C. UN PROCESSUS QUI PEUT ÊTRE CHAOTIQUE

Pour autant, ces processus de transition ne sont pas linéaires dans leur déroulement. La voie vers la réconciliation est souvent pavée d'incidents et de retours en arrière qui vont rendre le processus chaotique et rendre la présence de la force étrangère ou de la force internationale indispensable pour s'interposer, faire respecter les accords entre les parties et combattre les groupes cherchant à empêcher la réalisation de ces accords. Les phases de stabilisation s'inscrivent dès lors dans la durée.

En Libye , depuis l'élection législative de juillet 2012, le processus démocratique interne a fait long feu sous la pression de groupes aux intérêts divergents qui, disposant d'armement, ont empêché de fait la reconstitution d'une armée et de forces de sécurité nationales et faisant dépendre l'autorité politique de leur soutien ou de leur abstention. En outre, le processus constitutionnel n'a jamais pu aboutir et la mise en oeuvre drastique d'une loi sur l'exclusion politique a exclu du jeu des fonctionnaires compétents. L'ensemble de ces phénomènes ont considérablement affaibli l'Etat. Consommant une rupture politique profonde, après de nouvelles élections en juillet 2014 222 ( * ) , deux gouvernements antagonistes se mettent en place l'un à Tripoli, l'autre à Tobrouk.

Un processus de négociations 223 ( * ) sous l'égide des Nations unies démarre en octobre 2014, soutenu par l'Union européenne. Les négociateurs Bernardino León puis Hans Kobler parviennent, dans un contexte marqué par une insécurité latente, la reprise du trafic de migrants, l'implantation progressive de Daech et l'application de sanctions, à arracher un accord entre Libyens à Skhirat (Maroc) le 11 juillet 2015 sur le principe d'un gouvernement d'union nationale qu'il faudra six mois à faire accepter à un panel représentatif, malgré un puissant soutien international Ce gouvernement dirigé par M. Al-Sarraj tarde à être reconnu par l'ensemble des factions.

Au Mali , après l'accord de cessez-le-feu dit de Ouagadougou et l'élection présidentielle qui lui a conféré une légitimité, le président Ibrahim Boubacar Keita et le gouvernement malien ne se sont pas précipités pour engager les discussions promises sur l'organisation territoriale et institutionnelle du nord du Mali. Ces tergiversations ont favorisé les incidents et une reprise des combats en mai 2014 avec la reprise de Kidal par le MNLA et la défaite des forces armées maliennes. Les incidents se poursuivent ensuite entre les groupes du nord loyalistes (« La Plateforme ») et le MNLA et ses alliés (CMA), malgré la tenue de pourparlers en parallèle à d'Alger entre le gouvernement malien, les loyalistes de la Plateforme et les rebelles de la CMA, jusqu'à la conclusion d'un accord de paix qui sera signé le 20 juin 2015. Les attaques de groupes terroristes se poursuivent.

La mise en oeuvre de cet accord demeure lente. Il y a eu des progrès comme l'adoption de la loi sur les administrations intérimaires, la construction des premiers sites de cantonnement et la création des régions de Taoudéni et de Ménaka, mais on ressent une réticence ou un faible intérêt du gouvernement de Bamako pour hâter le processus. Le projet de loi sur la création d'autorités intérimaires dans le Nord n'a été soumis à l'Assemblée nationale que le 1 er avril 2016. Ces retards avaient conduit les groupes signataires à boycotter certaines instances de l'accord. Sous la vigilance internationale, le gouvernement et les groupes armés signataires se sont entendus le 14 juin sur un document qui prévoit le remplacement des collectivités territoriales du nord par des autorités intérimaires, et un calendrier. Sont ainsi prévus l'installation dans les régions du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) chargé de conduire des patrouilles mixtes composées d'éléments des trois parties, le redéploiement des services de l'Etat dans le nord et la mise en place des autorités intérimaires dont les membres seront désignés de façon consensuelle. Il aura fallu un an pour aboutir, alors que l'accord d'Alger prévoyait la mise en place de ces autorités dans un délai de trois mois. En la matière, la fermeté de l'action de diplomatique de conviction est indispensable sauf à laisser le penchant naturel des autorités de Bamako reprendre le dessus et revenir aux errements passés.

Il restera à mener également tout le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion et la réconciliation nationale.

En Centrafrique , ne disposant ni d'une force publique opérationnelle, ni d'un appareil administratif en ordre de marche, ni de ressources budgétaires sûres, les institutions de transition ont peiné à engager les réformes requises de façon autonome.

Fin septembre 2015, à Bangui, une flambée de violence (60 tués, plus de 40 000 nouveaux déplacés), provoquée par des radicaux des deux camps cherchant à faire échouer le processus de sortie de crise, fait craindre une remise en cause des avancées obtenues jusque-là. La MINUSCA, épaulée par Sangaris, parvient à faire cesser ces troubles et la situation sécuritaire s'apaise.

Depuis octobre, la situation sécuritaire est restée calme, dans l'ensemble, à Bangui et sur la majeure partie du territoire. Ceci a permis la mise en oeuvre du processus électoral : adoption par référendum du projet de constitution le 13 décembre 2015, premier tour de l'élection présidentielle 224 ( * ) , second tour de la présidentielle le 14 février 2016, combiné au premier tour des législatives 225 ( * ) et enfin second tour des législatives le 31 mars.

Le Président Touadéra, homme politique expérimenté, a nommé un gouvernement inclusif 226 ( * ) comprenant des membres issus de toutes les régions, dont quatre musulmans et a facilité l'élection à la tête de l'Assemblée nationale, de l'ancien ministre Karim Meckassoua qui appartient également la minorité de confession musulmane. Le Président s'est fixé de grandes priorités : sécurité-justice, reconstruction-développement économique, et retour des réfugiés-déplacés, réconciliation. Il a affiché sa volonté de gouverner autrement dans la transparence, le respect du droit et dans un esprit de dialogue. L'inscription dans la durée de ces engagements sera un gage de succès et d'investissement de la communauté internationale.

En Irak , la principale préoccupation du gouvernement irakien reste la guerre civile contre l'Etat islamique. Les forces irakiennes et les milices pro-gouvernementales (peshmergas kurdes et milices principalement chiites) appuyées par les frappes aériennes de la coalition remportent quelques succès, comme la reprise de Tikrit et de Falloujah en juin 2016. Cependant la situation intérieure reste instable depuis les manifestations populaires contre la corruption de juillet 2015, et les réformes promises tardent à être mises en oeuvre. La capacité du gouvernement de Bagdad à conduire un processus permettant le détachement des tribus sunnites de l'influence de Daech et l'association des minorités au pouvoir sera difficile et pourtant indispensable pour stabiliser les régions sous l'emprise de Daech et en voie de reconquête.

En Syrie : Le processus de Genève, sous les auspices des Nations unies entre le gouvernement de Bachar al-Assad et le Haut comité des négociations représentant l'opposition (HCN) a peu progressé depuis l'intervention d'un cessez-le-feu non respecté et l'acceptation de quelques convois humanitaires vers les villes assiégées. Il est suspendu depuis le 25 février et n'a pas abordé la question de la transition politique.

L'intervention militaire, dès sa première phase, en modifiant le rapport des forces et en contraignant la plupart des parties à revenir sur le terrain politique, permet la mise en oeuvre de processus de transition, mais il ne faut pas en sous-estimer la difficulté, ni la durée et si leur démarrage nécessite un niveau de sécurité minimale, acquis par l'intervention militaire initiale, leur caractère fragile et précaire rend lui aussi nécessaire la présence d'une force de stabilisation. En fonction de la capacité des parties à reprendre les hostilités et de la virulence des groupes armés qui se placent en dehors du champ de la transition et agissent pour l'empêcher, la question du maintien des forces françaises restera en suspens.


* 222 Avec un taux de participation de 30 %.

* 223 Processus de Ghadamès.

* 224 La participation est de 79 %, chiffre exceptionnel en RCA.

* 225 La cour constitutionnelle confirme, le 1 er mars, la nette victoire de M. Touadéra, avec 63 % des suffrages, contre 37 % pour M. Dologuélé, qui reconnaît sa défaite. La participation, très satisfaisante, se monte à 61 %.

* 226 La composition du nouveau gouvernement dirigé par Simplice Sarandji évite certains écueils. Touadéra a tenu à remercier des soutiens du second tour comme Jean-Serge Bokassa, devenu ainsi ministre de l'Intérieur, de la Sécurité publique et de l'Administration du territoire, et Charles Armel Doubane, devenu ministre des Affaires étrangères. Il a aussi intégré dans son gouvernement et nommé au poste de vice-président d'anciens ministres de Bozizé, tout en excluant les chefs de groupes armés ou leurs soutiens politiques.

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