que l'on tire mieux parti des possibilités des réserves de la défense , encore insuffisamment exploitées dans notre pays alors que nous avons justement ce gisement. Les réservistes sont un élément fort du lien entre l'armée et la Nation. Ils constituent les éléments qui peuvent, demain, former une garde nationale encadrée et disponible . »

Le Gouvernement, depuis lors, soutient un projet, relativement ambitieux, qui tend à renforcer les réserves militaires et semble devoir concrétiser, pour l'essentiel, ce concept de « garde nationale ». Il poursuit ainsi une relance amorcée au début de l'année 2015 par le ministre de la défense, au lendemain des actes terroristes perpétrés sur notre sol les 7 et 9 janvier, et amplifie une démarche engagée dès l'année précédente par les armées, sur le fondement des orientations arrêtées par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 et la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2014 à 2019.

Les objectifs ont été réaffirmés, au début de l'année 2016, par le Président de la République lors de ses voeux aux armées 1 ( * ) . Il s'agit de porter à hauteur de 40 000 volontaires d'ici 2019, contre un peu plus de 28 000 en 2015, la réserve opérationnelle des armées , et de déployer 1 000 de ces réservistes, en permanence, pour la protection de nos concitoyens sur le territoire national - dans le cadre de l'opération « Sentinelle » mise en place depuis janvier 2015 ou de l'opération qui pourrait être appelée à lui succéder. « L'enjeu , précisait le Chef de l'État , c'est d' améliorer le maillage territorial de la réserve pour qu'elle soit au plus près des populations et puisse devenir à terme une véritable garde nationale. »

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a souhaité évaluer cette initiative de l'Exécutif, en développant sa propre réflexion sur les besoins de rénovation de la réserve militaire - qu'il s'agisse de la réserve opérationnelle ou de la réserve citoyenne. Au mois de mars 2016, elle a décidé de créer un groupe de travail ad hoc , sur la proposition de votre rapporteur Jean-Marie Bockel , investi de longue date dans le domaine 2 ( * ) ; la co-animation de ce groupe lui a été confiée avec votre rapporteure Gisèle Jourda . Nos collègues Joëlle Garriaud-Maylam et Michel Boutant, Alain Gournac et Jean-Paul Émorine y ont pris toute leur part.

Les travaux se sont déroulés, en pratique, d'avril à juin derniers. Ils ont consisté, pour l'essentiel, en plus d'une vingtaine d'auditions de personnalités 3 ( * ) représentant, non seulement le ministère de la défense et les armées, mais aussi la gendarmerie, pour compléter le champ militaire, ainsi notamment que différents « viviers » de réservistes : le monde des entreprises, la fonction publique, l'enseignement supérieur... En outre, dans le dessein de comparaisons utiles, une documentation sur l'organisation des réserves militaires de six pays étrangers - les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie - a été élaborée, sur la demande de vos rapporteurs auprès du ministre de la défense, par les services de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) 4 ( * ) .

Le présent rapport d'information est le fruit de ces travaux. Il a également tiré le plus grand profit du rapport réalisé, en 2010, par nos collègues Michel Boutant et Joëlle Garriaud-Maylam au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur le thème des réserves 5 ( * ) - rapport qui, ayant donné lieu à la création par la loi, en 2011, du dispositif de « réserve de sécurité nationale 6 ( * ) », fut tout à fait précurseur de la réflexion actuellement en cours. Dans une certaine mesure, le présent rapport constitue une actualisation de l'analyse alors effectuée, même si, comme l'ont révélé les auditions organisées par vos rapporteurs, les constats portés, voici près de six ans, par nos collègues, restent largement valides ; nonobstant la récente impulsion politique donnée au sujet sous la pression du contexte sécuritaire, la physionomie de la réserve militaire, en droit et en fait, a encore peu changé.

Cependant, au-delà d'une mise à jour de l'état des lieux de cette réserve, il ne s'agissait bien évidemment pas de refaire une analyse déjà disponible. Le groupe de travail a surtout cherché à sonder, de façon pragmatique, les propositions d'ores et déjà avancées , et à identifier les mesures qu'il conviendrait de suivre , afin de revivifier les réserves des armées . Ce faisant, il s'est efforcé d'explorer les enjeux et la pertinence de l'idée d'une « garde nationale » qui, mise dans le débat public depuis l'automne dernier sans beaucoup plus de précisions de la part de l'Exécutif, s'avère susceptible d'interprétations très diverses ; le présent rapport tend résolument à lui donner corps, en promouvant un redimensionnement de la réserve.

* * *

La réserve militaire s'est vue entièrement réorganisée, à la fin de la décennie 1990, pour tenir compte de la suspension du service national et donc de la fin de la conscription qui l'alimentait jusqu'alors. Elle a ensuite été traitée, longtemps, comme un dossier de second rang , et régulièrement utilisée comme une variable d'ajustement budgétaire pour la défense. Alors que la professionnalisation des armées avait vocation à se trouver accompagnée d'une réserve opérationnelle plus disponible et mieux formée, la montée en puissance de celle-ci, prévue depuis une vingtaine d'années par les Livres blancs sur la défense et la sécurité successifs et les lois de programmation militaire correspondantes, n'est jamais advenue ; l'absence de moyens et celle de la détermination nécessaire ont aggravé les difficultés inhérentes à la mobilisation de réservistes volontaires. La première partie du présent rapport situe la réserve des armées dans son contexte institutionnel et réel et, tout en soulignant son rôle pratique essentiel, rend compte de ses insuffisances actuelles.

L' émergence brutale sur le sol national, en 2015, d'une nouvelle forme de menace pour notre pays - le terrorisme djihadiste, qui trouve ses recrues au sein même de notre population -, en suscitant parmi cette dernière un tangible désir d'engagement au service de la collectivité, a rapidement imposé comme indispensable une rénovation des réserves militaires . Il en va, avant tout, de l'efficacité des forces armées - lesquelles, actuellement sur-sollicitées en raison de la multiplication des engagements opérationnels sur des théâtres extérieurs et, désormais, sur le territoire national, requièrent ce complément d'effectifs pour maintenir, dans la durée, l'exercice de certaines missions. Mais il en va également de la cohésion de la Nation , tant la réserve, placée par nature à la charnière de la société civile et des armées, en permettant une participation directe de l'ensemble des citoyens - à commencer par la jeunesse - à la défense du pays, recèle des vertus « fédératives » singulièrement puissantes pour le corps social. Pour reprendre les mots de Winston Churchill 7 ( * ) , « un réserviste, c'est quelqu'un qui est deux fois citoyen ».

À la condition d'être rendue plus forte, c'est-à-dire à la fois plus nombreuse et mieux employée, bien sûr dotée d'un budget conséquent avec les ambitions aujourd'hui placées en elle, et réorganisée sur la base d'une « territorialisation » nouvelle et d'une gouvernance repensée, la réserve militaire modernisée de la sorte pourrait constituer une « garde nationale » efficiente - quelle que soit, d'ailleurs, l'appellation qu'on souhaiterait finalement donner au dispositif ; et celle-là, du moins, présente le mérite d'être mobilisatrice, en évitant le travers du « nom de second plan » que déplorait Jaurès 8 ( * ) . Ainsi conçue, ni complexe montage civilo-militaire qui, en tant que tel, risquerait d'être voué à l'échec, ni simple instrument de la politique en faveur de la jeunesse - laquelle dispose d'autres outils -, mais désignant le nouvel aspect d'une réserve redimensionnée, la « Garde nationale » offrirait à l'armée active un appui opérationnel à la hauteur des actuels besoins de défense de notre territoire , et à la France un levier majeur de résilience et de renforcement interne . La seconde partie de ce rapport expose les propositions de vos rapporteurs pour y parvenir.


* 1 Discours du 14 janvier 2016, prononcé à Saint-Cyr Coëtquidan.

* 2 Cf. notamment la déclaration sur les efforts en faveur de la réserve militaire prononcée par votre rapporteur, dans ses fonctions de secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants, le 9 juin 2009, devant l'assemblée plénière du Conseil supérieur de la réserve militaire.

* 3 La liste des personnes auditionnées par le groupe de travail figure en annexe au présent rapport.

* 4 Cette documentation se trouve également jointe en annexe au présent rapport.

* 5 Rapport d'information n° 174 (2010-2011) sur l'utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure, « Pour une réserve de sécurité nationale », décembre 2010.

* 6 Cf. infra , 1 e partie (point I, B).

* 7 Cité par nos collègues Michel Boutant et Joëlle Garriaud-Maylam, en exergue à leur rapport d'information susmentionné n° 174 (2010-2011).

* 8 Cf. la citation placée en exergue au présent rapport.

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